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Full text of "Mémoires de la Société royale d'Arras, pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts"

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MÉMOIRES 


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SOCIÉTÉ ROYALE 
D'ARRAS, 


POUR L'ENCOURAGEMENT DES SCIENCES, 
DES LETTRES ET DES ARTS, 


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MÉMOIRES 
| SOCIÈTÉ ROYALE 
D'ARRAS, 


POUR L'ENCOURAGEMENT DES SCIENCES, . 
DES LETTRES ET DES ARTS, 


AAA MAMAN 


TOME PREMIER 


ARRAS, | 


TOPINO, Libraire, rue Hernestale: 
| | 


De lImprimerie de BôcQuET, Libraire, sur la Places 


1818, 


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AP. 101681 
57 h1L5 


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© LISTE -. 

DES MEMBRES 

COMPOSANT LA SOCIÉTÉ . : 
Au ve pire 188 


_ Président. 
MM. | 


Le Baron d'HERLINCOURT, Membre de Ja Chambre des’ 
Députés, Chevalier de’ l'Ordre royal de la Légion 
_ d'Honneur. NC 


Chancelier. 
LALLART, Maire.de la ville d'Arras, | 
Secrétaire perpétuel. 


MARTIN, Ingénieur au corps royal des Ponts et Chaussées; , 
l'un des coopérateurs du grand ouvrage sur l'Égypte, ” 
publié par le Gouvernement. 


LA 


ÆArchiviste. | 
FERNINCK ; Membre du Conseil municipal de la ville: 
: d'Arras. | Re ne 
Honoraires. 


Le Baron SIMÉON , Préfet du département du Pas-de-Calais, 
Chevalier de l'Ordre royal de la: Légion d'Honneur ,: 
Commandeur de l'Ordre Grand- Ducal de Hesse- 
Darmstadt. | RE à 


Charles DE LA Tour D'AUVERGNE, Évêque du Diocèse, 
d'Arras , Chevalier de FOrdre royal de la Légion’ 
d'Honneur. er FRS CE 


MM. 

Le Marquis d'AVARAY, Maréchal de Camp, comman 
dant lé Département du Pas-de-Calais, Chevalier de 
l'Ordre royal de Saint Louis et de Malte. 

DE FRANCOVILLE, Membre de la Chambre des Députés. 

THIEULAINE-D'HAUTEVILLE, Chevalier de St. Louis, 
à Arras. | 

ANSART, Docteur en médecine, à Arras. 

BuISSART, père, à Arras. 

ENLART DE GRANDVAL, père, à Arras. 

BLANQUART DES SEPT-FONTAINES , à Ardres: 

Wissoce , Président de la société d'Agriculture , du Com- 
merce et des Arts, à Boulogne. 

Le Baron DE COURSET. 

Le Baron MALOUFT, Maître des Requêtes, Préfet du 
département de la Seine-inféri teure, Officier de l'Ordre 
royal de la Lézion d'Honneur , à Rouen. 

Le Comte DE GALAMETZ, à Lille. 

. BLaNqQuART- BaiLLEUuL, Mernbre de la Chambre des 
Députés; Prorureur du Roi en la Cour royale de Douay, 
Chevalier de l'Ordre royal de la Légion d'Honneur. 

DE St. Fan, Ingéuieur en chef au Corps royal des Ponts 
et Chaussées., à Mantes. 

JouLLIETON , Docteur en médecine, à Guéret, départe- 
ment de la Creuse, | 


Le Baron EURTO , Maréchal - de- Camp, Commandant 
de l'Ord-e royal de la Légion d'Honneur et Chevalier de 
Saint Louis, à Bordeaux, 


TARANGET , Recteur de l’Université, a Douay. 


Le Lieutenant - général MARESCOT, Grand Officier de: 
: Ordre ro val de la Légion d'Honneur et Commandeur de 
Saint Louis , à Paris. 


Le Chevalier ALLENT , Conseiller d'état , Sous- secrétaire 
d'état au ministère de la guerre, à Paris. | 


MM. | 
ScHILLEMANS, chef da bureau du Génie, ay anti 
de la guerre, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion 
d'Honneur, à Paris. 
HEURTIER , Membre de l’Institut, à Paris. 


Csussey, Architecte du département de la Somme, 
à Amiens. 


RONDELET, Chevalier de l’Ordre 


royal de la Légion d'Honneur, Inspecteurs-générauk 
G1z0Rs des bâêtimens civils, & 

4 pue Paris : 

GAREZ, | À 


ANTHELME CosTAZz, vice-secrétaire de: la Société d’en- 
| couragement pour l’industrie nationale, à Paris. 


LE PASQUIER, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion 
d'Honneur , à Rouen. 


LenGLET, lun des Présidens de la Cour royale de Douay. 
| Résidens. 


Cozin, Négociant, Membre du Conseil de Préfecture. 
Duqussrox, Membre du Conseil général du départe- 


ment. 


Leroux - DUCHAETLET, Membre du Conseil d’arrondis- 
sement d'Arras. 


CoURTALON, Ingénieur en chef au Corps rcyal des 
Ponts et Chaussées. 


LeTOM8E, Architecte du département , Chevalier de 
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur. . 


GARNIER, Ingénieur au Corps royal des Mines. 


Cd 


De St. PAUL, Maréchal - de - Camp au Corps royal du 
Génie, Officier de l'Ordre royal de la Légion d'honneur 
Commandeur de l'Ordre royal de St. Lows. | 


HALLETTE, Ingénieur-mécanicien. 


MERCIER ; Docteur én médecine, 


MM. 


Darsnez, Professeur de Mathématiques au Golees 
d'Arras. 


SAUVAGE , Professeur de Rhétorique au Collège d'Arras. 
Doxson, ( Népomucène. ) 

Auguste Cor. | 

CRESPEL-D'ELLISSE, Fabricant, 

BeRGÉ DE VASSENAU, chef de AVION à la Préfecture. 
MoNEeL, Avocat. 


Aimé BURDET Professeur de dessin au régiment du 
Génie en garnison à Arras. 


De Massy, Colonel , Directeur des fortifications, à 
Arras, Chevalier de l'Ordre royal de Saïnt Eouis. 


SALENTIN , Principal au Collège d'Arras. 
DUCHATEAU, Chirurgien. 


Lrvizz, Docteur en médecine, Directeur de l'Ecole de 
chirurgie du département. 


Le SuEeur, Ingénieur en chef, Vérificateur du Cadastre 


da déparment , Membre de la Commission royale de là 


carte de. France. 
* 9 % ee © ee ee 0 « 
CS œ eo C2 , ee e +6 ‘. 


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Correspondans. 
BALLART , ancien Médecin principal des armées, 
Médecin en chef de l'hôpital militrre de St. Omer. 


BurDgrT, aîné, Avocat près le Sénat de Savoye,. à 
Chambéry. | 


GoDpegFroO%x , Doeteur en méddne. à St. Omer. 


DrsmArQUuOY, Docteur en médecine, Chevalier de 
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur, à St. Omer. 


RGTY , Avocat en la Cour royale , à Bouay. 


À 


M M. eZ, LU 
PÉTY, Sous-intendant militaire , à Cambray: 
PEUvION, fils , Négociant , à Lille. 

DeLEZENNE, Professeur de Mathématiques, à Lille. 
MERCADIER, Ingénieur au Corps royal des Ponts et 


Chaussées, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion 

. d'Honneur, à Châlons-sur-Saône. ï 

CoRANCEZ, ancien Consul à Alep, Chevalier de l'Ordre 
royal de la Légion d'Honneur, à Paris. _ 

DesBROCHETS , Capitaine au Corps royal du Génie, 
, Chevalier de l’Ordre royal de la Légion d'Honneur, à 
St. Omer. 

ANTOINS , Professeur au Collège de Nancy. 

PeLLET , Litlérateur, à Epinal. | 

THIÉBAUT DE BERNÉAUD , l’un des Bibliothécaires de 
Ja Bibliothèque Mazarine, Membre de plusieurs Aca- 
démies nationales et étrangères , Rédacteur général de la 
Biblivthèque RRJACO CORRE: à Paris, 

DaBucNny, Littérateur, à Paris. 

HURTREL-D'ARBOVAL ; Médecin Vétérinaire, amateur ; 
Membre de plusieurs "Sociétés savantes , à Montreuil 
sur-mer. 

Demanze,, fils, Secrétaire Adjoint de la Socicté 
d'Agriculture , du Commerce et des Arts, de Boulogne. 

HENRY, Adjudant au Corps royal du Génie, Secrétaire 
de la même Société, à Boulogne. 

RouxeL , Docteur en médecine , à Boulogne. 

CTÉSIPHON PÉQUEUR , chef d'atelier au Conservatoire 
des Arts et Métiers , à Paris. 

CARON DE FROMENTE®L, Procureur du Roi, à Boulogne. 

Le Baron d'ORDRE , Inspecteur des Forêts , à Boulogne. 

LErFEvRE-DurR$, Juge d'instruction au Tribunal de 


Béthune. 
SCiPION MoURGUES , Propriétaire de la Manufacture de 
Rouval, près Douléns 


MM. | 
CounDENT , Docteur en médecine, à St. Venant. 
BAxARD, Capitaine au Corps royal du Génie, Adjoint 
au Directeur du dépôt des fortifications , Chevalier des. 


Ordres royaux de la Légion d'Honneur et de St, Louis. 
à St Omer. 


CAvEnTOU , fils, Pharmacien à l'Hôpital St. Antoine, 
à Paris. | 

Czernc, chef de Bataillon au Corps royal du Génie, 
Commandant de la brigade topographique, Chevalier des 


Ordres royaux de la Légion d'Honneur et de St. Louis, 
à Metz. 


RAIMOND , Capitaine , Ingénieur géographe , à Paris. 


Antoine DESPINE, Docteur en médecine, Membre de 
plusieurs Sociétés savantes, à Aix en Provence. 


VILLERMÉ, Docteur en médecine, à Paris. 
EVRARD , Docteur en médecine, à St. Denis. 


WILLIAUME, Chirurgien en chef, premier Professeur 
de l'Hôpital militaire d'instruction, à Metz , Officier de. 
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur. 


Murez, Chirurgien militaire, Membre de plusieurs 
Sociétés savantes, à St. Omer. 


JossE , Professeur d’Anatomie et de Physiologie, à Amiens. 


LT 


MÉMOIRES. 


SÉANCE PUBLIQUE 
DU LUNDI 24 AOUT 1818. 


DISCOURS 


D'OUVERTURE, 


Par M. le Baron D'HERLINCOURT, Président. 


MESSIEURS, 


Ce au milieu des fêtes consacrées à la mémoire d’an 
des plus grands Monarques qui aient régné sur notre pays, 
du plus saint , du plus vertueux de nos Rois ; c’est au milieu 
des fêtes qui rappellent un évènement si glorieux pour la 
France , si heureux pour notre ville, que la Société royale 
pour l’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts, 
tient sa première séance publique; ‘c’est dans ces jours 
d’allégresse générale, c’est à cette époque solennelle que 
désormais elle viendra chaque année présenter à ses con- 
citoyens le résultat de ses eforts, le tribut de ses recherches, 
l'hommage des travaux de ses membres. 

Les imposans souvenirs de l’ancienne Académie d'Arras 
sont dans tous les cœurs : ils nous prescrivent de grandes 
abligations ; animés d’une noble émulation nous tâcherons 


2 MÉMOIRES. 


de la suivre dans la carrière qu’elle a si dignement par- 
courue ; l'expérience du passé soutiendra notre courage ; 
elle nous apprend que la gloire peut s’éclipser quelques. 


instans , et reparaître avec une nouvelle splendeur; que. 


l'arbre de la Science après avoir vu ses rameaux desséchés, 
après avoir perdu ses fleurs et ses fruils, peut se parer 
d’une nouvelle verdure , et produire de nouvelles fleurs, 
de nouveaux fruits. L’antique ville des Atrébates a éprouvé 
toutes les vicissitudes d’une fortune brillante-et des plus 
cruels revers , de la prospérité et des plus affreusescalamités; 
tour à tour les Sciences, les Arts y ont fleuri, y ont jetté 
Je plus vif éclat et ils ont disparu, ils ont fui de nos murs. 
Nos jours ont été témoins de catastrophes semblables à celles 
des temps anciens; notre ville ramenée dans le 17.° siècle 
sous l'empire des lys, après en avoir été long-tems séparées. 
et pour ne plus jamais l'être, jouissait sous le sceptre des 
Bourbons des avantages d’une longue paix; les Arts se 
perfectionnaient , le Commerce se livrait à ses utiles spécu« 
tions, les Sciences étaient cultivées, une Société composée 
d’un très-petit nombre d'hommes érudits et laborieux s'était 
formée ; pénétrés du désir d’être utiles à teur pays, investis 
de l'estime publique, leur exemple trouva des imitateurs , 
V'émulation enflamma les esprits, ce foyer de lumières 


s'agrandit par la réunion de toutes les personnes distinguées’ 


par leurs talens et leurs connaissances, la protection Royale 
donna sa sanction auguste à cette association , et l’Académie 
royale d'Arras fut établie; elle remplit la noble tâche qu’elle 
s'était imposée, elle se livrait sans relâche à d’utilestravaux, 
lorsque des évènemens de sinistre mémoire vinrent paralyser 
les esprits et les ames; un crêpe funèbre couvrit cette cité, 


les Muscs ont mêlé leurs larmes aux nôtres, et, frappées* 


 d’épouvante et d'horreur, elles ont déserté notre sol en- 


Pd 


MÉMOIRES: ä 


senglanté ; 1! peine ces jours de deuil ont-ils-fait place À des 
jours plus tranquilles que le goût des beaux Arts s’est 
ranimé parmi nous ; heureux de revoir, ma patrie après un 
long exil, je me félicitai d’y retrouver cette ardeur pour 
lnstruction qui l’a toujours distinguée ; bientôt un collège 
doté avec.toute la. munificence que les circonstances per- 
mettaient fut ouvert à une jeunesse avide de savoir ; bientôt 
se forma dans une des villes du département une. Société 
savante qui.dès les premières années de son existence acquit 
des droits à notre estime et à notre reconnaissance ; des 
vœux ardens pour l'établissement d’une Société semblable 
dans le chef-lieu du département fermentaient, se propa- 
geaient , s’accroissaient chaque jour ; enfin, le trône de nos 
Rois s’est relevé; avec lui nous sont rendas les bienfaits de 
la paix, compagne de l'Industrie , du Commerce, des 
Sciences et des Arts, Le Monarque rendu à nos désirs nous 
à donné a Charte, monument de la plus haute sagesse 
qui, ouvrant à tous les Français la carrière des services et 
des récompenses les a enflammés de cette heureuse émula- 
tion, qui rend un peuple idolâtre de tous les sn de 
gloire, capable de tous les prodiges. | 

. Nous aussi, Messieurs, nous avons entendu la voix 
auguste qui nous rappelle à la culture des Sciences, des 
Lettres et des Arts ; nous avons entendu la voix de notre 
pays qui nous invite à Jui consacrer nos veilles et nos tra- 
vaux. Je sens ici le besoin de vous rappeller combien nous 
avons été puissamment secondés par le magistrat distingué 
que le départemeut vient de perdre ; de vous retracer le vif 
intérêt, la part active qu'il n’a cessé de prendre à l’établis- 
sement de cette: Société. Appellé par le Souverain , juste 
appréciatéur de ses talens et:de son zèle pour le service du 
trône , à l'administration d’une province importante , il ne 


4 Mémoires. 
saurait être insensible à nos regrets et à notre reton- 
naissance. 

Encouragés par de si respectables impalsions, nous né 
cesserons de fixer le noble but que nous nous proposons 
d'atteindre, et , si nos infatigables efforts n’obtiennent pas 
tous les succès que nous ambitionnons , au moins aurons, 
nous ouvert la carrière que pourront illustrer nos suc- 
tesseurs. Le soleil, à l'aurore d’un beau jour, ne jette qu'uu 
faible éclat, bientôt ses rayons écartent les nuages et 
versent sur la terre des torrens de lumière. Le fleuve majes+ 
tueux qui féconde nos campagnes, enrichit nos villes, n’est 
à sa source qu’un bien faible ruisseau dont les eaux 
fimpides arrosent à peirie une riante prairie; espérons aussi 
qu’un long avenir de paix et &e prospérité, promis à notre 
heureux pays, que l'encouragement accordé par un 
Monarque éclairé à nos utiles travaux, que l’émulation 
excitée par notre exemple parmi nos concitoyens, dons 
ñeront aux esprits un vigouréux essor, que vette Société 
naissante deviendra la gloire de notre ville et méritera uxæ 
jour de fixer les Fee et l'attention de la patrie recon< 
int 

* Pour arriver À un bat si honorable , il faut, sans doute ; j 
dé grands , de constans efforts ; il fant cette volonté ferme 
qui ne se rebute ni par Îes obstacles , ni par les difficultész 
il faudrait, peut-être , cette réunion de talens dont je vais 
entreprendre de tracer une faible esquisse ; réunion qui se 
trouve rarement le partage d’un seul homme, quelque pri< 
vilégié qu'il soit par la nature ; mais qui , répartie entre les 
membres d’une Société en fait la force , en formant un 
faisceau du tritut que chacun y apporte. Cet assemblage }; 
toutefois, n’a pas paru absolument indispensable à ung 
Société naissante comme la nôtre et ce sentiment, joint à 


MÉMOIRES, ÿ 
on titre d'encouragement , a pu seul la rassurer surles véri- 
tables intentions dont elle est animée ; maïs j'ai cru devoir, 
pour l'utilité des jeunes gens que leurs dispositions heureuses 
entraînent vers l'étude, leur rappeller que le bon goût et un 
jugement sain doivent être exclusivement le partage de 
celui qui se sent appellé à guider ses semblables dans la 
route des Sciences naturelles. Le goût est le sentiment du 
beau, du vrai, qu'aucun prestige, fût-il orné des plus 
brillantes couleurs, ne peut séduire ni corrompre; c’est 
une manière de voir si juste, si précise, que l'expression 
employée rend seulement l’objet qu’elle e en vue, mais le 
rend tout entier ; yne façon de parler si nette , si appropriée 
au sujet que l’on traite, que la parole n’est que le peintre 
fidèle de la pensée ; comme la pensée est le miroir fidèle de 
l'objet qu'elle se représente. C’est cette sagesse , cette juste 
mesure qui sait retrancher tout ornement frivole on 
étranger , faire le sacrifice de ses ornemens lorsqu'ils sont 
déplacés , astreindre l'imagination sans la captiver, modérer 
l'enthousiasme du génie sans l’étouffer, châtier le luxe et 
l'intempérance du style sans l’amaigrir ni le dessécher; être 
plaisant sans bouffonnerie ; gravé sans austérité, agréable 
sans nuire à l'instruction, instructif sans être dépourvu 
d’agrérnent, Legot estce taèt délicat des bienséances qui sait 
se plier aux circonstances des tems, des âges et des lieux ; 
également attentif à ne pas blesser le caractère de celui qui 
parle, ni choquer les opinions de ceux à qui l’on parle; 
c'est enfin cette sage écanomie qui sait donner à chaque 
partie du discours l'étendue et le degré de force dont elles 
sont susceplibles, à établir entre elles. un tel-ordre et une 
telle harmèimie qu'elles s’appuyent et se fortifient mutuelle- 
ment , à les rémir ensemble par des transitions si fines , si 
délicates qu'elles ne fassent qu’un même corps et un tout 


6 MÉMOIRES. 


continu, à rapprocher les couleurs par des huänces # 
imperceptibles que l’œil le plus exercé se trompe agréables 
ment dans le passage des unes aux autres. L'homme de 
goût est toujours dans les limites des convenances ; s’il 
‘s'élève , sa raison conserve toujours l’ascendant , il sait 
‘s'arrêter à propos; s’il s’abaisse, c’est sans jamais descendre 
au langage commun et trivial. 
‘. L'homme de goût est doué de cetté pénétration , de cette 
-sagacité qui déméle au premier coup-d’æil tous les rapports 
entré les divers objets, de ce sentiment épuré qui saisit 
naturellement ce qu’il y a de plus exquis dans chaque sujet, 
de cette finesse de tact à laquelle rien n'échappe et 
‘n’adopte rien qu'avec discernement. 

Mais qui peut contribuer davantage à former le goût, si 
ce n’est la connaissance des choses passées, des écrits où 
sont consignés les observations , les travaux de rios devan- 
ciers ? Qui peut donner le goût, si ce n’est l’érudition Ê 
L'érudition que l’on peut appeller le trésor des siècles ; le 
dépositaire de tous les âges! L'homme érudit possède cet 
immense trésor ; à ses yeux se déroulent les révolutioris qui 


ont agité l’univers ; l’origine , les progrès , la décadence , la. 


chüûte des empires; il apperçoit cette succession rapide 
d’évènemens qui ont partagé tour à tour la scène da 
monde , il découvre le spectacle intéressant de tous les 
peuples de la terre’, aussi différens les uns des autres par les 
traits variés à l’infini. qui les caractèrisent , que différens 
d'eux-mêmes, suivant les divers points de vue où ils se 
trouvent placés ; les secrets et les merveilles de la nature 
‘Jui sont dévoilés; il sait la nomenclature de tous ces 
héros qui, après avoir illustré successivement les divers 
: âges, semblent se rapprocher comme de concert pour offrir 
des modèles dans tous les genres, et exciter l’émulation des 

siècles 


MÉMOIRES. r 
srècles futurs, l’érudit a, pour ainsi dire à sa disposition, les 
productions de la littérature, les opinions de la philosophie, 
les trésors de la poésie, les chefs-d’œuvre de l’éloquence , les 
faits, les pensées, les découvertes de tous les genres et de tous 
les siècles, les coutumes, les usages, les mœurs et les tems. 

L'érudition enrichit l'esprit , éclaire, lui offre les raison- 
nemensappuyéssurles autorités, lès maximes confirmées pat 
les exemples, les idées réalisées par les faits. Les plus beaux 
ttaits de l’histoire ancienne et moderne lui présentent une 
variété de spectacles qui l’amusent et qui l'occupent, qui 
l'intéressent et qui l'instruisent. L’érudit possesseur de ces 
immenses richesses en fait part à ses contemporains et leur 
dispense le trésor des connaissances qu'il à acquises. 

Après avoir développé les avantages du goût, après avoit 
démontré les ressources que l’on puise dans l’éradition , 
oserai- je parler des prodiges que produit une brillante ima- 
gination , qu’enfante le génie ? Oseraï-je peindre cette force 
et cette énergie qui s'emparent d’un objet et l’agrandissent, 
cette vivacité d'imagination qui communique à ses expres- 
sions tout lefeu qui l’enflamme:; cette élévation de cœur et de 
sentimens qui imprime à toutes ses productions ce caractère 
d’héroïsme qui ravit et transporte? Il n’appaïtient qu’au 
génie fort et sublime de démêler les rapports les plus intimes 
de l’objet dont il s'empare , d’en sonder toutes les profon- 
deurs, de le saisir tout entier, de le subjuguer, de s’en 
rendre le maître ; son ardeur etson activité franchissent dans 
un instant toutes les barrières qui en dérobent les beautés 
aa vulgaire ; la nature a tout fait pour lui; elle l’a affranchi 
des épines du travail, elle Lui a ménagé dans l'énergie et la 
chaleur qui l’animent une ressource plus sûre et plus rapide; 
les pensées fortes et hardies, les idées nobles et généreuses 
sont moins les productions que les jeux de son esprit; la 

2 


8. MÉMOIRES, 


magnificence de ses expressions égale la hauteur de ses idées: 
la clarté, la vivacité de ses pensées communiquent à ses 
paroles leur éclat et leur lumière. Il frappe, à la fois, par 
cette richesse d’imagés, cés peintures animées, ces traits 
sublimes qui saisissent, qui transportent l'auditeur, qui 
l’enlèvent à lui-même et versent dans son esprit tout le feu 
de l’orateur ; c’est le torrent qui franchit toutes ses digues ;, 
c’est. l'éclair qui sillonne la nue. 

Mais. je sens que j'affaiblis les traits qui distinguent ce 
magnifique présent de la nature ; le génie seul peut peindre 
le génie; et, notre Société qui n’a pour but que d’encou- 
rager et de faciliter son développement , ne peut que mani- 
fester le vœu qu’elle à formé en se réunissant ; ce vœu qui 
n'est fondé sur aucune prétention académique ‘a, pour 
unique base l’ardent amour que chacun de ses membres 
porte à son pays et le vif désir de voir notre belle France, 
déjà si favoriste de la nature, ne rester en arrière dans 
aucune des connaissances humaines. 

Propager le goût des bonnes études, répandre dans toutes 
les classes le désir de l’instruction, dissiper les doutes, 
étendre Îles lumières sur les découvertes avantageuses aux 
Seiences et aux Arts; populariser, pour ainsi dire, celles 
qui concernent l'Agriculture, source de richésses pour ce 
Département ; célébrer les évènemens heureux pour notre 
pavs, les hommes qui lui ont rendu d’éminens services ; 
décerner des récompenses aux inventeurs, aux propagateurs 
des méthodes utiles ; indiquer les remèdes éprouvés par 
expérience contre les maladies qui attaquent ces animaux 
fidèles auxiliaires du cultivateur et destinés à sa nourriture 5 
parer aux divers accidens qui nuisent aux moïssons, aux 
différens maux qui affligent l'humanité ; encourager les 
diverses branches d'industrie, leur indiquer les moyens de 


MÉMOIRES 9 
perfectionnement , en introduire, s’il est possible, de nou 
velles; nous montrer, surtout, toujours pénétrés d’un 
respect profond pour la religion et la morale, partageant 
amour qui anime tous les Français pour le meilleur des Rois 
‘et son'auguste famille ; invariablement attachés à la Charte, 
aux institutions qui en dérivent, au dogme tutélaire de la 
légitimité, soumis aux lois et aux autorités qui en sont les 
organes; c’est ainsi, Messieurs, que nous nous rendrons 
dignes de l’augnste protection du souverain éclairé qui a 
daigné encôurager notre Société naissante , de notre pays 
qui réclame nos services et de nos concitoyens dont l'estime 
sera notre plus douce récompense. : 


AAA VULUVI BUT UM LL LUE LAN LULU UNE UUR VAL AVR VLU VA LAN 


:. RAPPORT 


SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ, 
Pda sante pablionuda ct Aoftie. 
PAR M. MARTIN, SECRÉTAIRE ROUE 
MESSIEURS, 


Lx Société royale d'Arras doit voir dans cette nombreuse 
et brillante réunion des citoyens et des habitans du départe- 
ment, un empressement généreux à venir sanctionner par 
leur présence le rétablissement d’une institution libérale 
dont l’expérience d’un grand nombre d’années avait dé- 
montré fes avantages, et cet empressement est pour elle 
un présage heureux de ses succès, en marchant vers le but 
qu'elle se propose d'atteindre. Quelque zèle, en effet, que 
chacun de ses membres apporte dans les nouvelles et hono- 
rables fonctions dont ils se sont chargés, on conçoit qu'ils 
ont dû compter sur ke zèle encore plus puissant de leurs 
concitoyeus, et surtout sur la pureté des motifs qui font la 
base de leur association. 

Un article du réglement de la Société impose à son Sééré. 
taire l'obligation de présenter le tableau historique des 
travaux de l’année écoulée. Cette tâche que je remplis au- 
jourd’hui pour la première fois, suppose nécessairement 
une grande indulgence. La Société, encore naissante, n’a 
pu need ses travaux cette extension et cette utilité que 


MÉMOIRES, FI 


le public doit attendré de son institution ; mais, on verr#, 
par les efforts qui ont été faits dans cette première année, 
ce que l’on peut espérer si, comme fa Société n’en doute 
pas, elle est secondée efficacement par cette affection natu- 
relle dont chaque citoyen doit être animé pour le pays qui 
Ja vu naître. , | | 

Cet amour de la patrie commun à tous les hommes est 
un mobile puissant qui ennoblit toutes les actions, tous les 
sentimens lorsqu'il est bien dirigé ;. il est la source, peut- 
être unique de la prospérité des Empires, si toutefois l’igno- 
xance ne fournit aux passions aucun moyen de le dégrader. 

Dire que l'ignorance est un fléau de l'humanité, c’est 
répéter une vérité triviale, je le sais, mais il ne faut pas 
cesser d'en fatiguer les oreilles et surtout d’en reproduire la 
démonstration sous tous les points de vue qu’elle peut pré- 
senter, afin de détruire les derniers argumens de ceux qui 
eroient encore devoir nier celte vérité. 

La nature a élevé l’homme au-dessus des animaux par un 
grand bienfait, en lui donnant Pintelligence. C’est là son 
véritable caractère distinctif et peut-être pourrait-on ne pas 
décorer-du même titre et l’homme de génie et l'individu qui 
n’a pas le sentiment de son existence ; j'appelle ici senti- 
ment, non pas seulement cette faculté physique commune 
aux hommes, aux animaux et peut-être aux végétaux de 
fuir le mal ou la peine, et de rechercher le plaisir, mais 
bien cette faculté morale et intellectuelle qui nous associe, 
pour ainsi dire, à la divinité, en nous faisant trouver le 
bonheur dans l'élévation de l'ame et la pratique des vertus. 

En vain , des froids spéculateurs nous diront que ces seu- 
fimens sont de pure convention, notre cœur et le leur 
même est là qui les dément. Reconuaïssons plutôt qu'ils 
sont un des plus beaux attributs de l'hrimanité et que nous 


-ÿ2 MÉMOIRES. 


me -saurions faire trop d'efforts pour connaître et perfec 
tionner en nous ces sentimens, puisqu'ils nous mettent 
sur la seule voie qui conduit au bonheur. 


Si personne n'ose nier que l'intelligence est le prem'er 
bien de l’homme, empêcher ou arrêter son développement 
est donc un crime qui blesse la nature et outrage la divinité, 
puisqu'il tend à attaquer et à détruire le chef-d'œuvre de la 
création ; tandis qu’au contraire, tout ce qui tend à faciliter 
ce développement, entre dans les vues de l’être suprême, 
puisqu’en formant l’homme à son imige, il l’a doué d’un 
ésprit qui se complait éminemment dans la recherche et la 
contemplation des secrets de la nature , restés éternellement 
cachés à tous les autres êtres animés. 


Celte vérité, je dirai même ce besoin si vivement sent 
par tous les hommes ; est le premier lien qui les a réunis, 
Chacun a reconnu, dès l’origine, la nécessité d'agrandir le 
domaine de son intelligence, parce que la puissance ou la 
suprématie de l’homme sur tous les objets créés par la 
pature est en raison directe du developpement de cette in- 
telligence , et comme elle est bornée pour chaque individu 
par la brièveté de sa vie et par l’espace que ses sens peuvent 
embrasser, on a dù bientôt chercher a s'approprier les 
résultats de l'intelligence de ses semblables , afin de rendre. 
indéfinies la grandeur de l’espace et la durée de la vie. De- 
k , l’origine de la parole, ou moyen de communiquer la 
pensée par l'intermédiaire de l’un de nos sens qui est l’ouie ; 
mais, ee moyen n’employant qu’un seul de nos sens, il 
devint Lientôt insuflisant, et pour le mettre en contact 
avec un autre sens, on imagina de donner à la parole une. 
forme qui fut du ressort de la vue et l'écriture fut inventée. 


Dès ce moment, l’intellisence de l’homme n'eut plus de. 


MÉMOIRES. | t35 


bornes, et l'esprit humain parvint en peu de tems au degxé 
de perfection que le créateur lui avait assigné. 

Il faut l'avouer, néanmoins, cetté activité de l'esprit 
portait avec elle un germe de destruction, ou au moins de 
ralentissement par lequel on dut apprécier l'intervalle qui 
sépare l’homme de la divinité; les passions vinrent entraver 
sa marche et l’on vit , à diverses époques, des siècles de bar- 
barie et d'ignorance venir s’interposer pour arrêtèr cette 
activité, et menacer même de la faire rétrograder jusqu’au 
point de départ ; mais la nature veillait elle-même à la con- 
servation de son ouvrage, et l’on a vu, dans tous les tems, 
des hommes planant au-dessus des ténèbres de. ces époques. 
désastreuses, conserver, conmme un dépôt, le feu sacré des 
connaissances bumaines, leur imprimer même, dans le 
silence et te secret ,un mouvement, qui, au moment où elles 
pourraient reprendre leur liberté, devait sous l'apparence 
d’un mouvement accéléré, les porter au point où elles 
seraient parvenues , Si leur marche n'avait point été com 
primée. d 

Ces dépositaires , sur qui doit toujours se porter la recon- 
naissance des hommes, quels que soient les moyens qu'ils 
aient employés, se retrouvent à toutes les époques de l’his- 
toire , chezles Prêtres de la savante Egypte, chezles Bramines 
de l'Inde , dans les réunions du Gymnaze d’Athènes, et enfin 
au milieu même de nos Moines modernes, C'est en effet, 
dans les cloîtres que l'Europe a retrouvé la Science dans 
toute sa pureté, lorsque l’on commença à bannir, il y a 
trois siècles, l'ignorance qu’avaient traînée à leur suite 
les irruptions des peuples du Nord et de l'Asie dans les pre- 
miers tems de l’ère chrétienne. ’ 

Les hommes qui voulaient donner librement l’essor à 
leur génie, avaient cru devoir le couvrir du bouclier de la 


[2 


34 MÉMOIRES. 


religion, et le mettre, dans ces asyles sacrés, hors des 
atteintes de la tyrannie qui pesait sur la Société civilisée ; 
mais , aussitôt que des mœurs plus douces eurent banni ces. 
cra'ules, les savans, liés entre-eux par cette confraternité 
du génie, prirent pour unique motif de leurs réunions, cet 
esprit de conservation et d'accroïssement des lumières, que 
jusques-là ils n'avaient pas osé avouer, et l’on vit bientôt 
se former des Sociétés lihres dont les travaux surpassèrent, 
en peu de tems, les efforts des illustres Cénobites dont je 
viens de parler. 


D'un autre côté, les Gouvernemens, mieux éclairés sur 
Jeurs véritables intérêts, avaient senti que, lorsqu'ils 
veulent être justes et remplir le but de leur iustitution qui 
‘est de rendre les peuples heureux, leur puissance et leur 
action s’agrandissent par l'accroissement et la propagation 
des lumières. Aussi, depuis cette heureuse époque de la 
renaissance des Lettres , on les à vus constamment 
entourer les savans de leur protection et faire tomber 
presqu’exclusivement sur eux les honneurs qui élaient 
auparavant l'apanage privilégié de l'ignorance. 

C’est ainsi qu’en France, le Roi François L*", et sa sœur 
1 Reine de Navarre, honoraient de leur amitié et comblaient 
de leurs faveurs l'aimable auteur du roman de la Rose et 
J'inimitahle curé de Meudon. Louis XIIT, ou pour mieux 
dire Richelieu , élayait de toute sa puissance cette savante 
réunion à laquelle le cardinal ministre ambitionnait d’ap- 
partenir comme membre, lui qui porta l'ambition à un si 
laut point. | 

L'Académie, l’Université, la Sorbonne, devinrent , dès- 
Irs des foyers de lumières, d’où les connaissances se répan- 
dirent sur toute la surface du royaume et amenèrent 


MÉMOIRES. 19 


promptement une amélioration sensible dans toutes les 
classes de la société. L'esprit éclairé des citoyens facilita la 
marche du Gouvernement ; les institutions se perfection- 
nèrent, et, malgré l’assertion de l'illustre citoyen deGénève, 
les hommes virent en général, des jours plus heureux sous 
V'influence des lumières. 

Comparons, en effet, la condition des peuples en Europe 
dans les trois derniers siècles qui viennent de s’écouler avec 
celle des dix à onze siècles précédens. Ici, nous voyons la 
nature absolument muette, et les hommes trainer dans l’escla- 
vage et l’abrutissement une existence pénible, plus mal- 
beureuse, peut-être, que celle des animaux, à cause des 
désirs vagues, ou des craintes innées, dont l'ignorance la 
plus profonde ne peut jamais nous délivrer. Là, nous 
voyons des esprits supérieurs, des Montesquieu, des 
Galilée, des Descartes, des Newton et une foule d’autres, 
créér tous les genres de Sciences pour le bonheur cominun, 
imprimer le caractère de leur génie aux hommes et aux 
tems, les faire jouir de tous les bienfaits de la nature, et 
leur assurer à jamais , l'usage des droits qu’elle leur a don- 
nés. N'est-ce pas enfin à cette influence des lumières que 
nous devons le système des monarchies constitutionnelles, 
qui se ‘présente aujourd’hui comme le seul moyen de ter- 
rasser pour jamais l’hydre de l’anarchie, soit qu’elle se 
pare du manteau de la féodalité, soit qu’elle revête les 
baïllons de la licence; comme le seul moyen aussi de 
garantir aux hommes la liberté et légalité de leurs droits. 

Riche de ces trésors , on voit surtout le 18.°siècle marcher“ 
d'un pas assuré dans la route que les deux siècles précédens 
lui avaient tracée; appliquer aux Arts les brillantes théories 
des Sciences naturelles, et mettre ainsi ces théories à la 
portée de toutes Les classes de la Société. 

_* 


16 MÉMOIRES. 


L'esprit de libéralité qui forme le caractère &stinctif de 
cette époque, joint à l'exemple donné par les réunions 
‘d'hommes à talens formées dans la Capitale, avaient depuis 
longtems excité l’émulation des principales villes du 
Royaume. Déjà , des Sociétés d’Arts , de Sciences et d’Agri: 
culture s’élevaieut dans les provinces et devenaient entre les 
mains de l’administration des instrumens utiles au succès 
_ de ses vues. Plusieurs villes voisines se glorifiaient d’asso- 
ciations semblables formées dans leur sein, lorsque quelques. 
hommes recommandables conçurent le projet de faire jouir 
Ja capitale de l’Artois des mêmes avantages, et l’on vit, pour. 
la première fois, se former à Arras une Société littéraire. 
composée des citeyens les plus distingués de la ville et de 
la province. | 

Je n’entreprendrai point de vous donner ici, Messieurs , 
Phistorique de celte Société et l'analyse de ses travaux ; ils. 
font l’objet d’un mémoire spécial qui sera inséré dans Ja 
collection destinée à être mise sous les yeux du public. 

_ Je vous dirai seulement que, pendant les 55 années de son 
existence , cette Société a été animée des intentions les plus 
généreuses envers ses concitoyens, et que , sans aspirer à 
remplir le monde savant de sa réputation littéraire , elle 
n'en a pas moins acquis des droits à la reconnaissance. 
publique par ses recherches et par les lumières qu'elle a 
répandues sur l’histoire de son pays, par ses efforts pour 
y naturaliser le goût des Belles - lettres, et enfin, par 
l'extension qu’elle a donnée à l'Agriculture de l’Artois, en 
provoquant la solution de diverses questions de la plus 
haute importance pour le sol de cette province. | 

La dernière biste de ses Membres vous rappellera, sans 
doute avec plaisir, que cette Société a contribué , peut-être, 
à développer le génie de deux hommes dont les noms appar- 


MÉMOIRES. 37 


tiennent à l'histoire ; je veux parler des généraux Carnot et 
Marescot, qui habitaïent alors la ville d'Arras. Emules, tous 
les deux des plus grands capitaines de leur arme , le premier 
est reconnu, sans contredit, pour l’un des plus brillans 
flambeaux des Sciences modernes, et l’autre, surnommé le 
Vauban du ro.” siècle, jouit, en ce moment, de la confiance 
entière de notre Movarque, et a bien voulu agréer le titre de 
membre honoraire de la nouvelle compagnie, 


La Société littéraire d'Arras , honorée par nos Rois dw 
Utre d’Académie royale , subit, en 1793, le sort de toutes 
les institutions ; engloutie dans le cahos qui menaçait la 
société civilisée , elle dut cesser ses travaux et remettre, 
dans les mains de l'Autorité, le dépôt de ses recherches , 
comme un germe destiné à fructifier sous un climat plus 
propice ,; et dans un tems plus favorable à son développe- 
ment. 


Cette époque de nos désastres ne fut cependant point 
perdue pour les Sciences et les'Arts ; leur marche prit » 
au contraire , un accroissement rapide dont la cause ne se 
trouve que dans l'excès même de nos maux. 


D'un côté , les riches citoyens des villes, forcés de fuir 
ka tyrannie qui pesait particulièrement sur eux , allèrent 
habiter les campagnes, où apportant dans la culture de 
leurs domaines, une industrie qui était le fruit de leur 
éducation , ils firent sentir l'avantage des méthodes nou- 
vellement découvertes, aux paysans qui les imitèrent, 
et introduisirent ces méthodes dans leurs exploita- 
tions. (1) C’est cette cause, qui jointe , peut-être , à Îa 


(5). Anthe Costaz ; Essai sur l’adm. de l’Agric. p. 73 et 74. 


18 MÉMOIRES. 


suppression des maïn-mortes, a porté en France, depuis: 
25 ans , l'Agriculture à un si haut point de perfection. 


D'un autre côte, la nécessité de défendre notre indé- 
pendance nationale , menacée par l’Europe entière , donna 
un nouvel essor au génie des Français. qui enfanta des 
prodiges. Animés par lé désir de rendre permanente cette 
influence du génie , ils créèrent des institutions qui ont 
amené les Arts au point de splendeur où nous les voyons 
aujourd’hui. L'École Polytechnique, le Bureau des longi- 
tudes, les Conservatoires et les éco!es des Arts et Métiers , les 
Expositions de l'Industrie nationale , enfin la Société formée 
à Paris pour l’encouragement de cette industrie, sont autant 
de monumens que l’Europe nous envie, qu’elle s’efforce 
d'imiter , et qui assurent à notre patrie une gloire aussi 
imposante que celle qu’elle a acquise par ses armes. 


Malgré cet élan donné à l'industrie française , la province 
de PArtois était restée pour ainsïdire stationnaire, quelques 
améliorations apportées à l'Agriculture et dues, en grande 
partie, aux travaux de l’ancienne Académie, l'extension 
donnée à la fabrication etau commercedes huiles, semblaient 
satisfaire son ambition ; mais les citoyens éclairés sentaient 
la nécessité de ramener leur pays au niveau des connais- 
sances du siècle , et, pour atteindre ce but , ils concçurent 
le projet de redonner l’existence à cette ancienne associa- 
tion dont ils avaient déjà retiré de si grands avantages. 


L'exemple venait de leur être donné par une ville voisine 
qui , quoique ne faisant point partie de l’ancienne province 
d'Artois , était liée d'intérêts avec sa capitale par son incor- 
poration au mêine Département. 


La ville de Boulogne possédait, depuis quelques années , 
une Société d'Agriculture dont les travaux étaient reconnus 


MÉMOIRES, _ 19 


infiniment uliles, et exerçant une grande influence sur la 
prospérité de cet art dans cette partie du Département. 

. L'époque de la restauration parut, aux citoyens de la 
ville d'Arras, une circonstance favoralkle pour demander 
le rétablissement de l’ancienne Académie et le vœu en fut 
émis par le Conseil d'arrondissement , dans sa session de:1816. 


Voussavez, Messieurs, avec quelle bienveillance toutes 
les idées généreuses et libérales étaient reçues par le digne 
magistrat qui présidait alors à l’administration de ce dépar- 
tement. (1) Aussitôt que la pensée du rétablissement de 
l'ancienne Académie lui fut soumise, il s’empressa de 
l’adopter , rédigea le projet des statuts généraux qui devaient 
fixer l’organisation de cette nouvelle compagnie et envoya 
ce projet , le 22 mars 1817, à la sanction de Son Excellence 
le Ministre de l’intérieur. 

Le titre de Société royale d'encouragement pour les 
Sciences, les Lettres et les Arts parut convenable à son insti- 
tution dont le but était de contribuer au perfectionnement 
de toutes les branches utiles des connaissances et principa- 
lement de celles dont l'amélioration peut intéresser particu- 
lièrement le Département du Pas-de-Calais, 

La Société fut composée : 

D'un nombre indéfini de Membres honoraires : 

De trente Membres résidens ; 


Et d'un nombre indéfini de Membres correspondans ; 
domiciliés hors de l’arrondissement d'Arras. | 
Son Excellence le Ministre de l’intérieur , par sa lettre 
du 2 mai 1817, approuva le projet de statuts généraux ainsi 


i 
(1) M. le Baron Majouet, 


20 MÉMOIRES. 
qu’une liste de onze Membres qui lui avaient été présentés 
et qui, adjoints aux cinq antiens accadémiciens encoré 
existans à Arras, devaient former le noyau de la nouvellé 
Société, et completter ensemble le nombre des résidens. 
Monsieur le Préfet, par un nouvel arrêté du 7 mai; 
ordonna l'installation de la nouvelle Société , et la nomina- 
tion par ellé des 14 Membres qui devaient éompletter lé 
nombre de trente résidens. L'installation fut faite le 15 du 
même mois par M. Lallart, Maire de la ville d'Arras, et le 
procès-verbal de cette cérémonie, dressé en sa présence , et 
signé des Membres rassemblés , fut transmis à Monsieur lé 
Préfet, : 
Immédiatement après cette installation ; la Société se 
constitua sous là présidence provisoire de M. Thieulaire 
d'Hauteville, l’un des anciens académiciens , doyen d’ägé 
patmi les Membres présens ; M. Garnier, le plus jeune, Fut 
chargé des fonctions de Secrétaire. Ensuite, elle procéda ; 
sans désemparer , à la nomination des Membres qui devaient 
Ja completter. 
. Les séances suivantes fürent consatrées à la formation 
du bureau. 

Un article des Statuts avait prescrit à la Société l’obli- 
gation de déterminer , par ua règlement particulier , l’ordré 
et la distribution de ses travaux , le nombré et la tenué 
de ses séances , la régularisation de ses dépenses , et géné- 
ralement tout ce qui devait concerner son régime intérieur. 

On lui avait fixé le terme de six mois pour la rédaction 
de ce réglement , et en conséquence , elle chargea , dans sa 
séance du 27 juin 1817, une commission d’en préparer le 
projet. Cette commission emplova tout le mois de juillet 
à la confection de son travail , qu’elle présenta à la Société 
dans sa séance du 2 août suivant , et la discussion en fut 


MÉMOIRES, _ 24 
ouverte aussitôt, mais elle était d’une si haute importance 
que cinq séances consécutives lui furent consacrées pres- 
qu’exclusivement , et ce ne fut que le 5 novembre que la 
rédaction définitive en fut adoptée, transcrite sur le registre. 
des délibérations et sizn'e de 26 Membres. 

À peine la Société eut-elle completté par cet acte son, 


oanisation définitive, qu’elle s’empressa d'inviter plusieurs - 


hommes éminemment recommandables par leurs talens et. 
leur mérite supérieur à partager les nobles travaux qu’elle 
venait de s'imposer. | 

Cet appel ne fat pas infructueux ; les uns sous le titre 
de Membres honoraires ont bien voulu laisser refléchir 
l'éclat de leur nom sur la Société, et les autres, sous le titre : 
de Membres correspondans, lui ont assuré pour l'avenir une 
ample moisson de matériaux littéraires dont la Société fera: 
jouir ses concitoyens à mesure qu'ils lui parviendront. 

La liste de tous ces Membres, ainsi que celle des résidens,. 
sera insérée dans la première livraison des Mémoires qui 
doivent être publiés. 

Déjà, dans sa séance du 2 août 1817, la Société avait été 
invitée par M. le Préfet , à prendre connaissance d’un projet 
de Code rural rédigé par ordre du Gouvernement. M. le 
Préfet priait la Société de lui transmettre les réflexions que la 
lecture de ce projet pourrait lui faire naître, pour être 
envoyées à Son Excellence le Ministre de l’intérieur. Une 
commission spéciale fut chargée de présenter un travail 
sur cet objet. Mais, l’immensité des détails que renferme ce 
Code , et la variété des articles dont il se compose , ayant 
obligé cette commission à mettre dans Jeur examen toute 
l'importance que cette matière nécessite, ce n’est que dans 
une des dernières séances qu’elle a pu présenter son rapport 
à la Société qui le discute dans ce moment, et espère 


22 | MÉMOIRES. 
pouvoir soumettre le résultat de ses méditations À M. le 
Préfet , assez à temps pour que ce résultat soit mis sous les 
yeux du Gouvernement avant Îa prochaine session des 
Chambres législatives. M 

La Société considérée dans son institution, comme suc- 
cesseur immédiat de l’ancienne Académie d'Arras , a regardé 
comme un devoir sacré pour elle le besoin qu’elle a éprouvé 
de manifester ses sentimens et d'adresser son hommage à la 


mémoire de cette compagnie. ÉMe chargea, en conséquence, 


une commission de faire les recherches nécessaires pour 
parvenir à former l’historique de l’ancienne Académie et de 
présenter une analyse raisonnée de ses travaux depuis san 
origine jusqu’à sa dissolution. Le résultat de ces recherches 
forme, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, 
l’objet d’un Mémoire qui sera inséré dans sa collection. 
Mais, le plus important des devoirs de la Société, était 
celui de fixer ses regards sur l’encouragement de l’industrie 
dans la ville d'Arras ; elle n’ignorait pas qu’il y existe deux 
nouveaux établissemens susceptibles par leur intérêt, de 
fixer toute lattention des citoyens, et Ha protection de 
l'Autorité. Déjà, dans les premières séances de sa formation, 
elle avait donné un témoignage de sesintentions à cet égard, 


en appellant dans son sein lés déux chefs de ces établisse- 


mens; mais ce n'était pas tout , la Société voulant les 
encourager d'une manière plus directement utile , résolut de 
prendre une connaissance particulière de leur régime , et de 


publier les résultats que cette connaisance lui aurait donnés. 
Elle envoya , en conséquence, des commissaires dans chacun 


des établissemens , et leur donna la mission spéciale d’en 
étudier le mécanisme et les procédés , et de lui présenter un 
rapport circonstancié sur chacun. 


Le premier est la fabrique de sucre de betteraves élevée 


par 


#—- 


Fe d 


MÉMorres. 23 
par M. Crespel d’Ellisse, dans la basse - ville, près les 
promenades. Vous avez sous vos yeux, Messieurs, quelques 
échantillons des produits de cette fabrique et vous serez 
peut-être étonnés d'apprendre , maïs vous l’apprendrez 
avec plaisir , que l’état de paix ne peut point , comme on 
le pensait, porter atteinte à la prospérité de cet élablisse- 
ment. Il est tellement perfectionné dans ce moment , qu’il 
met dans le commerce une moscouade plus blanche et 
plus sèche # celle provenant de la canne à sucre, au 
prix de o ". go‘. à 1 ©. le demi-kilogramme , ou livre de 
por tandis que la moscouade de canne se vend de 1 “: 
20°. à 1 Fr, 40°. le demi-kilogramme. Les détails intéressans 
que présente cet établissément sont consignés dans un 
mémoire dont un membre de la Société va vous donner 
lecture. Puisse-t-il contribuer à appeller l'intérêt et la 
confiance du public sur cette fabrique , dont les succès 
tendent à délivrer notre patrie d’un tribut onéreux envers 
létranger , puisque la France ne possède, pour ainsi dire 
plus, aucune des Colonies où croît la canne à sucre. 

Le second établissement est celui des constructions de 
machines formé à Blangy , par M. Hallette fils, Ingénieur- 
mécanicien , pour le service des usines de tout genre , mais 
plus spécialement de celles destinées à la fabrication des 
huiles , dont le commerce est une des plus peine richesses 
de l’Artois. 

La réputation de M. Hallette comme habile conéléacteur 
est aujourd’hui tellement étendue, non seulement dans le 
Département, mais dans la France et même chez l'étranger, 
que son nom seul deviendra bientôt le garant de la perfec- 
tion des machines qui sortiront de ses ateliers ; ainsi, sous 
ee rapport, peut-être, son établissement pourrait se passer 
de l’encouragement .et de l'approbation de la Société ; mais 

L 1. Livr, 3 


t 


54 MÉMOIRES. 


si cet encouragement n’est plus utile à M. Halletie, fl est 
du devoir de la Société de faire tous ses efforts pour déter+ 
miner les citoyens de la ville d’Arras et les habitans dû 
Département à profiter, les premiers ; des avantages que 
présentent les machines des ateliers de Blangy. 


M. Mallette, fils, doué par la nature du génie de là 
mécanique, ayant été frappé des vices innombrables que 
présentent les moulins dans leuür construction , à conçu 
divers projets de perfectionnement , qui tous ont reçu la 
sanction de l’expérience , et les propriétaires ou fabricans 
dont il a dirigé les travaux se félicitent aujourd’hui de leur 
confiance et rendent hommage ä8es talens. 


Je m’abstiens de vous donner une description des ateliers 
de M. Hallette ; vous en verrez les détails dans le rapport 
qui a été fait à la Société, et dont elle a jugé convenable 
qu’il vous fut donné lecture dans cette séance. 


Quelqu'attrait que présente l'étude des Sciences exactes 
et leur application aux Arts utiles, ne croyez pas, 
Messieurs, que la Société s’en soit fait une occupation 
exclusive ; elle n’a point sacrifié aux Sciences l’étude des 
 Belles-lettres; elle sait trop combien celles-si influent 
puissamment sur le bonheur des hommes; elle n’ignore 
pas que les Belles-lettres excitent et récompensent , à la 
fois, les vertus guerrières et civiques, en signalant à la 
reconnaissance des nations, ceux qui se sont distingués 
par la pratique de ces vertus. Aussi, a-t-elle accueilli avee 
un véritable plaisir plusieurs mémoires et morceaux de 
poésie qui lui ont été présentés et dont quelques-uns vont 
vous être lus. Vous distinguerez surtout parmi ceux ci 
l'ouvrage d’un des jeunes citoyens de cette ville, Membre 
résident de la Société, et déjà avantageusement connu par 


MÉMOIRES: | 25 


Qrelques pièces fagitives, qui lui ont fait oblenit dessuccès 
dans cette carrière si brillante, mais si difficile. | 


La Société éprouve le regret de ne pouvoir faire connaître 
en ce moment, tous les ouvragés que chacun de ses 
Membres lui a remis; les bornes naturelles d'une séance 
publique ont dû lui servir de régulateur dans le choix 
qu’elle en a fait; mais elle se console par l’idée que tous 
ces ouvrages seront mis sous les yeux du public dans les 
Mémoires de la Société Cependant, elle croit ie C 
d'avance, vous en donner la nomenclature. 


M. Bergé de Vassenau, l'un des Membres résidens, est 
l'auteur du mémoire dont j'ai eu l'honneur de vous parler 
sar l’historique et les travaux de l’ancienne Académie 
d'Arras. à 

L'un de Messieurs les Professeurs du, Collège nous a 
annoncé et promis un précis historique de l’enseignement. 


. M. Pellet d'Epinal, lan de nos Membres correspondans ; 
ous à envoyé plusieurs morceaux de poésie, dont deux 
vont être lus dans cette séance. oo 


M. Henry, de Boulogne, nous a transmis un mémoire 
antéressant sur un monument Druidique dont on voit 
encore les restes au village de Ferques, près Landrethun: 


Û 


M. Courdent de St. Vénant nous a adressé la relation dé 
son voyage à Taäbago, en forme de lettres écrites en prose 
mêlée de vers. 


© M. Caventou, fils, de St Omér, Pharmacien à Pariss 
après nous avoir envoyé un examen chimique de la Coche- 
nille et de sa matière colorante, qui a été lu à l’institut le 20 
avrildernier , s’est empressé dé nous annoncer la découverte 
qu'il vient de faire, conjointement avec M. Pélletier, d’une 


26 MÉMOIRES. 


npuvelle substance alkaline qu’ils ont soumis, le 10 de te: 
mois, à l’Académie des Sciences de Paris. M, Caventou 

nous enverra son mémoire aussitôt qu'il sera rédigé ; il 

nous annonce d'avance , que ce nouvel alkali, extrait de la 

noix vomique et de la fève de St. Ignace , a reçu le nom 

dela Vauqueline,commeunhommage au célèbre Vauquelin, 

qui a le premier entrevu des propriétés alkalines dans les 

substances végétales, 


M. Mutel, de St. Die. a offert à la Société un essai 
sur la nymphomanie, et il Jui a soumis un éloge, qu’il va 
publier , du célèbre Parmentier. 


M. Leviez, Directeur de l'école de médecine, a présenté 
un essai sur les maladies particulières au Département du 
Pas-de-Calais , et sur les causes qui les produisent. 


M. Williaume, Médecin, a envoyé un mémoire sur les 
sépultures des anciens ; son collègue, M. Mercier, a donné 
un ouvrage qui a pour titre : Considérations sur les causes 
de la phtisie pulmonaire, plus particulièrement be 
chez les femmes. 


__ Outre les deux rapports dont j'ai eu l'honneur de vous 
parler sur les établissemens d'Arras, M. Aimé Burdet, 
Membre résident de la Société, a lu un mémoire sur les: 
distilleries de St. Omer ; une description de l’ile de Tino, dans 
le golfe de la Spezzia , et il a annoncé un essai sur les pro- 
priétés et le tracé des courbes horizontales équidistantes , 
suivi de la .comparaison de ces courbes avec les lignes de 
plus grande pente et de leur emploi dans les reconnaissances 
militaires; il a donné ensuite, au nom de son frère, 
Membre correspondant, deux morceaux de poésie, dont 
Jun est intitulé l'Avocat conscrit, et l’autre vers à une 


MÉMOIRES, 27 

Dame qui veut convertit son jardin —. ex an à jardin 
anglais. | | 

M. le Chevalier Allent, Conseiller détat, Pan des Mem- 


‘bres honoraires , a envoyé à la Société nn mémoire sur les 
surfaces d'équilibre des fluides imparfaits. | 


M. Anthelme Costaz a donné l'essai qu’il vient de publier 
sur l'administration de l’Agriculture, du Commerce, des 
Manufactures et des Subsistances. 


M. Godefroy, Membre correspondant, à st. —. a 
fait remettre un traité sur la Mac quia ravagé la 
Navarre en 1812. +. | 


- M. Duchateau, Ehirurgien à Arras, a tu an mémoire sur 
la topographie médicale de cette ville, 


Enfin, M. Raymond, Ingénieur géographe, Fun des 
Membres correspondans, a envoyé un exemplaire desa belle 
carte physique et minéralogique du Mont-blanc et des 
montagnes et vallées qui One: carte qu'il a pod. 
dessinée et gravée lui-même: | 


me énumération que je viens. de VOUS faire des ouvrages des 
Membres de la Sociélé ne doit pas exclure ceux des ama- 


teurs qui ont bien vouju prendre part à ses travaux. 


‘M. Armand Fromentine, d'Arras , a donné une ode sur le 
pouvoir de la musique, avec cette épigraphe : « Dos sen 
=. sibilité fait tout notre génie, » — 


M. Périnet, ancien professeur à l'hôpital militaire da.’ 
Val-de-grâce, a communiqué un mémoire sur les moyens de 
préserver l'eau potable de la corruption dans les de de 
long cours. 


- La Société remercie ces.auteurs de leurs louahles efforts 


28 MÉMOIRES. 


et elle Îles réunira à ceux de ses propres Membres ue la 
collection qu’elle doit publier. : 
. Telle est jusqu’à ce jour, Messieurs, l'analyse que la 
Société royale d'Arras peut vous présenter de ses premiers 
travaux; elle ne se dissimule. pas qu'ils ne sont point eu 
rapport avec l'importance de son institution; mais elle 
attend de'puissans secours du tems et du zèle de ses. con- 
citoyens, et elle ose se flatter que ces travaux offriront , dans 
les années suivantes, des résultats plus étendus et une 
influence plus marquée sur l'amélioration des Sciences, des 
Æettres et des Arts daus le Département du Pas-de-Calais; 
du moins elle ne néglisera rien pour atteindre ce but. Elle 
provaquera, autant qu’il sera en son pouvoir, la propaga- 
tion des méthodes d'Agriculture déjà reconnues générale 
ment utiles et qui n'ont point encore été introduites dans 
le Département ; elle s’effarcera de faire adopter l'emploi des 
machines récemment inventées pour préparer, sans le 
pernicieux concours des, eaux stagnantes, le chanvre et le 
lin , qui font la richesse de l'arrondissement de Béthune. I] 


entre dans ses vues de rechercher les moyens de fabriquer les 


plus beaux fils à dentelle, pour élever, s’il se peut, dans 
cette partie, Pindustrie des Han + Artois au niveau 
de celle de leurs voisins. :  . - 

Elle attirera l'attention des bons citoyens, vers les objets 
d'utilité publique, je dirais même ,-de première nécessité, 
qui manquent à la ville d'Arras, Quelle opinion , en effet, 
V'élranger prendrait-1 de la capitale de l’Artois, si dans la 
descriplion, d’ailleurs intéressante, qu’on pourrait lui en 


faire, on lui disail: que malgré une rivière et de belles 


sources qui passent au pied du coteau sur lequel elle est 
bâtie , il n’existe dans cette ville aucune fontaine publique, 
et que 5es habitans sont réduits à l'usage de puits très- 


MÉMOIRES, 29 
profonds, dont une grande partie ne fournit que des eaux 
séléniteuses, etqui , par conséquent, ne sont point potables; 
sion lui disait : que la ville d'Arras, centre du plus beau 
et du plus riche commerce du nord de la France , celui des 
grains, ne possède pas une seule halle, tandis que toutes 
Jes villes voisines, qui s'efforcent de lui enlever cette saurcg 
de. rithesses, offrent aux négocians des halles sûres. et 
<ommodes. 
« Monintention n’est point de. dons: ici la nomenclature 
. des: améliorations que réclame la ville d'Arras, car il ne 
s'agit pas seulement de dérouler le tableau du bien que log 
veut faire , mais d’entrenrendre. ce bien et de le mettre à 
exécution avec cette sage lenteur qui commande la con: 
fance publique et: qui assure son saccès. 

Je terminerai ce compte rendu des travaux de la Société 
par l’annonce. des sujets. d’un eençours qu’elle a résolu 
S'ouvrir pour l’année.18r0, 

La Société propose dans ce concours la solution de deu 
questions d'économie rurale , ét elle invite les amateurs des 
Belles-lettres à traiter deux sujets qui intéressent la gloire 
de la ville d’Arras et du département du Pas-de-Calais. 

Sur la première question , elle ofre.-une .midaille d’or de 
da vileur de 360", à Pauteur du meilleur mémoire sur les 
moyens d'introduire la culture en. grand de la pomme de 
terre dans les divers systèmes d’assolemens. en usage dans 
de Département. du. Pas-de-Calais, et sur les avantages 
qui en résulteraient. 

Depuis son' introduction en France , la pomme de terre 
est cultivée dans ce Département; mais, jusqu’en 1816, 
sa culture avait pris peu d'extension, et les produits qu’on 
en retirait, n’augmentaient pas , sensiblement , la masse de 
<baque récolte; les cultivateurs ne plantaient que ce qu’il 


30 MÉMOIRES. 


fallait pour leur propre consommation, et bien peu son- 
geaient à en faire un objet de commerce. Il s’en consommait 
encore moins dans les villes, dont les habitans étaient loin 
de penser que la pomme de terre pouvait, sans aucun 
inconvénient, et souvent encore, avec une grande éco= 
nomie , être substituée au pain, 

Les deux années qui viennent de s’écouler ont fait con- 
naître tous les avantages que l’on peut retirerde ce tubercule; 
aussi sa culture en est-elle considérablement augmentée, 
et, pour beaucoup de cultivateurs, elle est devenue l’un des 
objets les plus importans de leurs travaux. 

: La Société, persuadée qu’il importe de donner le plus 
dextension possible à cette culture, et surtout d’en assurer 
la continuité , a cru devoir appeller l'attention des Agricul- 
teurs sur les résultats que pourrait avoir la culture en grand 
de la pomme de terre, en combinant cette culture avec les 
divers systèmes d’assolemens suivis dans le DER RER 
du Pas-de-Calais. 

+ Elle désire que cette note soit examinée had 
ment sous ces deux points de. vue : 1.° Relativement aug 
terres qui sont laissées en jachères à des intervalles pério» 
“ques plus ou moins rapprochés ; 

2.° Relativement aux terres qui produisent chaqueannée. 
+ Dans le 1. cas, il conviendrait de chercher si la culture 
de la pomme de terre peut être substituée aux jachères;. où 
si, du moins, elle peut être introduite dans la période de 
l’assolement , de manière à augmenter cette période d'une 
ou plusieurs années; et dans l'hypothèse où il faudrait se 
borner à substituer la pomme de terre à un autre produit, 
quels seraient les résultats de cette substitution ? 

+ Dans le second cas, c’est-à-dire , relativement aux terres 
qui produisent chaque année , il faudrait également déters 


MÉMOIRES. st 


miner quelles sont les plantes après et avant lésquelles 
l'expérience a prouvé qu'il était plus convenable de planter 
la pomme de terre , et quelle différence de valeur il pourrait 
avoir entre le produit en pommes de terre et celui auquel | 
il serait reconnu avantageux de le substituer. 


Il est indispensable que les mémoires qui seront adressés 
à la Société sur cette matière ne soient pas établis seulement 
sur des calculs et des considérations bypothétiques ; ; ils 
devront avoir pour base , soit des expériences faites dans le 
Département même , soit au moins les résultats d’expérien- 
ces faites hors du Département , , mais dont les conséquences 
seront applicables à la nature de son sol et aux divers modes 
de culture qui y sont en usage. 


Seconde Question. L 
Quels sont les moyens les plus bn de pole 

L chaume dans les couvertures des habitations rurales , o1s 
tout au moins, de faire disparaître les dangers et les i incons 
æéniens de cette espèce de couverture ? 

Tout le monde connaît les dangers et les inconvéniens 
que présente l’usage malheureusement trop commun dans 
ce pays, de couvrir les babitations rurales en chaume , et 
chacun hâte de.ses vœux l’époque où cet usage, déjà pros- 
crit par l'Autorité dans plusieurs Départemens , le sera dans 
celui du Pas-de-Calais; mais cette proscription peut - elle 
avoir lieu sans porter un grand préjudice aux habitans 
pauvres des campagnes , dans l’état actuel de l’art du 
couvreur ? | 


Il est constant que le mode de couverture en chaume est 
le plus économique , tant pour la charpente que pour la 
toiture ; maïs on est fondé à croire qu'il ne présente que ce 


seul avantage , car l'exemple des eultivateurs aisés qui se 
5 


Ba MÉMOIRES: 


hâtent de couvrir leurs granges en tuiles ; ou -en ardoises. 
peut ne pas laisser croire aux prétendus avantages qu’on 
attribue exclusivement au chaume pour la conservation des 
_ grains. . ss 

L'économie, la légèreté jointe. à la solidité et l'incombustie 
bilité; ou du moins l’impossibilité de propager les incendies, 
telles sont les conditions essentielles du problème dont là 
Société propose la solution-en demandant un nouveau mode. 
de couverture pour les habitations rurales, 

Déjà, plusieurs moyens ont été présentés aux Sociétés 
dvanies pour remplir ce but. On a proposé d’enduire les 
couvertures ,; les uns d’une composition de craie, de 
goudron et de sable ; les autres, d’un mastic composé de 
chaux vive, de rognures de peaux de gant, ou biea d’une 
pâte formée par la macération des plantes qui ont un suc 
laiteux ou visqueux tels que l’euphorbe, les racines de 
chicorée, les menues branches de figuier. Un anglais, M. 
Loudon, a imaginé de substituer aa chaume, des cartons 
incombustibles dont il a donné fa composition. If assure 
que les fermes en Ecosse, et plusieurs manufactures des 
comtés d’Yorck et Herts' sont couvertes de cette manière 
‘et'que cette méthode présente de grands avantages ; mais 
Vincombustibilité n’a pas paru assez démontrée: 

La Société désire que ce but soit rempli en France 
avec des moyens analogues , et elle offre , à cet effet, une - 
médaille d’or de la valeur de troïs cents francs. 

Le sujet de poésie est : Re 1 
__ Une ode sur la délivrance d’ Arras , par le maréchal de 

Turenne, le 25 août 1634. 

Le Roi St. Louis, ayant érigé le comté d'Artois en ces 
de son frère Robert , les descendans de ce prince s’y succé- 
dèrent jusqu’en 1369, que Marguerite de Flandres, Fun 


MÉMOIRES, 33 


d'eux ; épousa Philippe duc de Bourgogne ; dans la maison 
duquel le comté d'Artois fut dès-lors transporté. . 

Cependant Louis XI révendiqua cette possession et prit 
la ville d'Arras le 3 mars 1477; mais une surprise de nuit 
l fit rentrer le 5 novembre 1492 sous la domination des 
ducs de Bourgogne, et c’est comme héritier de cette maison 
que l'Empereur Charles-Quint , fils de Philippe archidue 
Autriche , et de Jeanne FAURE la posséda et en fit 
une province ER ; 

Ce ne fut qu’en 1640, sous le _— de Louis XI que 
Ja ville fut prise par les Français conduits par les maré- 
chaux de Chatillon, La Meilleraye et de Chaulnes , à la 
vue d’une armée Espagnole beaucoup plus nombreuse que 

celle des assiégeans , et commandée par le Cardinal-Infant 
‘Ferdinand, frère de Philippe IV. 

Les Espagnols, quoique déjà humiliés et battus à Rocroÿ 
et à Lens, voulurent reprendre Arras et en commencèrent 
le siège en juillet 1654 ; mais déjà Turenne conduisait les 
Français x ha victoire ; il accourt de: Stenay, bat complète- 
ment l'armée Espagnole le 25 août suivant, délivre la ville 
menacée dune domination étrangère , , et en assure la 
possession à la France , à qui elle fut reconnue par le 
traité des Pyrénées ‘de 1659. HE 

La Société propose ces deux évènemens et surtout Île 
dernier, pour sujet d’une Ode qui en ferait sentir l'impor- 
tance , puisque c'est à ces événemens que les habitans de 
PArtois doivent le titre glorieux Français qu ils avaient 
perdu pendant 148 ans. 

Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 200 fr, 
" Le'‘second sujet de littérature est : | . 

7 L'éloge historique de Monsigny. ES : 

Une galerie des hommes illustres du pays, doit êlre pour 


34 MÉMOIRES. 


æhaque ville, le plus beau monument dont elle à droit de 
s’énorgueillir. Semblable à la mère des Gracques, elle montre 
‘ses enfans à l'étranger, comme ses plus beaux titres à la 
gloire , et elle les met sous les yeux des citoyens, comme 
des modèles à suivre. | 

Monsigny a acquis dans la carrière des beaux arts une 
renommée européenne, et Monsigny est né à St. Omer, 
l’une des principales villes du département du Pas-de-Calais. 

La Société voulant rendre un hommage éclatant à son 
génie, donnera une médaille d’or de la valeur de 200 fr. à 
l'auteur qui aura le mieux traité l’éloge historique de ce. 
célèbre musicien. | 


Clauses et conditions du Concours. 


Les morceaux de poésie, les mémoires , descriptions, ren- 
geignemens , échantillons , seront adressés franc de port, 
au Secrétaire perpétuel de la Société royale d'Arras pour 
J’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts. Ils. 
doivent étre remis avant le 15 juillet 1819. Ce terme est 
de rigueur. 

Les étrangers au Département , ainsi que les Membres 
corréspondans de la Société, sont admis à concourir; les 
Membres honoraires et les Membres résidens sont seuls 
exclus du concours. 

Les concurrens ne mettront pas leurs noms à leurs: 
mémoires , mais seulemeut une devise, etils y joindront 
un billet cacheté, renfermant la même devise, leur nom, 
et l'indication de leur domicile. 

Les prix seront décernés dans la séance pablique. du 
mois d’août 1819 , etles médailles seront remises à ceux 
qui auront obtenu ces prix , ou à leurs fondés de pouvoirs. 


L : 
‘Lo 


ÉLÉGIE 
SUR LA MORT D'UN A MI. 


| Le sort L fait les parens, le choix fait les amis, 
DeztLre, 
EE 
ADIEU gaîté, plaisirs, aimable ivresse : : 
Doux sentimens qui faisies mon bonheur: 
Mon cœur navré que flétrit la tristesse 
Peut - il encor goûter votre douceur ? 
Sourde à mes cris la mort inexorable, 
O mon ami! viens donc nous séparer! Po 
Tout m'est ravi dans mon sort déplorable 
Hors la douceur , hélas ! de te pleurer. 
Un doux penchant nous unit dès l'enfance: 
Tout, entre nous, fut toujours de moitié. 

. Tout est commun, et plaisir et souffrance, 
Aux cœurs qu’anime une tendre amitié, 
Éprouvait - il une secrète allarme ? 

Mon cœur savait la lui faire oublier: 

Et si mon œil répandait une larme, 
C'était sa main qui venait l’essuyer, 
Momens heureux ! délicieux délire ! 
Comme un éclair vous êtes disparus, 

Je reste seul, seul je pleure et soupire; 
Un tendre ami ne me console plus. 

De ses beaux jours, pourquoi dans ta colère, 
Destin cruel, éleins -tu le flambeau ? 

Ne pouvais tu, sensible à ma misère, 
En l'épargnant m'entraîner au tombeau ? 
Mais non : ma mort eut obscurci sa vie; 
Aurait- il pu s'en consoler jamais ? 


LP 


86 


MÉMoIREs. 

Fe l’ai perdu, mäis sa péine est finié # 

Je souffre encor, mais il repose en paix: 

Près de la tombe où j'ai placé ta cendre, 

Je te viendrai raconter ma douleur. 

Peut-être encor ton ombre peut m’entendre. ; à 
Je jouirai de cette douce erreur. 

Au sein du Dieu, père de la nature; 
. Goûte la paix qui doit t’appartenir ; 

Et plein d'espoir j’attendrai sans murmure, . 
L'instant qui doit, ami, nous réunir. 
: Auguste COT, Wembre résident. 


Are ere eenmemmenammnmanauummav ie 
LES ROSES, L'IMMORTELLE ET LE SCARABÉE. 


FABLE, 


DAXxS un parterre’ orné dè mille fleurs , 

Des Roses étalaient leurs brillantes couleurs; 
Et tour-à-tour chacune d'elles 
Rabaïissant Péclat de ‘sa:sœur, 

Disait ‘en s’admirant : je suis bien a plus belle! 

Mes feuilles ont plus de fraîcheur, 

J'exhale une plus douce odeur, . 
Peut-on nous mettre en parallèle ? 
Elle a quelques attraits, j'en conviens, di par 
Je dois avoir la préférence, - 
. C’est aïnsi que la suffisance 
Les aveuglait également. 
Charmés d’un éclat éphémère, 
Tous les papillons d’alentour 
A chaque rose tour-à-tour , 
En voltigeant faisaient leur cour : 
Et doucement de leur aile légère 


MÉMOIRES 5ÿ 
Caressait leur joli contour, | 
Dans un éoin rétiré, la modeste Immortelle * 
En soupirant écoutait leurs -discours; : 
IL est donc vrai, se disait- elle, 
‘ La beauté seule ‘plaît toujours ! : 
Un Scarabée, qui sous l’ombrage, - 
En réfléchissant reposait , : 
Entend la fleur qui gémissait. 
IL s’en approche et dit: que vous êtes peu sage! 
» Sur votre sort pourquoi gémir ? , 
» Plus que vous la Rose est à plaindre. 
» Des injures du temps vous n’avez rien à craindre, 
» Tandis qu'un souffle va flétrir 
», Cette fleur qu’on trouve si belle ; 
» Un jour la voit naître et périr, 
» Et l’âge ne saurait ternir . 
L'éclat plus. doux dont brille l'Immortelle, | 
» N’enviez donc pas le destin 
» D'une Meur qui n’a qu’un matin: 
» Qui plaît d’abord, mais qui passe si vite, 
» Et plaignez-la plutôt de sa fragilité » 
Les Roses peignent la beauté ; 
L’'Immortelle, c’est le mérite. 
Auguste Cor, Membre résident. 
ELLE N'EST PLUS. 
| ROMANCE. 


ÿ 


e, 


DANS les langueurs de la mélancolie 
Pourquoi vouloir consumer tous tes jours? 
Ces pleurs que tu répands toujours 
Ne te rendront pas ta Délie, : 


58 


MÉMOIRES. 
Vain discours! efforts superflus! | 
Inutile conseil que mon cœur ne peut suivre ! 
Quel charme encor puis-je trouver à vivre? 
Elle n’est plus. 


C’est vainement qu'’étalant tous leurs charmes 
Mille beautés m'invitent à jouir. 
Quel éclat pourrait éblouir 
Des veux obscurcis par les larmes ? 
_ Vain espoir! efforts superflus! 
Du fond de son tombeau c’est sa voix qui m'appelle. 
Quelle autre encor peut me paraître belle ? 
Elle n’est plus. | 


Riants berceaux que le printems décore 
Soyez pour moi asile de la paix. 
Souvent sous votre ombrage épais 
L'infortuné sourit encore. 
Vain espoir! efforts superflus! 
Partout à mes regards la nature est la même. 
Est-il encor un asile que j'aime? | 
ù Elle n’est plus. | 
Sur la montagne où s’égarait Pindare Ç 
Cherchons la gloire et des sentiers nouveaux: | 
Heureux d’éclipser mes rivaux 
Triomphons d’un astre barbare. 
Vain espoir! efforts superflus! 
Que me font ces lauriers que l'éclat environne! | 
Sur mes cheveux qui ceindrait la couronne ? 
Elle n’est plus. | 


PELLET D'ÉPINAL, Membre correspondant. 


RAPPORT 
SUR L'ANCIENNE ACADÉMIE D’ARRAS, 


Par M. BERGÉ DE VASSENAU, Membre résident, 


we 


MESSIEURS, 


Lonsque les institütions les plus utiles et les plus révérées 
n'ont pu résister au torrent des révolutions, celles d’un 
ordre moins élevé et qui prospéraient à l'ombre de la paix 
devaient être naturellement emportées par ce torrent dé- 
vastateur ; mais , lorsque la tempête est appaisée, lorsque 
l'édifice social est replacé par une main habile sur des fon- 
demens durables , lorsqu’enfin un Prince auguste, fort de 
ses vertus et de notrè amour, nous ramène le bonheur, 
les institutions renaissent , les Muses reviennent de leur 
exil , et les Sciences, les Lettres et les Arts reprennent leur 
empire. | 

L'Académie royale d'Arras 8e livrait à ses nobles travaux 
littéraires, el propageait le goût de l'étude dans la province 
d'Artois, quand la révolution française éclata ; vous con- 
naissez, Messieurs, tous les évènemens qui eurent lieu 
depuis cette époque, et je dois me borner à vous rappeler 
que l’Académie royale d'Arras fut supprimée, comme toutes 
les autres Sociétés savantes, par un décret du 8 août 1793. 

Sous un gouvernement réparateur, aussi soigneux de ce 
qui peut contribuer à la gloire de la France que de ce qui 
doit consolider notre bonheur, le culte des Muses devait 
nécessairement être encouragé: par une conséquence de ce 
principe, M. le Baron Malouet , alors Préfet de ce Départe- 
ment et qui accorde uneproteclion éclairée aux vues d’utilité 

L 2°" Livr, 4 


40 sm & mOIRES, 


publiqne, pui un arrêté le 22 mars 1017, pour rétablit 
l’ancienne Académje, sous le titre de Société rovale d’en- 
couragement pour les Sciences , les Lettres et les Arts. 

Cet arrété a été approuvé le 2 mai suivant par le Ministre 
Secrétaire-d'Étatde l'intérieur, et, par suite, la Société royale 
d'Arras a été constituée : ainsi sa restauralion parlirulière se 
lie à la restauration générale à laquelle nous devons tant 
de bienfaits. | 

_ À peine, Messieurs , 14 Société royale d'Arras a reçu son 
organisation définitive que vous avez exprimé le désir de 
connaître l'historique de l’ancienne Académie et d’avoir 
J'analyse de ses travaux depuis son origine jusqu’à sa disso- 
lution. Dans votre séance ordinaire du 4 février dernier vous 
avez chargé une commission de faire à ce sujet les recherches 
nécessaires. | 

Organe de votre commission , je viens aujourd’hui mettre 

sous vos yeux le rapport que vous avez demandé, 
| La province d'Artois , incorporée au royaume de France 
par la puissance de Louis XIV , était anciennement le pays 
des Gaules le plus civilisé; la fertilité de son sol , le voisinage 
de la meret le goût des habitans pour le commerce en firent 
envier la conquête long-tems avant que Jules César rangeât 
cette partie de l’Europe sous la domination romaine : pen- 
daut plusieurs siècles cette province a continuellement été 
le théâtre de la guerre et elle est devenue lapanage des. 
puissances qui l'environnaient, Depuis la renaissance des, 
Lettres elle appartint tantôt à la France , tantôt à l'Espagne, 
tantôt à la maison de Bourgogne, en.surte qu'aucune langue 
ue put s’y fixer : l'idiôme du pays fut un composé de ceux 
des nations qui la possédèrent tour-à-tour et les Arts yfr ent 
peu de progrès. 

La tranquillité du règne de Louis XV, les fées 


SAT 


MÉMOIRES: … éi 


députations à la cour et l'admission de plusieurs élèves 
Boursiers au collège Mazarin, établirent des relations plus 
immédiates avec la capitale-du royaume et firent naître ce 
goût des Lettres que nous n’hésitons pas à regarder comme 
l'une des principales causes auxquelles l'Académie royale 
d'Arras dût son origine. | 

Les commencemens de rette Aie remontent à 
V'année 1737 ; il s'agissait seulement alors de fomer une 
liste de.souscripteurs dont le nombre ne devait pas excéder 
cinquante et dont le but était de se rassembler pour lire, à 
frais communs, les écrits périodiques les plus intéressans 
publiés dans les divers états de l’Europe. 

Les souscripteurs, réunis en séance le 7 décembre 17375 
choisirent pour protecteur M. le Prince d’Ysenghien, Gou- 
verneur dé la province, et sollicitèrent ensuite, par son 
intermédiaire, des lettres patentes du Roi; une lettre 
ministérielle , du 13 mai 1738 , autorisa l’association , avec 
promesse de l’érigér en Académie lorsque les associés auraient 
fait des progrès dans les différens genres de littérature. 

En vertu de cette autorisation ministérielle , la Société 
prit une forme régulière : composée de quarante membres 
qui choisissaient parmi eux un Directeur et un Chancelier 
tous les ans et un Secrétaire perpétuel, elle se donna un 
réglement qui reçut l'approbation de M. le Prince d'Ysen- 
ghien , elle résolut de se livrer à des recherches sur l'histoire 
de la province et à des discussions sur les principes, le 
* génie, le goùt et la délicatesse de la langue française : le 
sceau dont elle fit choix représentait de jeunes aïglons 
essayant leurs aîles sur le bord de leur nid, avec cette 
devise : Vecdum viatu audacr, 

Le nombre des associés honoraires n’était point limité ; il 
«'éleva même par la suite jusqu’à 68, parmi lesquels on 


42 MÉMOIRES. 


voit figurer Mesdemoïselles de Kéralio, Lemasson et 
Ductaiellie. 

‘ La Société s’assemblait tous les samedis, depuis 5 heures 
du soir jusqu’à 7, dans un local loué à cet effet et situé sur 
Ja grande place; en 1743, elle transféra le lieu de ses 
réunions au palais du Gouverneur, où elle tint sa première 
Assemblée le 6 juillet même année : elle avait au moins 
tous les ans uhé séance publique; la première de ces 
séances solennelles eut lieu le 14 juin 1738, sous là pré- 
sidence de M. le Prince d'Ysenghien. _ | 
Une bibliothèque fut formée aux dépens des sociétaires ; 
chacun d'eux fut d’abord obligé de fournir quatre volumes, 
én conservant la faculté de les retirer chaque année, pourvu 
qu'il les remplacÂt par quatre autres. 

Par une résolution du 14 mai 1540, la Société reconnut 
que ce mode était sujet à trop d'inconvéniens ; elle décida 
que les associés donneraient pour toujours à la bibliothèque 
un petit nombre de volumes à leur choix. | 
_ Par suile d’une autre résolntion, du 8 février 1749, € ces 
mêmes livres furent marqués en lettres d'or des mots: 
Soc. lit, d’ Arras. | | 

_ Nous ferons remarquer en passant que M. le Prince 
d'Ysenghien fit hommage de son portrait à la Société, qui le 
placa dans la salle de ses séances. A la morte ce‘ protecteur, 
M. je Maréchal Duc de Lévis lui succèda dans la même 
qualité. Nous ajouterons que Îles Dames assistérent pour 
la première fois aux réunions de la Société, le 25 mars 
1748, et que ce fut en 1777 que le sceau actuel fut subs- 
titué à celui qui avait été primitivement choisi. . 

En 1760, M. le Comte de Conturelle , ancien Chancelier 
de la Société mit sous les yeux de l’Electeur Palatin, dont . 
il était Chamlellan, une pièce de vers dans laquelle 


MÉMOIRES, 45 
M. Harduin , Secrétaire perpétuel , faisait l'éloge de l'Elec- 
teur et de son auguste “pous Leurs Altesses, flattées de 
cet hommage, envoyèrent'à la Société une très- belle 
mé‘aille d’or du Rhin, portant d’un côté l'effigie du Princes 
de l'autre celle de la Princesse , avec cette inscription com- 
posée par l’Electeur lui-même : 14 lœti Musis damus 
dtrebatensibus ambo 1360: M. Harduin reçut une semblable 
n:édaille avec cette autre inscription: Munificentié utriusque 
tenet D. Harduinus 1760. | 

Ce poëte Artésien s’empressa d'exprimer sa reconnais- 
sance par des vers qui ne sont M SOL. ni de grâce ni 
de facilité, 

L'année suivante , la Société dùt encore à la munificence 
de l’Electeur Palatin une suite de médailles d'argent qui 
portent l'effigie de 29 Princes de sa maison et la sienne ; 
sur celle-ci se trouve gravée cette inscription, composte 
comme les précédentes, par l’Electeur : Aérebatum Musis 
meque meosque dedi 1361 - | | | 

Un Membre honoraire, M. le Comte de Riaucourt, 
Ministre plénipotentiaire du feu Roi de Pologne à la Cour 
palatine , adressa, en 1763, à la Société deux grands in-folio 
contenant, outre les portraits de Leurs Majestés polonaises, 
cent belles estampes d’après les plus célebres tableaux de la 
galerie royale de Dresde, 

Mais une faveur plus grande devait être enfin accordée à 
la Société; des lettres patentes du Roi, du mois de juillet 
1773, l’érigèrent en Académie royale des Belles - Lettres, 
dans les termes les plus honorables. | 

Ces lettres patentes fixaient à 30 le nombre des Acadé- 
miciens ordinaires, permettaient à l’Acadéinie de recevoir : 
le nombre qu’elle jugerait à propos d’associés exterues où . 
Louoraires, coufirmaient les statuts etréglemens, laissaient 


44 MÉMOIRES, 

Je choïx d'un sceaa pour sceller les actes et accordaient À 
ées Membres les honneurs, privilèges, franchises et libertés 
dont jouissaient les Académiciens de Paris, à l'exception 
héanmoins du droit de committimus. | 

M. le Comte de Couturelle, célébra, dans une ode pleiné 
de verve, cette faveur si vivement désirée depuis long-tems, 

Ce n’était point assez du titre honorable conféré à 
PAcadémie par les lettres patentes du Roi, l'utilité de son. 
institution ne pouvait se développer tant que la compagnie. 
n'aurait pas les moyens d'offrir des prix aux auteurs qui 
traiteraient les questions dont la solution importe le plus à 
la prospérité du pays. | 

Dès l’année 1770, les Elats d'Artois avaient accordé À la 
Société un logement et une somme de 300 fr. pour un prix 
ânnuel, En 1779, ce prix avait été proposé à celui qui 
résoudrait le mieux cette question: Quelle est la meilleure 
méthode et la moins onéreuse de planer Les granie, 
chemins ?. 

: 1 parait que ces dispositions n'étaient que provisoires et 
qu’elles n’eurent aucune suite; maïs les Etats d'Artois 
comblèrent les vœux de l’Académie en décidant , dans leur. 
 àssemblée générale du mois de novembre 1782, qu'il serait 
remis tous les ans , aux frais du trésor de la province , une 
médaille d’or de la valeur de 500 fr. pour être décernée par 
la compagnie aux meilleurs ouvrages qui lui seraient pré 
sentés sur un sujet d'histoire, d'économie rurale ou de 
_ commerce, sur les moyens de tirer un parti avantageux 
des productions du pays, ou de le rendre plus florissant. 

L'Académie , de concert avec les états, régla que le prix 
serait adjugé pour la première fois dans la séance publique 
de l’année 1784. 

Aucun Membre ordinaire ou honoraire n’était admis à 


ù MÉMOIRES, 49 
bouncourir ; les auteuts ne devaient pas meffre leur nom à 
Jeurs ouvrages, mais sealement une devise répétée dans un 
billet cacheté contenant leur nom et leur adresse; cetrx qui 
se seraient fait connaître auraient été exclus du concours; 
les mémoires devaient être adressés, franc de port, au Setré- 
taire perpétuel ;, ou sous le couvert de M. l'intendant de | 
Flandre et d'Artois; l’auteur de l'ouvrage couronné avait 
de choix de {a médaille d’or ou d’une somme de 500 fr. égale 
à sa valeur. 

La première question soumise au concours fut ceHe-ci :. 

Toutes les terres de d'Artois sont-elles propres à être 
ensemencées chaque année ; et quelle serait la méthode à 
suivre pour faire duel des récoltes tous Les ans ‘avec 
avantage à celles qu’on juderait utile de dessoler ? 

Le prix annoncé par le programme publié en mars 17835 
sur cette intéressante question , fut adjugé par l’Académie, 
dans sa séance publique du 21 avril 1784, à un discours 
ayant pour épigraphe ....... Mutatis requiescunt Fœtibus 
arva. (Géorg., lib. 1.) ( La terre ainsi repose en chan- 
geant de richesses. ) ( Traduction de Delille. ) | 

M. Herman, Avocat à Arras, auteur de l’ouvrage cou- 
ronné, soutient que toutes les terres de la province d'Artois 
sont en effet susceptibles dun räpport ännuël: et il indique 
les moyens d'y parvenir. Depuis, les progrès del Agricalture 
ont confirrhé opinion de M. Herman: dans üne grande 
partie dé nos cantons , l'usage èt le bon emploi des engrais 
diminuent chaque année l'étendue des jachères. 

Dans la même séance du 21 avril 1784, l'Académie pro- 
posa au concours, pour l’année suivante, des questions noû 
moins importantes , puisque c’est le Commerce qui mèt en 
valeur les produits de l'Agriculture : Quelles furent autre= 
Jois les différentes branches de Commerce 1/75 les contrees 


46 MÉMOIRES. 


qui forment présentement la province d” Artois , en remonn 
tant méme au tems des Gaulois? Quelles ont été les causes 
de leur décadence , et quels seraient les moyens de les rétablir, 
notamment les manufactures de la ville d Arras? 


L'Académie n'ayant reçu aucun mémoire satisfaisant sur 
ces questions, proposa le même sujet pour l’année 1787, 
et mit au concours pour la même année la question suivante : 
Est-il avantageux de réduire le nombre des chemins dans 
de territoire des villages de la province d” Artois, et de donner 
à ceux que l’on conserverait, une largeur suffisante pour être 
plantés? Indiquer , dans le cas de l’uffirmative, les moyens 
d'opérer cette réduction. 


En attendant, on devait décerner, dans la séance publique 
” de 1786, le prix annoncé l’année précédente sur ce sujet 
‘d'économie rurale : est il utile en Artois de diviser les fermes 
‘ou exploitations des terres ;. et, dans le cas de l’affirmative ; 
quelles bornes doit-on garder dans cette division ? 


Le mémoire de M. Delegorgue, jeune , avocat au conseil 
d'Artois, à Arras, obtint ce prix. 

La question proposée pour l’année 1788, fut celle — ci : 
_ quelle est la meilleure méthode à employer pout faire des 
pâturages propres à multiplier les bestiaux en Artois ? 

En même-tems, on mit d'avance au concours, pour l’année 
1789, deux autres questions d'économie rurale, dont la 
solution devait procurer un égal prix de 500 fr. , savoir : 

1.” Quels sont les meilleurs moyens de multiplier les bêtes 
à laine dans la province d’Artvis, et de procurer aux laines 
une qualité plus parfaite ? 

2.° Quelle est la meilleure manière de rendre invariables 
Les bornes champêtres ? 


Dans la séance publique de 1788, le mémoire de 


MÉMOIRES. 47 


“M, Gilbert, Professeur à l’école royale M obtint 
Je prix proposé pour eette année. 


Les autres questions ne furent point traitées d’une manière 
satisfaisante ; ellesfurent remises au concours:d’autres ques- 
tions non moins importantes allaient être proposées quand 
toutes les idées se tournèrent vers des objets de politique. 


Ainsi se termine, Messieurs, la notice historique sur 
l’ancienne Académie royale d'Arras : je dépose sur le bureau 
la liste nominative des membres de cette Aeadémie et la 
nomenclature des principaux ouvrages qu’ils ont composés ; 
votre commission .a pensé qu’elle devait aussi s’ oecuper de 
cet objet afin de compléter son travail, 


Pour la première fois que j'ai l’avantage de parler devant 
une aussi honorable âssemblée, qu’il me soit permis de lui 
exprimer ma reconnaissance pour la faveur qu’elle n’a 
faite en daignant m’associer à ses travaux ; qu’il me soit 
permis également de jelter un regard dans l'avenir et de voir 
la Société royale d'Arras , protégée par le Gouvernement et 
encouragée par les Autorités locales ; marcher avec gloire 
dans la-carrière que lüi ont ouverte ses nobles prédécesseurs. 


En OS Genre 


LISTE 


DES MEMBRES 


GOMPOSANT 


L'ACADÉMIE ROYALE D’ARRAS, 
Pendant l’année 1702, époque de sa dissolution. 
10h01 HD Ie 00-210 CES 

HONORAIRES. | 


MM. 


De Guisnes. 

Lefevre de Caurmartin. 
De Calonne. 
Esmangart. 
Delaplace. 

Le Pippre. 

De Modène, 

Lefevre de Beauvray. 
D'Acarq. 

_ De Riquety. 

Wartel, Chanoine. 
De Serent. 

De Riaucourt. 

De Gaston, Chanoine. 
De Stengel. 

De Benthem. 


MM. 


De Béthune. 
Breuvart. 

Des Essarts. 

De la Dixmerie. 
Campan. 

De la Maillardière. 
Béranger. 

Géret. 


| De Retz. 


Pajot. 

Riboud, 

De Pastoret. 
Taranget. 
L’Abbé Soulavie. 
L’Abbé Roy. 

De Püs. 


Ansart,ancien Curédel’hôtel Moreau de St. Méry. 


des invalides. 
 Droz. 

De Sacy. 
Filassier. 


De Peyssonnel , ancien Consul 
de France, à Smyrne. 
Tournon. 


Bouchaud. 


MÉMOIRES. 


MM. 
M."° de Kéralio. 


Roman. 

De Courset. 

M." Lemasson. 
Opoix. 
Crignon. 

De la Coudraye. 
Dom Grappin, Bénédictin. 
L'Abbé Teulières, 
Desalviat. 

De Marescot. 
Beffroy. 

De la Roche, 
Delafont. 


49 
MM. 

L’Abbé Gail. 

L’Abbé Lamourette, 

De la Platière. 

Dom Carrière, Bénédictin, 

Delafont Pouloti. 

De la Tournelle, à Soissons. 

De Parraza. 

De Sacy , homme de Loi. 

Guilbert. 

Pilot, fils. 

Desaudray. 

De Gouy. 

Godefroy. 

M." Dachaiellie. 


ACADÉMICIENS ORDINAIRESe 


Binot. 

Cauvwet, père, 

Bayart. 

Briois, père. 

facquemont. 

Fruleux. 

De Lannoy. 

Gosse, Prieur de l'Abbaye 
d’Arroüaise, 

De Robespierre. 

Ansart, Médecin. : 

Lesage. 

Legay. 

L’Abbé Delys. 

Le Sergeant. 

Foacier, pére. 


Dubois de Fosseux, Secrés 
taire perpétuel. 

Enlart de Grandval. 

Rouvroy de Libessart. 

Buissart. 

Briois, fils. 

Duquesnoy. 

Boucquel, 

Marthelin. 


. De Brandt de Galametz. 


De Champmorin. 
Lenglet. 

De Carnot. 

Du Marquez. | 
Thieulaine d'Hauteville. 


50 MÉMOIRES. 


CORRESPONDANSe 
MM. S MM. 
Etienne, d'Argenteuil. Baron, de 
Ramel, d'Aubagne. ; LeP. Venane, | Montpellier 
Housset, d'Auxerre. Capucin, . ù 
Guéniot, d'Avalon. Le P. Canard, de Moulins. 
Grumwali, de Bouillon, Couret, de Villeneuve-d'Or- 
Pallet, de Burges. léans. 
Parry, de Brest, Knapen , de Paris. 
Renault - Beaucaron, de De Lamarzières, 
Chaource. Laugier, 

Pajol , de Castres. Millin de Grand- # 
Doyen, } de Chartres. N'aison dE 
Lehoucq,} Narcy, | Poitiers. 
L’Abbé Raulx,de Châteaudun, De Meu. 
Chevalier, de Crespy. Le P. Paris de l’ora- 
Henriquez , de Dun. toire. 
Urray, de Gættingue. Leroi de Flagis, de Pui-Lau- 
Nicolas, de Grenoble, rens. | 
Crommelin , de Guise. Bourignon , de Saintes. 
Fréderick Frantsius, de Léip- Marchier, de St. Chamas. 

_ sick. Calot, de St. Maurice-le-Girard. 


Guvyetan, de Lons-le-Saunier. Thomassin , de Strasbourg. 
Delaudirie, Moublet-Gras , de Tarascon. 
Geoffroy, | de Lyon. Blondel, de Valenciennes. 
Desgranges, Bouthier , de Vienne. 


Gastellier, de Montargis.  D’Wal, de Zurick. 


NOTIC 


SUR LES MALADIES 
Que des chaleurs et la sécheresse ont pu développer parmi. 


. des bestiaux, et les moyens de prévenir celles qui pourraient 
naître pendant l'automne. 


So Excellence le Ministre de l’intérieur, par sa lettre 
du 19 août 1818, informe M. le Préfet du Pas-de-Calais, 
” que dans plusieurs départemens, les chaleurs et la sécheresse 
qui ont trop long-tems duré, ont fait naître, parmi les 
bestiaux, des maladies dont il importe de prévenir les suites. 

Son Excellence avait d’abord pensé à faire rédiger et 
publier uue instruction spéciale à cet égard, ainsi que cela 
a eu lieu à la suite de l'humidité qui a régné en 1816 et: 
1817; mais elle a craint que cette instruction ne contint' 
pas l'indication de tous les moyens préservatifs appropriés 
aux localités, et elle s’est bornée à inviter MM. les Préfets 
à faire rédiger une instruction sur les moyens à employer, 
par les cultivateurs et propriétaires, pour préserver leurs 
animaux domestiques des accidens que pourraient leur occa- 
sionner la constitution sèche et brälante de l’atmosphère, la 
disette d’eau salubre, la qualité du le défaut de fourrages. | | 

À l’époque actuelle de la saison , aux approches de l’au- 
tomne , la température atmosphérique va changer et peut- 
être devenir opposée à celle précédente ; c’est ce qu'il me 
paraît important de prévoir. En conséquence, j'ai pensé 
que , sans me renfermer strictement dans les renseignemens 
que M. le Préfet m’a donnés , je devais encore m'occuper 
des indications à remplir au changement prévu et peut-être 
prockain , de la température. 


P 


52 | MÉMOIRES. 


: Je pense aussi que les moyens dont j'’offre l’ensemble 
doivent être simples, et tels que tous les cultivateurs 


. puissent facilement les employer, si ce n’est dans quelques 


cas particuliers, où les lumières et les connaissances d’un 
vétérinaire sont indispensables. A la tête de ces moyens, je 
place les acides , et j’en recommande spécialemens l'emploi ; 


il serait à désirer que le vinaigre fut moins cher; il est dans 


les maïns et à la portée de tout le monde; mais l’on peut y 
suppléer par les acides minéraux, dont le prix est bien moins 
élevé. Cependant , ces acides ne doivent pas être mis iadif- 
féremment dans les mains de tous; c’est une excellente 
xessource dans les circonstances présentes, mais l’emploi 
doit en être dirigé par les hommes de l’art ou par les proprié- 
taires instruits. 

_ Je remercie M. le Préfet du département du Pas-de-Calais 


de n'avoir pas trop présumé de mon zèle pour le bien publics 


en me chargeant de la rédaction de cet opuscule; c’est une 
tâche que personne ne peut être plus jaloux que moi de 
remplir convenablement, s'il m'est-possible. Puisse ce travail 
répondre aux vues du Ministre qui l’a désiré et du Préfet qui 
me l’a demandé. J'ai tâché de le resserrer dans les plus 


‘étroites limites possibles ; afin de ne pas effrayer les cultiva- 


teurs par une trop longue: lecture : d'ailleurs les choses 
présentées d’une manière succinte n’en sont que davantage 
à la portée de l’intelligence du plus grand nombre. 

. Je regrette que, pressé par le tems, je n'ai pu châtier ni 
soigner davantage la rédaction de cette courte notice ; telle 
qu’elle est, je désire qu’elle soit utile au public, et qu’on 
puisse la regarder comme une nouvelle preuve de mon 
dévouement empressé À effectuer tout ce qui peut être sus- 
ceptible d'offrix quelqu’avantage à mes compatriotes. 


CS 


MÉMOIRES, LD 

Les animaux vivent d’une manière trop intime avec 
l'air ambiant , pour ,ne pas se ressentir des différens états 
de l'atmosphère. L'état de l'atmosphère a été, depuis la fin, 
du printems dernier , d’une chaleur et d’une sécheresse dont 
on a peu d'exemple ; depuis le 18. mai, il n’a pas fait de pluie: 
à tremper; il n’y a eu que trois orages qui n’ont donné que 
peu d’eau; le thermomètre de Réaumur s’est élevé jusqu’à 
plus de 27.°, et il s’est maintenu , pendant plus de deux 
mois, de 15 à 25 et 26.° Les vents les plus secs, ceux qui. 
tournent du nord-ouest à l’est, ont constamment sœufilé, 
et souvent avec force. 

Ces longues et fortes chaleurs, cette sécheresse. opiniâtre, 
ont déterminé, chez les animaux comme chez l’hoemme, 
d’äbord, un état d’excitation , puis une diminution de force, 
et des sueurs abondantes. L’on a eu lieu de remarquer , sous 
cette constitution atmosphérique, quelques coups de sang, 
une sorte de fièvre bilieuse accompagnée de catarrhe et de 
vertige symptomatiques, et quelques maladies aiguës, dont 
Ja marche a été fort rapide, et qui ont offert, au moment 
de leur invasion, un appareil menaçant de symptômes 
graves. | Eu | 
L'on ne peut attribuer ces affections maladives à la disette 
ni à la mauvaise qualité des alimens; à quelques faibles 
exceptions près, les fourrages et les grains ont été cette 
année généralement abondans , sains et bien récoltés ; seu- 
lement ; on les a employés trop nouveaux, on les à fait 
consommer avant qu'ils aient, ce qu'on appelle vulgaire- 
ment, jeté leur feu. Lorsque l’on a fait usage des substances 
soit herbacées, soit céréales, immédiatement après leur 
récolte, ce n’est pas la première fois qu’elles ont produit des 
effets dangereux sur l’économie animale; il en est très- 
souvent résuilé des maladies fort fâcheuses. En outre, les 


54 MÉMOIRES. 


sourèes ont êté fort basses et les eaux très-rares : cellés des 
mares et toutes celles stagnähtes se sont trouvées ou épuisées 
ou CO ASS: et dans tous Îes cas n’ont pu offrir aux 
animaux qu'une boisson mal-saine, répugnante et insuf- 
fisante pour les désaltérer. Leurs déperditions ont été 

grandes, et n’ont pu être réparées. | 

Une autré cause au-dessus du pouvoir de l’homme , et qui 
stule eût peut-êtré suffi pour développer des maladiés, c’est 
l'avidité que l'air sec et chaud a pour l’eau; circonstancé qui 
tend à dépouiller les surfaces vivantes de leur humidité , et à 
causer sur elles une sorte d'irritation qui se propage par 
simpathie à tous les appareils organiques du corps. De-là, 
Jà marche rapide des maladies et le caractère inflammatoire 
qu’elles affectent dans leur commencement. | 

Les coups de sang frappent les animaux comme d’an 
coup de foudre, soit à l'écurie, soit aux herbages, aux 
champs ou au travail ; ilstombent tout-à-coup , sans senti- 
ment, sans autre mouvement que le battement des flancs, 
et meurent promptement, souvent même sans qu’on ait le 
tems de leur porter secours. Il est néanmoins quelque signes 
précurseurs de cette maladie funeste, mais presque toujours 
ils sont négligés ou méconnus. Au surplus les limites qui 
me sont ici tracées ne me permettent aucun à autre détail à 
ce sujet. 

Lorsque l’on peut arriver à tems, la première chose à be: 
dans le cas de coup de sang, c’est de pratiquer la saïghée ,et, 
si l'on ne peut la faire soi-même , de se hâter de tirer du sang 
de là langue et du lampas, en attendant qu’on puisse avoirle 
maréchal : si l’animal en revient, l’on aura recours à la 
diète, aux boissons ahondantes et délayantes d’eau blanche 
légèrement acidulée ; et ensuite , selon l’exigence des cas, 
aux sétons, aux vésicatoires et aux purgatifs. | 

| Quant . 


MÉMOIRES 55 

Quant à l'affection bilieuse compliquée dont il a été parlé 
plus haut, elle se caractérise par divers RÉ dont 
voici de | 

Du 1." au 4.° jour : pouls d'abord vif, puis petit, accéléré ; 
assoupissement ; tête pesante , tombante , ou appuyée dans 
Ja mangeoire; yeux éteints, vue altérée, obscurcie, quel- 
quefois nulle; bouche pâteuse, pleine de bave visqueuse ÿ 
membrane buccale jaune ; langue chargée , et d’un rouge 
vif sur le bout ; pituitaire et conjonctive jaunâtres ; dégoût , 
tristesse , abattement ; roideur , mouvemens lents, marche 
difficile et chancelante; urines rares, jaunes, huileuses, 
fétides ; constipation ; peau sèche; insensibilité : 

4. Jour: pouls moins vif, toujours accéléré et petits 
enduit jaunâtre sur la langue ; engorgement des amygdales; 
respiration laborieuse et bruyante; flux jaunâtre , épais et 
fétide par Îles naseaux: 

5° Jour : continuation de l'écoulement nasal ; augmenta= 
tion des symptômes ; grincement de dents, remuement de 
Ja mâchoire ; mouvemens convulsifs des muscles de la face ; 
veux fixes, troubles; l'animal saisit avidement lés alimens on 
la litière, les retient plus ou moins de tems entre les dents, 
et ne les mange point : il saisit quelquefois la mangeoire 
comme s’il tiquait ; il a de fortes palpitations : 

Du 6.° au 9.° jour : état stationnaire de la maladie; pouls 
lent , faible, profond, quelquefois rare ; diminution de la 
constipation ; continuation du flux nasal ; toux ; engorge- 
ment des extrémités : | 

Du 9° au 12.° jour : crasse écailleuse « sur la peau ; urines 
abondantes ; transpiration fétide ; liberté du ventre ; retour 
de l'appétit ; guérison. 

Si la maladie prend une marche dense: la progression 
des symptômes va toujours croissant, et, à dater du cin- 

L 2, Livr, | un 5 


56 MÉMOIRES. 
quième j jou ; elle présage une ferminaison fatale. Le Îux 
nasal se supprime, l’action de se mouvoir et de marcher 
devient presqu impossible ; l’animal tombe .au lieu de se 
‘coucher ,'et il ire se relève plus. 

Voici le traitement applicable à cette affection compliquéet 

Lorsqu’à son début il y a diathèze inflammatoire, une 
_ Aégère saigne , des bains de vapeurs émollientes sous le nez 
“et sous le ventre, conviennent dans le principe. Cependant, 
fa saignée n'étant réellément indiquée que dans un petit. 
‘nombre de cas difficiles à reconnaître par les personnes qui 
vie sont pas versées dans l’art vétérinaire , j’engage les culti- 
” vateurs à ne point la pratiquer sans l'avis d’un homme de 
Yart. Du reste, les lavemens émolliens doivent être prodi- 
gués, de même que Îles tisanes apéritives et diurétiques, 
telles que celles de chardon roland (panicaut des champs 
_ de Linn.), auxquelles on ajoute un peu de’ sel de nitre, 

ét, si l'irritation est prononcée, des feuilles de laitue, 
_ ou'aütre adoucissant, L'on fera marclier de front les sétonis 

‘âu poitrail et aux fésses, et on les animera:avec un peu 
“d’ellébore èn poudre s’ils tardent à donner, ôu si-leur action 
est languissante. Il est fort à regretter, dans cette circons- 
tance , que les malades se refuseut à boite ‘d'eux - mêmes; 
beaucoup d'eau blanche acidulée leur ferait grand bien; 
“tiéaninoins, il faut, autant que possible, éviter-de les tour- 
‘menter en leur administrant des breuvages; et même, pour 
es individus qui se débattent trop en les prenant, il ee 
mieux se contenter des préparations en opiats. 

Mais le médicament qui m'a paru produire le meilleur dfet 
“dans le cas dont il s’agit, c'est lé métique , et l’on sera 
étonné des doses où l’on peut le porter sans danger. Dans 
les cas ordinaires, l'émétique passe pour irriter après la 
“dose de 15 à 18 grains; ici, l'on peut en administrer jusqu'à 


D LA PES 


Le F4 


MÉMoïres! 5# 
trie demi-ônce ; néanmoins, il est toujoürs prudent de com- 
mencer par une dose plus faible, sauf à la réitérer. Ainsi, 
Yon peut en donner d’abord 20 à 24 grains dans une 
bouteille d’infusion de camomille ou de mélilot , et répéter 
ce breuvage selon les circonstances, la force et la stature 
des animaux. | 

Ce médicament produit à la fois plusieurs médications 
importantes; il secoue l'estomac , le débarrasse des matières 
alimentaires qui le surchargent, provoque l'expulsion de la 
bile et ressuscite le ton des organes. Mais cette dernière 
médication, la plus essentielle peut-être , procnrée par 
l'émétique, n'étant que momentanée, il convient , pour la 
rendre durable, d'amener à sa suiteles toniquesetlesamers, 
comme des infusions de menthe, d’absinthe , de sariette, de 
petite centaurée , ou plus simplement desinfusions de fleurs 
de camomille om de mélilot, ou envore la poudre de gen 
tiane. Dès que les malades pourront manger, on leur don- 
mera des alimens riches en principes nutritifs, mais en 
petite quantité . surtout dans les commencemens, afin de 
me point fatiguer les organes digestifs. 

C’est avèc ces moyens ,et des boissons acidulées, dès que 
Les malades ont commencé à boire d'eux-mêmes, que plus 
de la moitié des animaux traités Henodenen ent été 
guéris : ilest même à présumer qu’on en eût sauvé un 
bien plus grand nombre, si l’on eût toujours été appelé à 
Yems ; car, quand la médecine peut, ce n’est jamais que dans 
le commencement des maladies. La plupart des individus 
traités autrement, soit empyriquement, soit par des saignées 
copieuses, des purgatifs drastiques , de la classe des résineux, 
“des breuvages incendiaires, etc.,etc., ont Der tous suc- 
:combé en peu de jours. 

Au surplus, le plus important D est NP re 

5 * 


58 MÉMOIRES, 

pas de $’ocouper des maladies produites par l'effet d’une tem 
pérature sèche et brûlante ; mais de s'attacher à prévenir les 
influences que l'air frais et humide de l'automne pourrait 
exercer sur l’économie vivante. ; 

En général , l'humidité froide tend à troubler l'harmonie 
dans l'exercice des diverses fonctions de la vie , et à prédis- 
poser aux affections muqueuses , catarrhales, vermineuses, 
adynamiques, etc. Si l’on n’y prend garde, les animaux y 
seront , cette année, d'autant plus exposés, qu’énervés, en 
quelque sôrte, par l'effet des grandes chaleurs précédentes, 
ils offriront peu de résistance aux affections maladives , et 
manqueront de force pour les supporter. C’est en effet ce 
qui pourra malheureusement arriver, si l'automne, surtout 
à son commencement , est froid et pluvieux. 

Les propriétaires et les cultivateurs attentifs pourront 
parvenir à se prémunir contre ces accidens, en observant 
fidèlement les précautions suivantes : 

Dans les localités basses et aquatiques principalement , se 
méfier des nuits froides , des tems pluvieux ou brumeux, 
des herbes mouillées ou rouillées , et par conséquent nourrir 
la nuit aux écuries et aux étables : 

Donner toujours, à peu-prèsaux mêmes heures, la née 
ration d’alimens ; s'attacher à la qualité plutôt qu’à la 
quantité; éviter, sur toute chose, ceux trop nouveaux : 

Se méfier aussi ‘des effets du son, qui relâche inutile 
ment, qui nourrit peu, et même point du tout, quand, 
‘retiré du blutoir, il se trouve entièrement dépourvu de 
farine ; dans cet état, il ne blanchit pas même l’eau où 
on le mêle, il ressemble à de la sciure de bois : n 

Ne point assujettir les animaux à un travail qui excède 
leurs forces ; ne les y soumettre qu’un certain tems après 
qu'ils ont mangé : | 


MÉMOIRES. $g 


Ne point faire boire ni exposer les bestiaux , ( malgré la 
mauvaise habitude contraire), dans les pâturages, immédia- 
tement après le travail ou l'exercice; ne point les. entasser 
en trop grand nombre dans leurs logemens ; éviter , pour 
ces derniers, une température trop élevée ; y procurer de 
bon air et une grande propreté, et ne pas épargner la 
litière : | 

Pratiquer , avec beaucoup d’exactitude , le pansement de 
la main ; bouchonner souvent ; essuyer la sueur au retour 
du travail : 

Ne pas oublier que la constitution atmosphérique de tout 

V’été dernier a excité, sans fortifier, sans augmenter l'énergie 
vitale ; qu’elle à pu et dà au contraire affaiblir, et qu’ainsi, 
- quelqu’agent tonique sera toujours avantageux däns la 
plupart des médications préservatives où curatives. 
” Les habitans des campagnes ne sont pas sans avoir 
toujours chez eux du sel et quelques morceaux de fer; te 
sel plaît en général aux animaux et leur est salutaire ; 
excès seuk-en est à craindre ; bien égrugé, l’on peut en 
mêler à l'avoine et aux provendes, et en faire fondre dans 
l'eau pour en asperger les fourrages. Une poignée par joar 
peut convenir pour quatre de nos grandsanimaux ,ou poNr 
une vingtaine de moutôns. 

Quant au fer, il suffit d'en : mettre ie vieux 
morceaux dans les anges. ou les baquets d’eau destinés à 
abreuver. Lorsque l’on change cette eau , l’on devra laisser 
les morceaux de fer dans les auges ou les baquets. Quoique 
cette boisson tonique et antiputride soit ici réellement 
indiquée , l'usage n’en doit pas être continuel, à cause de 
la constipalion qu’elle pourrait occasionner; d’ailleurs , elle : 
est contraire dans les affections catarrhales, et, au moindre 
signe , à la moindre apparence d’angine ou d’étranguillon 


6o MÉMOIRES. 

(ce que mal-à-propos l’on appelle quelquefois gourmne A 
élle doit être abandonnée sur-le-champ. Hors ce cas, pour! 
n’en faire qu'un emploi raisonnable et en rapport avec les: 
besoins du moment , il convient de donner cette eau ferru— 
gineuse pour boisson, seulement M de suite FRe 
chaque semaine. 


Le reste du tems, la boisson la plus salutaire comme la 
plus. convenable est de l’eau blanchie, plutôt avec de la, 
mouture qu’avec du son, Si l’on emploie la mouture, l’on. 
en met peu; si l’on est obligé de se contenter du son, on, 
ne le laisse pas dans l’eau qu'il doit blanchir, on le fait 
rester dans le fond du plat-seau , qu’on vide dans un autre. 


, On rendra cette boisson ordinaire tempérante, rafraîchis- 
sante, légèrement tonique et antiputride en lui donnant une 
acidité agréable , au moyen de l'addition d’un peu d'acide 
sulfurique : le. vinaigre remplirait le même objet, mais le 
prix en est trop élevé. Je recommande de n’employer que. 
de l’acide sulfurique préalablement affaibli avec deux parties 
d’eau sur une partie d'acide ; mais je préviens que ce mélange. 
ne peut et ne doit être fait que par un pharmacien, attendu. 
. le dégagement considérable de calorique.que cette mixtion 
détermine ; il est même nécessaire d'interdire à tout autre. 
d'en ‘préparer ainsi soi-même. Admettons que l’on se soit 
procuré , dans chaque exploitation rurale , une fiole de cet 
acide arrangé comme il vient d’être dit , l'on peut en ajouter. 
15 à 20 gouttes par chaque seau d'eau. 


L'on ne saurait trop recommander cette boisson acidulée 
qui devient de plus en plus en usage dans la médecine et 
l'hygiène vétérinaire , et qui justifie tous les jours la 
confiance qu’on y place. Au mérite de produire des effets 
constamment avantageuÿ , elle réunit celui d’une grande 


Mémoires 66 


dcongmie. ponr les propriétaires de bestiaux ; et, sous ce 
rapport encore, elle doit fixer l'attention. 

I me reste à recommander aux cultivateurs les moyens 
simples que je viens de leur proposer dans la vue de les 
éclairer sur la conservation de leurs bestiaux : je les invite 
à user de ces moyens, et surtout à persévérer dans leur 
emploi, sans perdre courage , sans se laisser arrêter par la 
considération de quelques faibles sacrifices, plutôt en soins 
qu’en dépense, et dont ils seront d'ailleurs amplement 
payés par. la suite. 


HURTREL- D'ARBOVAL, Membre correspondant. 
2 
RAPPORT 
TONI ES. 


SUR... 


LES MACHINES DE M. HALLETTE DE BLANGY, 


Lu à la séance publique du 24 Août 1818. 


EEE EE LE LL 
Ce n'est que par des tâtonnemens multipliés, par des 
essais souvent infructueux , répétés pendant des siècles, 
que l’homime est parvenu à se rendre niaître de la matière, 
et à fâiré servir les phénomènes de la nature à le secourir 
dans ses besoins et à l’aider dans ses travaux. Moins les 
connaissances humaines et les arts faisaient de progrès , 
plus nos pères étaient attentifs à accueillir les nouveautés 
de leurs tems, et soigneux de les transmettre à leurs 
enfans , comme un précieux héritage. Mais il est remar- 
quable, que dès que les résultats purent satisfaire aux 


l 
Le 
7 


\ 


y ++: 
+: 


besoins, les arts restèrent stationnaires et.les âges .£e e 


62 MÉMOIRES. 


légutrent mutuellement les traditions, avec un respect 
religieux. | | | 


_ Bientôt la Science essaya de remonter aux causes par 
l'analyse des résultats ; née de l’expérience , elle en voulut 
faire son élève; mais séduite par de brillantes théories , 
conçues prématurément, elle se perdit dans l’esprit du 
commun des hommes qui la jugèrent dans son enfance, 
comme ils l’auraient fait dans sa maturité, et qui se rejet- 
èrent , avec plus de force et de crédulité, vers les traditions 
et la routine. 


De celte lutte de l'expérience des siècles avec la Science 
naissante , naquit cette idée qui, pendant long-tems, a 
empèché, d’une manière si funeste, les découvertes et les 
améliorations faites dans les arts, de produire les avantages 
qu’on devait en attendre; ne faisons pas autrement que 
nos pères. Comme si nous pouvions eroire que, dans l’ori- 
gine des tems , ils eussent reçu les arts tels qu'ils nous les 
ont donnés. Comme si, quandils se traînaient en aveugles 
dans la carrière des expériences , ils n’avaient pas payé des 
résultats informes par de nombreux et pénibles essais. 


: Nous sommes plus heureux qu'eux. Notre siècle, guidé 
par des théories aussi sûres que savantes, marche à pas de 
géant dans le domaine des découvertes. Chaque jour, ilest 
illustré par des miracles nouveaux, et il sera aussi glorieux 
par les arts qu’il l’est par les armes. LL 


Dans cet état prospère, qui nous est le garant d’un si bel 
‘avenir, s’il faut imiter nos pères, c’est en accueillant les 
inventions nouvelles, lorsque l'excellence en'est constatée 
d'une manière irrécusable. C'est même en provoquant des 
‘essais et en sacrifiant une légère portion du bénéfice 
d’une exploitation à des expériences dont le succès doit en 


- MÉMOIRES. 63 


augmenter les produits ; ce n’est pas l'homme de génie ; 
qui se consume en d’utiles recherches , qui doit supporter 
seul les pertes attachées à de premières tentatives; mais c’est 
bien plutôt l’homme dont les découvertes vont accroître 
les richesses. Cette maxime, que la prospérité publique 4 
sa véritable source dans les sacrifices et le désintéressement 
des particuliers, était moins qu’on ne le croit étrangère 
à nos pères. 

Les usines de l’Artois sont construites sur un vieux 
modèle, transmis de génération en génération, par des 
ouvriers, non seulement incapables de les modifier selon 
la force des moteurs, ce qui supposerait des connaissances 
qu'ils n'ont pas, mais encore de rien améliorer. Les détails 
traités grossièrement et sans intelligence , absorbent par 
leur imperfection une grande quantité de la force motrice 
dont la puissance extrême peut seule surmonter les obs< 
tacles ; rien n'est plus déplorable que la manière dont on 
abuse des belles chûtes de nos rivières; je mets en fait 
qu’elles pourraient suffire à un nombre d'usines quatre 
fois plus considérable, si les roues hydrauliques étaient 
construites selon les principes de la raison et de l’ex- 
périence. Cependant, il n'est pas rare de voir des pro-. 
priétaires se disputer quelques pouces de hauteur d’eau, 
quand ils en ont beaucoup plus qu'il n’est nécessaire 
pour faire marcher leurs usines. En un mot, la cons- 
truction, dans ce pays, est dans l’enfance , si on Ja. 
compare à ce qui s se fait dans les autres parties de la 
France. 

Nous avons besoin qu'une habile vienne nous 
faire connaître le prix des moteurs dont la nature nous 
‘a dotés, et nous apprendre à les utiliser entièrement. 
Nous devons regarder comme une bonne fortune 


64 MÉMOIRES, 


Vétablissement, dans ce pays, d’un homme: qui joint à 
la conception de sages, projets, le mérite peut-être plus 
rare de les exécuter avec une perfection et une solidité, 
qui ne sont connues, en, France que depuis bien peu 
d'années, . 


Avant de passer à l’objet principal de ce rappert, 
qu'il nous soit permis de jetter. un coùp - d'œi sur 
différens perfectionnemens, inventés par M. Hallette, 
et dont l'introduction dans les vieilles usines pourrait 
les améliorer autant qu’elles en, sont susceptibles. 


Telles sont les cames jumelles en fer, dessinées sui- 
vant la courbe qui leur est assignée par la théorie , et 
qui soulevant les hyes et les étampes par leur centre 
de gravité, n’ont point la rudesse et le frottement 
considérables inbérens au système des bras de levier, 
Elles présentent, sur ceux-ci, une économie dés deux 
cinquièmes de la force employée. : 


Ces cames ont cela de particulier , qu’au lieu de 
pénétrer dans larbre , leurs queues l’enveloppent au con- 
traire comme un collier. Deux écrous les lient ensemble 
_en les serrant contre l’arbre autour duquel un arrêt 
les empêche de tourner. Les changemens de position, 
les remplaremens de celles qni sont usées, se font avec 
facilité, et n’obligent pas de faire ces trouées énormes 
qui finissent par détrune l'arbre, | 


La différence qu’on observe entre la quantité de 
travail et la bonté des produits des pots où l’on écrase 
la graine, dépend uuiyuement de la forme intérieure de 
_ces pots et de leur rapport avec les dimensions et la 
pesanteur des pilons. Cette inégalité du travail des pots 
d’une même batterie, vient de ce que les ouvriers n'ont 


MÉMOIRES | 64 
aucun principe sut la forme la plus avantageuse à leur 
donner, et ne doivent qu'au hazard de rares succès, ‘: 

M. Hallette a su rémédier aux vices de ce systémes 
et il a fait couler en fer des fonds de pots dont la 
forme est parfaitement convenable. Ils sont d’une grande 
solidité et remplacent avec avantage ces morceaux de 
çèté dont on tapisse irrégulièrement l’intérieur des pots, 

Une idée, dont lexécution a dù présenter bien deg 
difficultés, . c’est d’avoir appliqué le mouvement aux 
meules destinées à, écraser la graine, par leur circon- 
férence, tandis. qu’ordinairement on le leur communique 
par le centre. Non seulement il y a économie de force, 
mais encore on évite le traînement qui accumule les 
graines devant la meule qui, forcée d'en franchir les mon 
ceaux , retombe ensuite de l’autre côté, au risque de briser 
guelques portions de sa surface. 

Les roues hydrauliques sont particulièrement l’objet des 
soins de M. Hallette; ses expériences et ses observations 
Jui ont fait trouver plusieurs principes d’hydrostatique; 
dont l'application lui a donné d’excellens résultats ; il æ 
mis, partout où la chûte le permet , des roues à augets en 
remplacement des roues À aubes, dont les défauts sont 
tels qu’on pourrait obtenir une loi qui défendit de leg 
employer dans certaines circonstances. Il k surtout donnë 
à ses augets une disposition telle que l'air atmosphérique 
qu’ils contiennent, cède sans résistance à la colonne d’eau 
qui se présente, et que cette masse d’eau, parvenué au 
point le plus bas de la chûte, s’écoule librement, et n’est 
pas retenue par la pression de l’air atmosphérique, comme 
on le remarque dans beaucoup de roues hydrauliques. 

Des filatures, élevées dans divers départemens , ont 
tellement senti les aqvantages du systéme de roue de 


66 MÉMOIRES. 


M. Hallette, qu’elles se sont empressées de les adopter, 
et nous avons sous les yeux un exemple de leurs bons 
effets que je vais prendre la liberté de citer pour en 
démontrer la puissance. 


On sait que la grande usine de St. Nicolas-les-Arras était 
obligée de chomer pendant les jours de navigation , parce 
que la chüûte d’eau qui , dans les autres momens , était de 
1,76 centimètres, se trouvait réduite alors à 0”, 94 centi- 
mètres de hauteur. La roue, tout nouvellement construite, 
était à aube et mue par le choc ; elle employait pour mar- 
cher, même quand la chûte était de 1", 76 centimètres, les 
trois cinquièmes de l’eau de la Scarpe. M. Hallette l’a 
remplacée par une roue à augets, construite d'après un 
systéme dont il a le brevet, mue par la pesanteur du fluide, 
qui ne consomme qu’un cinquième des eaux, quand la 
chûte est totale, et qui marche très-bien avec la moitié 
des eaux dans les jours de navigation où , avec l’ancienne 
roue , l’usine était obligée de chomer., 


Une chose qui est remarquable dans la construction des 
vannes de M. Hallette, c’est qu’elles se baissent pour donner 
plus d’eau à la roue, et par conséquent , prennent toujours 
Veau au maximum de la hauteur de la chûte, tandis que 
les vannes ordinaires se lèvent pour donner plus d’eau. 


Nous passerons sous silence une infinité d’autres perfec- 
tionnemens , dont on peut prendre connaissance dans les 
usines où ils sont adoptés et nous allons vous parler des 
machines qui ont été l’objet spécial de l'examen de la 
commission, : 

M. Hallette a cherché à rémédier aux trois vices prin- 
cipaux que présente le mode actuel de fabrication. 


.. Beaucoup de personnes savent que les étampes et les 


© MÉMOIRES. 67 
meules ne sont pas un moyen tellement parfait que beau 


coup de graines n’échappent à leur action, tandis que 
beaucoup d’autres se trouvent écrasées à l'excès. * 


En second lieu, le chauffage des graines à feu nud dans 
des bassines, est tellement grossier, qu'il s’en faut de 
beaucoup que la graine soit échauffée uniformément, et la 
mal-adresse ou la négligence des ouvriers les laisse souvent . 
carboniser , ce qui donne à l’huile un goût d’empyreume 
qui lui fait perdre de sa qualité. En troisième lieu , le choc 
des hyes ébranle les usines , et cause un bruit qui les fait 
_reléguer hors de l'enceinte des villes et bien loin de toute 
habitation. En outre, elles ne prontieent pas un effet qui 
réponde à la force qu’elles absorbent. 


Tels sont les vices que M. Halette a voulu corriger en 
substituant aux vieilles machines, les machines suivantes. 


CFLINDRES. 


Non-seulement les cylindres de M. Hallette , écrasent là 
graine, mais ils la déchirent et ouvrent les petites cellules 
qui contiennent la matière -huileuse, qui flue alors par la 
plus légère pression. Le système de la machine est coordonné 
de manière que la graine se présente en couches de l’épais- 
seur d’un grain aux cylindres , dont la distance est beaucoup 
moindre et peut se régler au moyen de vis disposées à cet 

effet ; de sorte qu’il est impossible qu’un seul grain puisse 
passer sans être broyé. 

Les Anglais font usage de cylindres, mais les leurs 
écrasent seulement la graine, comme le faisaient des 
meules ou des étampes , et sont bien loin de la perfection 
des cylindres de M. Hallette. 


Cette machine ne sert que pour écraser la graine. Les 


03 M£MOTRES. 
tmieales sont Toujours nécessaires pour briser les tourteau 
©btenus par une première pression. 

Une paire de cylindres fait autant d'ouvrage que deux 
jeux de meules; mais la force qu'ils exigent n’est que 
la moitié de celle nécessaire à un jeu de meules; 
par conséquent, une paire de cylindres et deux jeux de 
meules, marchéront avec les cinq huilièmes de la force 
qu'il faudrait pour mettre en mouvement quatre jeux de 
meules, qui feraient moins d'ouvrage et avec moins de 
berfection. 

Ces cylindres se recommandent, en outre, par le peu 
de place qu'ils occupent , et ils peuvent être posés à ‘un 
entresok ou à un premier étage, tandis que les autres 
machines ne peuvent être placées qu’à un rez-de-chaussée. 

Les cylindres sont pen à tous les autres moyens 
de triturer la graine, parce qu'aucun grain n'échappe à 
leur action, de sorte que la première pression fournit 
réellement la plus belle huile. Dans lés vieilles machines le 
travail est si inégal que, quelques grains qui sont tous 
entiers, ne donnent rien à la pression , tandis que d’autres, 
qui sont trop écrasés; donnent toute leur huile ; ce qui 
confond la limite des qualités. | 


APPARGBIL A ÉCHAUFFER LES GRAINES 
OLÉAGINEUSES, PAR LA VAPEUR. 


Cet appareil a paru à votre commission rempiir parfaite 
ment le but auquel il est destiné, soit par la bonté des 
effets, prouvée par les expériences , soit par la simplicité 
de la manœuvre et l’économie du combustible, qui est 
proportionnellement plus grande qu’on a un plus grand 
nombre de machines à chauffer. Quand le moteur de 
l'usine -est une machine à vapeur, comme dans celles 


MÉMOIRES. . © 
wqui s’établissent à Calais et à Mons , là dépense est presque 
nulle, puisqu'on tire la vapeur de la chaudière même dæ 
moteur. | 

Cet appareil consiste en un cylindre doublé intérieux : 
rement en cuivre , au milieu duquel sont des oves aussi en 
cuivre, dans lesquelles où introduit la graine par des 
ouvertures placées à la surface courbe du cylindræ 
Celui-ci est mobile sur ses axes. Par l’un, la vapeur 
est introduite entre les oves et la doublure au moyen 
d'un steambox. À l’autre axe est une soupape à double 
effet, qui doit prévenir, soit l'explosion de la machine 
par les effets de la vapeur, soit la compressioh qu’elle 
pourrait éprouver par l’effet d’un vide accidentel. 

Un mouvement de rotation imprimé à la machine 
par une corde sans fin, met successivement toutes les 
parties de la masse en contact avec les parois des ovesy 
et un chapelet de métal dont les extrémités sont danse 
d’axe du cylindre, brise toutes les agglomérations qui 
résistent à l'effet de la chaleur. Enfin, ane soupape, placée 
au fond des oves, s'ouvre à chaque révolution du cylindre, 
‘et laisse échapper les gaz délétères et l'excès d'humidité 
que la graine peut contenir. Par ce moyen, celle-ci 
ne fournit jamais une huile colorée, et perd le mauvais 
goût qu'elle peut avoir acquis dans les greniers. En une 
ou deux minutes elle est suffisamment échauffée. Si on 
Ja laïiése séjourner dans les oves, ou si on pousse extrème- 
ment le feu, les tourteaux qui en proviennent ont leur 
surface légèrement friables, mais l'huile n’en contracte 
‘autun goût d’empyreume. De sorte qu’on peut, à volonté 
et sins danger, tenir la graine à une chaleur beaucoup 
plus élevée que celle des fourneaux ordinaires. 

Bons le chauffage à feu nud, tantôt la masse est 


70 MÉMOIRES. 


échauffée jusqu’à la carbonisation, tantôt elle ne l’est pag 
assez. Dans le prémier eas , elle ne laisse fluer que diffi+ 
cilement une huile épaisse; dans le second, elle conserve 
son éau de végétatiôn qui est souvent colorée. Voilà deux 
des causes qui font classer les huiles suivant les usines 
d’où elles proviennent, parce que la qualité dépend 

absolument de l'inégalité du chauffage et de l'adresse des 
ouvriers " 

Dans la machine à vapeur, 1e chauffage se | fait plus 
également, et la graine ne perd qu’une petite quantité 
d'humidité, puisqu'elle s’échauffe dans un vase clos. , 

PRESSE MUETTÉ, 

La presse muette de M. Hallette est une véritable 
conquête , dont l'influence sera grande sur le commerce 
des builes ; soit par la puissance de ses -effets , soit parce 
qu’en opérant sans choc, elle peut être établie partout 
où il y a des moteurs, sans être ,; comme les “AyER: d'un 
insupportable voisinage. 

La pression se fait par le mouvement dreutaite continu 
d’excentriques à surfaces épicycloydales qui, dans leur 
révolution, poussent alternativement et ramènent à eux 
les wardes , de sorte que les vidés où se placent les sacs 
se font sans que l’ouvrier ait besoin d'y porter la main. . 

Ces excentriques sont mus par un système de pignons 
et de rouets, combiné de manière qu’avec une force de cin-- 
quante kilogrammes et une vitesse d’un mètre par seconde ; 
les excentriques font un demi-tour en deux ou trois minutes, 
et exercent , sur chaque tourteau , une pression qu’on ne 
peut évaluer à moins de trente-cinq mille kilogrammes. 

Dans des expériences faites sous nos yeux , et qui ont été 
répétées postérieurement , ( voyez la note qui est à la fin de 

. ce 


| Mémoires mt 
ce rapport ), on a trouvé qu’une quantité de graines qui 
avait déjà éprouvé une première pression, échauffée au 
terme moyen de 33 degrés de Réaumur, dans l'appareil 
de M, Hallette, pressée dans sa presse muette, avait 
produit un cinquième plus d’huile qu’une presse à coin 
n'en avait extrait d’une semblabe quantité échauffée au 
même degré dans les bassines ordinaires, et que les 
tourteaux étaient aussi de -L plus lourds que ceux qui 
provenaient des ces dernières presses. 


M. Hallette n'avait d'abord présenté ses presses que 
eomme capables de faire deux tourteaux à la fois, mais 
l'expérience lui a prouvé que ses excentriques pouvaienf 
vaincre l’élasticité de quatre tourteaux. Ainsi, la presse 
muette, sans augmenter la force du moteur, fait quatre 
tourteaux dans le même tems qr’une presse à coin n’en 
fait que deux. Une chose que nous ne devons pas passer 
sous silence, c’est que rien, dans la disposition et le 
manœuvre de cette presse, ne sort de la routine ordi 
naïre des ouvriers du pays. 


Non seulement la presse muette a une forme élégante, 
mais elle peut être entretenue avec propreté; car, l'in- 
térieur est construit de manière que l'huile loin de 
refluer sur ses bords est toute ramenée à une buise placée 
à la partie inférieure de la machine et conduite immédia- 
tement dans les tonneaux, quand la presse est établie 
sur une cave, de sorte que l'huile n’est pas même vue 
de l’ouvrier, 

Qu'il nous soit permis de dire un mot sur la manière 
dont sont construites les machines dout nous venons 
d'éaumérer les avantages. 


M. Hallette à construit ces machines avec une solidité 
L 2,0 Zion. 6 


72 MÉMOIRES. 


telle, que ce n’est que de loin en loin seulement, qu’ 
pourra y avoir quelques légères réparations à faire. Les 
cylindres, les pignons , les rouets, les excentriques, 
Jes pommettes, les wardes, l’intérieur des presses , 
tout est en masses de fer fondu, d’une solidité à toute 
épreuve, et un long usage pourra seul y laisser quelque 
empreinte. . 


Les dents des rouages, tracées rigoureusement d’après 
les lois de la théorie, sont traitées avec un soin remar- 
quab'e. 

Les dents en fer des roues cylindriques sont limées et 
polies, et il est parvenu à établir un parallélisme parfait 
entre les lignes qui engendrent leurs surfaces. De même, 
daos les roues d'angle, il établit, avec une graude précision, 
la ligne génératrice de la surface des dents. Des pignons 
et des rouets énormes ont leurs axes tournés et polis, 
et le sont eux-mêmes, afin de placer les extrémités des 
dents dans les surfaces cylindriques ou coniques qui Se 
conviennent, 


Des conduits sont ménagés dans toutes les hoîtes en 
cuivre, afin de pouvoir sans cesse huiler les axes, ce qui 
rend les frottemens nuls, ét empêche les surfaces de se 
détruire. Enfin, M. Hallette n’emploie, pour ainsi dire, 
que du cuivre et de la fonte dans ses machines, parce 
vue l’hygrométricité du bois ne lui permettrait pas de 
leur donner la précision et la justesse qu’elles exigent. 
Elle est telle que dans le calcul on peut se dispenser 
de faire la part des cas fortuits et des causes inconnues. 


La commission a cru devoir borner ici son travail, sans 
entrer dans une SE ds détaillée qu’elle a ii 
inutile. 


EN 


Mémotres; | 
Si l'exposé des avantages que les machines de M. Hallette 
ont paru présenter à la commission peut engager nos 
fabricans à une démarche, la première sera sans donte 
de se transporter chez M. Hallette, dont les ateliers sont 
toujours ouverts, et où ils pourront examiner les objets 
et même répéter des expériences dont les résultats guideront 
leur jugement. La Société s'estimera heureuse si les vœux 
qu'elle fait à cet égard sont remplis. 
Nous terminerons ce rapport par le tableau de la com: 
position d’üne usine avec les machinés de M. Hallette ; 
par celui dé ses produits et des forces nécessaires pour 
la faire mouvoir, afin de donner une idée plus complète 
de leur supériorité, sur tout ce qui s’est fait jusqu’à ce 
jour dans ce genre. Nous prendrons une paire de cylindres 
poürunité ; ainsi nous aurons pour la première trituration 
une paire de cylindres froisseurs qui seront mus paï une 
force de 150 kilogrammes. | 
Deux jeux de meules pour le rebat en exigeront 400: 
Une presse muette pour la première pression et deux 
pour le rebat consommeront 150 kilogrammes. 


La force totale du moteur devra donc être de 700 kilog: 
avec une vitesse d’un mètre par seconde. 


En supposant que les excentriques ne fassent leur demi: 
tour qu’en trois minutes, les deux presses de rebat feront 
donc quatre tourteaux dans le même tems, ve qui en 
donne cent soixante par heure; ou seize cents dans une 
journée de dix heures de travail et produira environ 
dix hectolitres d'huile d’œillette et douze à treize hectolitres 
d'huile de colzat. Tel serait l'effet d’un moteur dont la 
force est moindre que celle qu'exige un moulin à vent 
ordinaire, | 


ee 


m4 MÉMOIRES, 

Déjà les machines de M. Hallette, sont en activité 
dans les départemens voisins. Une usine, dont le moteur est 
Yeau, va s'établir à Rouval: deux autres, dont les moteurs 
sont des machines à vapeur, s'établissent à Calais et à 
Mons ; toutes d’après les procédés et par les soins de 
M. Hallette, | 


Des fabricans , malgré l’'énormité du poids, n'ont 
pas craint d’en faire transporter à cent quarante lieues 
d'Arras. L’Angleterre nous les envie: la Belgique va en 
jouir. Puissent nos concitoyens n’être pas indfférens à 
de si puissans exemples, et ne pas laisser conquérir par 
d’autres pays le précieux avantage de mieux fabriquer. 
Puissent-ils ne pas souffrir qu’on ravisse à notre ville 
celte branche de commerce qui, depuis tant d'années, 
en fait la richesse et la prospérité. 


Les Membres de la Commission , 
LETOMBE. = COURTALON. == P. MARTIN. == GARNIER. 


Aimé BurDET, Rapporteur. 


EXPÉRIENCES COMPARATIVES 
Faites le 21 Septembre 1818 à Blangy-lez= due 
EN PRÉSENCE 


De M Mourgues, Propriétaire dela Manufacture de Ronval, 
Et MM. Legavriant ef Pamart, Fabricans d'Huiles, | 


Entre les procédés du chauffage à la bassine et de la presse à 
coins ordinaire, avec l'appareil à échauffer les graines à la 
vapeur, el la presse muette de M. Hallette. | 


L‘"* ExPérreNcox faite dans l’usine de M. Pamart, sur 
10,400 grammes de graine d’œilleite, qui avait été sou» 
mise à une première pression. 


LC. quantité a été divisée également en huit sacs, 
qui ont été placés dans une presse à coin, où ils ont 
éprouvé l'effet de 46 coups de hyes. 


La graine, échauffée dans une bassine , avait reçu une 
température de 31 degrés de Réaumur, pour les deux 
premiers sacs, de 33, pour les Juaire dau. et de 
35, pour les deux derniers. 


Au sortir de -la presse ; les huit tourteaux ont pesé 


ensemble . . . . . , +. . .:… +: 8,680 gram. 
Et Phuile extraite e e« 'e .e e nt: e ‘o . L 259 


FE 
» 


Total. : , , . 9.930 gram. 


et comme le poids de là graine était de 10,400, Àl s'est 
fait une perte de 470 granmes, : 


f 


76 MÉMOIRES. 


2" ExpérieNor faite chez M. Hallette, aussi sur 
‘0,400 grammes de graine semblable à celle qui a servi 
à l’expérience précédente. 


Comme la presse muelte fait quatre tourteaux à la 
fois, il n’y a eu que deux chauffages, La graive a été 
versée dans l'appareil à la vapeur, et a été chauffée 
chaque fois à 34 degrés. 

Au sortir de la presse, les huit tourteaux ont 
pesé. . . . . . . . . . . . . . 8,795 gram. 
et l'huile extraite . Ad de de: ee. 1:00! 


Total. . . . . 10,295 gram. 


| Le perte ici n’est que de 105 grammes. Elie est de 
# plus faible que celle qui a été faite dans la DrSmuere 
ee 


Si nous comparons le poids des tourteaux , nous voyons 
que ceux qui proviennent de la seconde expérience sont 
de 115 grammes plus lourds que ceux qu’on à obtenus 
dans la première. | LL 

Si nous comparons la quantité d'huile, naus trouvons 
que la presse muette en donne un cinquième de plus 
que la presse à coin, Résultat énorme, si on l’ajoute à 
la masse d'huile qui se fabrique annuellement dans ce 
département. 

Ce qui a surpris, c'est d'obtenir à la fois, par les 
machines de M. Hallette , plus d'haile et plus de matière 
que par les procédés ordinaïres. On ne peut en trouver 
Ja cause que dans les procédés du chauffage. 

Sur les fourneaux ordinaires, la graine est en contact 
avec l'air, et séjourne longtems dans les bassines ; il se 
fait en huile et en eau une évaporation qui est ici 
de de la masse de graine. 


MÉMOIRES. 77 


Cette déperlition n’est que de f, dans l’appareïit à !a 
vapeur où la graine est renfermée dans un vase clos. 
Il est probable que cette perte n’a Lee que dans l'instant 
où la graine passe dans les sacs. 


Ces faits doivent faire considérer le chauffage sous un 
nouveau point de vue, puisqu'ils. démontrent que pour 
obtenir de la graine le plus grand produit possible, il 
faut à la fois donner à l’huile la plus grande fluidité et 
éviter toute déperdition. 


L'appareil de M. Hallette satisfait aux conditions du 
problème, puisqu'il peut donner à la graine une haute 
température sans perdre de cette humidité qui est si 
nécessaire pour faciliter l'écoulement de l'huile. 


Quand à la presse muette, cette expérience prouve 
ce que nous avons déjà avancé dans le mémoire précé- 
dent, savoir: qu'il n’existe aucun système appliqué à 
la fabrication des huïles qui, avec moins de force motrices 
produise de plus puissans effets, 


CANAL LVL LI V'UYSA Le LIRE AR LR 


ÉPITRE 


A l’Auteur d'un ouvrage inédit sur la statistique 
du Département du Pas-de-Calais, 


vu 


Lu d la séance publique du 24 Aout 1818. 


INSPIRÉ par l'amour des lieux qui t'ont vu naître, 
Pour nous les faire aimer tu nous les fais connaître 5 
Tu parais lour-à-tour poëte , historien, 

Peintre, cultivateur, et toujours citoyen. 

Sans eunui, sans fatigue, et sans craindre l'orage, 
À mi, depuis trois jours avec toi je voyage, 

Et j'ai trouvé ce terme.encor trop court pour moi, 
Je veux recommencer ce voyage avec toi ; 

Et sans quitter Sophie, ayant en main ton hivre,. 
Je monterai Pégase aujourd’hui pour te suivre. 


Salut , à mon pays ! séjour délicieux, 
Séjour cher à mon cœur et charmant à mes yeux ; 
Où règnent la santé, la paix et l’abondance! 
Tu n'as pas, je le sais, le ciel de la Provence: 
L’hvver, on ne voit point les folâtres bergers 
Fn'er leurs chalumeaux sous les verds orangers ; 
L'on n'entend pas au loin les éclats de la joie: 
Sur l'arbre de Thysbé l’on ne voit point la soie: 
Mais sur de frais gazons , sur des tapis de fleurs, 
Que nourrissent du ciel les humides vapeurs, 
Parmi les Coudriers, près d’une source pure, 


+ = 


MÉMOIRES: 79 


Da serpent vénéneux sans craindre la morsure ; 
À la garde d’un chien confiant leurs troupeaux , 
Tes pâtres satisfaits dorment au bruit des eaux. 


Pour nourrir tes hameaux , pour enrichir tes villes ; 
D'abondantes moissons couvrent tes champs fertiles ; : 
Le seigle et le froment remplissent tes greniers ; 

Le doux jus de la pomme enrichit tes celliers ; 

Tes fils ont la valeur , la force de leurs pères ; 

Ea beauté , la pudeur, charment dans les bergères ; 
Et l'on retrouve encure auprès de tes forêts 

Les antiques vertus, l'innocence et la paix. 


Dans quels lieux peut-on voir de plus beaux paysages, 
De plus limpides eaux , de plus épais bocages, 
De plus rians côteaux , de plus riches vallons, 
De plus fertiles champs et de plus verts gazons ? 
Pour chanter mon pays et tout ce qu’il m'inspire, 
Oh ! qui me donnera la palette et la Iyre ? 


D'un style toujours pur , élégant et correct, 
Toi, du moindre hameau tu nous décris l'aspect. 
Ami , pour achever cette entreprise immense, 

Il a fallu tes soins , ton zèle et ta constance : 

Tu ne marchaiïs jamais sans porter avec toi, 
L'équipage d’un peintre ou d’un homme de loi. . 
Tenant force papiers , armé d’une écritoire , 

En guëtres , habit bleu , surtout gris , veste noire ; 
Que de fois on t’a vu , sur le bord du chemin, 
Arrêter les passans , la lorgnette à la main, 

Et les interroger avec persévérance 

Sur quelque vieux château qui tombe en déndeneel ? 
D'un pas religieux tu parcours ces remparts , 
Théâtre abandonné des fureurs du Dieu Mars, 


#o = MÉMOIRES. 


Où l’on retrouve encor les lances meurtrières ; 
Tu contemples ces murs , tapissés de lierres, 
Ces souterreins pro‘onds, ces fossés recouverts, 
Ces superbes chemins , presque aujourd’hui déserts ; 
Et tu dis, appuyé contre une humble cabane : 
« Ce champ couvert d’épis fut jadis Thérouanne ! » 
Le vieux berger sur toi jette un regard malin , 
Et quitte ses pipeaux pour dire à son voisin : 
» Vois-tu cet étranger tout couvert de poussière ; 
» Qui toise le clemin, qui sonde la rivière ? 
» Hier, je l'ai trouvé là-bas, près du moulin; 
» Au pied de ce côteau, je l’ai vu ce matin : 
» Il prenait le contour d’un tilleul et d’un orme...; 
» Du coq de notre église il regarde la forme. 
» Remarque ses habits, sa marche et son maintien ; 
» C’est un grand voyageur, oh ! je n’y connais bien, 
_» L'air distrait et pensif, il suit à pied sa route ; 
» 1]l s'arrête, il observe, il s’informe, il écoute... 
» Je ne me trompe pas : sous son chapeau pointu, 
» C’est lui , le juif errant , que mon grand-père a vu, x 
Rempli de ton sujet , rien ne peut te distraire ; 
Interrogeant surtout les traces de la guerre, 
Visitant tour-à-tour les murs du Vieil-Hesdin , 
Les antiques châteaux de Renty , de Fressin, 
Où de puissans Seigneurs, du haut de leurs tourelles, 
Appelaient leurs vassaux pour vider leurs querelles. 
Tu veux escalader ces fameux boulevards, | 
Défendus par l’épine el la ronce aux. cents dards ; 
Où les vents déchainés , soufflant dans le feuillage, 
Et les tristes hiboux, fuyant à ton passage, 
Troublent seuls le repos qui règne dans ces lieux, 
Où s'arrêtent caplifs les regards curieux. 


“ 


| MÉMOIRES. sà 


Tu rêves à loisir à ces nobles faits d'armes, 
Tant pour toi le passé conserve encor de charmes? . 
D'un ruisseau méprisé toi seul peux dire un nom 
Que jamais n'ont chanté les Muses d’Hélicon : 
Parcourant, avec soin, les fastes de l’histoire, 
Tu sauras y trouver des titres à sa gloire ; 
Redis que d’Atrébate entourant les remparts, 
Jadis il arrêta le premier des Césars ; 
N'oublie pas que ses eaux, pour la tapisserie, 
Teignirent autrefois la laine d’Ibérie, 
Qui, filée avec art sous des doigts délicats, 
Nuançait savamment de riches canevas, 
Où l’on voyait des camps, des sièges, des batailles , 
Qui de nos vieux salons décoraient les murailles. 
Dans tes récits pompeux , illustre ton pays, 
Que ce ruisseau devienne un autre Simois ; 
De son modeste cours rends la gloire complète : 
Sois son historien , je serai son poëte. 
Mais les rives de Liane appellent mes pinceaux. 
Quel pays fut jamais plus fécond en héros ? 
Quand le chantre immortel de Renaud et d’Armide 
Veut choisir un guerrier pieux , sage , intrépide, 
Digne de commander à des héros chrétiens, 
Sa Muse désertant les bords Ausoniens, 
Dans un sublime essor vers mon pays s’élance, 
Et plane sur les murs où Bouillon prit naissance. 
« O cher Gésoriac ? (1) Ô séjour plein d’attraits, 
» Autrefois la terreur et l’amour des Anglais ! 
» De ton modeste port ; où l’on entre avec peine, 


(1) Boulogne-sur-mer, 


52 MÉMOIRES. 


» Pour soumettre Albion, partit l'aigle romaine ; 
» Ici, de cette tour, se faisaient les signaux ; 


% 


» Là, du camp de César j’apperçois les travaux. 

s Que j'aime les remparts , le château , l’esplanade , 
» D'où je vois la campagne , et la ville et la rade; 
» D'où J'entends à la fois, assis sous des ormeaux, 
» Les vagues, les tambours, et le chant des oiseaux! 
» Oublierai - je ces camps à l'abri des attaques, 

» Ces jardins cullivés à l’entour des baraques, 

» Ces brillants étendards déployant leurs couleurs; 

» Ces armes, ces faisceaux environnés de fleurs, 
>» Et Paspect du soleil près du frout de bandière 

Abaissant sur les flots son disque de lumière, 


J 


Taudis que des bâteanx les nombreux pavillons 

Se balancent dans l'air au gré des aquilons ? » 

Je retourne avec toi sur les rives de l’Ene ; 

Au pied du mont Hulin j'aperçois Désurène : 

Ici de Saint - Vulmer l’aspert délicieux, 

Du vovageur charmé fixe bientôt les veux, 

Que la nature est riche auprès de ces montagnes ; 

Qui du Bas - Poulonnais encadrent les campagnes! 

Les vœux du lahoureur n’y sont jamais déçus ; 

C'est là qu'on voit régner les antiques vertus » 

Que l’on relrouve encore une active jeunesse , 

Brillante de santé, de courage et d'adresse, 

Laborieuse , sobre et contente de peu, 

Pour qui de durs travaux semblent n'être qu’un jeu: 
Les Muses ont aimé notre belle patrie, 

Où règnent les lalens, les arts et l’industrie. 

Les Trouvères iri racoutaieut leurs amours; 

Leurs chants ont égalé les chants des Troubadours. 

Flaids et jeux sous l’ormel , jours dignes de mémoires 


CR 


/ 


MÉMOIRES 83 


Où la beauté jugeait des titres à la gloire, . 
Décernait la couronne à des rivaux soumis, 
Et jamais au vainqueur n'enlevait ses amis ! 

Je t'ai suivi long-tems dans tes récits fidèles ; 
Je te quitte à regret, mais Pégase a des aîles. 
Je ne puis avec toi marcher d’un pas égal : 
Ce qui va bien en prose, en vers irait fort mal. 
Comment pouvoir, ami, m’enfoncer dans les houilles, 
Et charger Apollon de leurs noires dépouilles ? 
Je ne placerai pas dans un riant tableau 
Le charbonnier courbé sous un pesant fardeau, 
Essuyant de son front l’eau noire qui découle, 
Et tremblant que sur lui la terre ne s'écroule. 
Je ne te suivrai pag dans ces sauvages lieux 
Où le marbre reçoit un poli précieux. 
J'entends au loin le bruit des marteaux et des pioches; 
Le salpètres allumé fait éclater les roches ; 
La nature est ici dans toute son horreur. 
Ah ! plutôt des forêts perçons la profoudeur. 
Qu'il est doux, vers le soir, promeneur solitaire , 
Quand la pâle Phébé de ses rayons éclaire, 
De goûter la fraîcheur et des bois et des eaux, 
De se rendre attentif aux concerts des oiseaux, 
De sentir l’aube - épine et la rose nouvelle ! 
Au déclin d’un beau jour que la nature est belle ! 
Mais pour moi, mou ami, j'en fais l’aveu tout bas, 
Sur aucune autre terre elle n’a tant d’appas. 


Le B°" d'ORDRE , Inspecteur des Foréts du département 
du Pas-de-Calais , Membre correspondant. | 


Penn Rien 


LE FLEURISTE ET L'ÉPI DE BLED. 


FABLE, 


UX amateur , dans un vaste jardin, 
Ne plantait que des fleurs, telle était son envie ; 
À les soignèr il employait sa vie, 
Les arrosait soir et matin, 
Et prenait grand soin de détruire 
Les insectes qui pouvaient nuire. 
Ses peines et son tems , il ne ménageait rien; 
Jardin jamais ne fut soigné si bien. 
Un jour qu’il travaillait comme à son ordinaire, 
(C'étaitau mois d'avril, ) l’homme vit par hazaïd 
: Un brin de bled qui poussait à l’écart. 
Oh! oh! dit-il, que viens-tu faire, 
Herbe insolente dans ces lieux ? 
Ignores-tu donc qu’à mes yeux 
Tu ne peux jamais trouver grace? 
Vraiment tu choisis bien ta place ! 
Disant ces mots il allait l’arracher ; 
Le grain espérant le toucher, 
Eui répondit d’un ton modeste : 
Ici, permettez que je reste ; 
Je ne suis point une berbe , et ne peux nullement 
Nuire à ces fleurs qui font votre agrément, 


d MÉMOIRES. 83 


Ye suis du bled ; au bout de ma carrière 
Vous pourrez recueillir ma graine nourricière, 
Et vos poulets en feront un repas. 
De ce discours touchant et sage 
L’amatéur ne fitaucun cas, 
Et le bled fut ôté sans tarder davantage. 
L'été se passa bien, et le fleuriste heureux 
Fut tout ce tems au comble de ses vœux. 
Mais l’hiver le suivit, et bientôt la froidure , 
Les noirs autans , la neige et les frimats, 
Venant désoler la nature . 
Aux fleurs firent de grands dégats. 
Notre amateur se donna bien des peines 
Pour les sauver ; mais toutes furent vaines, 
Et l’aquilon souffla tant et si bien 
Que notre homme ne sauva rien. 
L'on peut juger quel fut le chagrin du fleuriste, 
Quandil vit son jardin dané un état si triste; 
Eb quoi! se disait-il, après tant de labeurs 
Il ne me reste rien ! encore si ces fleurs, 
M'avaient donné des fruits pour remplir mon armoire. :.:: 
Soudain l’épi de bled lui revient en mémoire. 
Ce grain, dit-il, avait raison. - 
Si pendant la saison dernière 
J'avais de bon froment ensemencé ma terre ; 
J'en aurais maintenant ample provision. 
Que nr'ont servi ces fleurs que je trouvais si belles ? 
Pour prix de mes travaux me reste-t-il rien d'elles? 
Je reconnais ma faute et veux la réparer. 
Je vais de mon terrein faire un meilleur usage ; 
Le grain que j'y mejtrai me fera prospérer , 
Et je pourrai jouir des fruits de mon ouvrage. 


86 MÉMOIRES. . 


Pour occuper mes instans de loisir, 
De quelques fleurs encor j'ornerai mon parterre ; 
Et, sans que ce soit là ma principale affaire 
Ce sera cependant un sujet de plaisir. 


Le fleuriste de cette fable 
Était un homme de bon sens : 
Comme lui sachons en tous tems 
Joindre l’utile à l’agréable. 


Auguste CoT, Membre résident, 


MÉMOIRES. 87 
iunenennmnRanERNEmAam Nu IERmRmAuEuEunREuUEunuxs 
Essar sur les Maladies particulières au département 

du Pas-de-Calais, et les causes qui les produisent’, 
par B. Leviez, Docteur en médecine, Directeur de 
Phcole de Mél:cine et de Chirurgie du département 
du Pas-de-Calais , Membre de la Société royale d'Arran 


MESSIEURS, 


FE, vous associant les hommes qui cultivent les diffé 
rentes parties des Arts et des Sciences, vous avez 
suffisamment prouvé, qu’elles ont entre elles des con- 
nexious si intimes, qu’elles dépendent toutes les unes 
des autres, qu’elles se prêtent des secours mutuels, et 
qu'elles ont un seul et unique but, le bonheur des 
hommes réunis en société. Aussi, celui qui veut appro= 
fondir un des points de nos connaissances ; commence- 
t-il pat acquérir des notions plus ou moins étendues 
sur les différentes Sciences qui ont quelque rapport avec 
celle qui doit l’occuper particulièreinent , afin d'établir 
des comparaisons entre elles, et de saisir les De 
de contact qui leur servent de liaison. 

Cette vérité appliquée à la Médecine ‘paraîtra encoré 
plus sensible ; toutes les autres Sciences semblent être 
devenues ses tributaires; considérée sous un double 
rapport, la Médecine comprend premièrement l'étude de 
Yhomme dans l’état de santé et dans l’état de maladie; 
deuxièmement, l'étude des objets qui sont placés au- 
dehors, et qui produisent sur lui une impression quel- 
conque. Cette distinction est due à Galien qui appelait 
les matières de la première division, choses naturelles, 
et improprement les secondes choses non-naturelles. 

LS Lis 7 


88 MÉMOIRES, 

On appercçoit d’un coup-d’œil que la Médecine embrasse 
‘toutes nos connaissances : la Physique , la Chimie, l’His- 
toire naturelle sont appelées tour-à-tour à concourir, 
soit à la découverte de quelques-uns des secrets de notre 
organisation, soit à nous procurer des moyens médica- 
menteux propres aux traitemens des Maladies. Elle étend 
son empire sur les trois règnes de la nature qui s’em- 
* pressent de lui apporter chacun leur tribut. 

Les Beaux-arts , la Musique , la Poësie, la Peinture, 
ve lui sont pas étrangers; très-souvent réclamés par 
le Médecin , dans certaines maladies nerveuses, ils devien- . 
nent des moyens précieux, soit comme traitement , soit 
pour seconder Peffet des remèdes. Les Prêtres égyptiens 
qui réunissaient la Médecine au Sacerdoce, savaient en 
obtenir les plus heureux résultats. 

Pendant longlems et principalement aux époques de 
Barbarie, l'Etude de la Médecine était négligée. Quel- 
ques hommes seulement suivant les traces des Médecins 
grecs, en cultivaient isolément les différentes branches, 
et conservaient le Feu sacré ; tandis qu’une foule de 
Médicastres soumis à l'empire d’une pratique routinière, 
deshonorait le plus précieux des Arts, et en faisait un 
honteux trafic. La crédulité publique favorisait son 
audace. Les hommes instruits longtems privés des moyens 
nécessaires pour pouvoir distinguer ceux qui doivent 
mériter la confiance , confondirent tout ; ils considérèrent 
cet Art ou comme sacré, sur lequel il était défendu de 
porter un regard profane ; ou bien la Médecine ne parut 
à leurs yeux qu'une science illusoire et même nuisible : 
c'est ce qui l’a rendue, tantôt l’objet d’une vénération 
exagérée, et tantôt l’objet d'une dérision injuste. 

Fondée sur la connaissance des sciences naturelles , la 


MÉMOIRES, 8g 


Médecine est enfin redevenue ce qu'elle était au tems 
d'Hippocrate : une théorie simple, fondée sur des ex- 
plicalions déduites des faits ; des descriptions exactes des 
” maladies ; une discusion sévère pour découvrir les causes 
qui les ont produites ; l’éloignement de tout ce qui 
n’est pas le résultat de l'observation ; des remèdes bien 
choisis, dont les effets sont appréciés à leur juste va- 
leur , tel est l’état actuel de la Science. Ce n'est plus 
un amalgame informe de formule , de recette, de pa- 
nacées présentées indistinctement pour guérir toutes les 
maladies ; c’est une Science qui ne repose que sur des 
faits, qui a ses difficultés, ses bornes ; mais qui sou- | 
met toutes ses opérations au flambeau de l'expérience 
Ja plus rigoureuse. 

Aussi la médecine a-t-elle de nos jours mérité le 
suffrage des gens instruits et la protection des magis- 
trats? Elle est souvent honorée par des savans dans 
tous Îles genres qui voulant approfondir la Science de 
l'homme , s’empressent d'acquérir des connaïssances dans 
l'anatomie , la Physiologie et l’'Hygiène ; ils trouvent des 
délassemens dans une Science qui était autrefois héris- 
sée de dégoûts et enveloppée d’un voile mystérieux. En 
effet, l’étude de soi-mème, de ces admirables fonctions 
dont l’ensemble constitue la vie; celle des objets ex- 
térieurs qui produisent sur nous des impressions si va- 
nées et si étonnantes , est bien faite pour remplir les 
loisirs des personnes qui aiment à se connaître, 

_ Ce sont ces considérations, Messieurs, qui m'ont dé- 
terminé À vous entretenir un moment de la médecine, 
J'ai pensé que des recherches sur l’Hygiène , (cette partie 
intéressante qui a pour objet la conservation de la santé), 
relativement aux maladies "particulières au pays que 


7 # 


“? 


n 


0 MÉMOIRES. 


v 

vous habitez; les causes auxquelles on peut les attri- 
buer, les moyens préservatifs et curatifs, etc., pourraient 
vous être de quelqu'intérèt. 

Mais avant d'exposer ces différentes maladies , il me 

paraît indispensable d'entrer dans quelques détails sur 
de climat, le sol , la température, les productions, ete, 
da département du Pas-de-Calais, objets qui ont 
une influence manisfeste sur la santé de ses habitans. 
C'est ce qui formera la première partie de cet essai. 
. Une courte description des maladies qui tiennent aux 
qualités constantes et variables de atmosphère ; de celles 
qu'on nomme endémiques et épidémiques ; l’exposition 
des trailemens préservatifs et curatifs reconnus les meil- 
leurs par les praliciens ; tel sera l’objet de la seconde 
parlie. 

Je ne me suis pas dissimulé la difficulté de traiter 
convenablement un sujet d’une si haute importance. 
Plusieurs de mes confrères m'ont déjà devancé dans cette 
carrière , notamment MM. Desmarquois et Butor, qui 
Yont parcourue d’une manière distinguée. Leur excellent 
ouvrage sur la statistique médicale du département du 
Pas-de-Calais, est rempli de vues profondes, d’obser- 
valions importantes : il peut être d’un grand secours 
à ceux qui exercent la médecine dans ces contrées ; 
mais le sujet est si vaste, si interessant, qu'il offre 
une moisson abondante à recueillir à tous ceux qui 
voudront s’en occuper : c’est un champ fertile en obser- 
vations, et dont on peut tirer les plus grands avantages 
pour l'humanité, 


MÉMOIRES, | (SL: 


PREMIÈRE PARTIE. 


{# 


CHAPITRE ].® — Climat et température. 


LE département du Pas-de-Calais est situé entre le 50." 
et le 51. degré de latitude septentrionale, et entre là 
45.%* et la 5o."° minute de longitude, méridien de Paris. 
Il peut être considéré par rapport à cette situation 
géographique, comme appartenant à ceux dont la tem- 
péraiure se rapproche davantage des pays situés au. 
nord de l’Europe; le climat de la France en général: 
est tempéré; elle tient le milieu sous ce rapport entre: 
les contrées méridionales et septentrionales ; celui du Pas-. 
de-Calais est humide et froid. Des pluies abondantes 
pendant une grande partie de l’année, entretiennent 
cette humidité. L'air est pendant tout ce laps de tems. 
surchargé de brouillards, de vapeurs qui s'élèvent du 
sein de la mer, ou des ‘autres surfaces aqueuses. Si sa 
température est en même tems élevée, il devient beau 
coup plus susceptible de se charger des émanations 
putrides et marécageuses ; à moins qu'un vent salutaire 
ne vienne balayer l'atmosphère et la rendre plus pure. 
C'est-KRà un des principaux avaniages de ces grandes 
asitations aériennes connues sous le nom de météore. 
Il est rare que les hivers soient rigoureux dans le Pas- 
de-Calais. Ce ne fut guère que pendant les années 1709, 
3740 et 1588 que l’on vit descendre le thermomêtre de 
Réaumur au-dessous du :15.%° degré. Nous avons en. 
général trois ou quatre hivers très-doux sur un rigou-. 
reux. La gelée se fait à peine sentir ; le thermomèëtre- 


92 : MÉMOIRES. 
descend seulement au 7."° ou 8." degré au-dessous de zéro, 
et s'y maintient peu de tems. Lorsque la neige reste sur 


les terres pendant un mois ou deux, cela est regardé 
comme un signe favorable à l’agriculture. 


La chaleur est rarement excessive , le terme moyen 
est du 16.% ou 20." degré au-dessus de zéro; mais 
il arrive assez souvent que nous avons une température 
uniforme pendant la plus grande partie de l’année. Un hiver 
doux un été froid La température est souvent extrémement 
variée dans un court espace de tems, et n’est pas tou- 
jours en rapport avec les saisons, Le printems est per- 
nicieux à la santé sous le rapport de la transpiration 
insensible qui est susceptible de se répercuter , princi- 
palement dans les lieux élevés. Dans les contrées basses, 
au contraire , les vallées humides , les Lords de la mer, 
c'est l’automne qui est la saison la plus nuisible. On 
voit encore dans notre climat , un froid vif et une 
chaleur brülante se succéder avec la plus grande rapi- 
dité ; la même journée nous offre un tableau de quatre 
saisons ; de la gelée pendant la nuit, une fraîcheur 
piquante le matin, et une forte chaleur à midi. 


Une tradition populaire prétend que la température 
est changée, que les saisons se sucrédaient autrefois 
avec plus d’uniformité; c’est ce qu’il est difficile de 
prouver. On sait que ce pays était jadis couvert de 
vastes forêts, que la plupart des terres étaient encore 
en friche. Mais il est prouvé que la culture d'un pays en 
adoucit la température, et que le défrichement des forêts 
favorise la circulation de l’air. 11 est possible que dans 
certaine partie du département, les vents s’y fassent 
sentir aveo plus de violence, 


MÉMOIRES. 93: 


CHAPITRE ÏÎL — Topographie. 


A 


BOoRNÉ au nord et l’est par le département du Nord. 
et l'Océan, au midi par celui de la Somme, à l’ouest. 
par le détroit qui sépare la France de l'Angleterre , le- 
département du. Pas — de - Calais comprend presque. la. 
totalité de l’ancienne province d'Artois, la majeure 
partie du Boulonnois et du Calaisis et une petite por-. 
üon de la Picardie. Ce pays était autrefois divisé en haut 
et bas Artois. en haut et bas Boulonnais. Cette ancienne- 
division présente les considérations les plus importantes, 
sous le rapport de l'atmosphère, des qualités du sol, 
des productions, des maladies, etc. Nous aurons plu- 
‘sieurs fois occasion de le faire remarquer, et nous les. 
désignerons sous les noms de partie haute et. partie basse. 
du département. La première comprendra la totalité des. 
arrondissemens d'Arras et de St. Pol, une- forte majorité 
de ceux de Béthune et de Montreuil, une partie de celui 
de Boulogne. et de St. Omer. Il restera pour la seconde- 
au partie basse , ‘la presque totalité de l'arrondissement 
de St. Omer , et des portions plus ou moins considérables, 
de. ceux de Béthune, de Montreuil et de Boulogne. 


CHAPITRE IIL — Qualités du soi, 
LA partie haute du Pas-de-Calais offre des montagnes: 
qui ont peu d’élévation, et qui mériteraient plutôt le- 
nom de. collines; des plaines élevées mais fertiles, La: 


94 MÉMOTRES. 


sol y est généralement à lase de carhorate calcaire: 
des pierres alun:ineuses ou siliceuses, s’enfoncent à des 
profondeurs plus ou moins considérables. Les montagnes 
n’ont souvent que très-pen d’humus ou terre végétale ; 
les plaines ont en proportion des couches de terre 
beaucoup plus profondes. La plus commune dans cette 
partie du département, est celle qu’on nomme argileuse 
ou glaiseuse d'une couleur grise ou blanche. On y ren- 
contre aussi des terres vives mêlées de silex dont la 
couleur rouge fait présumer un mélange d’oxide de fer 
avec une petite quantité de soufre, et dans la multitude 
de petites vallées que forment les montagnes et les 
plaines, on trouve en abondance, une espèce de terre 
à laquelle on peut donner le nom de terre-franche ; 
elle parait résulter de la combinaison particulière des 
quatre principales espèces de terre que les chimistes 
modernes reconnaissent, qui sont la silice, l’alumine, 
la zivrone, la magnésie, et auxqueiles on peut ajouter 
la chaux regardée comme terre alkaline; c’est la plus 
abondante dans Îles lieux élevés. Il existe aussi une 
grande variété dans les terres de ces nombreuses vallées, 
suivant qu'eiles se trouvent plus ou moins chargées de 
substances vésélales én putiéfaction. Il en résulte des 
dépôts qu'y laissent les feuilles des arbres et des végé- 
taux qui y croissent en abondance et avec plus de force 
que partout ailleurs. Ces matières sont sans cesse en- 
traïinées par Îles pluies dans les lieux les plus déclives. 
On rencontre encore, mais plus rarement, des mares 
d'eau à fonds de terre tourbeuse. 

La terre, dans la partie basse, est plus grasse ; l'a- 
Ynmine est la partie qui y domine; ses couches sont 
Œus mullipliées; elle est d’une couleur noire, grise ou 


à 


MÉMOIRES. _ gù 


jaune, et d’un grand rapport. Quel plaisir n’éprouve- 
t-on pas en parcourant les plaines fertiles, les gras pâtu- 
rages et les riches prairies que la Lys arrose jusqu’à 
son confluent avec l'Escaut? Rien de plus agréable que 
les bords de l’Aa jusqu’à la mer, et les belles campagnes 
du bas-Boulonnais. Si cette qualité du sol enrichit les 
habitans de ces contrées, elle les expose à des maladies 
plus nombreuses et plus graves que celles de la parlie 
baute. On y rencontre aussi des terres argileuses , des 
bancs de sable, du silex, sur-tout sur les bords de la 
mer. Mais un objet bien plus important à observer, sous 
le rapport de la médecine, c’est la quantité de terre 
tourbeuse qui se trouve dans cette partie du départe- 
ment. L’abondante extraction de la tourbe en été, est 
remplacée par une masse d’eau considérable, dont l’éva- 
poration toujours à craindre dans les tems de chaleur, 
doit appeler sans cesse l’atlention de ceux qui veillent 
à la santé publique. 


om nn RERO 
Om mn mm 


CHAPITRE IV. — Qualités des Eaux. 
Re 


LES vallées sont presque toutes arrosées par un grand 
nombre de ruisseaux, qu’on voit sortir du pied des 
montagnes, et qui, par d’agréables détours, serpentent 
dans les plaines pour y porter la fraîcheur et la fertilité. 
Ces eaux, suivant qu'on les voit jaillir du silex vif ou 
du carbonate calcaire, prennent le nom d’eau de gravier 
ou d'eau de marne. Ces deux espèces d'eaux, lorsqu'elles 
sont pures , sans cesse en mouvement, contribuent à 
embellir et à sanifier le pays qu’elles parcourent, au- 


\ 


06 | MÉMOIRES. 
tant que leurs bonnes qualités entretiennent Ia santé 
des habitans de :ces contrées. 

Comme ïl est impossible de décrire les différentes 
espèces d'eaux répandues dans toutes l’étendues du ter- 
ritoire du Pas-de-Calais , il ne sera pas inutile je crois, 
de donner ici uue courte analyse, au moyen de la- 
quelle, on pourra facilement reconnaître, les bonnes 
et les mauvaises qualités des eaux. 

L'eau n’est pas un élément comme on le croyait au- 
trefois ; suivant les expériences des chimistes modernes, 
Veau est un composé de 085 parties d’oxigène et de 
o15 d'hydrogène. Elle se trouve presque toujours mêlée 
par l'agitation avec quelques parties d’air et d’acide car- 
bonique , ce qui lui donne une propriété stimulante 
que la distillation et l’ébullition lui enlèvent. 

L'eau étant un fluide éminemment dissolvant, il est 
très-rare de la rencontrer pure. Elle contient presque tou- 
jours des matières qui en altèrent plus ou moins Îles 
propriétés. La meilleure est celle qui provient d’une 
fontaine, d’une rivière ou d’un fleuve , ou celle qui 
roule longtems sur Île sable ou le gravier, où elle a 
pu se dépouiller des parties hétérogènes qu’elle conte- 
nait, qui est limpide, diaphane, incolore, qui a une 
saveur, fraîche, dissout facilement le savon et cuit par- 
faitement les légumes. L'eau distillée est la plus pure 
de toutes ; mais elle est privée d’air et d’acide carboni-— 
que, comme: celle qui a bouilli : ce qui la rend insi- 
pide , indigeste et moins salutaire. 

Les eaux de pluie, de lac, de citerne , de neige, 
peuvent encore être employées dans l’usage ordinaire ; 
mais elles contiennent presque toujours des matières 
salines , des substances végétales en putréfaction. Les. 


MÉMOIRES. 97 
plus mauvaises sont les eaux stagnantes des marais ; 
elles acquièrent différentes saveurs selon les substances 
qui y sont en dissolution ; le savon au lieu de s’y dis- 
soudre, se forme en grumeaux qui surnagent; les 1é- 
gumes loin de se ramollir par la coction, s’y durcissent 
en se pénétrant de substances salines. Il en est à peu 
près de même de ces eaux qu’on nomme cruës ou dures , 
comme sont celles de certains puits, dans les lieux bas, 
et qui contiennent la plupart un excès de carbonate 
de chaux , de la selenite, ou sulfate de chaux. 


pos ee <=] 


CHAPITRE V. — Aivières. 
EE ere en 


LEs nombreux ruisseaux que nous avous vus arroser 
les vallons et les belles plaines de la partie haute de 
ce département se réunissent par des confluents mul- 
tipliés ; ils parcourent les vallées qui s’agrandissent in- 
sensiblement , et forment les grandes rivières ; la Scarpe, 
la Canche, l’Authie et la Sensée dont les bords fertiles 
et plantés de grands végétaux font nne heureuse diver- 
sion avec le reste de cette partie qui est en général 
sèche, peu boisée et entièrement découverte. La Lys, 
V'Aa et la Liane parcourent la partie basse du Pas-de- 
Calais : le cours de ces rivières est moins rapide; leurs 
eaux s'épanchent doucement dans les plaines basses, 
les prairies et les marais. Elles y forment souvent en 
automne et surtout en hiver des plages d’eau que les 
chaleurs de l'été font disparaître. Ces cruës déposent sur 
les terres une vase abondante qui augmente beaucoup 
Ja fertilité de ces contrées. Mais elles peuvent être 


98 . MÉMOIRES. 


pernicieuses à la santé en favorisant le développement 
des maladies épidémiques. Ce fléau destructeur est bien 
plus rare actuellement , que les autorités administratives 
s’occupent sans relâche à dessécher les marais fangeux, 
à rendre à l'agricultnre les terrcins qui en sont sus- 
ceptibles ; à faciliter l'écoulement des eaux, soit en 
creusant des canaux de communication , soit par le cure- 
ment des rivières, ou en joignant ensemble plusieurs 
pièces d’eau que le mouvement et l'agitation purifient. 
Les plantations d'arbres le long des rivières et des ca- 
naux, autour des lacs, sont encore des moyens puissans 


pour corriger l’insalubrité de Pair. 


Les végétaux et surtout les grands, selon les chi- 


mistes, contribuent à sanifier l’atmosphère. Ils absorbent 
les émanations nuisibles et le carbone qui en est la 
base, et laissent exhaler de l’oxigène principalement lorsque 
le soleil est sur l’horizon. C’est ce qui peut rendre raison 
jusqu'à un certain point du charme inexprimable que 
nous éprouvons, daris une promenade du malin, quand 
le soleil darde ses premiers rayons sur une végétation 
brillante ; lorsqu'une fraîche rosée et l'arum des fleurs 
embaument l'atmosphère. Nos fonctions s’exercent alors 
avec bien plus de facilité; nos sens reçoivent des im- 
pressions agréables des objets qui nous environnent : 
tout contribue à nous donner une nouvelle existence. 

oo 

CHAPITRE VI — Habitations. 


AUSSI les habitations situées dans le voisinage d’un 
bois, près d’une rivière dont l’eau limpide et pure, 
est dans une agitation continuelle, non loin d’une prairie 


LL 


MÉMOIRES. 96 
couverte de plantes aromatiques, sont-elles. bien plus 
favorables à la santé? C’est sur-tout dans la plus tendre 
enfance et dans la jeunesse que les influences dn sob 
et de l'atmosphère sont les plus énergiques. Nous sommes 
souvent étonnés de voir les enfans des campagnes plus 
forts et plus vigoureux que ceux des villes. Notre étonne- 
ment cessera lorsque nous seront persuadés que l’exercice 
du corps continuel et pénible , l'air libre, et une nour- 
riture abondante, sont les trois conditions les plus 
avantageuses au parfait développement de l'homme. 

Si nous jettons un coup-d’œil sur les habitations des 
villes du Pas - de - Calais, nous remarquerons que les 
changemens qu’on y a fait de nos jours sont immenses. 
L’inbumation hors des villes, les soins de propreté de 
toute espèce, la manière de construire les maisons où 
Vair circule plus librement; les plantations d'arbres dans 
les places publiques, autour des villes, le long des 
routes , etc. , attestent l’excellence du génie qui préside 
à PADpiène publique. 

Mais lun objet qui ne cessera jamais de frapper l’atten- 
ton de l’ami de l'humanité, c’est de voir encore de nos 
jours , dans le chef-lieu du Pas-de-Calais , les caves ha- 
bitées par des hommes! Descendez dans ces tombeaux 
vivans ; voyez ces spectres ambulans ; des enfans pâles , 
languissans , décharnés, attaqués de scrophule , de 
scorbut, et autres maladies qui les moissonnent à la 
fleur de l’âge; ou s'ils échappent, ces êtres frèles, dé‘ 
licats , accablés sous le poids des infirmités, après 
avoir donné l'existence à des enfans plus faibles qu'eux, 
sont victimes d’une vieillesse prématurée. Toutes les 
circonstances conspirent à dégrader cette classe malheu- 
xeuse : la misère, les maladies. et ' la privation d'air ! 


LOO MÉMOIRES. 


les vrais philantropes feront toujours des vœux pour 
que ces souterrains infects, soient rendus à leur première 
destination. à 

Les habitans des campagnes seraient dans la position 
la plus avantageuse à la santé, s’il ne se rencontrait 
chez eux des inconvéniens d’un autre genre. Parcou- 
rons leurs habitations ; en général , elles sont petites, 
étroites, peu aërées ; humides, toute la famille se. 
réunit dans une même pièce, qui est souvent contigué 
aux étables des bestiaux. ( On croit vulgairement que 
la transpiration des animaux est salutaire à l’homme ; 
c’est une erreur fondée sur ce qu’on l’a quelquefois em- 
ployée avec succès dans Île traitement de la phtisie ). 
De cette contiguité résulte que les hommes et les ani- 
maux respirent le même air, surtout peudant la nuit ; 
les croisées sont étroites, presque toujours fermées ; 
les lits sont enfoncés dans des alcoves resserrées, près de 
murs humides. La cour est inondée d'une mare bour- 
beuse d’où s’exhale des miasmes putrides très-pernicieux. 
Joignez à toutes ces causes d’insalubrité , une nourriture 
peu substantielle, mal-saine, des fatigues excessives , 
de l’eau pour boisson, souvent d’une mauvaise qualité ; 
telle est la condition du pauvre à la campagne. Vous ne 
serez pas étonnés si les épidémies , qui exercent si sou- 
vent leur ravage , dans le Pas-de-Calais, commencent 
presque toujours par la classe indigente et ne par- 
viennent à la classe aisée que par contagion. 

Il est du moins satisfaisant de voir que l'esprit de 
propreté, d’embellissement et de salubrité s'étend de 
plus en plus; que l'impulsion donnée par les autorités 
administratives descend dans toutes les classes, et que 
chacun met le plus grand prix à se procurer une de- 
meure aussi commode que salubré. 


MÉMOIRES: roI 


CHAPITRE VII. — Productions. 
à 


IL est inutile d’insister beaucoup pour démontrer que 
les productions d’un pays doivent influer sur la . 
de ses habitans. Je jetterai un coup-d’œil rapide 1.° sux 
les productions minérales; 2.° sur les productions végé- 
tales ; 3.° sur les productions alimentaires one 
au Pas-de-Calais. 

Sous le rapport de la minéralogie > la nature nous 
offre, dans certaine partie du département, des objets 
dignes de fixer l'attention de l’observateur. On rencontre 
des minéraux et des fossiles, sur-tout dans l’arrondisse- 
ment de Boulogne, où l’on trouve des pyrites martiales 
( sulfur de fer ), des sources d'eaux minérales ferru- 
gineuses, des mines de charbon de terre, des carrières 
de marbre, des pierres coquillières, du tuf, des géodes, 
des comus d’ammon, des grès, etc. 

Le règne végétal étale à nos yeux des productions 
bien plus variées; la médecine y trouve des plantes 
usuelles de toute espèce, et la nature prévoyante à 
prodigué à chaque contrée de notre déparlement les 
remèdes qui sont propres À ses maladies particulières. 
Les montagnes, les bois et les prairies recèlent des plantes 
analogues à la nature du sol et des maladies qui ont 
coutume d'y régner. C’est ainsi que l’on trouve en abon- 
dance, dans a partie haute, les classes des plantes 
désignées sous les noms de vulnéraires, les béchiques, 
les amers, les mucilagineux, etc.; souvent nous foulons 
aux pieds des végétaux précieux. Les fleurs de tussilage, 
la bugle, la scabieuse, le bouillon-blanc, le lierre ter- 


102 MÉMOIRES. 

restre , la véronique, la germandrée, la scolopendre , et 
beaucoup d’autres ornent nos bois et nos prairies, y 
répandent leur doux parfum, et fournissent des remèdes 
aussi précieux que simples dans les affections catharrales 
si fréquentes dans ces contrées. 

La partie basse du département, nous offre aussi un 
grand nombre de plantes offcinales, maïs d’une nature 
différente. Celles appelées anti-scorbutiques, les crucifères, 
les apéritives, les fébrifuges s’y rencontrent à chaque 
pas. Les bords de l’Aa, les fontaines qui environnent 
cette rivière, la Lys et la Liane sont couverts de 
cresson , de beccabunga , de treffle d’eau , d’ache , d’anonis 
et d'un grand nombre d’autres plantes qu’il serait trop 
Jong de détailler ici, mais toutes plus ou moins utiles 
à combattre les maladies adynamiques particulières à 
cette contrée. 

Les productions alimentaires sont abondantes dans 
toute l'étendue du département ; l’Agriculture a fait des 
progrès immenses, et n’est pas très-éloignée de son plus 
haut point de perfection. Les légumes sont d’une excel- 
lente qualité; les fruits sont variés et la nature nous 
en offre pour toutes les saisons. Les graines céréales, 
les racines féculentes fournissent à toutes les classes 
de la société un aliment nourrissant et salutaire. Néan- 


moins ‘ils présentent des différences importantes suivant 


les lieux où ils croissent. Les légumes et les fruits de 
la partie basse du département, sont aqueux, moins 
sapides ; la chair des animaux est molle, tendre, grasse, 
moiris savoureuse : les productions des terrcins élevés 


de ce département sont moins abondantes, mais aussi 


elles sont d’une qualité supérieure, 


CHAPITRE 


MÉMOIRES. " 103 


CHAPITRE VIIL — Usages. 


IL est quelques usages particuliers à ces corse 
qu’il me paraît important de signaler ici, en raison des 
influences qu’ils peuvent avoir sur la santé. 

La bierre est la boisson ordinaire à ce département. 
La décoction d'orge germé qui a subi la fermentation 
alcoolique, à laquelle on ajoute du houblon, essentiel 
à sa conservation , fournit une boisson vineuse , agréable, 
rafraïchissante et nourrissante. La plus salutaire est celle 
qui est claire et qui ne contient que très-peu d’acide 
carbonique. Il est à remarquer que l’eau avec laquelle 
on fait la bierre influe notablement sur ses qualités. 
Cette boisson convient bien aux personnes fortes, c’est 
un stimulant doux qui peut faciliter la digestion. Mais 
celles qui ont l'estomac faible doivent s’en abstenir ou 
en faire un usage très-modéré. La bierre bue avec excès, 
surtout celle qui contient de l'acide carbonique , qui 
mousse , jette dans une ivresse particulière dans laquelle 
ceux qui en sont atteints deviennent furieux ou assoupis ; 
ces excès, souvent réitérés, engourdissent les sens et le 
eérveau. Les boissons acidulées, la limonade . l’oxicrat, 
le punch, font cesser les. mauvais effets de Ja bière. 

n’est pas de pays où l’on fasse un plus grand 
usage de beurre que dans le département du: Pas-de- 
Calais. Les chimistes le regardent comme une huile ani- 
male concrète, susceptible de fournir un excellent aliment, 
lorsqu'il est employé en petite quantité, comme l'assai- 
sonnement des légumes farineux , des racines féculentes 
et des graines céréales dont notre pays abonde; mais, 
pris avec excès, il devient pesant, produit le fer-chaui 

L 3. Liv. 8 


104 MÉMOIRES. 

ét es embarras gastriques. C'est surtout lorsqu'on f’em- 
ploie en trop grande quantité à l'usage des sauces qu’il 
est le plus nuisible; principalement quand on le fait 
roussir où qu'on Je joint à des alimens assez gras par 
eux-mêmes, comme certains poissons, etc. Les irritations 
gastriques, les spasmes ; les resserremens de l’estomac, 
qui répandent leurs funestes effets sur toute l'économie 
humaine, n’ont souvent d’autres causes qu'une alimen- 
tation qui n’est pas en ‘rapport avec les puissances 
digestives. 

* L'huile d’œillette , retirée par expression des semences 
de pavots, dont les tiges et les feuilles fournissent an 
sac narcotique, n’a pas les mauvaises qualités qu’on a 
cru devoir lui attribuer; surtout lorsqu'elle a subi les 
préparations qui la débarrassent de son odeur vireuse 
et de son goût nauséabond. Les procédés actuellement 
en usage à Arras pour la purification des huiles, réanissent 
tous ces avaritages. L'huile d’œillette devient alors claire, 
d'une couleur vetdâtre , d’une légère saveur d'amande , et 
ne produit aucun mauvais effet sur la santé. 

L'usage du chaïbon de terre, comme combustible ré- 
pandu généialement dans la plus grande partie de ce 
département , peut encore exercer certaines influences sur 
la santé. La ‘manière de le brûler présente aussi des 
différences remarquables. Les ‘poëles, en établissant un 
courant d'air non interrompu qui permet aux vapeurs de 
se brüler et de s’exhaler aussitôt, sont moins nuisibles 
que les cherninées dites à l'anglaise et autres dans le 
même genre. L'inconvénient commun à toutes, c’est de 
trop échauffer l'appartement, d'établir trop de différence 
evtre sa température et celle de l’atmosphère du dehors 
st de rendre les corps plus sensibles à son impression: 


MÉMOIRES, | 105 


Un moyen de rémédier aux mauvais effets du charbon, 
c'est de tenir constamment un vase rempli d’eau dans 
l'appartement. L'eau s’évapore , et a la propriété d’absor- 
ber les vapeurs nuisibles. Le charbon de Frêne donne 
lieu à des vapeurs sulfureuses qui gênent la respiration, 
excitent la toux et disposent aux affections catharrales, 
surtout quand il est brûlé dans des fourneaux ou ré- 
chauds dépourvus de tuyaux qui conduisent les vapeurs 
au dehors. | | 
Il serait facile d'étendre davantage ces différentes con- 
sidérations ; les mœurs , les usages , les professions, 
seraient encore des sources fécondes en observations 
utiles; mais les bornes que nous nous sommes prescrites . 
ne nous permettent pas d'entrer dans de plus grands 
détails: et le peu que nous avons dit suffit pour faire 
voir qu’on peut en tirer des inductions importantes 
sous le rapport du tempérament, du caractère, des 
mœurs et des maladies particulières au Pas-de-Calais, 
comme nous aurons occasion de le démontrer dans la 
seconde partie de cet essai. | 


8 * 


706 MÉMOIRES. 


SALAM VE EEE VUE LULU UV LU 


APPERÇU TOPOGRAPHIQUE ET MÉDICAL 
DE LA VILLE D’ARRAS. 


L, ville d'Arras, chef-lieu du département du Pas-de- 
Calais, est située à quelque distance de la rive droite 
de la Scarpe. La partie la plus élevée de la ville 
{ le milieu de la Grande Place ) se trouve à 17 "1" 
72 cf, au-dessus du niveau de cette rivière : un 
ruisseau nommé te Crinchon traverse la ville de l'ouest 
au nord, et la partage en deux quarliers différens: l’un 
est au sud-ouest , c’est la ville proprement dite, qui est 
construite sur le penchant d’une colline douce; l'autre 
au nord, nommé la Cité, est aussi situé sur une colline 
d’une pente peu rapide. Les rues de cette dernière sont 
droites et larges et les maisons n’ont pour la plüpart 
qu’un étage. Celles de la ville sont plus élevées mais les 
rues y sont en général moins régulières et beaucoup moins 
larges : des places spacieuses ÿ font l'admiration des voya- 
geurs, et rendent ce quartier plus sain que le mode de 
construction des maisons ne permet de l’espérer. 

Au quartier précédent, on peut ajouter la basse-ville, 
bâtie à la moderne ;, dont les maisons n’ont qu’un seul 
étage, mais dont les rues sont larges et tirées au cordeau. 
De trés-belles promenades , situées dans son voisinage, 
rendent cette partie de la ville très-saine et très-agréable. 

Le sol sur lequel Arras est bâti se compose, en général , 
de deux bancs de craie, qui s'étendent à une profondeur 
considérable : ils sont recouverts de quelques pieds de 
terre végétale. La nature de ce sol et la pente qu'il affecte 
ne pérmettent guères à l'eau d’y séjourner; aussi, après 


MÉMOIRES. 107 
une grande pluie, ïl ne faut que quelques heures pour 
qu'elle soit écoulée, excepté cependant au bas des deux 
collines, où une branche du Crinchon a été divisée en 
quatie pour l'utilité des usines. Là , une eau bourbeuse 
et quelquefois infecte , chargée d’une infinité de débris, 
circule difficilement et pénètre pendant l'hiver dans les. 
caves , les inonde et achève de rendre ce quartier malsain. 
C'est dans cette partie de la ville que sont situés les 
hôpitaux civil et militaire. Ce dernier contient de grandes. 
salles hautes et basses : les premières , par leur position, 
sont soustraites à l'influence délétère; mais celles du 
rez - de - chaussée sont très-malsaines; aussi n’y place- 
t-on que très-rarement des malades , et seulement lorsque 
la nécessité y oblige. 

L'Hôpital civil était à peine achevé en 1813, lorsque: 
l'abondance des malades, après la retraite de Leipsick, 
a forcé d'y en placer un assez grand nombre. C’est-là 
que nous avons vu se développer une maladie horrible, 
dont ils avaient apporté le germe; c’est-là, peut-être 
pour la première fois, que s’est manifestée à Arras cette 
maladie à peine connue dans le milieu du siècle passé, 
désignée par Desault sous le nom de pourriture d'hôpital, 
et dont les effets sont épouvantables ; ear, aussitôt qu’une 
plaie , même légère , en est affectée , elle dégénère en un 
ulcère sanieux, infect, douloureux, qui détruit totale- 
ment les parties atteintes. J'ai vu des membres entiers 
tomber par lambeaux. Les observations que j'ai faites 
sur deux militaires, dans la série des phénomènes qu'ils 
éprouvèrent et qui amenèrent leur fin tragique, m'ont 
démontré combien cette horrible maladie peut faire de 
prompts ravages ; l’un avait à la partie latérale du cou. 
_ une plaie qu’il s’était faite afin de passer pour scrophuleux :. 


108 | MÉMOIRES. 


la pourriture d'hôpital étendit ses ravages jusqu’à la 
carotide, et ce militaire faisant un jour un effort pour 
prendre un bouillon, l’artère se rompit, le sang rejaillit 
sur le lit voisin et inonda son camarade : quelque prompti- 
tude que je misse à accoutir de l’autre extrémité de la salle 
où je me trouvais, je ne pus arriver assez tôt pour arrêter 
l’hémoragie ; le malade n'existait déjà plus quand j’arrivai. 
L'autre avait sur le pariétal gauche une plaie comphi- 
quée de nécrosse de cet os; lorsque le séquestre fut 
tombé, les bords des tégumens et le fond de la plaie 
furent frappés de la funeste complication; le cerveau 
sortit en putrilage, et les fonctions intellectuelles se 
perdirent à mesure que telle ou telle partie de ce viscère 
s’altérait. J'ai été à même d'observer l'influence de la 
localité, puisque les mêmes malades éprouvaient des 
accidens plus gravés dans le nouvel hôpital que dans 
l'hôpital militaire. Cependant ils recevaient les mêmes 
soins médicaux et les Dames hospitalières leur prodi- 
guaient également les soins les plus affectueux. Ces causes 
ont disparu depuis par le perfectionnement des bâtimens, 
par le changement de la direction d’une branche du 
. Crinchon , et surtout par l'encombrement de l’abreuvoir 
qui se trouvait à la porte : ceci justifie l’observation 
que lorsqu'un hôpital est situé sur un terrain bas et 
proche d’une marre, il est toujours la source d'une 
infinité de maladies. : 

On fait usage à Arras de deux espèces d’eaux : celles 
de puits et celles de sources. L'eau du Crinchon n'est 
employée que pour l'usage économique, celle de puits 
est légèrement séléniteuse, cuit néanmoins assez bien 
les légumes, entre en ébullition au 88."° degré du ther- 
momèêtre de Réaumur, dissout bien le savon. Elle :est: 


MÉMOIRES _Aog 


trèslimpide. Cette eau ne tarit jamais, ne se trouble 
pas. par: les. orages ;. les dégels, etc..Elle est toujours 
dans la même. température, qui est de 8 à 9 degrés; 
étant puisée à la profondeur de huit à vingt-sept mètres, 
le deuto-carbonate de potassium détermine un précipité 
blanc. Le résidu bien sec obtenu par l'évaporation était 
dans la proportion de 1 à 2880 , formé de proto. carbonate 
de ealcium, et de quelques cristaux brillans dont le 
petit nombre et le peu de volume qu'ils avaient ne me 
permirent pas d'en faire l'analyse pour reconnaître sa 
nature. Il y a deux sources dont on pourrait faire usage, 
celle. de la Citadelle et celle de. Méaulens; l’eau de la 
première étant rarement employée , je ne m'en occuperai 
pas ; l’autre se trouve dans les fortifications au-debors 
des murs de la ville; près la porte de son nom. Elle 
fournit l’eau à tout le quartier qui est sur le bord du 
Crinchon, où l’eau de puits ne vaut rien. Traitée par le 
même procédé que l’eau de. puits, son résidu avait les 
mêmes propriétés, mais il se trouvait dissous dans la. 
proportion de 1 à 960. | 


EE | 


MALADIES OBSERVÉES A ARRAS 


Maladies Endémiques 


LE existe peu de villes où il y ait un aussi petit 
nombre de maladies Endémiques qu'à Arras; quelques 
affections. catarrhales qui sévissent à la fin de l'automne 
ne demandent que le repos, et quelques boissons pecto- 
rales et diaphorétiques. Les phlegmasies exigent rarement 
l'emploi de la saignée ; nous pourrions cependant encore 


Lé 


110 MÉMOIRES. 


mettre dans cette classe de maladies les fièvres inter- 
mittentes qui nous furent apportées de l'isle de Walcheren 
et da pays de Cadzan, et qui s'étaient en quelque sorte 
acclimatées pendant Îles années 1809, 1810 et 1811. Le 
printemps et l’automne ont donné lieu à leur dévelop- 
pement; mais l'air vif, quelques légers toniques, quelque 
fois le quinquina ou le vin de Seguin, ont suffi pour 
lés faire dissiper, surtout si on avait préalablement 
évacué lrs premières voies : nous ne dirons rien des 
gouttes fébrifuges si préconisées à cette époque par le 
charlatanisme et l'ignorance , qui les avaient fait accueillir, 
quoique ce reniède eut pour base l'arsénic, qui en 
circulant dans l'intérieur du corps , y déterminerait des 
maladies secondaires plus graves que celles qu'il pouvait 
guérir; on frémirait aux récits des accidens dont j'ai 
été témoin, tels que les douleurs atroces de l'estomac, 
Fhydropisie, la gangrène et la mort même au milieu 
des angoisses les plus terribles. | | 


Maladies épidémiques. 


LA situation de la ville d'Arras; qui est loin des lacs, 
des étangs ou des marais, et qui n’est dominée par 
aucune montagne, ni forêt; ses places spacieuses , 
ses rues assez larges et accessibles à presque tous les 
vents, sont toutes causes qui s'opposent au développe- 
ment des épidémies : aussi n’y en ai-je jamais observées, 
et si, dans des tems plus reculés , il s’en est développé, 
nous pouvons dire par analogie qu’elles n'avaient point 
pris naïssance dans la ville, et qu'elles nous avaient été 
apportées de chez nos voisins; que si elles ont fait des 
ravages, ce n’a dû être que sur les habitans des bords 
du Crinchon, et chez ceux qui habitaient les caves. 


MÉMOIRES. Ifi 
Maladies Sporadiques. L | 


LES engorgemens du système lymphatique sont assez 
communs. chez les individus qui habitent les caves et 
le rez- de - chaussée dans les rues basses. Le col dans 
l'enfance, et le poumon chez les adultes, sont le siège 
de ces engorgemens ; ils se terminent assez souvent 
par la supuration, et forment la pulmonie tuberculeuse , 
maladie qui attaque toutes les classes de la société, 
mais particulièrement « les dentellières, dont le métier, 
» dit M. Retz, exige qu'elles soient toujours courbées ; 
« elles s'en plaignent ordinairement, parce que les parties 
essentielles se trouvent dans une gêne continuelle. 
« Ce qu’elles éprouvent dès l'enfance; et pendant la 
» plus grande partie de leur vie, puisque ces: ouvrières 
« sont obligées. de travailler au moins dix-huit heures 
« par jour pour retirer un gain capable de subvenir à 
« leurs petits besoins Ge métier est si pernicieux pout 
« Ja santé de ce sexe délicat, qu’on voit la .plupart 
« des jeunes filles arrivées à l’âge de l’enjouement et 
« des plaisirs , le passer sans gaîté, et perdre en peu de 
« tems la fraîcheur de leur teint, Péclat de leur coloris, 
« la vigueur de leur tempérament ; souvent attaquées 
» d’une toux sèche presque continuelle , elles se plaingnent 
« de douleurs sur le stergum. et le long des côtes, elles 
sont oppressées , manquent d’appétit et tombent enfin 
« dans l'étisie, » Nous sommes surpris que l'on n'ait 
pas encore perfectionné les carreaux, afin d'empêcher 
set état de gène et de position contre nature. Celui qui 
y parviendrait. aurait droit à la reconnaissance publique. 
J'ai vu une fois chez un enfant la maladie glanduleuse 
de Barbade ou éléphantiasis , la jambe atteinte était d'un 


# 


a 


t 


112 MÉMOIRES. 


volume considérable; les affections carcinomateuses ne 
sont pas rares, j'en ai rencontrées presque de toutes les 
espèces désignées par les nouveaux nosographes , et j'ai 
décrit dans le journal de Médecine pour lannée 181e, 
l'observation faite sur une femme qui était affectée de 
plus de 300 carcinum mélané ; son corps présentait une 
multitude de bosselures d’un volume considérable; ce 
cas rare a mérité d’être rapporté dans le splendide 
ouvrage que publie actuellement le savant Alibert, à 
qui j'avais envoyé le portrait de cette femme malheu- 
reuse. Une maladie assez commune à la classe indigente 
est une ethmoplescose , désignée par le vulgaire sous le 
nom de maladie de blasé. Elle a pour cause, outre la 
malpropreté et Pinsalubrité de leurs habitations , la ma- 
nière misérable dont ces individus se nourrissent; ils 
mangent peu de pain, boivent de l'eau, rarement de 
la petite bierre et beaucoup d’eau-de-vie; cette maladie 
se reconnaît aux signes suivans : langueur , nonchalanee, 
face incolore, hälée et sans expression. Ensuite boufls- 
sure, engorgement des membres tharaciques, perte ou 
abolition d’une partie des facultés intellectuelles , insou- 
ciance de tout qui les entoure; l'aspect d’un homme : 
de 4o ans est celui d’un vieillard; cette maladie se 
termine souvent par l’hydropisie, le marasme et la mort. 

La goutte et l’hydropisie ont lieu par l'abus de la bierre. 
Le scorbut y est très-rare. Les affections herpetiques 
aigues, comme les échauboulures, ta miliaire, l’urticaire, 

le pemphigus, le zona, y sont fréquents. Les dartres 
n’y sont pas rares, elles trouvent leur cause dans l'air 
vif et sec et dans l’inconstance des vents. 


° CU 


MÉMOIRES 113 
Maladies des Femmes. | 


La première éruption des règles a lieu sans accidens 
chez la grande majorité des femmes souvent à l’âge de 
douze ans. La plupart des femmes sont actuellement 
dans l'usage de nourrir elles-mêmes leurs enfans. On 
voit peu de maladies causées par la métastase laiteuse , 
les accouchemens sont en général heureux, les périto- 
nites des femmes en couches y sont très-rares. 

ns qerneneamncccnnes 


Maladie des E nfans. 


Les maladies auxquelles les enfans sont le plus exposés 
sont les fièvres remittentes ou intermittentes muqueuses, 
les affections vermineases, l’engorgement des glandes du 
mésentère , le rachitis, la teigne, la rougeole, la scar- 
latine ; ces deux dernières, quoique simples et bénignes 
ordinairement , ont été funestes, la première en 1816-et 
Ja deuxième en 1813, par Îles métastases dont elles ont 
été suivies et qui ont résisté aux remèdes les mieux in- 
diqués. L'hiver dernier , à l'hôpital des enfans malades , j'ai 
observé quinze fois la scleremie universelle; cette mala- 
die inconnue aux anciens est endémique dans plusieurs 
villes de ce département et lrès-rare à Arras ; en faisant 
l’autopsie devant les élèves ; compagnons fidèles de mes 
travaux anatomiques, j'ai été par induction conduit à 
essayer un traitement qui m'a parfaitement réussi. Je 
me propose de recommencer une série d'observations et 
je donnerai à la Société le résultat de mes recherches 
sur une maladie qui présente encore beaucoup de doutes 
à éclaircir, de l’aveu même de tous les auteurs. Nous 
avons rencontié dix enfans atteints du croup dont trois 
seulement ont guéri depuis deux mois; quatre se pré- 


114 MÉMOIRES. 


sentèrent à mon observation, tandis que les six autres 
furent attaqués à des époques très-éloignées. Pourquoi 
cette fréquence dans un si petit espace de tems; ne doit- 
on pas l'attribuer à une influence atmosphérique? On 
doit aussi en accuser l’inobservation des règles de l'hy- 
giène ; naguères les enfans portaient des bas, avaient la 
tête couverte de bonnets; on les couchait à sept heures 
du soir; l'abandon de ces usages pourrait peut-être être 
blâmé, car nous avons remarqué que tous ceux qui 
ont été affectés de cette maladie désespérante avaient 
eu froid le soir, et on s'était écarté plus ou moins 
envers eux des règles prescrites pour la conservation de 
Ja santé; en rappellant ces habitudes du tems passé, 
je ne prétends pas que lon doive assujettir les enfans 
à toutes celles que la raison a fort bien fait d'abandonner; 
mais je veux faire sentir que l’on donne souvent dans 
des excès contraires ; ce sont ces excès qu'il faut signaler, 
en donnant en même-tems des préceptes encore in- 
connus au vulgaire. Pour entreprendre une pareille tâche, 
il faudrait l’éloquence persuasive de J.-J. Mais ce grand 
homme, n'a laissé que des héritiers de son zèle et non 
de ses talens. 


DUCHATEAU , Chirurgien , 
_Mombre résident. 


MÉMOIRES 115 


NOTICE 
SUR LA DISTILLATION DES GRAINS 
l 
DANS LE 


DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS, 

Lue à la Société Royale d'Arras, pour l’encouragement 
des Sciences, des Lettres et des Arts, à la Séance 
extraordinaire du 13 Juillet 1818. 


Par M. Aimé BURDET, Membre résident. 


$ 


Pis 1 les objets dont la fabrication reclame des 
améliorations , ( les graines grasses exceptées ), il en est 
peu dans ce département qui, par leur utilité et leur 
importance, se recommandent plus à l'attention et 
soient plus dignes des encouragemens de la Société que 
la distillation des grains. Cette branche d'industrie, na- 
guères importée de la Hollande ou de la Belgique, a 
pris une extension extraordinaire au milieu des vastes 
champs de l’Artois, et elle est devenue l’une des prin- 
cipales branches du commerce de ce pays. 
_ Ï n’y a pas dix ans que le premier alambic a été 
établi à St, Omer; maintenant il n’est aucun arron- 
dissement qui ne possède au moins un établissement 
de ce genre; mais St. Omer semble s'être approprié 
cette exploitation, comme Arras en a fait de celle des 
builes. | 

La ville de St. Omer, et quelques villages voisins, 
entretiennent en activité plus de quarante appareils 
distillatoires, destinés à mettre en œuvre les matières 


116 . MÉMOIRES. 


premières. Je ne compte pas ceux qui sont occupés à 
rectifier les produits des premières opérations. 

Ces appareils, d'une capacité uniforme, contiennent 
chacun environ 2400 litres de liquide en état de fermentation 
vineuse ; dont le produit, après toutes les rectifications 
d'usage, est d'environ 8o litres d’eau-de-vie à 19 ou à 
20 . degrés. 

Plusieurs distillateurs font quatre opérations par jour 
dans le même alambic. Le plus communément on n’en 
fait que trois. Les quarante chaudières font donc 120 
_distillations par jour, dont le produit est environ de 
9,600 litres d’eau-de-vie. 

Chaque distillation consomme quatre hectolitres de 
céréales. Tantôt le mélange est de trois quarts de seigle 
sur un quart d'avoine, d'orge ou de scourgeon; tantôt 
il. est de deux tiers de seigle, un, sixième d'orge et un 
sixième de scourgeon et d’avoine. Ainsi 120 distillations 
employent par jour 480 hectolitres de céréales. 

Dans le cours de l'année la distillation n’éprouve 
d'interruption que pendant les grandes fêtes et pour les 
réparations urgentes ; de sorte qu’on peut compter au 
moins sur 330 jours de travail. 

Dans cette supposition , la quantité de céréales absorbées 
pendant l’année est de 158,400 hectolitres dont la valeur » 
au prix actuel de 14 francs l'hectolitre , s'élève à la somme 
de 1,742,400 francs. 

Le produit de cette masse, en comptant 9600 litres 
par jour, et 330 jours de travail , est de 3,168,000 litres 
d’'eau-de-vie qui, au prix actuel de 0,70 centimes le litre, 
représentent une valeur de 2,217,600 francs. La plus 
value que Îa fabrication donne aux grains est donc de 

475,200 francs. 


MÉMOIRES. 117 


Ajoutons-y la valeur des résidus qui nourrissent jour- 
nellement cinq cents bêtes à cornes et qu’on ne peut 
évaluer à moins de 80,000 francs. 

Considérons en outre que cette fabrication occupe 
immédiatement plus de deux cents individus, sans compter 
ceux qu’elle emploie indirectement pour le transport du 
charbon, du grain, et de la liqueur; pour la construc- 
tion et la réparation des usines, des fourneaux, des 
alambics , des tonneaux et de tout l’attirail d’une dis 


_ tillernie. 


‘ 


La mouture seule des grains s’élève à la somme 80 
mille francs. : 

Dans le moment actuel, cette fabrication se soutient 
par l’activité que lui a donnée la présence des troupes 
étrangères; mais il faut penser au moment , où n'ayant: 
plus ce débouché, nos distillateurs seront forcés de 
tourner leurs vues vers l'exportation. Il faudrait pouvoir 
donner à nos genièvres une réputation d'excellence, 
telle qu'ils pussent être présentés sur les marchés de 
V’Europe, en concurrence avec les genièvres Mg be 
et de Hoilande. | 

Nos distillateurs entendent bien tout ce qui concerne 
la fermentation; mais leurs appareils , construits sar un 
vieux modèle, ont l'inconvénient de distiller à feu nud, 
une matière telle que la farine délayée, qui est susceptible 
de s'attacher aux parois des chaudières, de s'ÿ carboniser 
et d’infecter l'esprit qui en sort d’une odeur et d’un 
goût démpyreume qui discrédite notre fabrication, tout 
en causant des pertes réelles aux fabricans. 

* Depuis plusieurs années les appareils distillatoires ont- 


reçu des perfectionnemens dignes de létat présent des 


arts industriels. Ces appareils déjà appliqués à la distilla-. 


118 MÉMOIRES. 


tion en grand des vins dans le Midi, donneraient des 
résultats également satisfaisans, s'ils étaient adoptés dans 
ce département pour la distillation des grains. | 

On pourrait envisager la question de deux manières. 

Ou la Société provoquerait un travail comparatif 
entre les divers appareils connus qui distillent les matières 
vineuses non à feu nud, en insistant surtout sur la 
modicité du prix de l'appareil et de ses accessoires, et 
sur l’économie de la main-d'œuvre et du combustible; (1) 

Ou elle se bornerait à proposer une médaille d'or au 
premier fabricant qui introduirait dans son usine un 
appareil distillatoire non à feu nud. 

- Si je prends la liberté de vous faire ces propositions, 
mon but n’est pas de plaider seulement pour l'intérêt de 
quelques particuliers ; des motifs plus généraux , et que 
je vais essayer de vous développer, me font désirer de 
voir cette exploitation protégée par tous les moyens 
qui sont en notre pouvoir. 

Nous avons vu précédemment que Ja transformation 
des céréales dans ce département, seulement en genièvre, 
donnait aux premières une plus value de six à sept cents 
mille francs. C'est une somme qu'on perdrait toute 
entière si on exportait simplement le blé en nature ; 
on perdrait encore la nourriture journalière de cinq cent 
bêtes à cornes, qui représentent sept à huit cent mille 
Lvres de nourriturc. Plusieurs centaines d'ouvriers seraient 
sans ouvrage ; des capitaux considérables seraient dans 
Vinaction et plus de trente familles, qui vivent-hono- 
rablement, perdraient leurs moyens d'existence. 
EE 

(x) Elle couronnerait le meilleur Mémoire à eet égard, et 
proclamerait l’appareil qui serait reconnu le plus parfait. 
| À ces 


MÉMOIRES. 119 


À ces considérations :j'en ajouterai. SE plus générales 
et non moins importantes, 
Vous savez, Messieurs , que les terms de ane ou 
dance qui réjouissent l'artisan, ruinent souvent les fermiers, 
qui peuvent à peine se procurer assez d'argent pour payer 
leurs baux. Dans ces momens les distillèries sont là, pour 
consommer et donner une valeur au superflu momentané 
que la Providence nous accorde. Les capitaux de nos 
_distillateurs empêchent une baisse funeste avec bien plus 
de succès que ne le fait une exportation souvent chanceuse. 
Depuis l'établissement des distilleries , il se sème plus 
de céréales qu’il n’en est besoin pour là nourfture de 
l’homme. Quand la récolte a été mauvaise on peut croire 
que l’intempérie des saisons n’a emporté que cet excédent 
et qu'il reste encore assez de céréales pour le strict 
besoin de la nation. Si on ne semait que la quantité 
presse de blé nécessaire à la consommation’, pour peu 
qu’une année fut défavorable elle deviendrait bientôt une 
année de détresse. | 
On a beaucoup parlé de ces fastueux greniers d’abon- 
dance élevés avec de grandes dépenses et remplis toujours 
‘au moment où le besoin se fait sentir et dont le moindre 
inconvénient est d'augmenter la disette réelle par une 
disétte factice. Ici, l'intérêt particulier vient avec bien 
plus d'efficacité au secours des besoins publics. Les 
greniers des distillateurs sont toujours remplis, avant que 
linstant de la détresse soit: arrivé, et quand de funestes 
présages se sont. réalisés, un seul ordre de l’'Administra- 
tion, sans aucun soin préalable , sans aucuns frais, 
livre à la consommation plusieurs cent milliers d’hec- 
tolitres de céréales qu'il est. si avantageux d'en retirer 
dans les temps d'abondance. _. | 
J. 3, Liv, 9 


#20 MÉMOIRES. 

‘Ainsi, cette branche d'industrie donne aux céréales une 
plus value qu’elles perdraïent sans elle ; et en même- 
temps les magasins de nos distillateurs offrent dans les 
temps de disette des ressources d’autant plus précieuses 
qu'elles se sont faites avec moins de frais. 

De-là, je conclus que l'intérêt particulier et l’intérèt 
‘général doivent nous engager à naturaliser parmi nous, 
cette importante exploitation, en prenant pour la pro 
ager les moyens que la Société jugera les plus convenables. 

| Aimé BURDET. 


LVVIARAVEUVIIRR AA VILLA UV UAN LARAN ELU NAN ENV 
Arras, 250 Décembre 18:18. 


.A Monsieur le Secrétaire perpétuel de la Société Royale 
d'Arras, pour PEncouragement des Sciences, des 
_ Lettres et des Arts. 
_ Monsieur et très-cher Collèsue, 
J'AI l'honneur de vous adresser uné observation médi- 
cale qui pourrait, surtout dans ce moment , présenter 
 quelqu'intérêt'; si vous le jugez ainsi, veuillez lui accorder 
‘de la publicité dans le Recueil des mémoires de la Société 
à qui j'en offre le premier hommage. 
_ Je fus appellé le 30 novembre dernier, pour voir un 
‘enfant de quarante - cinq mois, fils de M. Ricouart, 
M. de charbon ; il y avait déjà huit jours que ce petit 
‘malade toussait, an peu de fièvre, quelques quintes 
de toux plus fortes les nuits'et l’abattement ordinaire 
‘dans les rhumes ‘n’avaient jusqu'alors point donhé 
d'inquiétudes. La veille seulement on avait remarqué 
‘plus d’enrouement et de la difficulté pour respirer, la 
nuit avait été moins tranquille, et quoiqu'il ‘ait paru 


MÉMOIRES. 121 
assez gai en se levant, l’enrouement avait augmenté, et 
la respiration, devenue plus pénible, était déjà bruyante. 
Lorsque je le vis, à 3 heures de l'après-midi, je lui 
trouvai le visage rouge, légèrement couvert de sueurs : 
la langue blanchâtre , assez sèche, la peau très-chaude, 
le pouls serré, fréquent, la voix était sonore, glapissante, 
l'oppression considérable, la respiration sifflante, et les 
quintes de toux presque continuelles. Cet ensemble de 
symptômes confirmait suffisamment l'existence d’une 
phlegmasie aigüe de la membrane muqueuse du conduit 
aérien et particulière au croup. Je jugeai cette terrible 
affection devoir être déjà près de la seconde période, et 
_il ne restait pas un moment à perdre ; les accidens me- 
naçaient d'autant plus que l’enfant était d’une très-forte 
constitution. Je fis appliquer sur le champ un collier 
de sangsues et je prescrivis la solution d'an grain et 
demi de tartrate de potasse et de protoxide d’antimoine , 
dans deux onces d’eau , édulcorée avec demi-once de sirop 
d’ipecacüanha, pour être donnée par petite cuillerée, 
chaque quart d'heure. À cinq heures, une espèce d’affais- 
sement avait semblé ralentir la marche de l’inflammation 
- trachéale ; le malade n'avait eu que des nausées et 
on continuait l’usagé prescrit de son vomitif. À neuf 
‘heures je le revis pour la 3.° fois, tous les symptômes 
avaient repris de l'intensité, la potion émétique était 
terminée, il n’y avait encore eu ni vomissement ni 
_expectoration ; jecommençais à désespérer du salut de 
- Penfant, néanmoins je redoublai de courage; je fis 
faire avec une once de sirep d’ipecacuanha , autant d'huile * 
d'amande douce, trois grains de sous-hydro-sulfate d’an- 
timoine, deux gros de gomme arabique et de l’eau distillée, 
quatre onces d’un looch à prendre par cuillerée 


LS 


122 MÉMOIRES. 


à café chaque demi-heure , sans trop avoir égard au 
- sommeil ; j’appliquai des sinapismes aux deux pieds après 
- avoir frictionné fortement les bras, ke dos, les cuisses 
et les jambes, avec du vinaigre très-chaud, et j'attendis 
. Monsieur Ansart, que j'avais fait prier de venir, avant 
d'établir un large vésicatoire à la partie postérieure du 
cou; ce Médecin l'approuva, et revint le lendemain 
malin , jouir avec moi de la réussite de tous les moyens 
employés, c’est-à-dire que l'enfant avait été calme depuis 
minuit et ne rapportait plus guère qu’à l'extérieur les 
douleurs vives qu'il ressentait à la gorge; le vésicatoire 
avait produit un grand eïlet et les préparations an- 
timoniales avaient déterminé une sueur générale; la 
voix était sensiblement moms rauque et le sifflement 
de la respiration très- diminué. À midi, ke mieux se 
continuait et l’expectoration était parfaitement établie. 
Le malade fut mis à l'usage des boissons chaudes 
‘émollientes et je restreignis celui de Ja potion ker- 
. metisée; mais on fut bientôt forcé d'y revenir comme 
‘avant, car les crachats devenaient plus difficiles. La 
nuit fut assez bonne ainsi que la suivante et la 
journée du 2 Décembre, pendant laquelle je fis, par 
prudence, appliquer de nouveau quelques sangsues 
autour des épaules, et réitérer les sinapismes. Le 35 
nous apperçümes bien distinctement dans le crachoir 
des portions de fausse membrane, une entr'autres qui, 
déroulée , avait près de deux lignes quarrées d’étendue, 
je substituai le sirop de coquelicot à celui d'ipécacuanha 
dans la potion, et je diminuai de moitié la dose du kermès. 
Le soir de ce même jour il survint un exanthème qui couvrit 
tout le corps de l'enfant, je rassurai les parens effrayés, 
ce n’était ni la variole , ni 1a rougeole, ni la scarlatine, 


{ à 
# 


MÉMOIRES. 123 


mais une éruption salutaire ; crise heureuse qui venait 
garantir la cure. Pendant les quatre jours qui suivirent, 
je diminuai insensiblement et supprimai tout-à-fait 
la potion; le malade ne but plus que du bouillon 
de veau; on lui continua les. lavemens excitans, qui 
n'avaient jamais été négligés, et le huit , je le purgeai 
avec une légère décoction de jalap et Je sirop de- 
nerprun ,; ce que je réitérai très - avantageusement 
le surlendemain; les évacuations furent abondantes, 
et la santé est aujourdhui si parfaite qu'il serait 
impossible de croire à la réalité du danger qu’a couru 
ce bel enfant. 

Je viens de détailler les faits dans toute leur exac- 
titude ; loin de moi l’orgueil d’avoir voulu, pour m'en 
prévaloir, consigner ce succès dans une maladie si 
souvent mortelle; mais j'ai cru devoir en profiter 
pour rappeler aux parens, en général, combien il. 
importe de soigner les rhumes des enfans quelque 
légers qu'ils soient et surtout quand il règne des 
maux de gorge-ou des maladies de peau; (*) ensuite, j'ai 
voulu prouver que mon malade avait guéri sans le secours 
du sulfare de potasse, qu’il est si difficile, pour ne pas 
dire impossible , d’administrer aux enfans. Les bons effets 
de ce médicament contre le croup sont de provoquer 
la transpiration, des nausées et une expectoration abon- 
dante ; j'ai obtenu tont cela par des loochs que l'enfant 
prenait très-volontiers, et j'ai la certitude que si j’eusse 


(*) Heureusement pour l’humanité la petite vérole à laquelle 
ont succédé tant de croups a presque déjà cessé sés ravages et 
nous devons espérer qu’incessamment il ne sera plus permis. 
de douter du bienfait de la Vaccine. 


124 : MÉMOIRES. 


eu le malheur d'employer et de compter sur le foie 
de. soufre, j'aurais perdu un temps précieux. C’est je 
crois en dire assez; voilà ce que j'ai désiré faire 
connaître , et dans les meilleures intentions d'utilité. 

‘ Agréez, je vous prie, Monsieur le Secrétaire et 
honoré Collègue , l'assurance de ma considération 
très-distinguée. 

MEencIkRA, 


Docteur en Médecine, Professeur de Thérapeutique 
et de matière médicale, Membre résident. 


Ménmornxs, 125: 
RAPPORT 
SUR LA FABRIQUE DE SUCRE EUROPÉEN , . 
EXTRAIT DES BETTERAVES, 
ÉLEVÉE DANS LA VILLE D'ARRAS, 
Et dirigée par M. Crespel d'Ellisse ,; Membre résidenr: 
de la Société. 


LxS encouragemens donnés aux arts, non seulement . 
procurent le bienfait de répandre les découvertes nou 
velles, mais, en excitant une noble émulation, ils font 
naître une génération d'hommes utiles qui, en agrandis- 
sant le cercle des connaissances, .ou en rendant des 
services chers à l'humanité, récompenseront dignement 
un jour les soins de la génération qui leur offre la. 
palme, eten réaliseront les espérances pour le bonheur 
de. la postérité; et lorsque. de seules distinctions ho- 
norifiques deviennent le gage et la récompense des plus 
utiles perfectionnemens , on ne peut que féliciter un: 
Peuple qui renferme dans son sein de si précieux 
germes de splendeur et de prospérité. 

Aussi les sociétés qui. comme. celle d'Arras, ont 
l'utilité pour principe et pour but, n’ont qu'à indiquer 
ja route pour voir s’y précipiter une foule d'hommes. 
généreux , ambitieux d'associer leur nom à des conquêtes. 
plus douces et plus solides que celles de l'épée. 11 leur 
suffit de recueillir autour d'elle des. élémens dispersés. 
et de les exhumer”pour ainsi dire en leur donnant 
l'occasion de parüire au. grand. jour. Que d'hommes. 


126 MÉMOtTRESs. 


de génie morts tout entiers confondus avec le commun 
des hommes n’ont manqué que d’une circonstance 
favorable pour devenir la gloire et l’ornement de leur 
Patrie ! 

Lorsque, sans provoquer dés essais et des applications , 
Ja Société se bornerait à faire descendre jusqu’au 
Peuple la connaissance des nouveaux procédés des Arts, 
et à lui donner ainsi de nouveaux moyens de gagner 
sa subsistaice , l’élablissement n’en serait pas moins 
un bienfait; car l'espoir d’un juste salaire, fait 
naître l’amour du travail, et l’homme laborieux est 
toujours plus atta“hé à ses devoirs de fils, d'époux, 
de père et de citoyen. Par-là seraient combattus les 
vices qu’enfantent l'ignorance et la paresse, et qui ont 
de si’ déplorables effets sur la constitution physique 
d'un Peuple; par-là disparaîtraient peu-à-peu les 
préjugés de la routine qui opposent une force d'inertie 
désespérante à l'adoption et aux bienfaits des découvertes 
nouvelles. ne | 

Mais ces préjugés ne sont pas exclusivement réservés 
au Peuple. En est-il un plus général, ét cependant 
_ plus injuste, que celui qui refuse aux plantes indigènes 
Ja faculté dé fournir un sucre égal en qualité à celui 
des colonies? | | 
* Pendant la'dernière guerre, l’Europe a cherché, dans les 
végétaux qu’elle produit, une matière qui put suppléer - 
le sucre dévenu pour'elle un objét de première nécessité, 
mais dont Je prix exhorbitant en mposait la privation. 
La Prusse donna” le signal, mais, À des’ encouragemens 
donnés pour introduire en France cette exploitation ? 
ôn joignit ialheureusement une action  coercitive qui 
mélée à üne aveugle réaction de lopinion, contribua 


MÉMOIRES 127 


beaucoup à renverser des établissemens qui ne faisaient 


que de. naître. _ 
Les leçons de l’expérience n’ont cependant point. été 

perdues. Nos écarts même ont contribué à nous 

remettre sur la bonne ‘voie: de tant d'essais. et . de 


el 


recherches, il est résulté la preuve incontestable que : 
lextraction d’un sucre cristalisable des végétaux indi- 


gènes, bien loin d’être une chimère à rejéter, devient 


au contraire une nouvelle source de prospérité nationale ; : 


que {a France peut tirer de son propre sol de quoi 
suffire non à un objet de luxe, mais à un véritable 


besoin, et qu’à cet égard elle possède dans son sein 


ses plus riches et ses plus précieuses colonies. ; . 


Les faits parlent; mais'le Capitaliste et le Cultivateur 
ignorent ou craignent. La chûte de tant d’établissemens : 


écroulés avec fracas, inspire la défiance et propage le : 
doute. Un 'si ‘petit nombre de fabriques a survécu à la : 


crise qu'il ne forme point une: autorité assez forte 
pour beaucoup de personnes qui en révoquent en 
doute les avantages et mème l'existence. 

IL importe donc que les Sociétés, jalouses de pro- 
pager les choses utiles , fassent leur efforts pour ramener 
l'attention publique sur un objet dont elle a été trop 
Jong - temps distraite. La connaissance des produits 


que M. Crespel a obtenus dans sa manufacture à. 


Arras, servira à atteindre ce but, et la publication 


des procédés qu’il emploie mettra à même de former. 


de semblables établissemens. Tout Agriculteur, tout 
Propriétaire ‘ pourrait adjoindre à son exploitation 
rurale la fabrication: du sucre. Européen; car toute 
l'opération se fait en hiver, .et il emploierait ses chevaux 
au travail qu'elle ‘exige ; il y occuperait ses garçons 


- 


128: | M£mMoiRres. 


. de. ferme, et même cette classe pauvre qui, pendant: 
l'été, aide aux moissons des campagnes et n’a pendant 
Ja . saison. rigoureuse d’autre. ressource, que la charité 
des . Citadins, . 
__ Nous croyons devoir. rappeler ici, que M. Crespel 
a provoqué lui-même la formation d’une éommission 
pour faire. connaître. l'intérieur de sa fabrique. Le vœu 
de: cet estimable citoyen est de .voir des établissemens 
semblables au sien se multiplier , afin que leur nombre 
attire enfin sur eux l’attention du Gouvernement ; c'est 
dans ce but qu'il offre à ses concitoyens, qui seront. 
peut-être un jour ses rivaux, une méthode confirmée. 
par huit années d'expérience et. par: d’heureux résultats. 
: Nous: commencerons par un apperçu du mode de 
culture‘“adopté par M Crespel; et des. produits qu'il: 
obtient. Nous. placerons .ensuite: une notice sur la. 
disposition de l'établissement. et sur les principaux 
ustensiles nécessaires à la. fabrication. Enfin, nous en- 
trerons dans les détails de la manipulation, qui seront . 
suivis de la balance des. dépenses et des produits. . 


CULTURE ET PRODUITS. 


LE mode de culture. nee par | M.: Crespel est- le: 
_ semis par rangées. 

Lorsque la terre a reçu un: di labour, on fait: 
passer une ‘herse légère qui trace à. la fois quatre. 
sillons. Elle est. trainée par un cheval, et: quatre ouvriers. 
la suivent en versant dans chaque sillon de la graine. 
qui est ensuite recouverte par une herse renversée. - Les - 
ouvriers appellent cette seconde opération ( ploutrer. } 

Par ce procédé il ne faut que trois -kilogrammes de. 


Ed 


MÉMOIRES. 129 
graine par mesure , ou pour une superficie de 4{2.ares, 
gr centiares. Tandis qu'il en faut quatre kilogrammes pour 
le semis à la volée; il est vrai que. par. ce dernier. 
procédé, un ouvrier peut ensemencer cinq à. six 
mesures en un jour, quand par le premier. on, ne. 
peut ensemencer que trois mesures avec quatre hommes: 
mais cette différence de main d'œuvre. est plus que. 
compensée par la valeur de la graine, surtout dans. 
le pays où le prix en est élevé. Ce mode de culture 
a encore lavantage de placer les betteraves. à égale . 
distance , ce qui procure un rapport plus considérable , . 
et de permettre de sarcler avec une petite charrue qu'on. 
fait passer dans les sillons, et qui est de l'invention de . : 
M. Crespel. | _ 

M. Crespel ensemence ainsi, tous les ans, dans .UR , 
rayon d’une lieue autour de.la Ville d'Arras, environ . 
So mesures du pays, ou une superficie de 21 hectares, 
45 ares. Il'en retire à-peu près cinq cens mille kilo- 
grammes de:racines ; ce qui donne pour le produit. moyen . 
d’une mesure (42 ares, 91 centiares) dix mille kilogrammes; 
mais Îa récolte. présente: . la différence étonnante de. 
huit mille à vingt mille kilogrammes, par mesure, 
suivant la qualité du terrein. | 

Les différentes observations de. M.: Achardet, de M... 
Derosne, reçoivent une nouvelles confirmation de 
celles. de notre collègue; comme eux il a trouvé une 
grande variété dans la qualité, il a observé qu'un été 
chaud donnait aux racines plus de matière sucrée, 
et il en a obtenu aussi davantage d'une qualité de 
betteraves petites, que d’un même poids de betteraves . 
plus grosses, Les racines les plus avantageuses à la . 
fabrication sont celles dont le poids :.est d'environ un 


130 MÉMOIRES. 


kilogramme. M. Crespel a fait à cet égard des essais 
intéressans ; il en est résulté la preuve que les 
betteraves les plus chetives , contenaient encore assez 
de matière sucrée pour dédommager des frais de la 
fabrication. ._ 

La récolte commence dans les premiers jours d'Octobre. 
Tous les ouvriers de la fabrique qui pendant l'été ont 
été occupés à la culture et aux soins qu’elle exige, 
sont encore employés à cette opération. Quatre forts 
chevaux amènent au magasin les betteraves dépouillées 
de leurs collets. Pendant le mois d'Octobre ils en rentrent 
deux à trois cens mille kilogrammes. Cette précaution 
est nécessaire , parce que du moment que les travaux 
de fabrication commencent, il ne reste plus pour le 
transport que deux chevaux, qui ne pourraient suffire à 
la consommation journalière. Les deux autres sont attelés 
au manège qui fait tourner la rape de trituration. 

La fabrication commence dans les premiers jours de 
Novembre , et n’éprouve aucune interruption jusqu’à 
V’emploi entier des racines. Chaque jour on en met en. 
œuvre cinq mille kilogrammes , de sorte que les travaux 
durent pendant cent ou cent dix jours. 

_ Les principales opérations qu’on fait’ subir à la 
betterave, pour en extraire la matière sucrée, sont : le 
Javage , la trituration ou réduction en pulpe, la pression 
pour obtenir Île suc, l’acidification , la clarification , le rap- 
prochement des sucs pour former le sirop, la cristalisation 
et la séparation de la matière sucrée non cristalisable, : 

Le local nécessaire pour soumettre chaque jour à ces 
opérations cinq mille Kilogrammes de betieraves , est 
ainsi composé.  . RUE 5 

Un magasin qui peut en contenir deux à trois. 


MÉMOIRES. …- 191 
cens mâle kilogrammes , et où elles sont à l'abri de 
la gelée. 

Un lavoir et une auge à portée d’un puits ou d'un 
courant d’eau. 

Un hangar pour un manège de deux chevaux. 

Une pièce attenante à cechangar et où sont la rape, 
les presses, et les cuves ou récipients, où se fait 
l’acidification. : 

Une pièce voisine renferme les chaadières de clari- 
fication et celle de concentration des sirops, et une 
presse pour presser les dépôts des chaudières. 

Dans une troisième pièce sont les réservoirs doublés 
en plomb ; où on laïsse reposer les sirops, et au-dessus 
est l'étuve, octupée presque entièrement par une 
charpente sur laquelle D cens vases à cristaliser peuvent 
se placer. 

Cette étuve est échauffée par un fourneau dont la 
. bouche est dans une quatrième pièce, où sont deux 
presses à vis destinées à presser les cristaux pour les 
séparer de la mélasse. 

JL faut ajouter à cela un magasin au sucre, et des 
écuries pour quarante à cinquante bêtes à cornes et 
que chevaux. Lo 

"Les principaux ustensiles sont: une rape pour la 
trituration ; une presse à cric, destinée à presser la 
. pulpe pour la première fois; deux presses à vis pour 

exercer une seconde pression. 

Deux récipients doublés en plomb, pour recevoir le 
. suc; chacun de la contenance de dix-huit cens à deux 
mille litres, 

Deux chaudières en cuivre pour la chufsstion » aussi 
chacune de lacontenancede dix-huit cens à deux millelitres. 


132 MÉMOIRES. 


Six chaudières plates carrées, en cüivre, de deux 
mètres trente-deux centimètres de longueur sur un 


: mètre six centirnètres de largeur et quinze “humeurs 


de profondeur. 
Une troisième presse à vis pour presser les itiés 


“qui se précipitent ou qui surnagent dans les chaudières, 


” Quelques. futailles et une cuve en maçonnerie doublées 


‘en plomb pour recevoir les sirops. 


Un‘ fourneau dont la cheminée verticale traverse 
l'étuve , et qui est entouré dans le rez-de-chaussée d’une 
chemise en maçonnerie; l'air introduit entre la 
cheminée et la chemise par des ouvertures pratiquées 


‘au bas de la maçonnerie, s’échauffe promptement et 
morte dans l'étüve par des passages pratiqués dans 
‘le. plancher. 


Sept cents vases à cristaliser, 
Une quatrième et une cinquième presse à vis pour 


spresser les cristaux et LS séparer de la matière sucrée . 


non cristalisable. 


NÉTOIEMENT ET LAVAGE DES BETTERAVES. 


Quand l’année a été humide , les betteraves apportent 
au magasin une grande quantité de terre dont on n’a 


pu les débarrasser dans les champs. Cette terre sèche 


dans les magasins, et quatre enfans de douze à quinze 


ans sont employés à l’ôter ;' soit avec un couteau soit 


! 


en frappant Îles racines les unes contre les autres. 

Un ouvrier les porte ainsi nétoyées dans une auge 
ou grand baquet ; où on procède au lavage. Deux ouvriers 
armés de balais, les agitent fortement dans l’eau jusqu’à 


ce qu’elles soient’bien nettes. On attiédit un peu l’eau 


dans l'hiver pour les empêcher de geler. Deux hommes 


MÉMOFRES. :133 

lavent ainsi par jour ciriq mille kilog., et un troisième 
les porte dans une brouette à l'atelier où ést la rape. 
= M. Derosne, dans son traité complet sur le: sucre 
européen, avance qu’on pourrait se dispenser de laver 
les betteraves, mais si on considère que cette terre 
resterait dans ‘la pulpe qui doit être donnée en nourri- . 
ture aux Bestiaux, et que les petites : pierres qu'elle 
contient endommageraïent considérablement les dents de 
‘la rape, on jugera cette quon d'une ou nc 
nécessité. 


Se 


+ Deux forts chevaux , attelés aux timons d'un manège, 
font tourner un rouet-horizontal de quatre mètres de 
diamètre ,: sur la jante duquel sont distribuées cent 
cinquante-six ‘dents qui engrainent une lanterne de neuf 
-fuseaux ,'dont l'axe horizontak traverse:le’:mur :mitoyen 
‘et ‘passe dans la pièce voisine: où est la rape. Cette ex- 
trémité de l'axe de: la ‘lanterne porte : une . poulie: sur 
Jaquelle s’enveloppe une courroie sans fin , : qui embrasse 
aussi une poulie attachée. à l'axe d'an. rouet de fonte 
‘d’un mètre seize centimètres de diamètre, qui: porte cent 
lyingt ‘dénts sur la eirconférence. . Ce rouet engrene 
un ‘pignon de huit dents ; qui est à l’axe même de la rape- 

Cétte ‘rape est-un: cylindre’ dünt lPaxe est horizontal, 
et dont la surface courbe est armée de lames dentées 
en acier. C’est à ces lames qu'un ouvrier présente les 
betteraves ,: en les engageant ‘dans des couloirs ‘inclinés 
avec deux poussoirs en bois qu'il tient à chaque main. 
Un arrêt règle la course de ces poussoirs ; ‘afin qu'ils 
ne puissent toucher les dents de la rape. Un enfant 
placé: à droïte ,-un autre placé à gauche-de cet ouvrier, 


134 . Mémoires. 


prennent dans des mannes, où on les dépose quand 
elles sont lavées, les betteraves dont ïls fournissent 
continuellement les couloirs. | 

On donne le mouvement à la rape, ou bien on le 
suspend au moyen d’une poulie mobile, appelée poulie 
. de tension , qu’on amène sur la courroie sans fin, qui 
. communique le mouvement de l'axe de la lanterne à 
: l'axe du rouet en fonte. Cette poulie est tenue en équi- 
libre par un contrepoids. Quand ce contrepoids descend 
la poulie tend la courroie, et il y a communication de 
mouvement du manège à la rape; quand il monte, la 

courroie est détendue et la rape reste immobile. 

. Cette machine, de l'invention de M. Thiery, mue 
par deux forts chevaux, réduit en pulpe très-fine, et 
en:sept heures, les cinq mille kilogr. de racines sur 
‘lesquelles on opère chaque jour. Au pas ordinaire des 
. chevaux , elle fait sept 2 huit cents tours par minute. 

Un baquet , doublé en plomb, placé au - dessous de 
‘la rape, reçoit la pulpe. Les ouvriers la prennent avec 
des pelles, et en remplissent des sacs en toile. Chaque 
‘sac contient 12 à 13 kilogr. de pulpe. 

_ Ces sacs sont placés entre des claies, et on en forme 
‘une pile de vingt sacs qui conliennent ensemble environ 
.deux cent cinquante kilog'ammes. Cette pile est arran- 
gée au-dessus d’un baquet doublé en plomb, placé près 
de la rape, et elle est portée sur une presse à cric, dont 
un ouvrier seul fait agir la manivelle, et on obtient 
.une quantité de suc égale à la moitié du volume de 
la pile, EN 1: | 

Pendant cette opération, une pile semblable à la 
‘première a été formée. On la soumet à la même pression, 
et de ces deux piles réunies, on en forme une seule, 

| qu'on 


MÉMOIRES. 155 


qu’on place sous une presse à vis, pour lui faire sabir 
une seconde pression. Dabord un ouvrier fait descendre 
la vis avec un petit levier; quand les forces sont insuf- 
fisantes, un second vient l'aider avec un levier plus 
long; ensuite vient un troisième, puis un quatrième, 
enfin les sept ouvriers qui sont dans cet atelier ( non 
compris ceux qui sont occupés par la rape ) pressent de 
toute leur force, au moyen d’un levier de quatre mètres 
de, longueur. La pile éprouve alors une pression dont la 
moindre évaluation est de cinquante mille kilogrammes. 

On laisse ainsi cette pile rendre du suc pendant tout 
le tems nécessaire pour charger une seconde presse 
à vis. Deux presses semblables suffisent pour le service 
journalier ; cependant une troisième est indispensable 
pour suppléer celle à laquelle il pourrait arriver quel- 
que accident. 

La tâche de ces sept ouvriers est de presser chaque jour 
les cinq mille kilogrammes de pulpe que fournit la rape. 

Nous avons dit que chaque première pile contenait 
deux cents cinquante kilogrammes de pulpe renfermée 
dans vingt sacs. Comme le poids de la pulpe employée 
journellement est de cinq mille kilogrammes , la presse 
à cric sera donc chargée vingt fois et les sacs seront 
remplis et vidés chacun vingt fois. Ces vingt piles de 
la presse à cric en formeront dix pour les presses à 
vis qui seront chargées chacune cinq fois par jour, et 
chaque fois du résidu des cinq cents kilogrammes versés 
primitivement dans quarante sacs et soumis déjà à une 
première pression. 

Par ces deux pressions les quarante sacs rendent trois 
cents cinquante à trois cents soixante-quinze litres de 
suc ;_ les cinq mille kilozrammes en rendront par consé- 

LE 4 Lis, | 10 


136 MÉMOIRES. 


quent en dix pressions trois mille cinq cents à trois 
mille sept cents cinquante kilogrammes. Ainsi le rapport 
entre le suc et la pulpe avant d'être pressée est de 
70 à 75 2 


a 


100 500° 


Un couloir en plomb adapté à chaque presse conduit 
le suc. exprimé dans deux récipients où cuves doudhlées 
en plomb, où ïl se distribue par égale portion. L’une 
est remplie le matin et l’autre le soir. Chacune contient 
environ dix-huit cents litres de liquide. — 

Aussitôt qu’une cuve est remplie, on procède à une 
première opération ,; qui est l’acidification du suc : 
on jette dans la cuve, par hectolitre de liquide, deux 
hectogrammes quarante granmes d'acide sulphurique 
préalablement étendu d’eau , dans la proportion d’une 
partie d’acide à soixante-sept degrés, sur trois parties 
d’eau ; à mesure qu’on verse l'acide on agite le suc et 
que le mélange paraît bien fait on le laisse reposer 
jusqu’au lendemain. ) 

‘Outre que l'acide prépare Île suc à la dessication et 
à une parfaite clarification, il l'empêche encore de 
fermenter. Le suc ainsi acidifié peut se conserver 
pendant plusieurs jours, sans altération, tandis que 
le suc abandonné à lui-même, fermente promptement , 
et l'intervalle d’une nuit pourrait le rendre hors d’état 
d'être employé, surtout quand la température est un 
peu élevée. 
meme 
CLARIFICATION. 


Au-dessus de ces deux cuves est un échafaudage sur 
lequel un ouvrier se place pour y puiser le suc acidifié. 
I l'élève avec un chaudron en cuivre, fixé à une 
perche dont l’autre extrémité est attachée par une corde ; 


MÉMOIRES. 157 


cette corde s’enroule sur deux poulies fixées au plafond, 
et porte à son autre extrémité un contrepoids qui aide 
à soulever le chaudron plein de liquide. 

L'’ouvrier verse ce que contient le chaudron chaque 
fois qu’il l'élève, dans un couloir doublé en plomb qui 
le porte dans les chaudières de clarification. Ces chau- 
dières sont assez élevées sur leurs fourneaux, pour qu'au 
moyen de couloirs mobiles, et en ouvrant leur robi- 
net, le suc clarifié puisse s’écouler de lui-même dans 
les chaudières de concentration qui sont dans le:même local. 

Chacune des deux chaudières de clarification doit pouvoir 
contenir dix-huit cents litres, c’est-à-dire , elles doivent 
être de même capacité que les cuves où le suc a été 
acidifié. En outre les bords doivent en être assez élevés 
pour retenir la grande quantité d'écume qui se forme 
pendant la clarification. 

Après avoir bien nétoyé les chaudières, on répand 
uniformément sur le fond, de la craie pulvérisée dans 
la proportion de cinq hectogrammes par hectolitre de 
suc. Alors on verse le suc et on l'agite fortement, 
afin de rendre le mélange assez prompt pour que l'acide 
n’exerce pas son action sur le cuivre des chaudières, On 
ajoute ensuite dans chaque chaudière, par hectolitre de 
liquide , cent: cinquante grammes de chaux vive préala- 
blement éteinte à l'air, avec une assez grande quantité 
d’eau pour former un lait qu’on mélange bien avec le suc. 

On met le feu sous la chaudière et lorsque la tempé- 
rature de la masse est élevée à vingt-cinq ou trente 
degrés de Réaumur , on y ajoute encore du sang de bœuf 
dans la proportion d’un litre et demi par hectolitre de suc. 

Quand le mélange est bien fait on presse le fea vigou- 
reusement. Deux heures suffisent pour porter le liquide 


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1358 MÉMOIRES. 


à l’ébullition. On constate cet état au moyen d’un ther- 
momètre qui s'élève à 80 degrés, mais les ouvriers le 
reconnaissent quand la croûte formée par les matières 
séparées du liquide par les opérations précédentes , et qui 
_se sont portées à la surface, commence à se fendre. 

On ôte alors le feu du fourneau; on enlève avec une 
écumoire toutes les matières qui surnagent ; on les dépose 
sur un filtre en laine placé au-dessus d’un baquet doublé en 
plomb, au fond duquel est un conduit aussi en plomb 
qui porte ce qui passe au travers du filtre dans une 
des chaudières de concentration. Quand ces matières ne 
donnent plus rien sur le filtre, afin de ne rien perdre de la 
matière sucrée qu’elles peuvent contenir, on les met dans 
des sacs entre des claies, con.me dela pulpe ; et on les 
fait passer sous une presse pour en exprimer le suc. Cette 
opération se fait dans une presse uniquement destinée à 
cet usage et placée dans le même local que les chaudières. 

Peu de temps après avoir écumé , les matières qui 
n'ont pô être élevées se précipitent ; le suc est alors d’une 
couleur jaune et parfaitement transparent. On ouvre le 
robinet, et on répartit le suc contenu dans une chaudière 
de clarification , par égale portion, dans les six chaudières 
de concentration. | 

Nous avons dit que le suc de la pulpe pressée dans 
une matinée, et celui de la pulpe pressée dans un après- 
midi, étaient mis séparément dans deux récipients, où 
ils sont acidifiés. 

Le lendemain matin, on verse dans une des chaudières 
de clarification , le suc qui provient du travail de la 
matinée de Ja veille ; pendant que ce suc se clarifie on 
verse dans la seconde chaudière de clarification le suc 
qui provient du travail de l’après-midi de la veille, 


MÉMOIRES 239 

Aussitôt que la première chaudière est élarifiée, on 
met le feu sous la seconde; et, pendant que la seconde 
se clarifie, le suc de la première versé dans les six 
chaudières de concentration a eu le temps de se con- 
vertir en sirop et il est immédiatement suivi par le suc 
clarifié dans la seconde chaudière. 

Chaque chaudière de concentration a 2", 32 centimètres 
de longueur sur une largeur de 1*, 06 centimètres, 
et présente une surface de 2", 44 centièmes carrés- 

Il se fait pendant la clarification une évaporation qui 
peut être évaluée au dix-huitième de la masse ; de sorte 
qu’on ne verse que deux cents quatre-vingt à trois cents 
litres de suc dans chaque chaudière de concentration 
où il est à la hauteur de onze à douze centimètres. 

On l’entretient constamment en ébullition , jusqu’à ce 
qu'il marque trente-un degrès au pèse-liqueur de 
Beaumé. Cette opération dure environ cinq heures. Alors 
les 1805 litres de liquide que contenait une chaudière 
de clarification se trouvent réduits à 220 ou à 240 litres 
de sirop selon la richesse des betteraves en matière sucrée. 

On vide les chaudières sans en retirer le feu et on 
y verse de suite le suc de la deuxième chaudière de 
clarification qui a été préparé pendant la concentration 
du suc de la première. 

Ainsi , le suc des cinq mille kilogrammes de betteraves 
employées, se trouve à Îa fin du deuxième jour trans. 
formé en quatre cents quarante ou en quatre cents 
quatre-vingt litres de sirop à 31 degrés de Beaumé. 

Ce sirop est déposé dans des futailles doublées en 
plomb, placées dans la pièce où est l'escalier qui conduit 
à l’étuve et qui est maintenue à une température modérés: 
par le fourneau de l'étuve qui y est en partie placé, 


140 MÉMOIRES. 


Chaque pièce contient le produit d’une journée de 
fabrication ; on laisse reposer Le sirop pendant dix jours, 
temps nécessaire pour que les matières étrangères qui. 
en troublent la transparence puissent se déposer. 

: Des robinets placés à différentes hauteurs au-dessus du 
fond des futailles, permettent de tirer ce sirop au clair. 
Les sédimens de chaque tonneau sont partagés en deux 
parties qu’on verse chaque jour dans les deux chaudières 
de clarification , afin qu’une seconde opération en enlève 
encore la matière sucrée qu'ils peuvent contenir. L'ordre 
établi dans la fabrique ne permet pas de les soumettre 
à une clarification particulière. 


Lé 


CRISTALISATION. 


: M. Crespel cristalise ses sirops par le procédé que M. 
Achard appelle Cristalisation regulière , c’est-à-dire, en 
versant le sirop concentré dans des vases plats et en les : 
soumettant” à une évaporation lente ; par ce moyen il 
obtient un sucre brut sous la forme de cristaux candis. 

. On verse les 440 ou les 480 litres de sirop concentré, 
dans des vases évaporatoires qui ont, 0",62 centimètres 
de longueur 0”,47 centimètres de largeur, .et qui présentent 
une surface de 0o",29 décimètres carrés; on en met en- 
viron vingt litres dans chaque vase. Ainsi l'ouvrage d’un 
jour en exige une vingtaine, et le service de l’année er 
exige sept à huit cents. Il est à observer que ce nombre 
ne suyait pas si on voulait cristaliser à mesure qu’on 
forme des sirops. Mais on tient ceux-ci en réserve 
daus de vastes cuves où dans des tonneaux doublés 
en plomb, et l’on coutinue les travaux de cristalisation 
pendant une partie de l'été. 


MÉMOIRES. TA 

Ces vases sont portés dans l’étuve ‘et placés sur des 
rayons dont la distance verticale est de seize à. vingt 
centimètres. Cette étuve placée au-dessus de la pièce où- 
déposent les sirops , est entretenue à uue température 
de 25 à 30 degrés de Réaumur par le, fourneau dont 
nous avons déjà parlé. 7 

Chaque jour, il se forme à la surface des vases + une 
croûte de cristaux qui en s’opposant à l’action de l'air sur 
le liquide retarderait l’évaporation , si on n'avait le soin 
de briser cette croûte avec une spatule en bois et de la préci- 

piter au fond des vases où les cristaux Feet pius de 
| consistance. 

Après un séjour de six semaines , les vases ne. . pré- 
sentent plus qu’une masse de cristaux mélangés de 
beaucoup de matière sucrée non. cristalisable, : 

On verse ce magma dans des sacs de toile. qu'on 
place entre des claies, et on. sépare les cristaux dé la 
matière sucrée non cristalisable en soumettant le tout 
à une pression. | 

On forme des. piles. de vingt sacs, qui contiennent 
le magma de vingt vases à cristalisation ou produit du 
travail d’un jour. Après avoir laissé une pile pendant 
vingt-quatre heures.sous la presse , on verse les cristaux 
restés dans les sacs de la pile dans d’autres sacs et on 
les soumet à une seconde pression dont la durée est de 
vingt-quatre heures ; deux presses à vis suffisent pour ce 
service journalier pendant les 110 jours de fabrication. À 
la fin des travaux, toutes les presses qui étaient occupées à 
la pression des pulpes et des écumes servent au même usage. 

Ces vingt sacs ont alors laissé écouler environ cent 
&nquante kilogrammes de: mélasse et contiennent deux 
cents à deux cents cinquante kilogrammes d’un sucre 


‘142 MÉMOIRES. 


‘brut d’un jaune clair, d'une saveur agréable et douce 
‘ét propre À être livré au commerce. 

Ainsi; M. Crespel obtient en moins de deux mois, 
des betteraves récoltées dans les envions d'Arras, un sucre 
brut comparable pour la qualité au sucre brut de même 
couleur qui vient des colonies, et la saveur en est moins 
âcre que celle de ce dernier, dans lequel on sent encore 
fortement la présence du vesou, et sans autre épura- 
tion il pourrait servir aux mêmes usages que le sucre 
terré. Les rafineurs le recherchent, parce que sous le 
même poids il contient beaucoup plus de matière sucrée 
cristalisable. | 
_ La mélasse sert aux mêmes usages que la mélasse 
‘des colonies : elle est livrée au commerce en nature ou 
bien on en extrait par la distillation un rhum d’un 
goût très-agréable. 

” Nous voilà, Messieurs , arrivés à a fin des détails de 
la manipulation. Nous avons tâché de vous présenter 
avec clarté les procédés de la fabrication adoptés par 
notre collègue. Nous nous sommes abstenus de toute 
observation et de toute comparaison de ses procédés avec 
ceux qui ont été publiés par divers auteurs dont les 
ouvrages sont entre les mains de tout le monde, et, pour 
ne pas abuser des momens de la Société, nous laissons 
aux personnes qui liront ce mémoire le soin d'établir 
le parallèle, (1} 


({ 1) M. le Préfet a depuis, par un arrêté du 28 décembre 
1818, nommé des Commissaires pour faire rafiner en leur pré- 
sense des sucres bruts, dont le produit est destiné à S. 4, R. 
Mo seigneur le Duc d’Angoulême qui, dans la visite qu’elle 
8 faite à cef établissement , le 10 décembre, a permis que cet 
envoi lui fut adressé, | 

_ La Société denaera plus tard le rapport de ces Commissaires. 


MÉMOIRES. 143 

M. Crespel travaille depuis 1816. C’est en r8r1 qu'il 
a adopté le procédé que nous vous avons exposé ét qu'il 
a depuis invariablement suivi ; c'est le procédé de M. 
Acbard, qui a subi les modifications que l'expérience 
a suggérées à notre collègue. 

Les résultats sont semblables. M. Crespel obtient de 
betteraves récoltées dans les environs d'Arras une quan- 
tité de sucre égale à celle que M. Achard obtient de 
betteraves cultivées en Prasse et plus considérable que 
celles que M. Derosne obtient de betteraves récoltées 
dans les environs de Paris. 

Afin d'établir complètement la balance des recettes êt 
des dépenses nous allons examiner les PURE accessoires 
de la fabrication. 


MÉLASSE. 


Quand l'eau-de-vie est à un prix élevé » il est Su 
avantageux de distiller la mélasse que de la livrer en 
nature au commerce. 

Pour cette opération, il faut joindre à l'alambic douze 
euves à fermentation, plus une chaudière pour faire 
chauffer l’eau nécessaire pour hâter la fermentation de 
la mélasse. Cette chaudière sert encore À attiédir l’eau 
dans laquelle pendant l'hiver on lave les betteraves. 

On délaye soixante kilogrammes de mélasse dans trois 
cents cinquante litres d’eau tiède ; on y ajoute environ 
deux litres de levure de bierre. La fermentation s'établit 
aussitôt et se termine après quatre, six, et même après 
dix-huit jours. La distillation de chaque cuve ainsi char- 
gée, se fait en quatre heures, et donne de l’eau-de-vie 
qui coule d’abord à dix-sept et à la fin à onze degrés, 


144 MÉMOIRES. 


Par une rectification, on obtient trente à trente-cinq 
litres d’eau-de-vie qui, dans le commencement de l'o- 
pération est à trente-trois, et à la fin à treize degrés, 
ce qui donne une eau-de-vie à dix-neuf ou à vingt 
degrés, bien supérieure à l’eau-de-vie de grains. 

Ïl faut un demi-hectolitre de charbon pour la distil- 
lation d’une cuve. On en distille trois par jour, et îl 
faut, pour diriger l'opération, deux ouvriers payés à raison 
d’un franc 25 centimes par jour. 


= emma 
: EmpLzior DU MATTOU PULPE PRESSÉE. 


Le matt ou pulpe pressée, fournit aux bestiaux une 
nourriture abondante, qui leur donne beaucoup de lait 
et les engraisse parfaitement. La chair des animaux 
nourris ainsi est remarquable par sa beauté et sa saveur. 
On en obtient aussi une quantité plus considérable de suif. 

La ration d’une bête à cornes est par jour de 25 à 
30 kilogrammes. Il faut trois ou quatre mois pour l’en- 
graisser, en ne lui donnant seulement que de la pulpe; 
mais si on y joint tons les jours un tourteau de lin, 
la sagitation est beaucoup plus prompte et la chair en 
est plus fine. | 

Le matt produit journellement est d'environ deuze 
cents kilogrammes. Le produit de cent dix jours de fa- 
brication est de ceut trente-deux mille kilogrammes; 
31 bêtes À cornes nourries dans les étables de M. Grespel 
en ont consommé soixante et quinze mille kilozrammes. 
Le reste s’est vendu À raisou de quinze francs les mille 
kilogrammes. 

Ces trente-et-une bêtes à à cornes, achetées en automne, 
ont coûté cinq mille deux cents cinquante francs ; elles 


MÉMOIRES. 145 


ont été vendues au mois de mars sept mille quatre 
cents cinquante francs. Le bénéfice est de deux mille. 
deux cents francs, dont il faut déduire quatre cents 
francs pour la dépense de deux ouvriers qui les ont 
soignées pendant cent dix jours ; le bénéfice net est donc 
de mille buit cents francs, ce qui porte les mille kilo- 
grammes à vingt-quatre francs au lieu de quinze francs, 
prix auquel ce que les animaux n'ont pas consommé 

a été vendu. in + 

Deux circonstances droles ont encore contribué 
à atténuer le bénéfice fait sur la nourriture des bestiaux. 
Cette année, les bêtes à cornes ont été tres-chères 
avant l'hiver, et le prix en a baissé au printemps , ainsi 
ce bénéfice peut être regardé comme un minimum. 

En outre , la litière de 34 bêtes à cornes et de 4 chevaux 
a fourni de quoi fumer quinze mesures de terrain. Ce 
fumier peut être évalué à vingt-quatre francs par mesure. 

Voici, Messieurs, la balance des recettes et des dé- 
penses de cette fabrication. Nous établirons notre calcul 
sur le produit d’une mesure des environs d'Arras, dont 
la superñcie est de 42 ares gr centiares. 

———.— EE Eemeemememment | 
PRODUITS. 

Le produit de 42 ares, 91 centiares, varie de 8 à 20 
miile kilogrammes de betteraves, nous prendrons le 
terme moyen de M. Crespel, c’est-à-dire 10,000 kilog. 

Ces dix mille kilogrammes pressés en deux jours, . 
fournissent 7,000 à 7,500 kil. de suc, et environ 2400 
kilog. de matt. 

Ces 7,000 ou 7,500 kilogr. de suc acidifiés, clarifiés, 
rapprochés en deux jours, fournissent 880 à 960 litres 
de sirop à 31 degrés de Beaumé, 


146 MÉMOIRES. 

Ces 880 à 960 litres de sirop cristalisés, rendent, an. 
bout de six à sept sémaines, 400 à 5oo kilogrammes de. 
sucre brut, et 300 kilogrammes de mélasse. 

Le sucre brut se vend dans le commerce à raison 
dé 1 f. 7oc. le kilogramme. 

La mélasse à raison de o',40o° le kilogramme, et le 
matt à raison de 15 francs les mille kilogrammes. 

D'après les données ci-dessus , nous avons établi les. 
rapports suivants, entre les différens produits de Ja 
fabrique de M. Crespel, en les comparant à ceux que 
M. Achard a obtenus en Prusse. 


147 


MÉMOIRES. 


*82AU197124 XNE 98SUJaUI €] 2p 3 a1ons nG 
* °° + dous ne osseppur j op 3e axons nq 


LUVHOV'N I 'IAdSAU9 NN 
LNVAINS LNVAINS 


° + + * ions ne 9ssejur ef 2 
° * * «dons ne ossepour tj qq 
* $9AU197J94 XNE 9SSEJ9U EI] 0( 
‘+ +++. «dons ne arons nq 


+ ‘ONs ne 9219n8s np PI 


* *S9AU19}J0Q XNE 910n8 np ‘p7 
+++ ons ue dos np ‘py 
® + + *s24t197j2q xne dons np *p 
* * °S2AU19732{ XNE JJUUI 2P pT 
* $94819}9{, XUE ON$ NP LHO4AVY 


140  MËÉMoiReEs. 
| DÉPENSES. 


Frais de culture pour 42 ares gt centiares : 


M. Crespel loue vingt-cinq mesures de terre à 46 fr. 
la mesure ; les frais de culture d'ane de ces mesures, 


font : 


fr, oc 
Loyer. : 3.05 00 005 46 
Impôt... soso. 7 » 
Deux labours et deux hersages. . . . . . 24 » 
Trois sarclages.. . ........... +. 24 » 
Fumier évalué... 24 » 
Déplantation. ......,...,..... 6 » 
Transport des racines dans Île magasin. . 20  » 


Achat de la graine. ...,......... 6 » 


ToTAL. Se ES 157 » 


Il loue vingt-cinq autres mesures au prix de deux 
cents francs par an, mais il n'a à y faire 1 les opérations 
suivantes: 


fr oc 
Sarclage. . .5.:. 5... 24  » 
Déplantation. ..,...:..... 6 » 
Graine. 4 4e es + 6 0 6 0 0 6 » 


TOTAL. a CCR 36 ni 


Eoyers eos... 200 » 


TOTAL. ,.... 236  » 


MÉMOIRES. 149 


2° Dépenses journalières de la fabrication. 


_Vingt-neuf ouvriers et un contre-maître. . 37 5o 
Nourriture et harnois de quatre chevaux. . 14 » 
Douze à 15 hectolitres de charbon. . . . 40 » 
Chaux... ss. » 30 


Acide: 5 kil Aa De Gurs ss ri dre 6 48 
Sang de bœuf, 64 litres . ..... 5. 1  » 


TOTAL. . . .. 99 28 
à , * : 
EN 
3° FONDS DE CAPITAL. 


Les bâtimens sont évalués 20,000 francs ; l'intérêt de 
ce capital, mis à 6 pour cent, fera 1200 francs, qui, 
répartis entre les 110 jours de fabrication, font r10!,90 
par jour. | 

La valeur des ustensiles nécessaires à la fabrication, 
est de 25,000 francs. On doit porter l'intérêt de cette 
somme, dont la valeur serait presque nulle en cas de 
chûte de l’établissement, à 12 pour cent ; ce sera 3,000 
francs, qui, répartis en 110 jours de fabrication, font 
27 f. 27 c. par jour. | 

On doit porter encore les petits frais et les répara- 
tions , au dixième de l’intérêt de ces deux capitaux, ce 
qui donne encore une dépense de 3 f. 82 c. par jour. 

Le propriétaire paye journellement les dépenses de 
l'établissement pendant les deux mois qui s’écoulent 
avant qu’il puisse vendre aucun de ses produits; ce qui 
forme une avance de fonds de 60,000 francs au moins, 
dont l'intérêt mis à 6 pour cent par an, donne pour 
deux mois, 600 francs, et par jour ro francs. 


a 27 


LL MÉMOIRES. 


Si en récapitulant toutes ces dépenses nous les co mp- 
tons pour deux jours de travail, nous aurons: 
Dépenses de main-d'œuvre dans l'établis- US 
sement. . ee ee oo + + 4 198 50 
Intérêt des fonds placés dans les bâtimens. 21 60 
Intérêt du capital des ustenciles, . .. . . 54 50 
Le dixième de ces deux intérêts pour 


réparations. 0... ee + + + 7. Go 
Intérêt de l'avance de fonds , le tout pour | 
deux Jours. . . 9 = 0 0e ee + ee ee 0e ee © © 20 » 


ToTAL:. : .. 302" 46 


Si nous ajoutons à cette dépense les frais de culture 
des vingt-cinq mesures de terre, louées 200 francs , les 
produits qu'on obtiendra , en mettant en œuvre dix mille 
kilogrammes de betteraves, reviendront à 538 fr. 46 c. 

Si nous y ajoutons les frais de vingt-cinq mesures 
louées 46 fr., ces mêmes produits ne nous reviendront 
qu'à 459 francs 46 c. 

_ En deux jours il se fait dans l’établissement deux mille 
_ quatre cents kilogrammes de matt qui, au prix de 15 
francs les mille kilogrammes, valent 36 francs. 

Il se fait dans le même espace de temps, 300 kilo- 
grammes de mélasse qui, vendue au prix de of. 4o c. 
le kilogramme, rendent 120 fr. 

Si nous déduisons ces deux sommes des dépenses pré- 
cédentes, le sucre seul ne nous reviendra qu'à 382 fr. 
46 c., ou à 503 f, 46 c. 

Nous avons dit que la quantité de produit en sucre 
variait de quatre à cinq pour cent. Si le sucre nous 
revient à 382,46 et que.le produit soit de 4 pour cent, 
c’est-à-dire, 4oo kilogrammes; le kilogramme de sucre 

| nous 


: MÉMOIRES. 151 


nous reviendra à environ o, "96 * Si le produit est 
de cinq pour cent, c'est-à-dire 500 kilogrammes , le 
kilogramme ne nous reviendra qu'à o, fr 96 © 

Mais si, comme il peut arriver à tout propriétaire qui 
étabürait son usine dans ses domaines, les dix mille kilo- 
graiumes ne reveuaient qu'à 303 fr, 46, le kilozramme 
ne lui reviendrait q»'à 0," 6o ou à 0," 75 certimes. 

Voilà, Messieurs, les faits les plus intéressans que nous 
avons pu recueillir sur cette importante exploitation ; il est 
inutile de vous dire que M. Crespel travaille chaque jour 
à étendre et à améliorer celte nouvelle branche d'industrie, 

Tels sont les résultats de la persévérance et de la 
Jutte courageuse de quelques hommes amis de la pros- 
ptrité de leur pays ; contre l'opinion de tout un peuple, 
ils sont parvenus à nous donner le sucre à aussi bon 
marché que celui qui nous vient de l'étranger. Les Lé- 
néfices de la culture tendent à augmenter le revenu 
et la valeur des terres; ceux de la manipulation sont 
en partie versés parmi la classe pauvre, puisque dans 
certains momens M. Crespel occupe jusqu’à deux cents 
ouvriers, et le produit de la fabrication, livré au commerce 
comme provenant de l'étranger , retient une portion cu 
numéraire que l'immense consommation du sucre en 
fait sortir chaque jour. Ainsi, dans cette exploitation , tout 
est profit pour la patrie , tout est bienfait pour l’huma- 
nité, et quand les fabriques seront assez répandues pour 
suffire à nos besoins , nous n’aurons plus à rougir de 
la devoir à la main des esclaves ; elle nous sera préparée 
par lès mains libres des enfans de la France. 

| Les Membres de la Commission, 
3. MencCIzR. B. TERNINCK." 
Le Rapporteur, Aimé BURDET. 
14 Liv, IL 


792 MÉMOIRES. 
VOILE LL VEUVE LU VEILLE UV EVA 
DE LA HAUTEUR DU NIVEAU 
DES EAUX 
SUR LE BASSIN ORIENTAL 
DE LA MÉDITERRANÉE. 


Quelles sont les causes de l’abaissement de ce niveau, 


LS 


relativement à celui de l'Océan ? 


Par MCORANCEZ, ancien Consul à 4lep, 
Membre correspondant de la Société. 


L: Bassin de la méditerranée, qui entoure lile de 


Chypre et se prolonge depuis le canal de Cérino jusqu’au 
fond du golfe d’Alexandrette , est le plus oriental de 
cette mer. Ce bassin est remarquable par l’abaissement 
de son niveau au-dessous de locéan. C’est un phéno- 
mène bien singulier que celui de cette différence du niveau 
des deux mers ; phénomène constaté par celle qui a été 
mesurée entre les eaux de la Méditerranée sur les côtes 
d'Egypte et celles du golfe de Suez. Cette différence , 


. d'abord apperçue par les anciens, révoquée depuis en 


doute par les modernes, a été enfin prouvée sans réplique 
par les opérations des ingénieurs français, en Egvpte. 
Le résultat qu’ils ont obtenu est d'autant plus remar- 
quable, qu'il ne diffère que très-peu de celui dont les 
lraditions anciennes avaient conservé le souvenir, sans 
conserver celui des procédés qui y avaient conduit. Ainsi, 
cetle grande question qui semblait devoir alimenter long- 
lems encore les discussions et le doute paraît enfin décidée. 

Il n’en est pas de même des causes de ce phénomène; 
tant que l'existence de ce dernier parut douteuse, Île 
mième caraclère d'incertitude et de vague se trouvait 


MÉMOIRES. 153 


appartenir aux hypothèses imaginées pour son explication. 
Aussi les causes en sont-elles à peine indiquées. C’est 
à leur développement que ce mémoire est consacré. 

La question que je me propose de traiter est entière- 
ment neuve, au moins par le point de vue sous lequel 
je l’envisage. (1) En examinant la forme actuelle de la 
Méditerranée, celle. des deux bassins bien distincts qui 
composent cette mer, les circonstances particulières qui 
les caractérisent ,. j'essaye de faire voir qu'il doit y avoir 
une inégalité dans le niveau des eaux aux deux extré- 
mités de cette mer. Cette inégalité est encore confirmée 
par les révolutions que la figure et la surface de la 
Méditerranée ont successivement éprouvées et dont Îles 
Grecs nous ont conservé les ouvenir. De là, l'examen de 
ces révolutions ; la comparaison de l’état actuel et de l’état 
ancien de la Méditerranée ; la preuve d’une différence de 
niveau dans l’état actuel, parce que cette différence est 
prouvée dans l’état ancien par les lieux et par les ravages 
du déluge, dont l'existence est consacrée dans l’histoire. 

C’est ainsi que les monumens historiques, les obser- 
vations tirées de la nature des lieux, s'accordent à prouver 
Ja nécessité d’une différence de niveau, dont les opérations 
des ingénieurs français en Egypte ont directement dé- 
montré l'existence. Quelle est la mesure de cette différence? 
C'est ce qu'il est plus difhcile de conclure à priori des 
considérations que je viens d'indiquer. Cette dernière 
recherche est pourtant moins épineuse qu'elle paraît 
devoir l'être au premier —— On en db juger 
par la lecture de ce méinoire. : | 

(tr) M. Martin, Ingénieur , a’avait qu’eflleuré cette question en 


2804. 
. Voyez ses recherches sur les mœuts des anciers Peuples. 
Tom. IL. Page 4t. j 


154 | MÉMOIRES. 

Pour faciliter cette lecture , j’examine dans une premitre 
section , quelle est la figure et la position des bassins de 
la Méditerranée , dans son état ; et j'y établis les corol- 
laires de cet examen. 

La deuxième section est consacrée à la discussion des 
révolutions qué cette mer a successivement éprouvées, 
à la distinction et au développement de celles de ces 
révolutions qui se lient à la question actuelle. 

Dans la troisième section , après avoir fait voir que 
les considérations précédentes déterminent une différence 
de niveau, j'indique le moyen de connaître à priori la 
quotité de cette différence. 

Cette dernière section exige des calculs assez compliqués; 
mais on peut y suppléer par des considérations plus sim- 
ples, ét par l'analogie de la question à résoudre avec : 
d’autres déjà résolues. J'en citerai , pour exemple, les lois 
des oscillations de l’eau dans un vase de figure donnée, 
lois que je crois dignes de fixer l’attention des géomètres 
par leur simplicité et par le rapport remarquable qu'elles 
ofrent entre la théorie et l’expérieñce. 

| $ IL.‘ | | 
. En examinant sur une carte la grandeur et la forme 
de la Méditerranée, on freconnaît que sa dimension la 
plus étendue est de l’est à l’ouest, depuis la côte de Syrie 
jusqu’au délroit de Gibraltar. Sa longueur dans cette 
direction est de quarante degrés environ ( 1) Sa largeur 
est variable. On peut, dans le sens de cette largeur, la 
séparer en deux portions bien distinctes. L'une est un 
triangle irrégulier, ayant pour base la côte d'Afrique , 
depuis Tanger à Pextrémité du détroit, jusqu’au cap qui 
s'avance dans la mer auprès de Barca, Le sommet de 


. (1) Près de huit cents iieues, | 


MÉMOIRES. 1959 


ce triangle est au fond du golfe de Gènes. Ses deux côtés 
sont formés par les courbes irrégulières que décrivent à 
l’ouest la côte d'Espagne , à l’est la côte d'Italie , et plus 
bas le gisement des terres jusqu'à lile de Candie. 

Ce Bassin compose seul une grande partie de la sur- 
face de la Méditerranée, surtout si on y joiat la mer qui 
. baigne l’Archipel. Indépendamment des eaux que lui four- 
nit l'Océan au détroit de Gibraltar, il en recoit une 
grande masse de tous les fleuves de France, d’Espagne 
et d'Italie qui y ont Icur embouchure. 

Le second Bassin, beaucoup moins étendu, est borné 
au nord par la côte de l'Asie mineure, depuis Rhodes 
jusqu’à Alexandrette ; à l'Orient par la côte de Syrie 
jusqu'à Damiette; au sud, par la côte d'Egypte, et par 
‘le désert qui sépare Alexandrie de Barca. La figure de ce 
bassin est un quadrilatère, de forme irrégulière, dont 
le quatrième côté serait une ligne tirée depuis la côte 
d'Afrique auprès de Barca, jusqu’à la pointe méridionale 
de l’Asie mineure au-dessus de Rhodes. Cette dernière ligne 
est un peu inclinée à la direction des méridiens. Elle termine 
à l’ouest le Bassin oriental de la Méditerranée. D’après les 
dimensions que j'ai indiquées il a une longueur moyenne de 
neuf degrés de l’est à l’ouest , sur cinq degrés de largeur. (1) 

On peut donc évaluer la surface de ce bassin par celle 
d’an carré long, qui aurait deux cents lieues sur l’une de 
ses dimensions , et cent vingt-cinq lieues sur l'autre ; ce 
qui donne deux mille cinq cents lieues carrées à peu-prés. 
Dans cette vaste étendue, elle n’a aucune communication 
avec d’autres mers. Les seules eaux qu’elle reçoit sont 


C1 ) Cette dernière quantité exprime la différeuce moyenne 
des latitudes en’re les cûtes méridiorales de l’Asie mineure et 
les :ivarses opyosés de l’Africue, 

b Pr : 


ed 


156 MÉMOIRES. 


celles du Nil au midi; à l’est et au nord celles de l’Oronte 
et de quelques fleuves fournis par le Taurus. Comme ces 
montagnes sont peu éloignées de cette mer, ils sont tous 
peu considérables. Le Nil qui, à l’époque de l’inondation, 
contient une très grande masse d’eau, en a beaucoup 
moins depuis l’équinoxe du printemps jusqu’au solstice 
d'été. Alors son lit est resserré, la navisation en devient 
dificile. Il ne fouruit à la mer que très-peu d’eau. La 
différence en plus qui doit exister à Vénoque de linon- 
dation est moïus considérable qu’on n’est d’abord tenté de 
le croire. En inondant le sol qu’il fertilise , ce fleuve perd 
sur les terres d'Egypte une grande partie de ses eaux. 
Aussi, vers son eimhouchure , et même à Rosette, qui 
en est éloignée de deux lieues, la différence du niveau 
des eaux n'est jamais très-sensible. 

La quantité d’eau fournie au bassin oriental de la 
Méditerranée, dont nous venons de déterminer la sur- 
face, est donc très-petite relativement à son étendue. 
D'ailleurs, toutes les côtes qui ferment ce bassin, pré- 
sentent le pays le plus sec de l'univers. Au sud , s'étendent 
les grands déserts de l'Afrique ; au sud-est, ceux de 
V’Arabie , au-delà de l’isthme de Suez. Le désert qui forme 
cet isthme est tout entier couvert de sables, sans aucune 
trace de végétation. Il se prolonge au nord en remon- 
tant vers la Syrie, pays, ilest vrai, cultivé , mais qui, 
sur une largeur peu considérable, sépare encore -à l’est , 
le fond de ce bassin des grands déserts que borne le 
cours de l’Euphrate. Sur les sables brûlants qui font de 
ces contrées le domaine de l'isolement et de la mort, 
V'air, échauffé par la réflexion d’an soleil toujours ardent, 
sous un ciel toujours pur, acquiert un très-grand degré 
de sécheresse. On peut juger de son intensité par ses 


MÉMOIRES. 157 
effets sur les cadavres, qui y deviennent , après le court 
intervalle de quelques jours, des momies légères et 
friables, sans aucune trace de corruption. 

L'air sec et très-échauffé qui domine le bassin oriental 
de la Méditerranée, doit donc produire une très-grande 
évaporation à la surface de cette mer. La quantité d’eau 
absorbée par cette évaporation est. bien plus considérable 
que celle qui, sur une surface de même étendue est 
enlevée par la même cause sur les autres parties de la 
Méditerranée et sur le bassin de l'Océan qui y communique. 
: Le niveau de l'Océan est maintenu à la même hauteur 
par l'effet de deux causes qui se balancent et dont les 
résultats contraires sont sans. cesse compensés l’une par 
l'autre. L'une est l’évaporation qui tend à l’abaisser ; 
l’autre est le produit de cette évaporation même dans les 
pluies et les fleuves, qui relèvent ce niveau. Au contraire, 
sur le bassin oriental de la Méditerranée, la première 
cause a une plus grande intensité que partout ailleurs. 
La seconde en a beaucoup moins. La masse d’eau que 
lui enlève l’évaporalion excède donc de bexucoup celle 
qui est remplacée par les pluies et les fleuves. De l'excès 
de la première cause sur la seconde , résulte une tendance 
perpétuelle à l’abaissement du niveau des eaux dans le 
bassin oriental de la Méditerranée. Cet ahaissement aurait 
lieu sans la communication de ce bassin avec le reste de 
cette mer et par elle avec l'Océan. D’après la loi géné- 
rale de l'équilibre des fluides, qui tend à les mettre de 
niveau , l’Octan doit fournir, dans un temps donné, une 
quantité d’eau égale à celle qui se perd dans le même 
temps sur la surface du bassin oriental de la Méditerranée. 
De là, l'existence du courant qui paraît porter de l’ouest 
à l’est, depuis le détroit de Gibrallar jusqu'au golfe 


158 | MÉMOIRES. 


d’Alexandrette. D'ailleurs , la dépense d’eau qui a lieu veïs 
ce golfe est encore remplacée par les eaux qui y affluent 
de la mer noire. Dans tont le canal qui sépare l’Europe 
de lPAsie, depuis Buyuc-Déré jusqu'à Coustantinople, ce 
courant se dirige du nord au sud, ou de la mer noire 
dans la mer de Marinara. Il à même tant de force dans 
les parties les plus resserrées du canal , qu’il est impos- 
sibie aux bateliers de le remonter avec les rames. 

Les eaux fournies par ces courans, qui de toutes les 
parties de la Méditerranée auent dans son bassin orien- 
tal, tendent à eu élever le niveau. Celles qui sont enlevées 
par l’évaporation, tendent à l’afaisser. Ces deux causes 
sont liées entr’elles. La première ne peut agir sans la 
seconde dont elle est le résultat, Car le courant doit 
diminuer à mesure que le niveau se rapproche de l'égalité 
aux deux points extrêmes de ce courant. Si ces deux 
points étaient contigus, le fluide évaporé étant immé- 
diatement remplacé, la différence entre ces niveaux serait 
nulle. Si ces deux points étaient très-éloignés, cette dif- 
férence serait très-grande. Car l’évaporation agit propor- 


tionnellement au temps, et il se passera plus de temps 


avant que le niveau supérieur ait fourni à linférieur la 
quantité d’eau déplacée. D'ailleurs, la force du courant 
croissant dans un certain rapport avec la masse d’eau qu’il 
doit remplacer , ou er d’autres termes avec la différence des 
deux niveaux cxtrêmes, il doit exister entre les différences 
de hauteur de ces deux points, une de ces différences 
où la quantité d’eau élevée par l’évaporation sera égale 
à celle qui est fournie en même temps par l'Océan. Alors, 
et si cette vitesse reste uniforme et n’acquiert point 
d'accélération, le courant ne fournissant d’eau que celle 
qui cst absorbée par la seconde cause, la différence entre 
les niveaux sera constante. 


MÉMOIRES. 199 


Mais ceite vitesse ne doit pas tarder à s’accélérer. Comme 
dans son état prinitif elle eut été suffisante pour fournir 
seule à l'effet de l’évaporation; comme cette évaporation 
est d’ailleurs variable d’un moment à l’autre , la diffé- 
rence du niveau changera bientôt elle-même. La surface 
de l’eau sera alors assujettie à faire de certaines oscilla- 
tions. | 

Je ferai voir dans la troisième section que l’eau étant 
supposée parfaitement fluide, l'intervalle de ces oscilla- 
tions est trop court pour qu’on puisse attribuer à l’éva- 
poration seule une différence de niveau aussi grande que 
celle qui a été observée. 

SE | Fo 
_ Je viens de considérer la figure de la Méditerranée, 
telle qu’elle est de nos jours. Cette considération y fait 
appercevoir deux bassins bien distincts. Le plus oriental 
diffère essentiellement de l’autre par cette double cir- 
constance , que l’évaporation lui enlève une quantité 
d’eau plus considérable; que les pluies et les rivières 
qui s’y déchargent ne lui en fournissent que beaucoup 
moins. | 

Il y a dans la question qui nous occupe un autre 
examen non moins imporlant par ses rapports avec elle; 
c’est celui des révolutions successives qu'ont dû éprouver 
le niveau et la figure de la mer Méditerranée par sa 
communication avec l'Océan et avec la mer Noire. Un 
savant distingué a bien voulu me communiquer un 
mémoire très-détaillé sur ce dernier objet et me permettre 
de faire usage des profondes recherches qu'il contient. 
J'y prendrai les faits qui se trouvent liés à l’objet de 
ce mémoire, et je mettrai en note les détails de ces 
faits tels qu'ils se trouvent dans le mémoire cilé. 


y 


160 MÉMOIRES. 

S'il a existé une épojue où la mer Noire ne com- 
muniquait pas avec la mer Méditerranée et où le Bosphore 
de Thrace fermé par la jonction des deux chaînes qui 
le dominent, présentait un obstacle aux eaux de la 
première , le niveau de cette mer a dù être beaucoup: 
plus élevé que son niveau actuel. C’est ce que prouve 
l'existence du courant qui porte continuellement daus 
la mer de Marmara. Depuis l'extrémité du Pont Euxin 
vers le fanal de Natolie, ( Ænadoli fener. ) jusqu’au 
commencement de la mer Marmara au de-là de Scutari 
et près de Kavak-serai, le détroit a près de six lieues 
de longueur dans une direction qui s’écarte peu de la 
ligne droite ;(1) seulement , au-dessous de son embou- 
éhure, il se recourble à loccident dans le vaste bassin 
de Buyuc-déié. Les points les plus resserrés de ce canal 
sont plus près de Constantinople, vis-à-vis d’Arnaoüt- 
kieui, et de Courou-tchesmé; (2) sa moindre largeur 
est de trois cent cinquante toises. Alors le courant 
devient très-fort; sa rapidité égale celle de nos grands 
fleuves. Quelles que soient la légèreté et la finesse des 
Caïques dont on fait usage à Constantinople : quoique, 
présentant par leur forme la moindre résistance possible, 
garnies d’ailleurs de plusieurs rangs de rames elles 
fendent l’eau avec la rapidité de la flèche, elles ne 
peuvent remonter le couant dans ces parties resserrées 
du caual. À Arnaoûüt-kieui et à Courou -tchesmé , elles 
aboident sur la côte d'Europe où on les remorque avec 


_ des cordes. IL est important d'observer, quant à Ja 


direction de ce courant, que dans toute la largeur du 


canal il porte également de la mer Noire vers la mer 


(t) À peu-pres noid-eit au suu-vuest. 
(4) Deux villages sur la côte d'Europe. 


MÉMOIRES. 165 


de Marmara. Le lieu de sa plus grande force est dans, 
la ligne du détroit qui est à égale distance de la côte. 
d'Asie et de celle d'Europe. ‘Aussi est-ce la route .que 
suivent les. barques qui descendent à Constantinople. 
Sur les bords du canal, ce courant a, comme on l’a 
vu , la même direction. Il n’y a donc aucun contre- 
courant qui balance l'effet du courant général, il se 
prolonge , de ‘plus, au de-là de l’ouverture du détroit. 
A la pointe du Sérail ce courant est encore. très-fort, 
et il agit également dans: toute la hauteur de la mer. 
Aussi les objets perdus dans le port sont-ils portés au 
de-là de ‘cette poirite, comme le prouvent les établisse-. 
mens qui y sont formés pour passer , dans des cribles 
le ‘sable tiré du fond de la mer, et. retrouver ainsi 
ces objets perdus. Plusieurs ouvriers ne vivent que de 
cette occupation journalière, 

- On peut juger par cette description de amants 
quantité d'eau qui est: enlevée chaque. jour à.la mer 
Noire. Avant l'existence du Bosphore de Thrace, toutes 
ces eaux, restant. à la surface de cette mer, son. niveau. 
devait être bien plus élevé; il devait d’ailleurs tendre à. 
s'élever chaque jour , puisqu’indépendamment des raisons . 
que nous venons d'en apporter, le fond de cette, mer. 
était exhaussé lui- mêmè par les sables qu'y portaient 
avec eux les grands fleuves qui y prennent leur embou-. 
chure ; puisque d’ailleurs la surface de cette mer n'était 
pas assez étendue pour que l’évaporation. y enlevât d’un, 
côté le surplus des eaux qui lui étaient fournies de l'autre. 
. Cette différence de hautebr du niveau ancien au 
niveau actuel de la mer Noire, est encore confirmé par: 
le témoignage des auteurs anciens. (1) (a) Les obser-. 


3 


(1) Voyez les notes à la fin du Mémoire. 


162 . MÉMOIRES. 


vations faites sur les lieux par M. Pallas (b}) la mettent 
enfin tout-à-fait hors de doute. | 

D’après ces dernières, la mer Caspienne et la mer 
Noire ont formé autrefois une seule mer, qui, couvrant 
de plus les steppes de la Crimée, celles de la Tartarie, 
présentaient une surface immense relativement à sa surface 
actuelle, On peut voir eu note ( ec }) le détail des côtes 
qu'on a cru pouvoir assigner au bassin de cette mer. 

Quelles que fussent ses limites , le pays qui s'élève 
progressivement au nord , les chaînes de montagnes, 
qui y présentent une grande largeur, durent lui opposer 
de ce coté un obstacle insurmoutable, Au midi, il n’était 
séparé du bassin. de la mer de Marmara que par une 
chaîne plus étroite. C’est là que durent porter tous les 
efforts des eaux. Les voyageurs sont généralement d’accord 
qu'elles y formèrent le détroit qu’on abserve de nos 
jours. Tournefort croit que ce fut en détrempant la 
terre du canal , qui était d’une nature molle. Pallas 
attribue cette révolution aux secousses d’un tremble- 
ment de terre. M. Barbié-du-Bocage , aux ravages d’un. 
volcan dont les indices se présentent d’une manière. 
non équivoque sur la côte d'Asie et sur celle d'Europe, 
près de l'Embouchure du canal. ( d ) 

Les eaux de la mer Noire: s'étant frayé un passage, 
s’'écoulèrent dans la mer de Marmara et de là dans la 
Méditerranée, par le canal des Dardanelles: soit qu'il 
existât déjà à cette époque, comme Tournefort le pré- 
tend, soit qu'il ait été formé dès-lors par lirsuption 
de cette mer: la Méditerranée ayant pour limite septen- 
trionale la côte d'Europe et celle d'Asie, qui se joignaient , 
avant cette irruption, entre Sestos et Abydos.' Cette 
dernière hypothèse semble la plus probable. Çe ) La 


MÉMOIRES 163 


Méditerranée n’était alors alimentée qué par sa commu- 
nication avec l’Océan, au détroit de Gibraltar. ( f ) 
Son niveau devait donc être inférieur à celui qu'elle 
acquit bientôt par sa nouvelle communication avec 
la mer Noire. Cette dernière , avant l'irruption , avait, 
comme on la vu, une élévation bien supérieure à 
celle qu’elle a conservée de nos jours. Celte élévation, 
étendue sur une grande surface, présentait une masse 
d'eau considérable. Elle dut produire de grands ravages 
eur les côtes de la Méditerranée , sur les Iles qu’elle 
baignait. de ses eaux. L'île de Samothrace y était, par 
sa position, exposée la première. Aussi ses babitans 
conservaient-ils, au rapport de Diodore de Sicile, la 
mémoire du déluge qui en fut le résultat. (g ) A la 
simple inspection , sur. la carte, des parties orientales 
de la Méditerranée, en decà du détroit des Dardanelles, 
on reconnaît que la mer Egée y forme d’abord un bassin 
assez vaste, entre les côtes de la Thessalie et celles de 
la Thrace. Elle aboutit ensuite à un canal dont le passage 
le plus étroit est situé entre l'extrémité de l’Eubée et 
les rivages de l'ile de Chio, Les eaux qui au moment 
de lirruption avaient trouvé, pour s'étendre , tout l’espace 
que présente ce premier bassin furent resserrées à l'entrée 
de ce tanal. Comme la violence du courant se trouvait 
augmenter en raison inverse de sa largeur, il dut y 
occasionner une très-grande inondation. L'irruption de 
la mer Noire aura donc fait ses plus grands ravages 
sur les terres basses de l’Attique en Europe , sur la 
côte opposée de l'Asié mineure, depuis Chio 1e 
à Samos, et sur l’Archipel des Cyclades. 

En effet, ces divers lieux sont précisément ceux où 
l’histoire a particulièrement consacré les terribles effets 


164 | . MÉMOIRES. 

de cette irruption. ‘Pline parlé d’une inondation qui 
enleva subitement trente milles de pays de Pile de Ceos, 
située au nord des Cyclades, ( h } Les parties basses de 
l'ile: de Délos et celles de Rhodes, disparurent égale- 
ment avec des milliers d’habitans. ( i ) Voilà donc les 
effets de l’irruption , consacrés. par. l’histoire, aux deux 
extrémités des Cyclades.. Une: grande partie de. ces, Iles 
était alors déserte, l’autre peu habitée. ( k ) De là le 
silence que l’histoire a gardé sur ces dernières. Quant 
‘aux parties de la.côte d'Asie. qui furent exposées aux 
‘effets de l’inondation, on peut y comprendre les plaines 
de la : Teuthranie. à l'embouchure du -Caïque, celles 
d'Ephèse, et les campagnes unies qui s'étendent sur les 
bords du Méandre, ( 1 ) Enfin le déluge d'Ogyges, qui 
‘inonda toute l’Attique ,. en sorte que ses. habitans et 
.Ogyges lui-même furent obligés de 6e retirer sur les 
hautes montagnes, présente un dernier monument élevé 
‘par' l’histoire. Il consacre l’inondation qui dut avoir lieu 
sur la côte d'Europe ,: qui borne au couchant le détroit 
dont j'ai parlé plus haut. (m)}) Voilà donc les effets de 
Virruption: du Pont Euxin, dont l’histoire et la tradition 
ont presque exclusivement conservé le souvenir sur les 
rivages et aux environs du canal qui borne au midi la 
mer Egée. C’est ce dont. j'ai déjà expliqué la raison : 
puisque ce fut sur-tout dans cette région qué l'irruption 
du Pont Euxin dut faire les plus grands ravages. 

t Sans discuter ici la .date de ces «révolutions, celle du 
déluge partiel qu’elles peuvent expliquer, je me conten- 
terai de relever, dans les faits précédens, ceux qui se 
rapportent à l’objet de ce chapitre. On a vu par le détail 
de ces faits, que ce furent particulièrement les rivages 
du fond oriental de la Méditerranée, et les Iles qu’elle 


MÉMOIRES. 165 


baigne de ses eaux, qui furent ravagés par ce déluge; 
l'histoire ne fait aucune mention de pareilles inondations 
autour da bassin occidental de cette mer. C’est une 
nouvelle preuve que ces inondations eurent pour cause 
lirruption de la mer Noire. Car quelle que fût la masse 
‘des eaux qu'elle versa dans la Méditerranée, cette masse 
ne pouvait être qu'insensible , relativement à celle des 
eaux- de l'Océan qui couvre la plus grande partie du 
globe. La hauteur dont le niveau de ce dernier en fut 
élevé, ne put donc-être que très-petite ou tout-à-fait nulle. 

Il suit de là que le niveau de l'Océan resta le même 
après cette: irruption. Au contraire, le niveau du bassin 
oriental de la Méditerranée fat considérablement rehaussé. 
Mais on voit assez. que cela n’a pu atriver qu’autant 
qu'il y a eu à cette époque une différence de niveau 
entre les parties orientales de la Méditerranée, et celles 
qui avbisinent l’Océan , près du Détroit. De là la preuve 
que cette différence existait avant l’'irruption des eaux 
de la mer Noire. De là aussi la preuve de cette diffé- 
rence depuis cette irruption. 

$ IIT 

: C’est ainsi que les monumens de lhistoire, les consi- 
dérations tirées de la nature des lieux , enfin, les obser- 
vations récentes faites en Egypte, se réunissent pour 
prouver la réalité du phénomène singulier qui établit 
une différence en moiïns entre le niveau du fond de la 
Méditerranée et celui de Océan. Les monumens histo- 
riques font voir qu’elle a existé (r). Les observations 
récentes donnent sa mesure actuelle; es considérations 
générales indiquées dans la première section en prou- 


( 17 C’est une idée répandue dans toutes les îles de l’Archipel, 
que la mer Rouge est plus haute que la Méditerranée. A l’époque 


166 MÉMOIRES. 


vent la nécessité. Mais il paraît difhcile d'en conclure, 
à priori, quelle est la mesure de cette différence. 

La théorie des fluides est encore si peu avancée, les 
résultats qu’elle donne sont si compliqués dans les ap- 
plications qu’on en veut faire, qu'il paraît difficile, pour 
ne pas dire impossible, d'en rien conclure dans la ques- 
tion qui m'occupe. J'ai cependant essayé de le faire par 
les considérations suivantes. Elles ne sont pas indignes 
de fixer l'attention, par leurs résultats d'accord avec ceux 
que donne l'expérience. | | 

On sait que les équations qui représentent le mouvement 
d'une masse d’eau dont la surface est indéfinie, et la 
profondeur très-petite sur un fond horizontal, sont 
analogues à celles qui expriment les petites agitations 
de l'air, (1) On a déterminé par là la vitesse et la 
propagation des ondes, par analogie à celle de la pro- 
pagation du son. ( 2) Avec un peu d'attention, on voit 


où les Français se rendirent maîtres de J’Ezvnite , il se répandit 
dans ces iles, qu’ils allaient ouvrir un canal de communica- 
tions entre les deux mers. La consternation fut générale, parce 
qu’on crut que cette communication causerait dans Archipel 
un nouveau déluge, 


Cette opinion doit tenir à d’anciennes traditions , dont il 
serait curieux de rechercher les sources. 


(x) Bien entendu que le mouvement de l’eau est très-petit. 
{ Voyez les Mémoires de Berlin, pour Vannée 1781, et la 
Mécanique analytique , page 491, première édition. ) 


(2) Cette détermination n’a lieu que pour le cas où Ja profon- 
deur de l’eau est très-petite. C’est ge qu’on peut toujours supposer 
pour la portion de la masse d’eau agitée dans un vase, quand il 
s’agit de l’oscillation naissante , que l’abaissement très-petit de 
la surface, relativement au plan de niveau , tend à produire. La 
does du mouvement des ondes dans un fluide dont la profon- 

cur est indéfinie , a été, au surplus, résolue depuis la solution 
particulière donnée par Lagrange, 


ù qu'on 


MÉMOIRES. | 167 


qu’on peut aussi conclure de cette analogie les lois 
des oscillatious très-petites que décrit la surface de l’eau 
contenue dans un vase prismatique, autour du plan 
horizontal, qui est son plan de niveau. Si on suppose 
en effet, qu’à la suite d'un mouvement imprimé à la 
masse fluide, sa surface forme des ondes infiniment 
petites au dessus et au des:ous d’un plan qui fasse lui- 
même un angle très-petit avec le plan du niveau, et 
qu'après l'effet de cette secousse , dont le résultat est 
supposé donné par lhypothèse, Île fluide soit ensuite 
abandoriné lui-même avec des vitesses connues ou nulles : 
on voit que par l'effet de la gravité il doit revenir à 
l'état d'équilibre ou au plan de niveau; qu’énsuite il 
s’écartera de ce plan par le résultat même des vitesses 
qu'il a acquises pour y revenir. Il suit de-là que la 
surface de l’eau exécutera autour du plan de niveau 
des oscillations dont les intervalles sont déterminés di- 
rectement par les équations dont j'ai parlé plus haut ; 
on peut d'ailleurs connaître ces intervalles par l’analogie 
de la question actuelle avec celle du son dans les 
tuyaux d'orgue. Car dans l’état initial, l’abaissement de 
chaque molécule fluide relativement au plan de niveau, 
répond aux condensations qui ont lieu dans ce cas-là 
et la profondeur de l’eau dans le canal à la hauteur 
de l’atmosphère supposée homogène. Les résultats que 
donne la théorie pour les ébranlemens successifs de la 
ligne sonore, s'appliquent donc à la question actuelle, 
en changeant ces dénominations. Comme pour la théorie 
des flûtes, l'examen des fonctions arbitraires qui entre 
dans cette théorie, prouve que la ligne sonore revient 
à son état initial , après des temps dont elle donne l'in- 
tervalle ; pour celle du mouvement de la masse fluide 
L jme Liv. - 12 


168 MÉMOIRES. 


dans l'hypothèse actuelle, elle détermine les intervalles 
de temps après lesquels cette masse revient à son premier 
état. La durée des oscillations de celles - ci est donc, 
comme pour celles de la ligne sonore , indépendante des 
ébranlemens primitifs. Elle dépend seulèment de la lon- 
gueur du vase et de la profondeur de l’eau. Dans les 
flûtes ouvertes par un bout, ces intervalles sont doubles de 
ceux qui ont lieu dans les flûtes fermées par les deux Louts. 
l'en sera de même de la durée des oscillations dans un 
vase prismatique, terminé par deux parois inflexihles, 
relativement à celles qui ont lieu dans un vase terminé 
à son extrémité postérieure par un paroi inflexible et 
communiquant à son extrémité antérieure avec un vase 
constamment plein. Les intervalles du mouvement dans le 
second , seront le double de ces intervalles dans le premier. 
C’est ainsi qu’on peut obtenir, sans le secours du calcul, 
les lois des ossil'ations de l’eau dans un vase dont la pro- 
fondeur est très-petite (a). Il n’est pas difficile de les 
étendre au cas ou la nappe d’eau aurait , à l’une de ses 
extrémités, des vitesses constantes. Si ces vitesses sont 
très-petites, on détermine, comme dans la supposition 
précédente, la loi des oscillations de la masse fluide (b}. 
J'observe maintenant que tous ces résultats sont fondés 
sur la supposition que l’eau est parfaitement fluide : on 
sait que cette supposition est fausse, et qu’il existe entré 
les molécules de l’eau une adhérence très-petite, mais 
réelle. Cette adhérence est trop bien prouvée par mille 
phénomènes, pour qu'il soit nécessaire de s'arrêter À la 
démontrer. Dans les mouvemens rapides, on peut la 
néoliser sans erreur. Il n’en est pas de même des mou- 
vemens très-lents que cette adhérence peut altérer sen- 
siblement, qu’elle peut même entièrement détruire. 


MÉMOIRES. 169 


En effet, si on a égard, dans l'expression des mômens 
des forces, à l'adhésion des molécules de l’eau, la figure 
de l’équilibre pourra différer un peu de celle qui a lieu 
dans le cas d’une fluidité parfaite. C’est ce qui arrivera 
dans toutes les situations où les vitesses imprimées au 
premier moment par les forces qui sollicitent le fluide , 
seront plus petites que celles qui peuvent être détruites 
par cetle cohésion. Il y aura donc alors Pour sa surface 
d'équilibre deux états extrêmes entre lesquels il restera 
toujours en repos. Celui du milieu sera l’étit d'équilibre 
absolu , existant indépendamment de la cohésion des. 
molécules. Les autres seront les états voisins de celui-là ” 
où les vitesses naissantes seront assez petites pour être 
détruites par l’adhérence du fluide. Dans les questions de 
Mécanique, où les focès ont une mesure absolué, l’é- 
quilibre est iuisméme absolu. Le systèmé des cotps en 
étant tant soit peu écarté, il s’en écarte sanc cesse: 
davantage par l'effet des vitesses toujours ctoissantes > OU 
bien il y revient de lui-même par des oscillations. sans 
cesse plus petites. Mais si l’on fait entrer dans ces ques 
tions les forces de résistance qui résultent de celle du. 


milieu, ou de la cohésion entre les points ou corps du - : 


système , ces dernières ne sont plus absolues. Car il résulte. 
de leur définition même, qu'elles n'agissent que pour 
diminuer les vitesses existantes , pour détruire celles qui. 
tendent à se produire, qu’elles ne peuvent jamais faire 
naître une vitesse positive dans le sens où elles sont 
appliquées. 

On concevra plus aisément cette distinction en prenant 
le cas le plus simple de tous: celui d'un point pesant. 
suspendu ‘par -un. fil inextensible à un point fixe dans 
le vide; il n’y a d'état d'équilibre que celui où le point 


[70 MÉMOIRES. 


pesant, le centre de suspension et celui -de ‘pesanteur 
sont dans une même ligne droite. Ces états d'équilibre 
sont absolus. Car, quelque peu que le corps en soit écarté, 
il doit se mouvoir, soit pour y revenir, soit pour s’en 
écarter davantage , suivant que le lieu du corps est en 
dehors ou en dedans du point de suspension. | 

Il n’en est pas de même dans un milieu résistant : 
Vair, par exemple, oppose au pendule en mouvement ,_ 
une résistance composée d’un double terme. L'un est 
proportionnel au carré de la vitesse et devient insensible 
dans les mouvemens très-lents. L'autre est dû à la tenacité 
des molécules de lair.-C’est ce dernier qui anéantit tout- 
à-fait le mouvement du pendule, lorsqu'il est devenu 
très-petit. C’est lui qui l’empêche de se mouvoir lors- 
qu'il s'écarte très-peu de la verticale. : | 

Par les expériences de Newton, l'intensité de la résis- 
tance constante qui est produite par la cohésion des 
moléeules de Vair est mesurée par la quatre cent millième 
partie de la gravité (1). De-là , il est aisé de conclure 
que le pendule reste en repos , non-seulement quand il 
se trouve dans la verticale, mais encore quand il fait 
avec celle-ci un angle égal ou plus pétit que six se- 
condes. Lorsque cet angle est de six secondes. la résistance 
de l’air est employée toute entière à détruire la vitesse 
qui résulte de la force de gravité pour mettre le pendule 
en mouvement. C’est l'état d'équilibre extrême. Lorsque 
Je point pesant est dans la verticale , la force de gravité 
est détruite toute entière par la seule tension du fil. C’est 
le cas de l'équilibre absolu. | | 
re EEE 

(1) Philosophiæ naturahs prineipia Mathematica. Lib, 2., sect 
6, prop. 31. 


MÉMOIRES: 71 
: Quoiqu'il en soit de cette mesure, peut-être trop 
forte, de l’adhérence des molécules de l'air, on ne peut 
douter que la même force. existe entre les molécules 
intégrantes de l’eau. C’est sur-tout par suite de cette 
adhérence que tes petites oscillations de-ce fluide ne tardent 
pas à cesser tout-à-fait, quoique suivant la théorie 
qui ne tient pas compte de cette propriété , elles dussent 
se prolonger à l'infini, 

Pour toutes les molécules d’eau en mouvement, la 
résistance causée par leur adhérence mutuelle est évidem- 
ment la même. Ainsi, on peut exprimer cette résistance 
par un terme constant, dont la direction sera contraire 
à celle’ de l’espace décrit à chaque instant par les molé- 
cules. Ce terme sera donné pour toutes ces molécules, 
par une fraction très-petite. de la gravité. De plus, dans 
les mouvemens très-lents où la surface du fluide est in- 
finiment peu éloignée du plan de niveau, si l’on partage 
la vitesse de chacune de ces molécules en deux autres ; 
l’une dans le sens de ce plan, l’autre qui lui soit per- 
pendiculaire , cette dernière sera infiniment petite par 
rapport à la première. Il suffira donc d’avoir égard à 
celle-ci, et d'introduire dans l’expression du moment des 
forces, un nouveau terme dû à la force :de ténacité 
agissant dans ce plan et dans une direction contraire à 
celle de la molécule. On arrive ainsi aux mêmes équations 
dont découle Ia théorie que nous avons exposée plus 
haut. Mais, dans ce cas là, en considérant Îles deux fonc- 
tions arbitraires qui entrent dans le calcul , leur somme 
donne la ‘vitesse des molécules à chaque instant, tandis 
que leur différence exprime le lieu de chacune d'elles au- 
dessous du plan de niveau, multiplié par la force de 
gravité. Dans le cas actuel, au contraire, cette différence 


\ 


172 MÉMOIRES. 


est égale au même terme diminué d’un autre qui est égal 
au produit de la quantité constante représentant la té 
nacité du fluide, par la distance de la molécule à la 
ligne de niveau. 

En égalant à zéro lexpression formée de ces. deux 
termes, on trouve que l'équation résultante, est celle 
d’une ligne droite, formant au-dessous ou au-dessus de 
l'horizontale un augle très-petit. Cet angle est mesuré 
par un arc de cercle dont le rayon est égal à l'intensité 
de la force de gravité, et la tangente à celle de la force 
de cohésion; si douc par la ligne de niveau, on mène 
un double plan qui forme avec le plan horizontal un 
angle égal à celui-là, tous les plañs intermédiaires ayant 
leur origine à la même ligne, et aboutissant par l’autre 
extrémité à l’un des points de l’arc contenu entre les 
deux plans extrêmes, seront tels, que la surface de 
Peau y restera en repos. Ces plans extrêmes, formeront 
donc entre eux un angle solide qui exprimera le lieu de 
tous les équilibres relatifs autour de l'équilibre absolu. 

Il reste à déterminer lamplitude de cet angle. Poux 
cela, il faudrait connaître à priori quelle est l'intensité 
de la force qui exprime la cohésion des molécules de l’eau, 
: IL paraît assez probable que cette ténacité doit être 
plus grande dans l’eau que dans lair; mais il n’est pas 
vraisemblable qu’elle soit beaucoup plus considérable. Si 
on les suppose égales, le terme constant qui Pexprime 
est connu et égal à la quatre cent millième partie de la 
gravité. L’angle qui donne le lieu des équilibres relatifs 
autour de l'équilibre absolu, est donc alors mesuré 
lui-même par un arc de six secondes à-peu-près. 

‘ Dans cette supposition , il devient facile de déterminer 
la limite de la différence de niveau qui peut exister aux 


MÉMOIRES. 173 


deux extrémités de la nappe d’eau formée par la mer 
Méditerranée, depuis le détroit de Gibraltar, jusqu’au 
fond de la mer de Syrie. En comparant les longitudes 
des deux points extrêmes de ce bassin, on trouve que 
leur distance est donnée par un arc de 41 degrés sous 
la latitude commune de 36.° On sait qu’à la distance 
du pôle de 54° , la longueur du degré est de neuf my- 
riamètres à très-peu près, ou de 46,170 toises. Ainsi, 
la distance entre les deux bassins extrêmes de cette nappe 
d’eau est de 1,892,970 toises. Mais la tangente de l'angle 
de six secondes sur un rayon qui a cette longueur, est 
elle-même exprimée par 5,50404 toises, ou par treule- 
trois pieds ,%%. C'est la quantité qui exprime l’abaisse- 
ment du bassin oriental de la Méditerranée, à son extrémité 
la plus reculée, relativement au niveau de l'Océan, 
Il est facile de se convaincre, au surplus, qu’au bout 
d’un certain intervalle de temps, cette différence de niveau 
doit nécessairement s'établir aux deux extrémités du bassin 
de la Méditerranée , quelque fut son état initial, car dans 
celui-ci, ou elle se trouvait de niveau avec l'Océan, ou 
elle s’écartait de ce niveau. Dans le premier cas, la dépense 
d'eau, qui est plus forte sur le bassin oriental de cette 
mer, et les autres causes qui , comme on l'a vu , agissent 
dans le même sens ont dû l’abaisser, puisque ces causes 
agissent seules dans le lieu de tous les équilibres relatifs 
autour de l’équilibre absolu. Ainsi la surface de cette mer 
a dû arriver à l’état d'équilibre extrême où elle est restée, 
malgré les causes permanentes d’abaissement , puisqu’au 
de-là de ce dernier état, les vitesses ne sont plus dé- 
truites par la cohésion du fluide. Si au contraire, la 
surface de cette mer s’est trouvée au-dessus du niveau 
dans son état initial, elle a dù y revenir par l'effet des 


174 MÉMOIRES. | 
_ mêmes causes ; ef le cas où elle se fût trouvée au-dessous 
se rapporte évidemment au premier. Ainsi, quelles que 
fussent les circonstances qui ont présidé à la formation 
de la Méditerranée et à sa jonction avec l'Océan, elle 
a dû présenter, au bout d’un certain intervalle de temps, 
ce singulier phénomène qui, comme on l’a vu, semble 
étre à la fois confirmé par la théorie, par l'observation, 
par les monumens de l’histoire. | 

Il s'ensuit encore, des considérations précédentes , que 
la différence des niveaux doit être la même, quelle que 
soit l'intensité de la cause qui établit une dépense d’eau 
permanente sur le bassin oriental. Il suffit, pour établir 
cette différence, que cette cause existe , quelque petite 
qu'elle soit. Comme elle agit proportionnellement au 
temps, l’intervalle nécessaire pour la produire, sera plus 
grand si la cause est plus faible. Maïs au bout de cet 
intervalle , il y aura nécessairement Île même abaïssement, 
parce que ce dernier est proportionué à la seule force de 
cohésion des molécules fluides. Voilà comment, une 
cause encore plus faible que l’évaporation , produirait 
cependant le méine effet au bout d’un plus long inter- 
valle. Cette dernière remarque est surtout importante, 
parce que, jusqu’à présent, on avait cru que la force 
d’évaporation et les autres causes qui tendent à abaisser 
le bassin oriental, n'étaient pas assez considérables pour 
produire un résultat sensible. C’est ce qui arrive en effet, 
tant qu’on n’a pas égard à la ténacité des molécules in- 
tégrantes de l’eau. | 

Enfin , la théorie précédente s'applique encore aux 
principales circonstances du déluge d'Ogygés d’une ma- 
nière si satisfaisante , que je crois qu'il n’est pas inutile 
d'en faire ici mention. Ïl paraît , d’après les monumens 


# 


MÉMOIRES. 179 


historiques, que , par l'effet de ce déluge , Rhodes , les 
Cyclades, une partie de l’Attique et des côtes de l'Asie 
mineure, restèrent inondées pendant une espace de temps 
considérable, et que ce ne fut qu'après un long intervalle 
que les eaux se retirèrent en partie des lieux qu’elles avaient 
recouverts. En effet, à l’époque de l’irruption du Pont Euxin, 
le niveau de cette mer ne devait pas différer beaucoup du 
niveau actuel de l’Océan. Car son niveau actuel est plus 
haut que celui du fond de la Méditerranée, comme on 
l’a fait voir plus haut; et, avant l’irruption, la surface 
de cette mer était fort au-dessus de son niveau actuel. 
Il a donc dù arriver, à l’époque de lirruption, que ces 
eaux ayant à traverser toute la partie la plus reculée de 
la Méditerranée, pour arriver à l'Océan, elles y ont 
rétabli le niveau. Ainsi, au moment où cette irruption 
eut lieu, les eaux se sont trouvées à la même hauteur 
sur la surface entière de la Méditerranée, et cette hau- 
teur ne pouvait guères différer de celle que l'Océan a 
encore de. nos jours. Il a donc fallu un espace de temps 
assez considérable pour que l’évaporation et les autres causes 
permanentes dont on a déjà parlé, ramenassent la surface 
de la Méditerranée à son état actuel (1), et dans cet 
état , elle doit se trouver un peu plus haut que lors- 
qu'elle n’avait de communication qu'avec l'Océan par le 
détroit de Gibraltar. Ces diverses circonstances du déluge 
d'Ogygès, telles que l’histoire nous les a conservées, 
seraient assez difhiciles à expliquer autrement que par 
les considérations que je viens de développer ici. 


(Tr ) On trouve des traces de cette cause de labaissement 
du fond de la Méditerranée, après le déluge d’Ogygès , dans 
Je culte particulier qu’on y rendäit à Apollon; car le soleil 
y était adoré comme le Dieu qui avait fait disparaitre les eaux, 


x76 MÉMOIRES. 


NOTES DE LA SECTION IL 

(a) Straton, au rapport de Strabon (Strato apud 
Strak., Lib. 1. p. 49), prétendait » Que c’était la quan- 
» tité des eaux apportées par les fleuves dans le Pout | 
» Euxin, qui avait forcé cette mer à s'ouvrir un passage 
» dans la mer Méditerranée ; et cette opinion est encore 
» celle des habitans de l’ite de Samothrace , qui s'était 
trouvée une des premières exposée à l'irruption de 


ÿ 


ses eaux ( 1}. Quelque juste que soit cette opinion, 
elle ne suffit cependant pas pour prouver que celte 
mer s’est accrue et a diminué considérablement , par 
» ce ‘qu’elle devait naturellement se conclure de la 
‘» connaissance des grands fleuves que cette mer reçoit. 
» D'autres (2) ont prétendu que le fond du Pont 
» Euxin s'étoit élevé par le dépôt des terres, et que 
‘» ce fond, aïnsi exhaussé, avait forcé les eaux de 
» s'élever. » ( Mémoire cité. ) 

(b}) « M. Pallas a visité avec soin les steppes qui 
» bornent la mer Caspienne et la mer Noire, au nord; 
» il a même tracé sur sa carte ( 3 } une partie des 
» rivages de ces deux mers avant l'ouverture du canal 
» de Constantinople, et lorsqu'elles étaient réunies. » 
. « I prétend qu’'alors le Don avait son cours à 
» l'endroit où le Donetz vient se joindre à lui (4); 
» que le Volga avait le sien aux environs de Demitrifik, 


+ 


« de manière que les steppes de la Crimée, du Kounan, 
» du Volga, de llaik, et le plateau de la grande 


LC] 


( x) Diodore de Sicile, liv, v, ©. 47. 
(2) Polyb. Stiabon, ubi supra , p. 50. 
- (3) Pallas, tom. 1, p. 706, pl. 29. 
C4) Idem, tom. v, pag. 196. 


— 


MÉMOIRES. -_ 177 


» Tartarie jusqu’au lac Aral inclusivement , ne formaient 
» qu'une mer, qui, au moyen d’un petit canal peu 
» profond, dont le Mamsteck, ajoute-t-il, nous offre 
» encore des preuves, arrosait la pointe septentrionale 
» du Caucase, et avait deux golfes énormes, l’un dans 
» la mer Caspienne, l’autre dans la mer Noire, » 

» Dans ces steppes, ajoute-t-il encore, sont dispersés 
» une multitude de coquillages qui sont absolument les 
» mêmes que ceux qu’on trouve dans la mer Caspienne, 
» sans avoir cependant le moindre rapport avec ceux 
» des rivières qui les arrosent, et l’uniformité du terrain 
» de ces steppes, qui, à l'exception des endroits couverts 
» de sable mouvant, n'est partout qu’un sable lié avec 
» le limon de la mer et la nature saline du sol, sont 
» des témoignages incontestables que cette étendue de 
» pays a été autrefois couverte par la mer ; le haut pays, 
» au contraire, situé entre le Don etle Volga, ainsi 
» que les montagnés de l’Obtfohei-Sirp , qui s'étendent 
» entre ce dernier Fleuve et l’faïk, formaient ancien- 
» nement le rivage de cette mer. C’est dans ce haut 
» pays que l’on commence à voir des couches hori- 
» zontales. La surface du terrain est revêtue d’un 
» gazon qui croît sur un lit assez épais de terre noire 
» et végétale. On ne voit plus ici les coquillages de 
» la mer Caspienne, et, en remontant le Volga, le 
» terrain devient plus montueux. L'on ne trouve que 
» des bancs de coquilles et. de ‘coraux qui proviennent 
» d’une inondation plus ancienne et plus considérable 
» que celle que nous avons déjà soupçonnée. Les pro- 
» ductions marines de ces couches horizontales sont 
» généralement des espèces que l’on ne trouve que dans 
» l'Océan, La mer Caspienne et la mer Noire n’en 


178 MÉMOIRES. 
» offrent pas de semblables. ( Voyages de Pallas, tom. 
» V, P. 120. ) | 

(c. ) » D'après les observations du docteur Pallas, 
» on ne peut douter que la mer Caspienne et la mer 
» Noire n'aient autrefois formé une seule mer ; et cette 
» mer étoit très-éténdue, puisque , suivant le docteur 
» Pallas, elle couvrait les steppes de la Crimée et ceux 
» de la Tartarie, en y comprenant le fac Aral. Ce 
» savant aurait pu s'étendre davantage ; car Îles steppes 
» de la petite Tartarie étant de la même nature que 
» ceux de la Crimée, ont dù faire partie de la même 
>» mer, et nous y joindrons encore Fa Bessarabie, une 
» grande partie de la Moldavie, de la Valachie et de la 
» Bulyarie, qui, n’étant pas plus élevées que ces steppes, 
* ont dû également être couverts par les eaux de cette 
» mer. Ces derniers pays, à la vérité, ne sont pas 
» stériles comme les steppes du €Couman et du nord, 
» de la mer Caspienne; mais s'ils donnent d'excellents 
» pâturages , ce qu'ils doivent au voisinage des hautes 
» montagnes , qui se dépouillent tous les jours de leurs 
» terres en leur faveur, ils ne produisent encore que 
_» des arbustes ; ce qui annonce une terre nouvelle. On 
» sait que plusieurs forêts de la Moldavie ont été plantées 
» par les derniers Souverains de ce pays et du temps des 
» anciens toute la contrée était appelée getarum solutudo. 
» Le Borysthêne avait alors, comme on peut croire, 
» son embouchure au bas de Porowis, et le Danube 
» aux environs de Widin: ce qui rendait ce dernier fleuve 
» assez semblable au fleuve Saint - Laurent, dans l’Amé- 
» rique septentrionale, dont lembouchnre a cinquante 
» lieues de large, Les rivages de cette mer suivaient 
» donc ceux de Ja mer Noiïre actuelle, depuis le pied 


MÉMOIRES, 179 


» du mont Hœmus, ou le Laléan, en tournant au 
» midi le long des côtes de l'Asie mineure, jusqu’au 
» Couban; si ce n'est qu'ils entraient dans quelques 
» petites vallées, et qu'ils s’étendaient peut-être assez 
» avant dans la Mingrelie , de là ces rivages tournaient à 
» l'est, en suivant le pied septentrional du Caucase, 
» et ils laissaient à gauche les montagnes de la Crimée, 
» qui formaient une île. Ensuite, continuant le long 
» des côtes méridionales de la mer Caspieune, qui 
».sont bordées de hautes montagnes, ils arrivaient à 
» l’Aster-abad , d’où, comprenant tout le Chouaresm 
» et une partie de Mawar-el-Nahar , ils enveloppaient 
».presque tout le pays des Kirguis; puis revenant vers 
» l’ouest , le long du haut du cours du Jaïk, et du bas 
» de celui du Volga, ils allaient doubler une pointe de 
» terre qui sépare le Volga du Don; et ensuite , remontant 
» le long de ce dernier fleuve, ils enveloppaient toute 
» la petite Tartarie, une partie de la nouvelle Servie , 
» de la Moldavie, de la Valachie, et de la Bulgarie 
» même, au midi du Danuhe, d’où ils rejoignaient Île 
» mont Hœmus à l'endroit où il touche la mer Noire. » 

(4) « Olivier, après avoir passé le village de Buyuk- 
» Deré, sur le canal, reconnut pendant plusieurs lieues, 
 » jusqu’à l’entrée de la mer Noire, des indices non équi- 
» voques d’un volcan, et c’est, à n’en pas douter, 
» l’affaissement de ce volcan, qui a donné lieu au pas- 
» sage des eaux. Nous rencontrâmes, partout, dit Olivier, 
» les roches plus'ou moins altérées ou décomposées: 
» partout l’entassement et la confusion attestent l’action 
» des feux souterrains. On apperçoit des jaspes de diverses 
» rouleurs, des corralines, des agales et des calcédoines 
» en filons, parmi des porphyres plus ou moins altérés, 


æ 


180 MÉMOIRES. 


» une brèche peu solide, formée par les fragmens de 
» trap agglutinés par du spath calcaire ; un joli porpbyre 
» à base de roche de trap verdâtre , coloré par du cuivre. » 

(e) » Au moment de l’éruption du volcan, les eaux 
» se seront jetées sur les flancs entr'ouverts de la mon- 
» tagne , et elles auront profité de la secousse qui avait 
» été donnée au terrain pour entrainer tout ce qui avait 
» été ébranlé. De-là, elles auront continué de couler, 
» jusqu'a Constantinople, sur un terrain schisteux, 
» comme Île remarque Olivier (1), qui ne leur offrait 
» point de résistance, et rencontrant la mer.de Mar- 
» mara, qui n’était sans doute qu’un lac, comme le 
» présume Tournefort (2), elles l’auront agrandi, puis 
» auront formé le canal des Dardanelles, dont le sol 
» est presque tout calcaire, et qui a dû céder aisément (3). 
» Tournefort (4) présume que le canal des Dardannelles 
» existait déjà lorsque l'irruption des eaux de la mer 
» Noire s’est faite dans la Méditerranée, et qu'il servait 
» de décharge au lac formé par le Rhyndacus, l’Asope 
» et le Granique. Mais outre que l'opinion des anciéns 
» élait que ces deux détroits s'étaient ‘formés dans le 
» même temps (5), le banc de coquillages marins dont 
» les espèces appartiennent toutes à la Méditerranée, 
» et qu’Olivier dit avoir remarqué à vingt pieds au-dessus 
s du Miveau de la mer (6), et comme se prolongeant 


(1) Voyage, tom. 1, c. 8. 
(2) Voyage, tom. 2, p. 126. 
(3) Olivier, Zhidem. ch. 22. 
(4) Tournefort, Ubi suprd. 


(5 ) Strabon, 1. I, p. 49. Pline I, II, ch, 90, Diodore, 
Sie. IV , ch. 47. 


(6) Otivier > Voyages , t. I, 240. 


MÉMOIRES. 187 


» d'Europe en Âsie , aux environs de Sestos et d’Ahydos, 
» fait assez voir que c’élait, ou au moins que c'avait : 
» été la limite la plus au nord de la Méditerranée » 

(f ) » Tous les anciens ont cru ( 1 )} que c'était 
x la Méditerranée qui avait ouvert le détroit de Gibraltar; 
»s mais le courant constant qui porte les eaux de 
» l'Océan dans la Méditerranée ne permet pas de croire 
» que cette mer se soit formée autrement que par les : 
» eaux de l'extérieur. Ce qui le prouve, c’est qu'un 
» banc d’huîtres pétrifiées , ( se/on Samuel Ulrie ), ne 
» sont pas des huîtres de la Méditerranée, mais de 
. » JOcéan; et Fortin ( Voyage de Dalmatie ) a remar- 
» qué que les huîtres pétrifiées de l’île d’'Ulbo ne sont 
» pas non plus celles de la méditerranée ; et c’est ce 
» qui détruit entièrement la fable de lAtlantide de 
» Platon , qui, étant située dans l'Océan, en face du 
» détroit de Gibraltar ; avait été engloutie sous les eaux 
» suivant cet auteur, tandis qu’au contraire, par la 
» chüte des eaux de l'Océan dans la Méditerranée, elle 
» aurait dû se trouver à découvert. » 

(g) » Les babitans de l’île de Samothrace, l’une des 
» premières exposée au flux de la mer Noire, racontaient, 
» au rapport de Diodore de Sicile (2), qu’il était arrivé 
v chez eux un déluge qui était antérieur aux déluges 
» de toutes les autres Nations; que ce délnge avait été 
» occasionné par l'irruption des eaux du Pont Euxin, 
» qui n'avait été jusque-là qu’un grand lac; mais que 
» les eaux s'étant considérablement augmentées par l'effet 
» des grands fleuves qui se jettent dans cette mer, elles 


( © ) Strab., L I, 
(z2)L. V, ch. 47. 


# 


182 MÉMOIRES. 


» 


s'étaient ouvert une route à travers le détroit des 


» Cyanées et l'Hellespont , et elles s'étaient jetées dans 


» 


la Méditerranée , où elles avaient submergé presque 
toutes les plaines de l'Asie situées sur le bord de la 
mer , ainsi que les parties basses de l’île de Samothrace: 
ensorte que les habitans avaient été forcés de se réfu- 
gier sur les plus hautes montagnes. Ils ajoutent, pour 
prouver cette submersion , que dans la pêche, les 
pécheurs avaient retiré dans leurs filets des chapiteaux 
de colonnes, et ils montraient les autels que leurs 
ancêtres avaient élevés dans l'endroit où l’eau s'était 
élevée le plus haut, et sur lesquels, du temps de 
Diodore , ils faisaient encore des sacrifices aux Dieux. » 
(h } » Il me semble que pour l'inondation , qui, au 
rapport de Pline ( 1 ),erleva subitement trente milles 
de pays de l'ile de Ceos avec tous ses hahitans, on 
ne peut en chercher d’autre cause que celle de Pirrup- 
tion du pont Euxin dans la mer Méditerranée. 


‘ (1) » Philon, dans Je livre de Mundo non corrupto, 


ÿ 


dit que Îles îles de Rhodes et de Délos disparurent 
anciennement dans une inondation causée par les eaux 


» de la mer, et que lorsque ses eaux diminuërent , elles 


Y 


reparurent désertes : et qu'o on leur donna les noms de 
Rhodes, Délos, etc. » 

» Si on s’en rapporte à Tertullien , qui avait lu des 
auteurs que nous n'avons plus, on peut croire que 
les îles de Délos et de Rhodes disparurent avec des 
milliers d’'habitans, dans le même temps que l’île de 
Céos avait été en partie absorbée. Il est vrai que dans 
cet endroit de Tertullien il est question de File de 


D 


(x) Pline, x JL, ch. 92; et L. IV, ob. 12 


Cos 


MÉMOIRES. 183 


Cos et non de l'ile de Céos. Mais le père Hardouin, 


dans ses notes sur Pline, propose de corriger dans ce 


. théologien Céos, parce que ce fait est évidemment 


celui qui a rapport à cette île. 


« L'histoire ne pouvait faire mention du passage des 


eaux de la mer Noire dans les Cyclades; car, posté- 
rieurement à cetie irruption, une grande partie des 
Cyclades était déserte, et l’autre peu habitée. ( DioZ, 
sic. , lib. 12, Cap. V et 84.) 

(1) « Les parties de l’Asie qui, au rapport de Dio- 
dore de Sicile , furent inondees par l'effet de l’irruption 
de la mer Noire, durent être celles qu’Hérodole dit 
avoir été couvertes par les eaux de la mer, comme 
la plaine de Troye, celle de la Teuthranie , à l’em- 
bouchure du Caïque ; celle d'Ephèse, celle du Méan- 


» dre, et d’autres. » 


” 


2 


(m) « Le déluge d'Ogygès inonda toute l’Attique, de 
manière qne Îles habitans, et Ogvgès lui-même , furent 
obligés de se retirer sur les plus hautes montagnes, 
et jusques dans la Béotie. M. Larcher (1) se demande 
comment un pays aussi peu aquatique que l’Attique 
a pu être inondé? Il ne voit que lirruptinn des eaux 
de la mer qui ait pu faire cet effet, maïs il n’en devine 
pas la cause, et elle se trouve positivement dans 
lirraption des eaux du Pont Enxin, qni, de même 
qu’elle a couvert plusieurs parties maritimes de Asie, 
a dù couvrir également les parties hasses de la Grèce 
et du reste de l’Europe. Le déluge d’Ogvsès anra donc 
été causé par l’irruption des eaux du Pont Euxin; 
et sa date, qui, snivant M. Larcher, est de l'an 1759 


(x) Larcher; tradaction d'Hérodote, tom. ü, pag. 271. 


LS Le, 13 


184 MÉMOIRES. 


» avant Jésus - Christ, convient parfaitement à cette 
» irruption. 
| NOTES DE LA SECTION III. 

(a) « Voici le résultat de quelques expériences que 
» j'ai faites pour jnger du degré d’exactitude des for- 
» mules que donne la théorie. » 

» Ayant pris un vase cylindrique dont le fond est un 
» cercle de 11 pouces 4 de diamètre , j'y ai versé de l’eau 
» jusqu’à ce qu’elle eût , au dessus du milieu du fond, 
» 2 pouces : de hauteur. Le diamètre de la surface 
» supérieure de l’eau dans le vase était alors de :: 
» pouces ?. » | 

» Ce vase ayant été incliné et ramené ensuite brus- 


» quement à la position verticale, la surface de lean 


» y a fait autour du plan de niveau, des oscillations 
» dont j'ai compté le nombre pendant an intervalle dg 


» 30 secondes de tems, et pendant celui de 1 minate » 
OSCILLATIONS, 


| 38 . 
Pour 304, j'ai compté, dans trois observations. 1. 


Pour 1, j'ai compté , dans deux observations. . ! . 


Dans une seconde expérience , la profondeur de l’eap 


dans le vase étant de 3 pouces ; , la surface supérieure 


de l’eau de 12 pouces ; de diamètre, ne 
OsCILLATIONS, 


— | | 43 
Pour 30f, j'ai compté, dans quatre observations. . | 53 
: . | 12 


ST | 87 


+ 


MÉMOIRES. 185 


Dans une troisième expérience, la profondeur de l’eau 
étant de 4 pouces 2: » le diamètre de sa surface de 13 


OuCESs 

be OsCILLATIONSI 
Pour 30! j'ai compté, DONS 05, ©: 0 1 n° à e H 
Pour Go... PO RU NOR ROUE UE CR Re Lu ne 


Enfin la profondeur de l’eau dans le vase étant de 


6 pouces ,, le diamètre de la surface supérieure de 


15 pouces 4 , j'ai compté, 
OsCILLATIONS, 


| ro S 
Pour 30”, dans trois observations. . . ,... 18 
48 


Pour 60", dans deux observations. . ré re 4 EE 


Si l'on prend un terme moyen entre ces différentes 
observations, on trouve les résultats suivans : 
HAUTEUR DIAMÈTRE NOMBRE 


| des 
DE L'EAU à la Oscillations 


DANS LE VASE. SURFACE. | enune minute, || 


pe | mnnepunue 


3 pouces. 11 j pouces. 
LE We 
15 
13 


Dans ces diverses | expériences , l'écart de la surface 
de l’eau au dessus du plan horizontal était d’un demi= 


186 MÉMOIRES. 
pouce, à-peu-près. Après quelques secondes il devenait 
presque nul. 
_ Si l’on veut maintenant appliquer la théorie à ces 
résultats, la formule qui donne le tems d’une oscilla- 
tion entière est. | 

24 


t — ; 


—  #W ch. DU | 
a étant le diamètre de la surface de l’eau , À sa profon- 
 deur dans le vase, £ la force de gravité, qui est, comme 
on sait, égale à 30, 196 pieds, le tems étant compté 
_en secondes. 
Ainsi, en faisant successivement 


3. ; LA - | 
11 - 
a— _©,,h— 1, on trouve & = 0,78 en secondes. 
12 12 
. 422 33 | 
a... he £ — 0,70 
€ 12 13 
13 : 
A —, e h—42 £ — 0,63 
12 | 
ï 6: | 
a 194, N/D t— 0,546. 
12 12 


C’est le tems en secondes d'une oscillation entière. 
Comme ces oscillations sont isochrones, d’après la 
théorie, ce qui est aussitôt prouvé par les expériences 
précédentes, on conclut aisément de ces résultats , le 
nombre d’oscillations qui doivent avoir liéu pendant 
une minute. Ce sera 75 pour le premier cas, 86 pour 
le second, 93 pour le troisième , 109 pour le quatrième; 
d’où l’on peut conclure la table suivante, pour comparer 
les résultats de l'expérience à ceux du calcul. Le dernier 
est le seul qui présente un écart remarquable entre 
l'observation et le calcul, parce que, dans celui-ci, À'eam 
est trop profonde dans le vase. 


MÉMOIRES. 187 


Quant aux autres, il se trouve, entre les deux résul- 
tats , une analogie remarquable, qui prouve que la 
formule, quoique calculée pour une seule dimension 
dans le plan horizontal , s'étend sans difficulté au cas 
des deux dimensions. C’est aussi ce qu’on a toujours 
supposé dans les recherches sur la propagation du son. 


2 


NOMBRE D'’OSCILLATIONS 
. En une minute, 
de la surface PSS RER 


DE L'EAU. pre par 


l’observation. | le calcul. 


DIAMETRE 


PROFONDEUR 


DE L’EAU 


dans le vase. 


2 pouces. 


ÿ pouces 


Dans toutes ces observations, on n’a commencé à 
compter le mouvement de l’eau que quelque tems après 
la secousse, lorsque les oscillations du fluide étaient 
formées par un écart d’un demi pouce seulement. On 
peut conclure des premières, faites en 30", que le 
tems des premières oscillations est un peu plus court ; 
en effet, il résulte de a théorie, que les oscillations ne 
sont isochrones que lorsqu'elles sont très-petites: mais 
il ya une limite à laquelle il faut s'arrêter, parce que, 
au de-là,le mouvement de l’eau devient insensible. 

(b }) Si, par exemple, au commencement du mou- 
vement , la surface du fluide était horizontale, et que 


188 MÉMOIRES. 

chacuné de ses molécules fût animée d’une vitesse 
proportionnellé à sa distance de Îa paroi antérieure du 
vase, on trouve que cette surface fera, au-dessus et 
au dessous du plan de niveau , des oscillations très-pelites, 
et que la tangente de l'angle qui donne l'amplitude 
de ces oscillations , sera exprimée par l'intensité de la 
vilesse supposée constante à l'extrémité du vase, multi- 
pliée par un coëflicient constant. Ce dernier est en 
raison sous-doublée et directe de la proféndeur de l’eau 
dans le vase, en raison sous-doublée et inverse de la 
force de gravité. En général, quelle que soit l'hypothèse 
qu’on adople pour représenter, dans ce cas-là, l'état 
initial du fluide , l'intervalle des oscillations qu'il exécute 
pour y revenir est indépendant de leur amplitude, et 
se trouve toujouïs en raison directe de la largeur du 
vase, en raisoh inverse et sous-doublée de la profondeur 
de l’eau. Après des intervalles qui diffèrent de éeux-là 
de la moitié de l’un d'eux, la surface du fluide se trouve 
toujours dans une position contraire à sa position initiale. 
Quant aux mouvemens intermédiaires pour passer 
d'un état à l’autre, il dépend des vitesses initiales des 
molécules. 


MÉMOIRES 169 


NOTICE 
SUR L'ÉLECTRICITÉ. 


Par M. VENE , Capitaine au Corps roya 
du Génie, Membre résident. 


GREEN Een quereg 


Pre Électricité du Dictionnaire des Sciences 
médicales, contient une erreur que je crois devoir relever, 
parce qu’elle peut nuire non seulement à l’avancement 
de nos connaissances électriques , mais encore à l'emploi 
de l'électricité dans l’art de guérir. Voici comment s’expri- 
ment les auteurs de cet article, page 284. | 

« Cependant une autre opinion a été introduite dans 
» l’art, et la théorie de l'électricité négative et positive en 
» a été la source. On a pensé et on n’a pas démontré, 
» que l’une des électricités était due à la privation du 
>» fluide dont l'accumulation donnait naissance à l'autre; 
» et songeant que l'électricité développée dans un plateau 
» de verre par, les frottoirs, était fournie à ceux-ci par 
» le sol, on a cru que si on les isolait ,ils se trouveraient 
» épuisés de fluide, et par conséquent à l’état négatif. 
« On a construit des machines sur ce système, de 
.» manière à présenter deux conducteurs , l’un qui portait 
» les frottoirs, l’autre qui recevait l'électricité développée 
» par leur moyen; et, selon qu’on isolait l’un ou l’autre 
» de ces conducteurs, on croyait faire naître ou l’élec- 
» tricité négative ou l'électricité positive : négative dans 
» le conducteur des frottoirs, et positive dans le conduc- 
» teur opposé. Telle est la machine inventée par un 
« physicien anglais nommé JNairne, mais les étincelles 


90 MÉMOIRES. 

» que donne ou soutire le conducteur des froltoirs sont 
» véritablement de même nature que celles de l’autre 
» conducteur, et elles ne présentent aucune apparence 
« de l’''ectricité résineuse. 

Quelle que soit la théorie que l’on adopte, il est aisé 
de prouver que la machine électrique de Nairne fournit les 
deux espèces d'électricité. D'ailleurs serait-il vrai, comme 
l’assurent les auteurs de l’article , que les deux conducteurs 
eussent la même espèce d'électricité, il n’en serait 
pas moins inexact d'en attribuer la cause à la théorie 
de l'électricité positive et négative : car si cette anomalie 
existait réellement , elle serait plutôt susceptible d’exph- 
cation par la théorie d’un seul fluide que par la théorie 
des fluides vitre et résineux. Cette assertion est d’ailleurs 
fondée sur ce que cette machine n’a pas été inventée 
par les partisans d’un seül fluide ; elle a été inventée 
en Allemagne, et M. Nairne n'a fait que la perfectionner. 

I est difficile de croire que l’on ait pu se méprendre 
peudant quelque temps sur lespèce d'électricité des 
frotloirs , puisqu'on sait que les procédés les plus simples 
suffsent pour donner une connaissance parfaite de la 
nature de l'électricité d’un corps. | 

Ainsi les Médecins qui voudraient employer l'électricité 
résineuse peuvent se dispenser de se procurer des globes 
ou des cylindres de souffre ou de résine : toutes nos 
machines électriques ordinaires peuvent être disposées 
de manière À fournir les deux électricités, \ 


MÉMOIRES 191 
| RECHERCHES 
.SUR LES SÉPULTURES SOUTERRAINES, 
DE QUELQUES PEUPLES ANCIENS ;, 


Et description d’un Cimetière de M ÆDRID. 


7 mms 2 


S 1 l'horreur naturelle qu'inspire la présence d’un cadavre 
et les dangers qui accompagnent son séjour parmi Îles 
vivans ont fait naître l’idée des sépultures en général , (1) 
La vanité qui accompagne l’homme même au-delà du 
néant, le désir d’être distingué du vulgaire, même lors- 
qu’on n’est plus, (2)un sentiment plus louable, l'intention 
d’honorer la mémoire des personnes qu’on a aimées, de 
disputer au temps leurs restes inanimés, dé Îles soustraire 
aux outrages, ont fait imaginer les mausolées, les tom- 
beaux, et ces lieux souterrains dans lesquels plusieurs 
peuples de l'antiquité déposaient les morts. 

Les Egyptiens, si soigneux de conserver les corps de 
Jeurs parens et de leurs amis, n’ont rien négligé pour 
parvenir à ce but. Ils ont porté très-loin l’art des em- 
baumemens , et ces fameuses pyramides , en même tems 
qu’elles transmettent à la postérité le despotisme des Rois 
d'Egypte et la misère de leurs peuples, attestent que cés 
Souverains n’ont épargné ni dépenses ni soins pour sa- 
tisfaire sur ce point leur vanité ou leur crovance.— Repum 


(1) Non defunctorum ceus& sed vivorum inventa est sepultura, 
€ Senèque -- de remed. fort. ) 
(2) » Retire-toi, Coquin, va pourrir loin d'ici, 
» 1] ne t’appartient pas de m’approcher aïnsi. » 
(Boutade de PATRIS.= Je songeais cette nuit, etc. ) 


192 | MÉMOIRzS. 

pecuniæ otivsam ac stultam ostentationem.— dit Pline en 
parlant de ces monumens (lib. XXXVIL c, Xx11 ). Les Rois 
d'Egypte, dit Mably, (Entretien de Phocion) ne bâtirent 
cès pyrämides et ne creusèrent le lac Mœris qué pour 
fatiguer par le travail un peuple inquiet, et qui ne 
prenait plus aucun intérêt à la patrie. 

Ces péuplés ävaiént én horreur l'idée d'une desttuétion 
complète et ils s’effofçaient de la retarder ou de l'empêcher, 
en embaumant les cadavres, qu'ils plaçaient ensuite dats 
des lieux souterrains. Par la même raison, ils ne brû- 
Jaient pas les corps. » Mortuos nec cremare nec fodere 
Jäs putant , verim arte medicatos intrà à penetralia collocané.» 
( Pompon. mela. lib. x. c. 9.) Ces lieux étaient très-vastes 
et distribués en différentes chambres dans lesquelles lès corps 
embaumés étaient rangés debout ,à ce que rapporte $olinus: 
Moses eseeseses es... Ægyptia tellus, 
-» Claulit odorato post funus stantia Saxo 
D ÉOPO NAT Ars ea Aer are érarin ete Anse » 

On allait de l’un à l’autre par des chemins ou rües; 
eétait comme des vilies ou habitalions sous terré. 
.( Montfaucon, T. 5, page 177.) 

Les Grecs brlaient ou inhumaient indi iFéremment leurs 
morts , ainsi qu'on le voit dans plusieurs auteurs, et notami- 
ment dans ce passage de Platon, (in Phhædone, versio latina) 
— Ut crito Jacilius jferat et videns corpus meum aut 
comburi aut humo mandari, meam vicem minimè indi- 
gnetur, quasi acerba quædam passus fuerim. — I est 
difficile de savoir ce qui, dans les diverses circonstances, 
déterminait feut choix ; peut-être, le système pluloso- 
phique que pro ofessaient les particuliers influait-il sur ce 
choix. C'est ainsi que Démocrité, dans l'espoir d’une 
résurrection plus facile, préférait linhumation, comme 


MÉMOIRES. 193 


le remarque Päre, qui, pour tourner en ridicule cette. 
opinion, dit: (ib.7.c 55.) — Similis et de asservandis 
corporibus hominum et reviviscendis promissa à Democrito 
vanitas qui nun revirit ipse. — Et que Héraclite, qui 
regardait le feu comme l'élément général, disait qu'il 
fallait brûler les corps, tandis que Thalès, qui attri- 
buait tout à l’eau , voulait qu’on les enterrât, afin, 
disait-il, de faciliter leur dissolution. Une opinion re- 
Hgieuse portait quelques autres à préférer le feu, quis 
suivant eux; devait purifier l’ame. ( Voy, Servius in Lib7 
it et 111 Æneid. ) On voit aussi par une défense de la 
loi des douze tables : « de non sepeliendis, neve urendis 
in urbe rnortuis » qu’on inhumait ou brûlait. | 

Les Grecs déposaient aussi les corps, soîit réduits er 
cendres, soit entiers, dans des caveaux on lieux sou 
terrains auxquels ils donnaient le nom d’Æypogées, (du 
grec wpo, sous, et ge, terre, ) qu'ils appliquaient à 
toute construction sous terre en général, et en parti- 
eulieér aux sépuilchres souterrains. ( Vitruv, de Architect. 
lib. vi. c. xt.) Ils avaient aussi des tombeaux hors dé 
terre. Dans le premier cas , ils recueillaient soigneuse- 
nent et religieusement les cendrès et les restés des bs- 
semens dans des urnes qu'ils plaçaient dans les trous ou 
niches pratiqués dans les hypogées , ou bien ils les ren- 
fermaient dans des tombeaux élevés sur terre. Lorsqu'ils 
ne brûlaient pas les corps, is les déposaïent tout entiers 
dans des hypogées ou caveaux plus ou moins profonds , 
comme on le voit par l’histoire de la matrône d'Ephèse, 
de Pétrone (Satyr ). « In Conditorium eliam prosecuta 
est defanetum , depositum que in Hypogeo ; græco more 
corpus custodire ac flere totis noctibus diebus que cæpit, 


Ce corps fut done placé en entier dans l'hypogée, puis- 


194 | MÉMOTRES. 


qu'il put en être retiré pour être substitué au pendu. 

Les Romains, dans leurs funérailles, comme en tant 
d’autres choses, ont imilé et surpassé les Grecs ; cepen- 
dant il semble qu'ils brülaient le plus ordinairement les. 
morts ; » Corpus non igne abolitum , ut romanus mos » 
dit Tacite ( b. 16. Ann. de Poppæä.) Mais il est à 
remarquer que cet usage n'était pas ancien, puisque 
Pline (Z%b. vax. c. Liv ) dit: Épsum cremare apud Ro- 
manos non fuit veteris instituti: Terr4 condebantur. » 
Et par la suite is adoptèrent celui d’inhumer. Macrobe 
qui vivait sous Téodose le jeune , dit que de son temps 
l'usage de brüler les corps était tombé en désuétude: 
D’autres, ( Christ. Besoldus. Consid. polit. vitæ et mortis). 
disent que ce fut l'Empereur Antonin qui labokt. Les 
cadavres des enfans en bas âge, c’est-à-dire, morts avant 
le 40o.° jour de leur naissance, et ceux des personnes 
| frappées de la foudre , seuls, ne devaient pas être brülés; 
un usage religieux prescrivait de les enterrer, et ‘ces 
derniers , dans le lieu même où ils avaient été frappés, 
à moins que ce ne fût un lieu public. « ÆHominum 
priusquèm genito dente cremari mos gentium non est. » 
{ Pline Lib. 7. c. 16). et (ib.2.c, 54). « 'Hominum ità 
exanimatum , ( à fulgure) cremari fas non est; condi 
terré religio tradit. » 

Ils avaient hors des villes, dans les champs , des en- 
ceintes publiques destinées à enterrer les pauvres et les 
esclaves. « Hoc miseræ plebi stabat commune sepulchrum 
etc. ( /lorai. Satyr. 8. lib. 1.) 

Ces lieux s’appelaient Puticuli ou Puticula , soit à 
cause des petits puits ou trous dans lesquels on déposait 
les corps , soit, comme d’autres le prétendent, de Pu- 
tescere où Putrescere, À Rome elles étaient sur les côtés 


MÉMOIRES, 195 
de la voie Appienne et hors de la porte Esquiline ; ce 
dernier terrain fut donné dans la suite à Mécène qui le 
fit cultiver. « Nunc licet Esquiliis habitare salubribus etc. 
dit à ce sujet Horace ( Zib. 1. Satyr. 8.) 

Chez les premiers Romains, les personnes de distinc- 
tion eurent pendant longtems des caveaux, Requietorium, 
conditorium , en ville dans leurs maisons, pour eux, 
leur famille , et ceux de leurs esclaves qu'ils affection- 
naient ; » Prids autem quisque in domo su& sepeliebatur. » 
{ 1sid. Orig. lib. XIV. c. X1) mais diverses ordonnances 
des Empereurs ayant remis en vigueur la défense de la 
loi des x11 Tables, (a) » de non sepeliendis neve urendie 
in urbe mortuis » Le privilège d’avoir une sépulture en ville 
devint honorifique et fut réservé pour les Empereurs, les 
Vestales et les grands hommes. Les particuliers alors se 
bâtirent des tombeaux dans leurs champs, dans leurs 
maisons de campagne, et surtout sur le bord des che- 
mins, usage touchant qui portait le voyageur au recueil- 
Jement et l'invitait à jouir de la vie en l’avertissant de 
sa briéveté. « Aspice, viator! » eave, viator! » 

Les tombeaux, chez les Romains, étaient des lieux 
sacrés, et en même tems de mauvais augure. Il était 
défendu de déposer dans ceux des particuliers les corps 
de personnes étrangères à la famille; cependant, pour 
honorer un mort, ou pour l'amitié qu’on lui portait, 
ou l'y recevait quelquefhis; c’est aïnsi que le corps 
d'Ennius fut reçu dans le tombeau des Scipions, et 
celai de Jésus dans le tombeau de Joseph d’Arimathie. 
( Marc. Zuerus quæst. rom. Q. X. ) 


. (a) C’est le premier code que Îles Romains aient eu. Ce 
fot lan 300 de Rome, c’est = à - dire 56 ans apres l’exil des 
Tarquins , que les Décemvirs publièrent ces loix. 


La 


196 MÉMOIRES. 
« Il paraît par diverses inscriptions qu'il y avait des 
peines et des amendes imposées aux infracteurs de cette 
loi, « INemini licef huc alienum inferre mmortuum ; si 
quis pim afferens id tentaverit, det templis Augustorum 
Sinyrnensibus denurios bis mille quingentos. » ( Traduc- 
tion d’une inscription grecque trouvée à Smyrne el 
communiquée par Tournefort } et plusieurs épitaphes 
portent des malédictions contre ceux qui profaneraient 
ou violeraient en quelque manière les tombeaux. « # iolaëii 
sepuicri reus esto. » Si quis huic loco manus intulerit, dit 
an particulier qui avait perdu une esclave qu'il aimait, 
‘ habeat dolorem meum quem ego habui. « Qui hic minxerit 
aut cacärit habeat Deos superos et inferos iratos. » dit 
un certain Caïus Cecilius dans une épitaphe rapportée 
par Fabretti. Pétrone, dans la satyre, fait proférer à 
Trimalcion une imprécation à peu-près semblable. 
_ Ces maîtres du monde portèrent dans leurs sépultures 
comme dans tous leurs monumens, ce goût du grand 
et du beau qui les distingue. Lenrs tombeaux souterrains 
étaient de forme et de dimensions différentes, quelquefais 
quarrés, quelquefois ronds, et situés plus ou moins 
profondément. Dans l'épaisseur des murs étaient prati- 
quées de petites niches, ZLoculi, capuli. x dans lesquelles 
se plaçaient ou s'encaissaient les urnes contenant Îles 
cendres et les restes des corps. On nommait 4#rca le 
coffre ou sépulchre qui renfermait un corps entier. Ces 
urnes étaient de formes et de grandeurs différentes e& 
portaient différens noms tirés de leur forme ou de leur 
usage , tels que cenx de : « Olla, Cineraria, Ossuaria, 
Obrendaria vasa. » Ces derniers étaient les plus grands. 
La même niche en contenait souvent deux ou même 
quatre ; quelquefois yne seule. Les caveaux se nommaient 


MÉMoïrrReEs. 197 
Columbaria à cause de la ressemblance de leurs niches 
avec celles des colombiers; ou Olaria, de la forme 
ronde des urnes qu’ils renfermaient. Plus magnifiques 
que les Grecs, ils construisaient quelquefois aux morts 
les mêmes appartemens souterrains qu’on aurait fait sur 
terre, à des personnes vivantes; ils les ornaient de 
colonnes, de statues, de bustes, et, soit qu'ils les 
construisissent au dessus ou au dessous du sol, ils y 
déployaient un luxe qu’une loi expresse interdisait aux 
Athéniens, qui, en un tems, s'étaient ruinés pour bâtir 
dans leur Céramique (a) des tombeaux vastes et somp- 
tueux. « Lege sanctum est ne quis sepulchrum faciat 
operiosius quäm quod decem homines effecerint iriduo. 
( Cicero de Leg. Athen.) (b) Enfin, joignant la grâce 
du sentiment à là magnificence , ils placçaient lenrs tom- 
beaux dans un jardin, sur le penchant d’une colline, 
sur le bord d’un chemin ; ils les entouraient d'ombrages, 
les indiquaient par une inscription presque toujours 
simple et touchante, et du fond de ce dernier asile, 


démandaient encore quelques fleurs à la maïn pieuse 
(a) Emplacement hors d’Athènes ainsi nommé parce qu’au- 
paravant on en avait.retiré une terre propre à la fabrication 
de grands vases de terre à mettre le vin, Xeramos , semblables 
vraisemblablement aux Tenajas des Eibionsh. et aux Doka 
des Latins. « Dokum à dolare , quia dolando fabricatur ». 
{b) Flaton dans sa République voulait que les tableaux 
destinés aux temples des Dieux fussent faits dans un jour, 
{L p’en donvait que einq aux sculpteurs pour faire élever un 
tombeau, et Juleg César avait fait une loi somptuaire qui réglait 
la dépense des tombeaux comme celle des équipages , des 
meubles, de la table, etc. Cette loi ne fut pas longtems en 
vigueur, car les tombeaux les plus magoifiques dont nous 
avons des restes, spnt du tems des premiers Epmpereurs, 


\ 


198 MÉMOIRES. 


du voyageur attendri. « Sparge, precor, flores supra mea 
busta, viator. » ( In epitaph. Eutichetis aurigæ. ) » Les 
lis, l’amaranthe et la rose étaient celles qu'ils préféraient. 
n ..:.:. Manibus date libia plenis purpureos spargami 
flores. » ( Virg. Lil. 5 Æneid. ) 
: Les hypogées ou tombeaux souterrains les plus remar- 
quables dont ont fait mention les auteurs qui ont traité 
cette matière, sont: celui de Smyrne; deux hypogées 
trouvés près de Corynthe ; le tombeau de la famille 
Cœsennia découvert à Porto en 1699; celui d’une fa- 
mille noble romaine trouvé dans la vigne Cavalieri près 
de Rome ; enfin celui de la famille Corsini, publié par 
le Bartholi, à Rome, en 1699. Celui-ci paraît avoir été 
magnifique ; il faut en lire la description dans Montfaucon 
(Tom v. 1." P°) Cet auteur qui s’est fort étendu sur 
les sépulchres, les urnes, les pierres sépulchrales, dit 
, peu de chose des sépulchres souterrains dont il est ici 
question. On trouvera davantage dans Marlenius 1. 4. 
Topograph. urbis Romæ. C. 19. » dans Georg. Fabricius 
‘Rom. c. 20. et surtout dans Xirchman « de funeribus 
ÆRomanor. » Nous parlerons tout-à-l’heure des catacombes 
de Rome. à 
. La première sépulture souterraine dont il est fait 
mention dans lhistoire sacrée, est celle de Sara, qui 
fut aussi celle d'Abraham. Elle eut lieu, dit la Génèse, 
( XXIII. 19. XXV. 9. ) dans une caverne qui se trouvait 
dans une roche ‘située dans un champ qu'il acheta 
d'Ephron, 400 sicles d'argent (Schmidt. Rich. des Nat.* ) 
I paraît que les Patriarches de l’ancien testament adop- 
tèrent cet usage. 
Les Hébreux enterraient les gens du commun, et 
embaumaient à peu-près comme les Fgyptiens, les corps 
- des 


_— 


MÉMOIRES. 199 


des personnes considérables, ensuite ils les mettaient dans 


de petits caveaux creusés dans le sable. « Fodiunt in : 


pulvere speluncas, Jaciuntque foveam in latere ejusdeny 
speluncæ , in qu& sepeliunt mortuum. » ( Maimonides, 
savant écrivain juif du 13° siècle, Cap. iv. Efel, $. 4 )< 
ou dans des cabinets taillés dans des roches ayec tant 
d'artifice que quelques-uns avaient des portes tournant 
sur leurs gonds, et faites de la même pierre. ( Barzonius 
Ann. ecclesiast. to, 1. pag. 183. Flav. Joseph antiq. Jud, 
et Fleury ; Mœurs des Israëlites. ) » Ces cavernes avaient 
des niches dans lesquelles il paraît que les corps étaient 
placés simplement enveloppés dans un linceuil et sans 
cercueil, de manière qu’on pouyait les voir et les toucher.» 
Neque corpora humata erant plerumque aut inclusa thecis, 
sed in loculis üà exposita ut videri tangique ab irgredien- 
tibus possint ; ex quo intellisimus quemodd cadaver ejus 
qui à Lationibus est occisus tangere potuerit ossa Elisæi 
prophetæ , ut aït lib. 2. Regum. X111. 21. ( Audi, quensted. 
de seputé, veter, Cap. X). 

. Les premiers chrétiens qui ne consent la mort 
que comme un long sommeil, « Domivit cum patribue 
suis » ( div. x des Rois. ) établirent, dans le tems des 
persécutions, leurs cimetières ou dortoirs ( Kometerion, 
de Komao , Dormio.) dans des lieux souterrains, suivant 
la coutume des anciens patriarches. Ils enterraient les corps 
comme les Juifs, simplement, en secret , et les ran- 
geaient dans des caves semblables aux catacombes de 
Rome ; elles étaient taillées dans le tuf ou pratiquées 
dans. des veines de sable; on y descendait par des 
escaliers et l'on trouvait de . longues rues qui, de 
chaque côté, avaient deux ou trois rangs de niches 


profondes où les corps étaient posés. De distance en. 


J, 5% Ziy, | 14 


« 


209 MÉMOIRES. 


distance étaient des chambres spacieuses , voutées, bâties 
avec solidité et perctes de plusieurs niches seinlilables à 
celles des rues. Souvent ces chambres étaient peintes de 
diverses histoires de l’ancien et du nouveau Testament, 
comme Îles Eglises. En plusieurs de ces cimetières il y 
avait des Eglises. On y voyait des coffres de marbre ornés 
de reliefs, représentant les mêmes histoires que les pein- 
tures , c’étaient les sépulchres des personnes considérables. 
Quelques-uns de ces cimetières étaient comme de grands 
fauxbourgs sous terre et avaient deux ou trois étages de 
profondeur ; aussi les Chrétiens y trouvaient-ils des re- 
traites assez sûres dans les tems de persécution; ils 
s’y assemblaient, y'célébraient les saints offices et y 
gardeient les reliqües de leurs martyrs. Ces anciens ci- 
metières souterrains demeurèrent longtems inconnus , les 
entrées en ayant été comblées; ils n’ont été découverts 
que vers la fin du 17. siècle. Ces lieux étaient aussi 
hommés_ quelquefois arcæ et arenariæ à cause du terrain 
sablonneux, (v. Fleury. Mœurs des Chrétiens, et Thomass. 
dissert. Pas. 2. lib. 3. c. 13 , 14; et sur les catacombes 
de Rome , /a Roma subternanea de Ant.° Bosio , observa— 
tion sur les Catacombes, par le père Mabillon. 1698. 
Voyage dans les Catacombes de Rome par un membre 
de Pacadémie de Crotone, 1. vol. in-8.° Paris 1810.) 
Mon intention est de ne parler que des peuples qui se sont 
éonstruits des tombeaux sous terre. Pour compléter l’his- 
foire des sépultures , il faudrait parler des usages, tous 
plus ou moins hizarres, de plusieurs anciens peuples dont 
les uns donnaient leurs morts à dévorer aux bêtes sau— 
. vages et aux vautours, eomme les Gaures et les Parsis ; 
les autres dévoraient eux-mêmes les corps de leurs parens 
funts, qu’ils se faisaient même un devoir de tuer lors- 


MÉMOIRES. | 201 


qu'ils les voyaient accablés de vieillesse. Il en est qui les 
jetaient à l’eau. Quelques autres , les peuples de la Col- 
chide et les Tibaréniens , comme cette mère indienne qui 
a fourni à M." de Château-Briant un si touchant épi- 
sode , suspendaient:leurs morts , -enveloppés: dans des 
peaux , aux arbres de leurs forêts. D’autres, les habitans 
des îles Baléares, découpaient les morts par morceaux, 
puis les enfermaient dans des pots de terre; d'autres enfiny 
disant peut-être comme autrefois Mécène; ».  Sepelit 
natura: relictos «.exposaient les «morts dans déserts 
ou sur des-rochers. ( Voyez histoire générale des céré- 
_monies et coutumes relisieuses de tous les peuples du 
monde , par les Abbés Banier et Lemascrier. T. 11.) et 
funerati antichi di diversi popoli à de Thomaso de 
Venet..1574.) 

* Les Espagnols, le peuple le — paresseux et de corps 
et d'esprit de tous les peuples : modernes, est ,: par cette 
même raison, celui qui a-conservé le plus d’usages , de 
meubles, d’instramens. des Romains. Entrautres , on 
retrouve’ chez -eux la charrue sans roues , Æratrum , les 
chars à roues solides et sans rayons, les meules à grain 
tournées par un mulet, mola, asinaria, les amphores, 
les vases, les dutres, la chaussure des paysans, le goût 
pour les vêtemens drapés, etc. 

+ Îls ont aussi conservé l’usage des hypogées ou sépultures 
souterraines qu'ils constrüisent sur le modèle des Co- 
lumbaria romains. Ce n’est pas que-comme tous les peuples 
modernes et chrétiens, les Espagnols n'aient adopté et 
conservé longtems la coutume d’enterrer dans l'intérieur 
des villes, dans les églises ; dans les cloîtres : leur exces- 
sive dévotion , leur aversion pour toute innovation Ja leur 
ont même fait conserver longtems ; mais des écrivains 


202 MÉMOIRES. 


éclairés, parmi lesquels on compte même des ecclésiastiques, 
(dom. Bened. Bails. de sepull. miguel de Arero y aldovera. 
Tradato delos funerales y de las sepulturas, ) en Espagne 
comme par toute l'Europe, se sont élevés contre éette 
pernicieuse coutume, qui, pour honorer les morts, 
faisait mourir Îles vivans ; elle a enfin été abandonnée, 
Quelques familles puissantes, seules, ont conservé jus- 
qu'à ce jour le privilège d'acheter et d’avoir dans des 
couvens leur sépulture particulière. Ce sont des caveaux, 
de véritables hypogées , des Columbaria où les. corps 
enfermés dans un cercueil en bois, plus ou moins orné, 
sont déposés dans des niches pratiquées dans les murs, 
en forme de fours, et que l’on ferme ensuite avec des 
briques et du plâtre, sur lequel on inscrit les noms et 
qualités du défunt, son âge, la date de sa mort. Il est 
peu de couvens et même de paroisses qui n'aient Jeur 
caveau ou Boveda, destiné À la sépulture des religieux 
ou de quelque famille considérable, et toutes les grandes 
villes ont aujoard'hui. suivant leur population, un ou 
plusieurs cimetières construits sur terre, en ie de 
Columbaria. 

de ne vois pas que la ue des Goths et celle des 
Maures en Espagne aient apporté. quelques changemens 
dans le mode de sépulture de ses halbitans depuis l'époque 
du séjour des Romains dans ee pays: les historiens Es- 
pagnols, la plupart d'une: prolisité effrayante, ne m'ont 
rieu appris à ce sujet, non plus que sur des du sde. 
de ces peuples étrangers. ; 

- C'est un ancien usage en Espagne d'enterrer les er 
daus des chapelles particulières, ou dans des niches. prés 
tiquées dans l'épaisseur des murs des églises : ‘où lude 
par ce moyen à défense d’enterrer dans l’église mêmes 


 Mémornzs. 203 
(Foy. Garcia. Lavisia. Concil. Hispan . 545 e ue see. : 
Cap. xvIIL Cvncil, Bracarense. ) Les Rois de la ville 
Castille avaient leurs sépultures à Léon, ceux d’Espagne 
à Folède’, avant Pétablissement de ka trop fameuse maison 
de PEscurial, et depuis lors leurs corps ont été déposés 
dans le caveau du couvent de même nom. Ce caveau. 
n'est qu’une magnifique Catacombe en marbre, où sont 
rangés de chaque côté et autour d’un autel qui en occupe 
le milieu , les sarcophages , aussi en marbre, de ces sou- 
verains, les Rois du côté de l'Evangile, les Reines du 
côté de PEpître, comme dit Ximenez, auteur d'une 
description de l’Escurial. 

A Guadalaxara , près Madrid, on voit, au csuvent 
des Augaslins , un caveau ou Buveda, qui à environ 16 ”* 
242" ( 5o pieds) de profondeur au dessous du sol; il 
est tout en marbre et reçoit la luntièré de la ecupole. 
H sert à la sépulture des Ducs de lInfantado, Des niches 
et des gradins sont destinés à recevoir les corps. On 
vient d'ouvrir le tombeau du dernier Duc de ce nom, 
mort en 1703. Son corps, qui avait été mal embaumé, 
n’était pas desséché comme le sont ceux qui ont été 
simplement enfermés dans les niches où fours, mais il 
était encore en putréfaction. J'ai vu, parmi des débris 
que l’on trouvait dans le caveau du couvent de FAtocha 
dont je vais parter, des portions de cadavres dont les muscles 
et les viscères étaient desséehés comnse de J’amadou, 

aient l'apparence de cette ne ét auraient pris 
feu comme elle. 

* Le caveau ou la boveda du couvent de Notre-Dame 
d’Atocha ouw des Genets, dont la figure se trouve dans 
le 24° volame du Dictiormaire des Sciences médicales, 
peut donner une idée de tous ceux qui se trouvent dans 


204 MÉMOIRES. 


Ja plupart des couvens de Madrid et de l'Espagne. Il est. 


situé sous le chœur de l'église. L'entrée est dans un 
coin du cloître; on y descend par 20 marches. Il a 


4 "873". de profondeur sous le sol; il est voûté 


et reçoit la lumière par un seul soupirail qui se trouve 
au niveau du terrain. Îl présente 30 niches ou fours, 
dont 26 pour des corps adultes, et 4 pour des enfans; 
les premières ont 2 "“!- 3 “ll de profondeur, 0,650 "!l- 
de: largeur, et 0,568 "+ de hauteur; les seconds n’ont 


que 0,866": de profondeur et sont d’ailleurs de mêmes 


dimensions que les grands. Les uns et les autres sont 
en briques. Le long de l'escalier il y a cinq petites niches. 
Le caveau lui-même a dans œuvre 4 "“* 873 "ll: de 
hauteur, depuis le sol jusqu’à la voûte ; autant de 


longueur, et 3 "**: 898 "!l: seulement de largeur. A la 


paroi gauche de ce premier caveau est une porte qui 
conduit à un second à peu-près de mêmes dimensions , 
mais sans niches et dont la voûte a une large ouverture 
par laquelle on descend les corps de l’église dans le 
caveau. Les corps dont j'ai vu les restes, avaient été 
énveloppés dans des linceuils d’étoffe de soie et enfermés 
dans des cercueils de bois doublés intérieurement de 
vélours noir. | a 

Ce caveau fort ancien et qui, m’a-t-on assuré , existait 
déjà du tems des Arabes, ainsi qu’une chapelle où se 
fesait un pélérinage à Notre-Dame des Genets, appar- 
tenait à la famille des Comtes de Nieva, qui seuls y 
étaient inhumés ; privilège qu’ils avaient acheté par des 
bienfaits envers le couvent, auquel ils fesaient une rente. 
La seule inscription lisible que j'aie trouvée dans ce 
caveau, indiquait qu’un des corps desséchés, dont j'ai 
parlé plus haut, y avait été déposé en 1762. 


MÉMOIRES 203 


Un monument plus remarquable est un des quatre 
cimetières. projetés pour la sépulture des habitans de 
Madrid, et le seul qui ait été exécuté jusqu’à ce jour. 
. I est situé au nord de la ville, à près de 8 hecto- 
mètres de la porte dite de Fuencarral, dans un champ 
élevé, sur le bord du chemin qui conduit au bourg de 
même nom; il n’était destiné qu’à 8 des paroisses de la 
ville. 

C'est un quarré parfait; chaque côté a 200 pieds 
castillans, ou 55 "*t: 873 "il, ceint d’une muraille épaisse, 
et haute de 13 pieds castillans, ou 3 "‘t- 654 il. 
L'espace circonscrit par cette muraille est divisé inté- 
xieurement en cinq parties inégales, proportionnées à 
l'étendue des paroisses aux inhumations desquelles 
chacune était destinée, et par conséquent au nombre 
présumé de morts que chacune d’elles peut avoir annuel- 
lement. | 
. Les deux compartimens du milieu sont affectés à la 
sépulture des religieux, des religieuses et des enfans; le 
plan précité indique cette distribution. Au centre de 
tout l'édifice se trouve une chapelle dont l'entrée est 
formée par un portique de deux colonnes au centre et 
de deux pilastres aux angles, surmonté de sa corniche 
et'd'un fronton triangulaire sur lequel on a menagé 
une place et une table pour une inscription; on y lit 
celle - ci : Beati mortui qui in Domino moriuntur. » 
( Apoc. c. XIV. ) L'intérieur de la chapelle présente 
quatre arcades principales ayant 30 pieds castillans, 
( 8": 283 "l ) de profondeur, qui soutiennent le. 
dôme, lequel est percé dans son centre d’une lucarne 
qui éclaire toute la chapelle. Le grand autel a 9 pieds 
castillans (2 "+ 517 mil) de largeur ; derrière lui est 


206 MÉMOIRES. 


Ja sacristie » au dessus de laquelle est le logement du 
sacristaïn. La façade a deux espèces de tourelles pour y 
placer des cloches; celle de droite a un bel escalier en 
vis. L'entrée principale da cimetière offre à gauche un 
logement pour Île chapelain, à droite un autre pour 
les fossoyeurs, et de plus une remise pour les instru: 
mens et ustensiles à eux nécessaires. Tout le sol est 
creusé de fosses dont les côtés et le fonds sont en briques 
ünies par du ciment; ces fosses sont longues de 2 "*"'- 
274%, larges de 0" 75", et profondes de 1° 950 
11 y en a 1300 en tout. Elles sont remplies de terre 
que l’on en retire au fur et à mesure qu'on a besoin 
de place. On met dans chaque fosse 2, 3 et quelque- 
fois 4 ou 5 cadavres , enfermés ou non dans des cercueils 
en bois, comme ils se présentent ; entre chacun on met 
un peu de terre, Quand on a mis dans une même fosse 
plusieurs cadavres sans cercueïls, on y jette ordinaire- 
ment de la chaux. Lorsqu'une fosse contient le nombre 
de cadavres qu’on veut y mettre, on la remplit de la 
terre qu'on en a tirée; Pexcédent de cette terre est 
porté dans un coin du cimetière, et la fosse est recou- 
verte de briques unies par du ciment. Ees fosses da 
compartiment du milieu , de la première section, formant 
la première enceinte, sont, pour plus de: propreté, 
recouvertes de grandes tables de pierre sur lesquelles 
on peut graver des épitaphes; chacune des S sections 
a ses fosses numérotées. | 
Indépendamment de ces fosses, il y a, le long des 
deux murailles latérales et des deux murs mitoyens qui 
séparent a section du milieu de celles des côtés, des 
niches ou fours semblables à celles que nous avons 
décrites ci-dessus en parlant du couvent d'Atoctæ; 


mil, 


= fi 


MÉMOIRES. _ 207 


gen & 4 rangs les unes sur les autres; elles ont 2 
030"! de profondeur, 0,704""!- de largeur et autant de 
hauteur ; il y en a 700 : chacune d'elles ne doit contenis 
” un cadavre. 

- Quand ïl est placé, enfermé re son as 5 On 
bouche la niche avec des briques et du ciment, ou dn 
plâtre sur lequel on inscrit une épitaphe ou simplement 
le nom du défunt, son äge et le jour de sa mort. Les 
niches sont numérotées comme les fosses. Dans la partie 
postérieure et parallèle à la chapelle des deux murs 
mitoyens , sont pratiquées 32 niches d’une autre forme 
que les précédentes, destinées à recevoir les corps des 
individus d’une même famille qui auraient voulu restez 
anis jusque dans le tombeau; chaque niche pent renfer- 
_ mer 4 corps. Elkes ont 1." 950"! de profondeur, 2.",003 
de largeur et 0,704." de hauteur, Les corps, au lieu d'y 
êtres mis en long, comme dans les fours, doivent y 
être placés en travers les uns à côté des autres ; elles 
sont encore vides. 

: On a calculé que les paroisses ie était destiné 
pr'imitivement ce cimetière, donnant par cinq années 
de 6 à 7 cents morts, il pouvait être rempli au bout 
de dix années; il le sera beaucoup plutôt, parce que 
jasqu’à présent ( 1812} il a servi à tous les quartiers de 
la ville. Alors on videra successivement les fosses et les 
niches remplies les premières ; on en retirera les restes des 
corps, que l’on trauvera desséchés, comme momifiés, et 
on les déposera dans un large puits profond de 14°"-,618”, 
s’évasant vers son fond en 4 branches, creusé au milieu à 
compartiment postérieur et dans lequel on descend par 
une ouverture ou regard de forme ronde, fermée par 
une pierre qui s’enlève au besoin. C’est là, c'est dans 


208 MÉMOIRES. 


cette espèce de charnier que ces restes retourneront en 

poussière; c'est ce puits ou caveau qui est destiné à 

engloutir une partie de la population de Madrid. 
Lorsqu'on aura à procéder à de nouvelles sépultures, 


on reprendra, pour remplir les fosses, la terre excédente. 


mise en réserve lors des inhumations antérieures, et 
celle récemment tirée sera mise à sa place pour l’aérer 
et la  puriñer; deux années, à ce que m'a assuré, 
d’après son expérience, l’habile. architecte qui a fait 
construire ce cimetière, suffisent pour dessécher complè- 
tement, et, comme il le dit, pour réduire à la consistance 
. de carton, un corps médiocrement eharnu et gras. La 


sécheresse et la légèreté d’un sol épuisé et en quelque 


sorte aride, la vivacité et la constante sécheresse de 


l'air, la rareté des ‘pluies, peuvent rendre raison de 


cette prompte dessication , qui, vraisemblablement , 

n'aurait pas lieu en aussi peu de tems dans nos climats 

plus humides et plus froids. LES 

Le style de ce monument est simple, grave et sévère, 
tel qu’il convient ; il a été commencé en 1805, sur les 
plans et sous la direction de M. Villa-Nueva qui a bien 
voulu me communiquer les plans que l’on voit dans le 

Dictionnaire des Sciences médicales. Ce monument a été 

interrompu pendant deux ans, faute de fonds, et n'a 

été repris et achevé que vers la fin de 1808. 

. WILLAUME, ex-Chirurgien principal 
à d'armée d’Espagne ; Membre 
correspondant de la Société Royale 
d'Arras. ; 


MÉMOIRES: 209 
VAE mme ame ee eue eme ae ay 


NOTICE 
SUR L'ORIGINE ET L'ANTIQUITÉ 


DE LA VILLE D’ARRAS, 


Par M. BÉHIN, ex-Constituant. 


P ARMI toutes les notices que j'ai lues sur la ville 
d'Arras, aucune ne parle de son origine, ni de son 
antiquité. M. Piquenard, dans l’almanach de l'an dix, 
se contente de dire qu’elle existait longtems avant l'arrivée 
des Romains dans la Gaule-Belgique. Il ne se doutait 
pas sans doute que , pour trouver la fondation de la ville 
d'Arras, il fallüt remonter jusqu'aux tems fabuleux, et je 
l'ignorerais encore moi-même, si, par hasard, cette origine 
ne s'était offerte d'elle-même à mes yeux ; voici comment: 
En relisant les lettres du savant et malheureux Bailly 
sur l'Atlantique, je fus frappé d’un passage d’un ancien 
qui, à la première lecture n’avait fait aucune impression 
sur moi, parce que j'avais fait peu d'attention au 
jugement qu’en porte Bailly. Il s’agit d’un passage de 
Diodore de Sicile sur l'empire que les Celtes ou Gaulois 
ont fondé en Europe. Je savais que les premières colonies 
qui descendirent du Nord, pour peupler le Midi , aimaient 
à former de grands Empires : les Scythes, qui s'étaient 
d'abord éloignés vers l'Orient, avaient fondé le vaste Empire 
de la Chine, et, dans la suite, toutes les hordes Scythes 
s'étant réunies sous le nom de Tatars ou de Tartares, 
ils soumirent presque toute l'Asie et même la Chine. 
De même les Celtes, sortis de la Scandinavie , s'étant 
répandus dans toute l'Europe, aussitôt qu’elle fut desséchée 


are MÉMOIRES 


des eaux qui la couvraïient, (1) n’y formèrent qu’un 
seul Empire qui, selon Diodore de Sicile, s’étendait 
depuis la mer Glaciale. jusqu’à la Méditerranée ; de sorte 
que pour avoir leur Capitale au milieu de leurs provinces, 
ils furent contraints de fa placer vers l'extrémité des gaules. 
et-dans le voismage de la grande Bretagne qu'ils occu- 
paient aussi. 

Voici le texte de Diodore de Sicile tel qu'il est rapporté 
par Bailly. (2) « la Celtique était an pays immense: 
» elle avait des contrées fort septentionales où  Phyver 
» duraît longtems ; il n'y croissait ni vignes, ni oliviers: 
» une grande partie de fa Celtique était au delà de la 
# forêt Hircinie , bordaït l'Océan et s'étendait jusqu'aux 
* confins de la Scythie. Un Roi de ce pays avait une 
» fille très-belle, qui ne trouva qu'Hercule qui fat 
» digne d'elle. Ce Héros, après avoir ravi les vaches de 
» Gérion, s’arrrêta dans la Celtique où il bâtit la ville 
» d’Alésie. Il épousa la princesse Galathée, et en eut 
» un fils nommé Galates, qui augmenta le pays de la 
» domination , et leur faissa le nom de Galatie ou de 
» Gaule. » 

Avant d'aller plus loin, je dois remarquer que c’est 
dans ce style que les anciens rapportaient la fondation 
des Empires et des Cités, style qu’on appelle main- 
tenant mythologique et fabuleux, et qu'ils appelaient 


SE PP PET RUE 


(x } I! faut remarquer qu’il était libre aux Celtes de s’étendre 
ainsi; ear , dit Montesquieu , » on voit par ce que les historiens 
» nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les 
2 bords du Danube, que ce n’était pas une conquète, mais sou. 
» lement une transmigration dans des terres désertes. Esprit des 
dois, (L. 18. Ch. 3.) ; 

(2) Page 320. 


MÉMOIRES, 214 


sacré et allégorique. C’est ainsi que lenr cosmogonie ef 
leur histoire devaient être écrites, parce que c'était des 
hvres sacrés. Ce style fut depuis réservé aux Poëtes, comme 
on le voit dans l'Iliade et l'Odyssée , où les Dieux fondent 
et détruisent les Empires et interviennent par eux-mêmes 
dans tous les événemens. Diodore , Strabon et Plutarque, 
qui se sont particulièrement appliqués à recueillir Les 
traditions des anciens peuples, ont souvent affecté de 
copier leurs expressions sans les expliquer, parce que 
cela n'était pas toujours facile. ( 3) Tel est Le récit de 
Diodore, que Baïlly me semble rejetter ici avec trop de 
mépris. 

Baïlly, presqu'entièrement livré à l'étude de l'astronomie 
et aux Belles - lettres, ne fit jamais des fables l’objet de 
ses recherches, et n’en porta jamais que des jugemens 
variables et incertains dans son histoire de l’astronomie ; 
il prend souvent les fables pour de pures vérités, et la 
cosmogonie pour l'histoire. Il croit que Bélus a enseigné 
l'astronomie aux Caldéens et qu'Hercale ouvrit le détroit 
de: Cadix, en séparant deux énormes rochers, quoiqu'il 
soit évident que Bélus et Hercule ne sont que des per- 


&- , 


(3) Tel est Je nécit: de la fuite ou de la sortie des Juifs de 
l'Egypte, que Plutarque a tiré mot à mot de lhistoire des 
Égyptiens: » Typhou, dit-il, père de Jerossolaïn et de Judens 
n s’est enfui d'Egypte : sur un âne. » Les Egyptiens- préveous 
contre Moyse et les Juifs qu’ils se vantaient d’avoir chassé hon- 
teusement d'Egypte, attribuaient leur établissement dans la Judée 
à Typhou ou:au diable comme “Diodore attribue l'établissement 
des Celtes en Europe aa soleil on à Hercule , toujours opposé 
à Typhon, parce que Yuan étaulo bou principe, l’autre le 
MAD aise Ç 


212 MÉMOIRES. 
sonnages fictifs et allégoriques. Il prend les fables tantôt 


comme des contes de bergers , et tantôt comme les jouets 
‘de l'enfance du genre humain; mais, dans ses lettres à 


M. de Voltaire, il paraît se rapprocher un peu du sentiment 


du savant Dupuis, dont il ne pouvait ignorer les décou- 
vertes sur le sens allésorique des fables sacrées , puis- 
qu'il était de la même Académie des Sciences. » Je pense, 
» dit-il, à M. de Voltaire, que les’ fables fournissent 
» des probabilités pour appuyer ‘les faits; je pense sur- 
» tout que la vérité cachée les rend dignes de l'attention 
> du philosophe : ces jouets de l'enfance furent jadis 
» l'ouvrage des hommes de Gérie; je crois qu'H n’y a 
» pas de fables reçues et accréditées chez les peuples 
»-qui ne renferme quelque vérité’ historique, physique 
»-ou morale. » Malgré ces aveux, Bailly ne laisse pas ‘de 
éjetter le récit de Diodore et ‘méme l'existence de la 
ville d’Alésie , sur le seul prétexte «que jamais on n’en 
» entendit parler. Gérion, ajoute-t-il , et ses vaches, 
# Galatés et: sa mère, ni la ville d’Alésie, n’ont pas 
« été plus en Espagne et en France que les Héliades 
» en Italie dont l'Eridan, qui produit Fe n'a 
» jamais arrosé les campagnes. » 

‘En un mot Bailly prétend que les Celtes ont trans- 
porté avec eux dans les Gaules :le nom d’une ville du 
Nord, comme ils ont transporté l’Eridan en Italie, et 
tome les modernes ont transporté avec eux en Amérique 
Ja France , l'Angleterre et l'Espagne; « maiss. ajoute-t- il, 


» quelque -jour, je n’en désespère .pas, les savans y. 


».chercheront sinon les vaches de Gérion, du moins 
» son royaume. : On: voudra y retrouver les colonnes 
» d’Hercule , le royaume de son fils Galatés et la ville 
» d’Alésie ; tant qu'on ne sera pas guidé par la philoso- 


MÉMOIRES. L2I1S 

v phie, ces erreurs de nom seront Îa confusion de 
» l’histoire. » | | tu 
. Je conserve la plus grande vénération pour celui qui 
le premier présida l’Assetblée constituante, et dont 
nous avons .eu tant d'occasions d'admirer la science 
et la:vertu; maïs j'avoue que ce. fut la sévérité. de sa 
critique, qui me porta à faire quelque recherche sur la 
ville d’Alésie, persuadé qu'elle devait exister dans. les 
Gaules, parce que Îles auteurs des fables s’assujétissent 
nécessairement à une géographie réelle et connue, sans 
quoi ils ne seraient point entendus; et si. Bailly vivait 
encore je le prendrais lui - même pour juge, et je lui 
dirais : c'est vous-même et votre ouvrage qui m'avez: 
guidé dans cette recherche. Vous convenez que les anciens’ 
äâttribuaient souvent la fondation de leurs villes, et ce 
qu'ils faisaient eux-mêmes, à leurs Dieux, et vous en. 
apportez un exemple (4) en citant un passage de Strabon , 
entièrement semblable à celui de Diodore : « les Scythes, 

» dit ce savant géographe”, devenus trop nombreux : par. 

» une population excessive, se jettérent sur le royaume 

»'de Pont et sur la Cappalñoce, et Aemon, leur chef, 

» bâtit sur les bords du Thermodon une ville nommée 

» de son nom Aemonie. Il entra ensuite en Phygie, et 

» y bâtit une seconde Aemonie; or, ajoutez-vous, ce. 

» Aemon était père d'Uranus, et par constquent un: 
» Dieu , dont Hercule même était .issu, suivant le 

langage des Cosmogonites. » Pourquoi les Celtes, qui 

reconnaissaient. Hercule pour .leur Dieu et leur chef, 
n’auraient-ils pas pu lui attribuer la fondation de la ville 
d’Alésia ? Vous m’apprenez encore qu’Hercule est le Soleil 


# N ù . es SEPT SE PSE = 
(4) Page 112. 


214 MÉMOIRES. 


même, qu'il voyage et qu'il arrive jusqu'aux extrémités 
du monde dans le navire du soleil, parce que les 
anciens faisaient voyager les astres dans des vaisseaux ; 
qu’à la vérité quelques-uns comptaient plusieurs Hercules, 
mais qu'il ne peut y en avoir qu'un seul, parce qu'il 
n'y a qu'un seul soleil. Que plusienrs épisodes de son 
histoire sont sans doute chimériques, mais que le fond 
n'est peut-être qu'une allégorie; qu'enfin » les fables 
» sont des demi-vérités enveloppées et peut-être équi- 
+» voques, mais qu'elles ont droit de s'unir aux faits 
» de l’histoire. » 
Hercule était donc le grand Dieu des peuples du Nord, 
à qui ils attribuaient volontiers ce qu'ils faisaient eux- 
mêmes d'important, comme les Fgyptiens à Osiris, qui 
n’était encore que le Soleil sous un autre nom, c’est- 
à-dire, le Dieu suprême et créateur de tous les anciens . 
peuples. Ce Dieu était donc censé, dans Le langage 
sacré et toujours figuré des anciens, marcher à la tête 
des Colonies quise répandaient du nord vers le midi, leur 
indiquer les établissemens qu'ils cherchaient à former, 
et fonder en quelque sorte leurs cités et tous les mo- 
numens qu'ils élevaient. Vous en convenez vous-même 
encore, en observant qu’on voyait sur la mer Glaciale, 
à Cadix, à Tyr, et jusques sur la mer Rouge des 
monumens qu’on appelle tantôt colonnes d'Hercule, 
tantôt bornes ou frontières, parce qu’elles étaient les 
limites et les repos de ce fameux voyageur ou conducteur 
des peuples du nord. Les colonnes, dites-vous , indi- 
quaient des temples d'Hercule et ses stations. L'une de 
ces colonnes était consacrée au Soleil où à Hereule 
même qui conduisait la oolonie, et l’autre aux vents 
favorables 


- MÉMOIRES. 215 


favorables qui l'avaient amenée. Car elles désignaient 
toujours un voyage par mer ou un débarquement. 

J'en suis sûr, Bailly, loin de condamner ma recherche 
comme peu philosophique, m’y eut encouragé et se fut. 
réjoui en voyant qu'au lieu de colonnes d’Hercule, je 
pouvais lui montrer deux villes d’Alésie dans les Gaules, 
et toutes deux supposées bâties par Hercule, 
_ Mes recherches ne furent ni longues ni pénibles. Le 
premier livrà que j’ouvris me donna des renseignemenë 
clairs et sûrs touchant les deux villes, en m’apprenant 
qu’elles avaient été frès- connues sous ce nom, et que 
toutes deux avaient été prises par César. J'ouvre donc 
le Dictionnaire Hhistorique, géographique et poëtique 
de Robert Etienne ( r ), et je suis renvoyé du mot 
#lesia à l'article 4lexia dont voici la traduction » Alexia, 
» chez Ptolomée, Regiacum, et selon Diodore EL. S., 
» ville métropole de toute la Celtique, vulgairement 
# ÂArras. chez d’autres Alexie. » Je poursuis et je trouve 
une seconde Alexie, « ville inexpugnable dans l’ancien 
» duché de Bourgogne, près de Langres. César l’ayant 
» prise avec peine, la rasa totalement, en sorte que 
» ce n’est plus qu’un village qui porte pourtant encore 
» son ancien nom d’Alize. La fondation ‘en est aussi 
æ aitribuée à Hercule, mais à l’Hercule égyptien, fils 
m d'Osiris. » 

Ceux qui savent qu'Osiris est aussi le Soleil en Egypte, 
et que ses deux fils Orus et Hercule étaient encore 
des symboles solaires, sentiront que l’Hercule égyptien 


(1) Comme ce dictionnaire a beaucoup servi à rédiger celui 
de Moréri, on pourrait peut-être tr trouver dans ce dernier Îles 
mêmes articles. 


L 5% Liy, Fe 15 


216 MÉMOIRES. 
est le même que l’Hercule gaulois, et Robert Etienne 
n'en doute pas, puisque, pour apprendre à quelle occa- 
sion cette ville avait été fondée, il renvoye au mot 
Galatheæ qui est l'épouse de l’Hercule gaulois. (1) 
Je trouve dans le même Dictionnaire le mot » Alexiacos, 
» mot grec qui signifie celui qui détourne les maux; 
» il se. donnait à Apollon qui, comme Hercule, était 
» un symbole solaire. » C'était donc le même nom que 
celui de Sauveur que l’on donnait à Osiris, à Bacchus 
et à Mythra dans les mystères qui leur étaient consacrés 
comme à des symboles solaires , qui mouraient en 
automne et ressuscitaient au jprinptems pour chasser le 
froid et les ténèbres des pays du nord; d’où je conclus 
que la fondation des deux villes d’Alesie ou d’Alexie 
n'étaient attribuées à Hercule que parce qu’elles portaient 
son nom; et qu’elles portaient son nom parce que toutes 
deux étaient fortes et puissantes comme lui; car les mots 
Alcée et Alcide qui sont encore des noms d'Hercule, 


(1) Ces deux villes sont très-bien distinguées dans les com- 
mentaires de César : l’une est la cité des Atrébates , qu’il appelle 
toujours Nemetecenna. Elle s’était d’abord soumise volontai- 
rement à lui et il y avait établi pour Roi Comius, à qui il 
donna encore depuis le royaume des Morins, pour le récompenser 
de ses bons services. L’autre est une forteresse, du pays des 
Mandubiens qu’il appelle Alesia et Alexia. Comme elle était 
bâtie sur le sommet d’une montagne très-élevée , il ne put la 
soumettre qu’après un siège régulier et avoir hattu 250,000 hom- 
mes qui s'étaient réunis de toutes les Gaules contre César , afin 
de recouvrerileur liberté , et c’est sans doute parce que Comius, 
Roi des Attrébates et des Morins, s’étant insurgé avec Îles autres 
Princes Gaulois , était un des chefs de cette armée, que plusieurs 
ont confondu les deux villes d’Alesie, et ont cru qu'il s’agissait 
de Regiacuig ou d'Arras, 


en L 


MÉMOIRES. | 2 17 


signiñent fort et puissant. Telles étaient en effet ces 
deux villes : l’une était inexpugnable par sa situation, 
et l’autre, selon Meier, a toujours été regardée comme 
Re-boulevard de la Flandre. Enfin, je trouve encore 
dans Robert Etienne , qu’outre les noms d’Alesia et 
d’Alexia , Arras portait encore ceux de Regiacum, Rigia- 
cum, Origiacum, Nemetecenna et Atrebatum. Il n’appar- 
tient sans doute qu’à une ville très - ancienne d’avoir : 
tant de noms différens ; et cependant, quelques anciens 
que soyent ces noms, il me paraît aisé de les expliquer. : 
Les trois premiers sont synonimes et ne peuvent convenir : 
qu'à une ville royale ou capitale d’un grand Empire. 
Nemetecenna vient de Nemetes, bois, et indique une 
ville entourée de forêts. Enfin Aérebatum ne peut venir. 
que d’Atrum, noir ou noirâtre, à cause des draps 
couleur de pourpre qu’on fabriquait dans cette ville, 
et qui étaient si estimés des Romains que leurs généraux 
en étaient couverts dans la pompe du triomphe, et 
que depuis ils furent réservés aux Empereurs, (1) 


(x) Il parait que cette couleur était faite avec le pastel, 
vouede ou vede, qu’on cultivait beaucoup en Artois, et qu’on 
cultive encore en Angleterre, où un arpent de cette plante 
rapporte, dit-on, depuis 10 jusqu’à. 30 livres sterling par 
an. Les àneiens Anglais s’en servaient, selon César, pour se 
peindre le corps et donner à leur peau une couleur bleue , afn 
de paraître plus terribles dans les combats. Se »iro inficiunt. 
quod oæruleum efficit colorem. Les Bretons se faisaient en effet 
dans la peau, comme font aujourd’hui les sauvages, des inci- 
sions qui représentaient des fleurs, des arbres, des animaux, 
et y faisaient couler du jus de pastel dont la couleur était 
ineffaçable ; c’est ce que Tertullien appelle : britannorum stigmaia. 
Il est bien étonnant, qu’on ne rétablisse pas la culture d’une 
plante aujourd’hui si précieuse pour nous, puisque les chimistes 
ont trouvé le secret de la substituer à l’indigo. 


21B MÉMOIRES.. 

.Je tive avec confiance mes étymologies de la langue 
grecque et de la latine qui en est dérivée, parce qu'il 
est reconnu que les Grecs avaient une langue . fort 


‘ . ressemblante à celle des Celtes où Scandinave, set sur- 


tout à celle des Finois ou Suédois. 

-Il n’est donc plus possible de douter que la ville 
d’Alesie de Diodore de Sicile ne soit celle d'Arras, puis- 
que: Ptolomée, le plas ancien des géographes, le dit 
expressément, et que cette ville ne soit une des plus 
anciennes de’ l’Europe , puisque sa fondation remonte 
J usqu’aux tems fabuleux, c’est-à-dire, jusqu’à une époque 
où l’on écrivait encore l’histoire dans le style figuré ou 
allégorique, dont se servaient les Prêtres des anciens 
peuples et surtout ceux des Egyptiens et des Scandinaves. 
(x) Cette ville ayant été d’abord la capitale d’an Empire 
immense , a pu facilement envoyer une colonie dans la 
- grande Bretagne ; cette colonie portait encore, du tems 
de César, le nom d’Atrébates : car c'est par les Celtes: 
de la Belgique que , selon César même, la grande Breta- 
-gne a été peuplée et a recu som nom. H assure que: 
les Britanni ( qu’on croit être un peuple da Ponthieu, 
et par conséquent de la cité des Morins), furent Îles 
premiers qui s’y fixèrent et en montrèrent Ja route à 
léurs voisins. Les Morins n'étaient en effet séparés de 
la Bretagne que par un détroit de sept lieues et pouvaient 


(x) L’histoire et même la philosophie et les lois s’écrivirent 
dans le style figuré et exasérateur de la poësie jusqu’à Phérécide 
de Scyros qui, vers l’an 650 avant J.-C, , écrivit le premier 
en prose. Cent ans après, Hérodote passa pour Île père de 
l’histoire , parce qu’il l’'écrivit de même en prose, en com- 
niènçant à Phistoire de Cyrus. Tout ce qui est antérieur est 
fabuleux et négligé par Hérodote. | | 


MÉMOIRES. 219. 
en. voir les côtes dans le. calme ; ua si- petit obstacle ne. 
pouvait donc arrêter Hercule ou son fils Galates, jaloux 
d'augmenter les pays de sa domination ; il n'arrêta pas. 
même (César qui résolut de passer dans la Bretagne, 
parce que c'était de-là que les Gaulois, à. raison de- 
lear ancienne parenié, tiraient des. secaurs contre les. 
Romains. 0 

Il dit même que peu de. tems avant son expédition, 
Divitiacus, Roi de Beauvais, et le plus. puissant, Prince 
des Gaules, régnait sur une partie de la Bretagne, et 
qu’alors même Comius, Roi des Atréhates., y jouissait, 
d’une grande autorité, et.c'est pour cela qu'il y fut 
gnvoyé afin de disposer les Bretons à se soumettre aux 


Romains. C'est que les Belges après avoir peuplé la . 


Bretagne n'avaient pas cessé. de la fréquenter. César dit 
en effet, que l’intérieur du pays éiait habité par des 
peuples qui y étaient nés, maïs que les Belges qui 
portaient encore les noms des cités d'où ils étaient 
sortis en occupaient les côtes et y cultivaient les terres 
* que les Bretons laissaient en friche, parce que la plu- 
part ne cultivaient pas de bled, ne vivant que de lait 
et de chair et se couvrant de peaux; (1) toute l’Eu- 
EEE 

(x) Les Bretons étaient plus barbares que les Gaulois , qui, 
syant des manufactures de draps, étaient en commerce avec 
jes Grecs de Marteille, et avec les Romains. Les bretons, 
au contraire , entièrement séparés des autres peuples, ne voyaient 
d’autres marchands que des Belges, intéressés à écarter tous 
les autres. C’est à cause du défaut de commerce que les Bretons 
n’avaient pour monnaie que des morceaux de cuivre ou de fer 
pesés, et qwils allaient presque nuds. Quoiqu'ils enssent la 
même religion que les Gaulois , leurs mœurs étaient très-diffé- 
reutes, et plus ressemblantes à celle des Gothsou Messagettes , 


220 | MÉMOIRES. 


rope ne fut donc peuplée d’abord que par des Celtes 
cu Gaulois qui probablement étaient déjà passés en 
Angleterre avant la dissolution de leur empire; en effet, 
César dit, que les Gaulois de son tems, qui voulaient 
‘acquérir une .connaiïssance profonde de leur religion, 
allaient encore létudier dans la Bretagne, parce que 
sans doute les Druïdes, qui cherchaïent la retraite, y 
avaient d’abord établi leurs principales écoles et même 
leurs mystères secrets : car c'est des mystères Gaulois 
établis dans la Grande-Bretagne, que parle un ancien 
quand il dit: Znitiantur gentes terrarum ultimæ. Strabon 
nous apprend aussi, d’après Artémidore, qu’il y avait une 
île près de la Bretagne où l’on célébrait, en l'honneur 
de Cérès et de Proserpine , les mêmes fêtes que celles qui 
étaient en usage dans la Samothrace. Proserpine était 


dont les femmes étaient communes entre eux , quoique, selon 
Heroedote , ils fussent obligés de se marier ; car César , témoin 
oculaire, dit: que les Bretons formaient des sociétés de 10 ou 
32 hommes, qui avaient fleurs femmes en commun, surtout 
entre frères et parens , mazimé fratres cum fratribus et parentes 
cum liberis. Les enfans appartenaient à celui qui d’abord avait 
épousé la femme. Comme cette communauté de femmes entre 
Jes frères est encore en vigueur au Thibet , il faut qu’elle y 
ait été portée par les Gêtes qui, du tems de Strabon, profes 
snient déjà la religion des Lamas , et regardaient leur Grand- 
Prêtre comme un Dieu, apud Getas Sacerdos Deus dicitur, dit 
Strabon. | | 

Cependaet les Gaulois avaient aussi conservé quelques mœurs 
Scythes: ils avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes. 
Teurs funérailles étaient mognifiques, On brülait avec eux les 
esclaves et clients qu’ils aimaient, enfin, dit César, on jettait 
aussi dans Je feu tout ce qui avait paru chez eux vivans, 
méme les animaux. 


MÉMOIRES. 221 


effectivement une divinité que les Celtes avaient apportée 
ävec eux des pays les plus septentrionaux, puisqu’elle 
passait six mois entiers dans les enfers avec Pluton et six 
mois dans le ciel avec samère , ce qui indique sans équivoque 
le climat où il n’y a qu’un jour et qu’une nuit de six mois, 

Les Bretons. étaient donc Gaulois ‘et même Belges 
d'origine, Ils avaient la même religion , les mêmes Prêtres 
que les Gaulois, et par conséquent le même gouverne- 
ment, qui parait avoir été d'abord théocratique, à en 
juger par Île pouvoir qu’avaient conservé” les Druides. 
(1) Mais l’empire trop étendu des Celtes s'étant dissous 


(t)> Ils sont juges, dit César, dans presque toutes les 
»* controverses tant publiques que privées, et si on commet 
» un crime, un meurtre, s’il s’agit d’héritages ou de bornes, 
n ils décident , ils puissent , ils récompensent ; enfin’ ils 
» éloignent des autels ceux qui refusent de se soumettre à leur 
n décision, ce qui est la plus terrible de-toutes les peines, 
car ceux qui l’encourent passent pour scélérats et impies, 
on ne leur rend plus la justice , et ils sont exclus de toute 
société. Les Druïdes président à la religion et à tous les 
sacrifices. Ceux qui sont attaqués de maladies graves ou ex- 
posés aux périls de fa guerre offrent des sacrifices humains, 
ou font vœu d'en offrir, parce que, selon leurs Druïdes, la 
divinité exige vie pour vie. Ils ont d'immenses simulacres 
d’osiers qu’ils remplissent d'hommes vivans et auxquels on 
met Je feu pour les étouffer. Ils préfèrent sacrifier ceux 
qui sont surpris à voler ou à commettre d’autres crimes ; 
mais quand ces sortes de victimes manquent , on sacrifie des 
innocents. n» lls sacrifiaient aussi sur de grands autels de 
pierre, dont il en reste un à Verdrel , commune, de Frenicourt, 
avec un bassin de pierre piqué qui a dû servir à recevoir Île 
sang des victimes, « 

Pour compenser le mal que je viens de dire des Druïdes, 
j'ajouterai , à leur bopueur, que Strabon assure que toute 


SRE CC EE 


222 MÉMOIRES. 

par l’indépendance des chefs, déjà chargés de rendre 2 
justice en chaque cité, ils s’emparèrent de la souveraine 
puissance. On sent que les Druïdes, qui étaient en posses< 
sion de Pexercer , durent s'opposer à eette entreprise des 
Princes et ne céder qu'autant qu'ils y étaient forcés. 
Aussi conservèrent-ils la plus grande partie du pouvoir , 
et ce ne fut pas sans ruse et peut-être sans viokence 
que les chefs en emportèrent une portion , car on voit 
qu'ils furent obligés de se dire nobles, c'est-à-dire, de 
race divine , (1) et que ce ne fut que comme descen- 


_ 2 
Cr Fr" - 


J’antiquité vantait leur sagesse et leur justice, de horum jus— 
titi summa est opinio ; que Diogene Laërce les compare aux 
prêtres Egyptiens, Caldéens et Indiens, et que, selon César, | 
ils cultivaient encore l'astronomie de son tems ; enfin que 
sclon Pomponius Méla, ils faisaient profession de connaître 
sant la grandeur que la forme du monde et de la terre, les 
divers mouvemens du ciel et des astres , et la volonté des Dieux, 
Dans les tems antérieurs, les Druïdes d'Islande peuvent avoir fait 
des progrès dans l’astronomie puisqu'ils avaient J’usage des lu- 
nettes; car, Diodore de Sicile dit, d’après Hécatée, que les 
Druïdes d’une île septentrionale un peu plus grande que la 
Sicile, située vis-à-vis des Celtes, habitée par ceux que les 
Grecs appellent Hyperboréens, et consacrée à Apollon, faisaient 
voir Ja lune de plus près et y découvraient des mentagnes , 
des mers, etc. D | 
(1) L’ancienne histoire des Celtes n'ayant jamais été écrite, 
on ne peut voir comment les chefs parvinrent à se faire passer 
pour nobles et seuls dignes de commander aux autres ; mais 
nous voyons comment les Kans des Scythes et des Tartares, 
qui étaient les frères des Celtes, s’y prirent pour établir leur 
noblesse et leur souveraineté; Hérodote et Diodore de Sicile 
nous. disent qu’ils se prétendaient issus d’uge vierge qui depuis 
le bas de la poitrine ressemblait à un serpent et qui accoucha 
par prodige, ou après avoir eu commerce avec Hercule; d’un 


MÉMOIRES. : _ 243 


dans d’Hercule qu'ils entrèrent en part de Pautorité , 
laquelle avait été auparavant attribuée toute entière à 
Hercule et exercée. par les Prêtres ses ministres. Quoiqu'il 
en soit, ce n’était que dans les familles nobles que les 
Celtes ou Gaulois pouvaient choisir leurs chefs qui parois- 
sent avoir communiqué.leur noblesse à ceux qui Îles 
accompagnaient à la guerre et qui ne connaissaient que 
cette profession; » Dans toutes les Gaules, dit César, 
» il n’y avait que deux espèces d'hommes considérés : 


enfant nommé Scyithe. Marc-Paul , qui voyagea en Tartarie et 
à la Chine au 12° siècle , rapporte aussi que la mère de Gen 
giskan fat une vicrge qui devint grasse d’un reyan du soleil; 
de-là vint que Gengis et ses successeurs passèrent pour fils de 
Pieu. Le Pape lanocent IV, ayant enveyé frère Ascelin en amw- 
bassade à Batuu-kan , fils de Gengis, et ce moine ayant dit qu’il 
venait de la part du Vicaire de Dieu, le visit répondit: ce 
vicaire ignore=t-il qu’il doit des hommages et des tributs au 
fits de Dieu, le grand Batou-kan, son maître ? Abuïghosi, 
historien des Mogels qui conquirent la Chrne leur donne à pee 
près la même origine , et l'Empereur de la Chine Tien-Long, 
de la race des Tartares Mancheoux , dans son poème de Mouckden, 
traduit par le Jésuite Amiot, prétend descendre en ligne directe 
de la vierge Céleste, sœur cadette de Dieu, laquelle devint enceinte 
pour avoir mangé d’un fruit rouge. C’est que chez les Mytho- 
logues la vierge Céleste Iris ou Cérès était la mère du Soleil et 
de tous les Souverains qui ont voulu se faire passer pour les frères 
ou les fils du Soleil dags PAtlantide, en Egypte, en Seythie, 
à la Chine et jusqu’au Pérou; de-là vient que Fo-hi, premier 
Kmpereur de Ja Chine, et appellé Fanfur selon les mission- 
paires, avait une queue de serpent, ce qui le faisait ressembler 
à la vierge Céleste, sa mère, qui sur nos globes et ailleurs 
est toujours représentée comme entourée de serpents, parce qu’elle 
est au dessus de la constellation de FÉySe et à côté de eœæelle 
due serpent d'Ophiuous, 


224 MÉMOIRES. 


‘» les Druïdes.et les Nobles ; parce que le peuple y était. 


# nul, n’osant rien par lui-même et n'étant consulté 
» sur rien. La plupart écrasés de dettes ou de tributs, 
« ou même forcés par les violences des grands , se rendent 
» esclaves des Nobles, qui ont sur eux les mêmes, droits 
». que les maîtres ont sur leurs esclaves. Les Nobles, 
» continue César, ne s'appliquent qu'à la guerre et la 
» font presque tous les ans, soit pour repousser une 
» injure, soit pour en faire une; car ils vivent de 


» butin, et se font suivre par des clients qui s’attachent 


» à eux dans l'espérance de partager les dépouilles de 
» leurs ennemis. » Tacite, dans le livre qu'il a composé 
sur les mœurs des Germains qui avaient fait partie de 
Vempire des Celtes, leur attribue presque le même 
gouvernement et la coutume de choisir leurs Rois parmi 
les plus nobles , et leurs Généraux parmi les plus vaillans. 
Reges ex nobilitate , duces ex. virtute sumunt. I] leur 
donne aussi des compagnons ou des clients qui les 
suivaient à la guerre et qui s’attachaient à eux pour 
la vie et pour la mort. César, faisant le parallèle des 
Germains et des Gaulois, représente les premiers comme 
plus agrestes et plus sauvages, parce que, comme les 
Bretons, ils étaient plus éloignés des péuples policés : 

» Ils passent tout leur tems, dit-il, à la guerre et à 
» la chasse et s’habituent dès l’enfance à une vie dure, 
» allant presque nuds et se baignant pêle-mêle avec les 
» femmes. Ils ne se livraient pas à l’agriculture, mais 
» la plupart vivaient de lait, de fromage et de chair. 
» Personne n'avait de terres et de limites qui lui fussent 
» propres, parce que les Princes et les Magistrats donnaient 
» aux particuliers les portions de terre qu’ils voulaient , 
_» dans les lieux qu’ils voulaient, et les obligeatent 


ES 


MÉMOIRES. 225 


» l’année suivante de passer ailleurs , de peur, disaient- 
» ils, qu’on ne bâtit des maisons pour se garantirdu froid 
et du chaud, qu’on ne vint à préférer l’agriculture 
-» à la guerre, que les puissans ne dépouillassent les 
.» faibles, et enfin pour maintenir la paix par l'égalité 
» des. fortunes , les Princes même n'ayant au dessus 
.» des autres, que ce qu'ils pouvaient enlever aux peuplades 
# voisines ; car ils se croyaient permis de piller leurs 
h voisins, croyant , avec les Scythes, que tout était 
au plus fort ou au plus vaillant, et regardaïent cet 
‘» exercice comme propre à occuper honorablement leur 
-» jeunesse. Pour la guerre ils se choisissent des chefs 
» particuliers qui ont droit de vie et de ‘mort; mais, 
» dans la paix, ils n’ont aucun Magistrat commun ; 
‘» les Princes des cantons et des villages y’ rendent la 
» justice. Quand quelqu'un d'eux propose une expédition 
» il est suivi de tous ceux qui approuvent son dessein. 
» Malgré cet esprit de violence , les Germains sont très- 
» religieux observateurs de l’hospitalité. Toutes les maisons 
” sont ouvertes äux étrangers, et on leur fournit le 
-» nécessaire. Jadis les Gaulois surpassaient les Germains 
» en valeur et envoyaient chez eux des colonies pour 
» défricher les terres les plus fertiles autour de la forêt 
‘» Hircinie; (1} elles y existent encore, continue César, 
» avec la même réputation de justice’ et de valeur, 
» parce qu'ils vivent comme les Germains; mais les 
» Gaulois, amollis par toutes les commodités qu'ils tirent 
» de la mer, n’osent plus se comparer aux Germains. » 


EE nn 


(1)1l suit de-là, que les Gaulois simaient l’agriculture, 
puisqu'ils passaient en Bretagne et en Germanie pour y cultiver 
les terres.en friche. : 


22 MÉéMOTRES. 

_ Cependant César rend encore justice à Ja bravoure des 

Gaplois, qui ne le cédaient anx Romains que du eoté 

de la discipline, e 
“H' reconnait qu'ils. ne chitostsal pas Fr mort, parce 

qu'on leur enseignait que les ames ne mouraient pas, 

mais. qu’elles pasmaient d'un. corps dans un autre. 


César assure aussi que. de son lems les Germains 


avaient une religion très-différente de celle des Gaulois; 
‘eas ils n'avaient ni les. mêmes prêtres ni les mêmes 


sacrifices, ni, selon lui, les mêmes dieux. » Les Ger- 


.» mains, dit-il,.ne connaissent d’autres dieux que eux 
.æ. qu'ils. voyent et dont ils reçoivent manifestement. les 


«faveurs ; le soleil, à lune- et le feu ou Vulcain; mais 


‘» qu'ils n'avaient, pas même entendu parler des autres.» 
C'étaient. cependant dans le fond les mêmes dieux, les 


astres et les élémens, tels à+pau près qu'ils étaient aderés. 
par Les Persans , sans temples.et sans idoles ow repré 
séntations. Toutela différence est, que Les Gaulais u’avaient 
point encore totalement enblié leurs fables sacrées et 
allégoriques, parce'qu'ils contipusient de eultiver l'as 


tronomie, qu'ils se servaient de. symboles. et avaient 
gardé leurs Druïdes, au lieu qne les Germains plus amou- 
reux de leur Liberté s'étaient défaits de ces prêtres tyran- 


niques, ou n’en avaient jamais eu; 6ar, du tems de 


César , les habitans de la Germanie-étaient mêlés de Celtes 
et de Scythes, parce qu'après l’entier desséchement des 
eaux qui les avaient séparé les unset les autres, ils durent 
se mêler et se communiquer peut-être leurs mœurs et 
leur religion. Ce qu'il y a dé certain, c'est que parmi 
‘ces nuées de barbares qui, depuis César, envahirent 
l'Empire Romain, Les uns étaient Celtes, et les autres 


étaient Scythes. LE n’est guères parlé.de leurs prètress 


MÉMOIRES. £a 
et ils étaient si peu ‘attachés à fleur religion qu’ils em- 
brassèrent aussitôt le christianisme. Il n'est pas moins 
constant que beaucoup de hordes Scythes et Tartares 
n'avaient pas de prêtres, parce que leurs souverains, 
comme: on le voit encore à la Chine, étaient en pos- 
session d'offrir les sacrifices. Ainsi, quoique Îles anciens 
Germains eussent eu la même religion que les Gaulois 
æteussent fait partie du grand Empire des Celtes, dont 
Arras était la Capitale, il n'en est pas de même des 
Germains qui ont été connus de César. 

Au reste on ne connait pas la durée de cet Empire . 
parce que l'histoire des Celtes où Gaulois, comme celle 
-de tous les anciens jieuples, n’était écrite, ainsi que le 
remarque César, qu’en poëmes ou canliques que tes Draïdes 
faisaient apprendre à leurs disciples , sans leur permettre 
de les écrire. On voit seulement que du tems de César | 
les Gaules étaient partagées en quantité de Souverainetés 
indépendantes, que les Romains conquirent l’ane après 
l'autre; de sorte que le nom de Celtique ne fut plus 
donné qu’à la Gaule, et fut même ensuile réservé à 
quelques-unes de ses provinces, quoique l'Espagne ait 
toujours conservé le nom de Celtibéric , même après que: 
les Carthaginoïis et les Romains s’en furent: emparés. 
Ces derniers furent ‘dépouillés par les Francs, autre 
Nation germaine, dont l'Empire fut, à différentes époques » 
presqu’aussi vaste que celui d’Hercule; car Charlemagne 
l'étendit d’un côté sur les Saxons, et de l'autre sur Îles 
Sarrasins d'Espagne ; et de nos jours , les victoires de nos 
guerriers avaient imposé la domination française à l’'Eu- 
rope presque toute entière. 


ss .: ne 


228 MÉMorreEs: 


SA EEE 
TRADUCTION 
DE L'ÉGLOGUE QUATRIÈME. 
Sicelides musæ pauld majora canamus, etc. . 


Par M. Aug. CoT, Membre résident. 


Mis, venez encore présider à mes chants; 

Haussons un peu la voix ; tous n'aiment pas les champs. 

Si je vante des bois l’asile solitaire, 

Que dignes d’un Consul, les bois sachent lui plaire. . 
L'âge que la Sybile a prédit autrefois 

Commence enfin pour nous sous de plus douces lois;. 

Saturne de nouveau va régner sur la terre ; 

Déjà revient Astrée et tout se régénère. 

Nos destins sont changés, nos malheurs vont finir, 

Nous n’entrevoyons plus qu’un heureux avenir. 
Lucine ! daigne aussi combler notre espérance ; 

D'un enfant adoré: protège la naissance. 

L'âge de fer fait place aux jours de l’âge d’or, 

Sur des sujets heureux Apollon règne encor. 

. Pollion, c’est sous toi que ce bonheur commence; 

De nos crimes passés perdant la souvenance, | : 

La terre pour toujours se lève au doux espoir. 

Enfant chéri des, Dieux, on le verra s’asseoir 

Au milieu des Héros; et gouverner la terre 

Reconnaissante encor des vertus de son père! 

Aimable enfant! déjà l'Univers te sourit, 

Lacanthe vient sans soins et le baccor fleurit ; 

Partout pousse le lisrre , et la brebis bélante, 

Ne craint plus du lion l'approche menaçante. 


MÉMOIRES. 220 


- Chaque soir à l’étable, et l’hiver et léte, 
La chèvre t'offrira son laitage argenté. 
Les plantes et les fleurs qu’un doux éclat décore, 
Autour de ton berceau vont s’empresser d’éclore ; 
Bientôt disparaîtra le serpent dangereux, 
L'Aconit pour toujours perd ses sucs vénéneux. 
Et partout va fleurir l’amome parfumée. 
Par l’âge plus instruit, lorsque la renommée, 
T'aura de tes ayeux révélé les vertus, 
On verra de moissons les sillons revétus ; 
Les raisins aux buissons mûriront sans culture, 
Et du chéne , le miel perçant lécorce dure, 
En flots d’or coulera dans tes heureuses maïns. 
Quelques restes impurs des crimes des humains 
Les forceront encor à bâtir des murailles ; 
Peut-être verra-t-on de nouvelles batailles, 
Alors le soc ‘tranchant ouvrira les guérêts ; 
Avec peine on aura les trésors de Cérès ; 
D’Amphitrite, bravant les chances incertaines, 
Des guerriers , de la mer sillonneront les plaines 
Et près d’une autre Troye, un Achille nouveau; 
Fera descendre encore un Hector au tombeau. 
Mais, une fois sorti d’une douce jeunesse, 
Lorsque tu connaîtras les lois de la sagesse , 
L'avide Nautonnier affrontant les darigers- 
N'ira plus trafiquer sur des bords étrangers, 
Egale dans ses dons une terre féconde, 
De ses trésors toujours enrichis-en le monde ; 
Sans soins, la vigne alors nous donnera son fruit; 
Le soc dans les vallons ne sera plus conduit ; 
Le Laboureur verra dans un gras pâturage 
Ses Bœufs libres du joug en repos sous l’ombrage. 


230 MÉMOIRES. 


La laine précieuse à notre œil enchanté 
N'osera plus offrir un éclat emprunté ; 

Des Béliers, dans nos prés, la toison éclatante 
Charmera nos regards d’une pourpre brillante , 
Et la jeune toison de nos agneaux chéris 

Aura du vermillon le riche coloris. 

La Parque à ses fuseaux répélait avec joie, 

« Courez, filez pour lui des jours d’or et de joie, 
« Tachez de prolonger un si fortuné sort. » 

La Parque et le destin furent toujours d’accord , 
{lustre rejetton du maître du tonnerre, 

Sur son axe éternel, vois s’agiter la terre 

Tout ressent le bonheur ; vois la terre et les cieux 
Pour un siècle si beau tressaillir sous tes yeux. 

Si le destin accorde à mon ame ravie 
De chanter les hauts faits qui marqueront ta vie, 
Et si ma voix résiste à l’outrage des ans, 

Je pourrai vaincre Orphée et Linus par mes chants; 
De ce dernier pourtant Calliope est la mère 

Et l’on sait que d’Orphée Apollon est le père. 

Je pourrais au combat par des accents nouveaux 

De Pan même effacer les accords les plus beaux ; 

Ce Dieu qui des chansons a mérité la gloire 

En Arcadie encor avoürait ma victoire. 

Commence jeune enfant, qu’un aimable souris 
Des douleurs de ta mère en naissant soit le prix, 
Pendant près de dix mois tu causas sa souffrance. 
Commence jeune enfant, que ta reconnaissance, 
Procure à tes parens des jours délicieux 
Et rends-toi digne ainsi du noble rang des Dieux. 


MÉMOIRES, 251 


VEUVE UE VAI VULEURA LV 


Lis 

DESCRIPTION HYUROGRAPHIQUE 
| DES PROVINCES 

DE BENY-SOUEYF ET DU FAYOUM; 

| EN EGYPTE; | 


Par P. D. MARTIN, Ingénieur au Corps royal 
des Pons et Chaussées , Membre résident. 


L. provinces de Beny-Soueyf et du Fayoum, situées 
‘dans la partie de l'Égypte désignée autrefois sous le 
nom d'/Zeptanomide , et connue aujourd’hui sous celui 
d'Ouestäny ou Égypte du mil'eu, présentent un grand 
intérêt sous le rapport de leur chorographie, qui a été, 
jusqu'à nos jours, le sujet d’une controverse dans laquelle 
les opinions de nos plus illustres géographes n'ont jamais 
pu s’accorder, 

Les descriptions que les anciens nous ont laissées de 
_ces deux provinces ,; sont tout-à-fait différentes de celles 
qu'ont données les voyageurs et les critiques modernes 
des plus connus jusqu’à la fin du xvitr® siècle; et 
pour vouloir concilier ces différences, on est souvent 
tombé dans des erreurs très-graves. 

Le but de la Commission des sciences et arts devait 
être, en arrivant en Égypte, de faire disparaître toutes 
ces incertitudes , et de fixer enfin d’une manière inva- 
riable l'opinion que l’on doit avoir du génie et de Îa 
puissance des anciens Égyptiens, d’après des autorités 
aussi recommandables que celle d’Hérodote , de Strabon, 
‘de Diodore , de Ptolémée , etc. ,etc., autorités qu'il était 
impossible de rejeter, et nu de taxer de légéreté, 

L GO" Lis, | aG « 


232 MÉMOIRES. 


Plusieurs membres de cette Commission se rendirent, 
en conséquence, à Beny- Soueyf et dans le Fayoum, 
aussitôt qu'ils parent entrevoir les occasions favorables 
pour faire des incursions. MM. Jomard et Girard. dé- 
ployèrent un .zèle infatigable dans leurs recherches , dont : 
ils présentèrent. bientôt les résultats à l’Institut du Kaire, 
= Le premier entreprit de démontrer l'identité des descrip- 
tions du lac de Moœæris données par Hérodote, Diodore et 
Strabon, et il prouva jusqu’à l'évidence que ces auteurs 
avaient eu en vue, dans leurs récits, le lac connu 
aujourd'hui sous le nom de Birket - Qeroun, qui seul 
satisfait aux conditions énoncées (1). 

M. Girard s'attacha plus particulièrement à la description 
du Fayoum actuel sous le rapport de l’agriculture et du 
commerce ; mais, en traitant ces matières avec la sagacité 
et les connaissances profondes qui caractérisent tous ses 
ouvrages , il resta étranger à la discussion de l’ancienne 
topographie. 

Le savant Mémoire de M. Jomard avait, à la vérité, 
fait disparaître toutes les incertitudes; on était assuré de 
Ja vraie position du lac de Mœris , de celle du labyrinthe, 
et d’Arsinoés on avait reconnu la faiblesse des bases sur 
lesquelles reposaient les hypothèses de d’Anville et de 
Gibert: on ne pouvait plus voir le lac de MϾris, ni 
dans des champs toujours cultivés, tels que les Bathen, 
ui dans une branche sinueuse du Nil à qui l'on a donné 
Je nom de canal de Joseph , et qui suffit à peine à Ia 
navigation de quelques légères barques. Mais M. Jomard 
n'avait. jusque-là combattu d’Anville et Gibert qu’avéc 

Ne 
, (1) Voyez le Mémoire sur le lac de Moœris, par E Jomard. 
” Antiquités-Mémoires , pag. 79. Description de l'Égypte. , 


MÉMOIRES, 233 


des armes qui pouvaient laisser encore quelques prétextes 
à l’iucrédalité. D’Anville avait, à l'appui de son opinion, 
dressé une carte dans laquelle, tout en se prononçant 
pour le Bathen , d’après les assertions du P. Sicard, il 
avait cependant laissé la question indécise en appelant 
ce Bathen le Mœæris d’Hérodote et de Diodore , et donnant 
au Birket-OQeroun le nom de MoϾris selon Strabon et 
Ptolémée. Pour fixer les incertitudes, il fallait parcourir 
la partie septentrionale du Birket, et ne plus en tracer 
la direction et l'étendue sur de simples descriptions. 
Malheureusement , il avait été impossible à MM. Jomard 
et Girard d'entreprendre cette reconnaissance : à l’époque 
où ils avaient parcouru ces provinees , l'Égypte, encore 
incertaine de son sort, ne permettait aux Français 
observateurs de parcourir et visiter le pays qu’à la suite 
des corps d'armée chargés d’en assurer la conquête; ne 
pouvant donc diriger leurs mouvemens avec toute la: 
liberté nécessaire à des opérations d’une grande étendue, 
ils ne s'étaient encore occupés que de la géographie 
astronomique , de l’étendue des monumens et de leur 
topographie. | | 

La brillante victoire d’Héliopolis et la reprise du 
Kaire, en 1800, avaient enfin rétabli le calme en 
Égypte. La facilité avec laquelle on avait détruit les 
efforts des Ottomans, regardés dans le pays comme les 
seuls ennemis redoutables, paraissait avoir familiarisé 
les Égyptiens avec l’idée de ne plus voir dans les Français 
que des maîtres inexpugnables dans leur conquête : ils 
s’accommodaient déjà à leurs mœurs douces et sociableg, 
allaient au-devant de leurs desirs, et aplanissaient Îles. 
obstacles qui s’opposaient À ce qu’ils parcourussent le 
- pays seuls et avec sécurité. Les membres de la Com- 


/ 


254 _. M£MoIREs. 

mission des sciences et arts s’empressèrent de saisir. 
cette circonstance favorable , et se répandirent dans les 
Heux les plus déserts -et les plus inconnus , pour ajouter 
à leurs découvertes et pour confirmer les résultats de 
leurs recherches antérieures. Ce fut alors que l’on fit 
des voyages au mont Sinaï, dans la vallée de l’Égare- 
ment, à la tour des Arabes; que l’on concut le projet 
de visiter les Oasis, d'aller dans l’Abyssinie; et que 
Von -put enfin s’occuper avec succès des détails choro- 
graphiques de l'Égypte. 

-Chargés plus particulièrement de tout ce qui concerne 
ke système hydraulique sur lequel repose l’existence ‘de 
VÉgypte, les ingénieurs des ponts et chaussées s’occu- 
ptrent exclusivement du régime du Nil, et des canaux 
de navigation, d'arrosage et de desséchement. Les deux 
provinces de Behneseh et du Fayoum furent mon partage, 
et je me rendis à Beny-Soueyf vers la fin de D En 
an 8 ( mi-juillet 1800 }). 

Je ne me dissimulais pas combien -ma tâche était 
grande et difficile à remplir : maïs, enflammé par l’im-. 
portance de ses résultats, je supposai que l’ardeur et le 
courage suppléeraient à mon insuffisance , et je pris la 
ferme résolution de parcourir ces provinces dans toutes 
leurs parties, et d'y lever des cartes détaillées autant 
qu'il me serait possible de Île faire; je me proposai sur. 
tout de faire le tour de ce lac de Mæris, qu'aucun. 
voyageur ancien où moderne n'avait encore fait, et de 
fixer. par-là les idées sur sa forme, son étendue, et 
l'usage auquel on assurait qu'il avait été Employé dans : 
Vantiquité. LE 

L'histoire cile avec complaisance les époques et les 
hommes par les ordres desquels ont été exécutés les travaux . 


# 


MÉMOIRES, 253 
qui ont amélioré l’agriculture en Égypte; la postérité paye 


à leurs noms le juste tribut de. reconnaissance et d’éloge 


qui leur est dù. Quel avantage pour ma patrie, me 
disais-je, si , de pareils travaux étant exécutés, l’Egvpte doit: 
rester colonie Française! et quelle gloire pour les Fran- 
çais, s'ils n'ont travaillé que pour le bien de l'humanité! 

Je présente ici le détail de mes recherches et de mes 
efforts pour parvenir au but que je m'étais proposé. Ce 
détail servira de texte. pour l'explication des cartes que 
j'ai dressées , et qui font partie de l’Atlas géographique (1). 
I se divise en deux sections : dans l’une, je donnerai la 
description de Ja province de Beny-Soueyf, et dans l’autre, 
la description de celle du Fayoum: 


SRCTION 1 
Province de Beny = Soueyf. 

Quelques jours après mon arrivée à Beny-Soueyf, où 
je trouvai dans le général Zayonchek ; commandant de la 
province, (aujourd’hui vice-roi de Pologne, ) un ami zélé 
des sciences, qui s’empressa de mettre à ma disposition 
tous les moyens nécessaires pour faciliter mes opérations , 
je commençai par dresser plusieurs grands triangles, au 


moyen desquels je réunis trigonométriquement les villages 


de Beny-Soueyf et de Bouch avec un gran pic du Moqa- 
tam, qui s’élève sur le bord oriental du Nil, et la pyramide 
que l’on voit à l'entrée du Fayoum. Je levai ensuite, par 
les méthodes topographiques ordinaires , les détails du nord 
de la province que j’attachai à cette charpente trigonomé- 
frique , à peu près visible de tous les points. 

_ Ainsi que dans la presque totalité de la haute Egypte, 


- (1) Voyez les cartes numéros 18, 19, 20 et 21, dans 
PAtlas topographique de la description de l'Égypte. 


236 MÉMOIRES. 


Je Nil éoule au pied de la montagne Arabique , sur toute 


Ja longueur de la province de Beny-Soueyf. La partie 


occidentale , qui est la seule cultivable , est diviste na- 
turellement , dans sa largeur , en deux portions distinctes 
pour l'irrigation. La première , qui commence au bord 
du Nil, est plus élevée que les grandes eaux , sur environ 
deux kilomètres de largeur: elle est arrosée par plusieurs 
petits canaux particuliers à chaque village ; on emploie 
Je secours des bras et des machines pour en élever l’eau 
et la répandre sur les terres. La seconde portion, qui 
s'étend ensuite jusqu’au pied des montagnes désertes qui 
séparent l'Égypte du Fayoum, est disposée pour ses 
pentes sur deux plans dont la direction est à peu près. 
perpendiculaire de l’un à l’autre, d’abord à l’ouest, et 
evsuite au nord, suivant la pente des eaux du fleuve. 
Je n’entreprendrai point d'expliquer la cause de cette 
différence de niveau entre ces ‘deux parties de la vallée ; 
elle a été suffisamment developpée dans le Mémoire de 
M, Girard sur l’agriculture de la haute Egvpte (1). Ces 
deux pentes sont. tellement sensibles , que le sol se trouve 
au moins à deux mètres au-dessous des hautes eaux 
pendant l’inondalion ; et la campagne présente , à cette 
époque , l'aspect d’une vaste mer. Une disposition aussi 
favorable rend inutiles tous les travaux mécaniques pour 
V'arrosement : mais elle nécessite de grands ouvrages 
pour conserver les caux pendant le tems nécessaire à la 
festilisation ; car la pente au nord, les entraînant avec 
Ja même rapidité que celle du flenve lors de sa décrois- 
sance , les empêche de séjourner assez long-lemps sur 
les terres. 
| 
(1) Vuyez'la Décade Egyptenne, fom. III, pag. 30,31ef 32» 


4 


MÉMOIRES.- 237 


Pour obvier à cet inconvénient , on a construit dans 
la largeur de cette partie de l'Egypte , et à des distances 
déterminées par les localités, des digues en terre, qui 
s'appuient, d’un côté, aux montagnes dans toute leur 
hauteur, et, de l’autre, viennent mourir à zéro vers 
les terres élevées sur le bord du Nil. Ces digues font 
refluer l’eau jusqu’au niveau des parties supérieures, et 
les conservent ainsi jusqu’à ce que les terres saturées 
permettent de les laisser s’écouler par des coupures que 
l'on y pratique. | 

Ces ouvrages sont donc dune importance majeure dans 
le système d'irrigation : leur existence combinée avec celle 
des canaux a dù dans tous les temps exciter l’attention 
des gouverneurs. On les distingue en grandes, moyennes 
et petites digues. Les grandes sont construites sur la 
largeur entière de la vallée ; on en compte onze dans 
Ja province de Beny-Soueyf. L'une des plus considéra- 
bles , qui porte le nom d’Oukchecky , est située à environ 
2 miriamètres au nord de Beny-Soueyf: elle commence 


d’un côté vers le Nil, au sud des villages de Zäouy et 


de Masloub, passe au nord des villages de Quemen el- 
A’rons et de Begyg , et va s'appuyer au désert, touchant 
presque les villages d'Ouboueyt et de Koum-Abourädy. 
La plaine pour laquelle elle a été construite se termine 
vers les villages de Behäbchyn, Dallàs, Zeytoun, etc., 
et comprend une superficie d'environ dix mille hectares, 
sur laquelle sont répartis dix-huit villages. | 

Les autres grandes digues sont celles de Behäbchyn , 
Safanyeb , Saft-rachyn, el-Noueyreh, Choubak , Ehoueh, 
Badahal ou el-Chantour, Samalout, Menbâlet Bardanouäh. 

Les moyennes digues , qui n’intéressent que quelques 
territoires, partent ou des bords du Nil, ou des grandes 


258 MÉMOIRES. 


digues même, pour aller s'attacher à l’un des monticules 
sur lesquels sont construits les villages. 

Enfin les petites digues sont locales, et seulement 
dans l’intérét de quelques girât ou portions de village. 
_ La même disposition de pentes transversales de la vallée 
a exigé deux espèces de canaux : les grands portent l’eau 
sur la partie Ja plus occidentale , jusqu’au pied de la mon- 
tagne ; et les petits, partait du Nil, ou formant rameau 
sur les grands, se fermiuent au pied des monticules dis- 
séminés sur la bar:le élevée la pius rapprochée du fleuve: 
© On pourrait penser, d’après cette disposition, que 
les terres situées vers la moutagne sont toujours suscep- 
tibles d’être arrosées naturellement au moyen des grands 
canaux, quelles que soît la hauteur de la crue du fleuve, 
puisque leur niveau est inférieur à celui des moindres 
crues: mais il n’en est pas ainsi. Pour qu’elles soient 
arrosées , il ne suffit pas que l’inondation arrive à leur 
hauteur ; il faut qu’elle dépasse celle du fond des canaux 
qui doivent porter l’eau dans ces vastes campagnes. Cette 
condition ne peut être remplie que par les soins constans 
‘’an gouvernement sage et éclairé ; et c’est un avantage 
que les Égyptiens ne connaissent pas depuis bien des 
siècles. Ces terres de l’ouest, si favorisées de la nature, 
et sur lesquelles devraient toujours reposer les espérances 
du reste de l'Égypte, sont les plus malheurenses ; elles 
manquent totalement d’eau dans les crues faibles et ne 
peuvent en recevoir qu’en très-petites quantités dans les 


crues les plus fortes : l’exhaussement des canaux , causé par 
? 4 


V’abandon dans lequel on les a laïssés si long-tems, s'oppose 
à l'écoulement des eaux dans res parties basses ; et ce n’est 
que lorsque l’inondation a dépassé cet exhaussement, qu’el- 


Jes descendent, pour ainsi dire , en cataracte, et couvrent 


e 


MÉMorREs. | 233 


instantanément les terres sur une très-grande hauteur, 
Je les ai vues à sec le 24 thermidor an 8 [12 août 1800] 
et le 10 fructidor suivant [28 août]; jy ai mesuré une 
hauteur d’eau de 2 mètres et demi vers le milieu, et de 
3 mètres au pied du désert, tandis que la crue effective 
du fleuve n'avait été pendant ce ne que d’un mètre 
52 centimètres. 

La crue de l’an 7 [r709], qui n'avait pu dépasser le 
fond d'une grande partie de ces canaux, laissa près des 
trois quarts des terres sans culture, ce qui porta le mal- 
heur et la désolation dans une infinité de familles: tandis 
que la hauteur des eaux était cependant bien au-dessus 
du niveau de ces terres, sur lesquelles elles auraient 
répandu la vie et l'abondance , si elles avaient trouvé des 

ssues pour y couler. 

Les grands canaux d'irrigation ne doivent donc pas 
être considérés en Égypte comme de simples réservoirs 
auxquels on fait des saignées de dérivation le long de 
leur cours ; mais ce sont des routes ou des tuyaux qui 
conduisent l’eau dans les parties les plus éloignées. Combien 
il est done important que-ces routes ne soient pas obstruées, 
€t que le fluide puisse les parcourir librement dès qu'il 
a atteint une des extrémités! La moindre hauteur pos- 
sible de cette extrémité vers le fleuve, et sa correspondance 
par une ligne droite avec le point le plus bas des terres 
intérieures , tel est le but qu’on doit se proposer dans 
l'aménagement des canaux en Égypte. C'est vraisembla- 
blement celui qu’aîteignit Ptolémée Épiphane dans les 
travaux immenses qu'il exécuta , et pour lequel la triple 
inscription du monument de Rosette a consacré son nom 
parmi les bienfaiteurs de l'Égypte. Les gouverneurs avides 
et barbares qui se sont succédés depuis ( sans en excepter 


240 MÉMOIRES, 


les Romains ), ont négligé cette branche essentielle de 
l'économie politique. Heureux les Français s'ils eussent 
pu, comme ils en avaient l'intention, réunir dans l’his- 
toire Le souvenir de leur gouvernement avec celui du 
prince dont je viens de parler ! 

Le nord de læ province de Beny - Soueyf est coupé 
par plusieurs petits. canaux. dérivés du Nil; on n’y en 
trouve qu’un seul grand, appelé Canal de Beny-A’dy, 
du nom du village auprès duquel il passe. Ce canal a 
généralement 25 mètres. de largeur, et je lui trouvai 
2e mètres 5o centimètres de hauteur d’eau le 21 ther- 
aidor an 8 ( g août 1800 ), jour où je l’ai parcouru. 
_ H prend son origine au Nil, à :5 kilomètres de Beny-. 
| Souevyf: les barques. peuvent y naviguer pendant environ 
soixante jours, depuis le 15 août jusque vers le 15 
octobre. Plusieurs petits canaux. s'embranchent sur ses. 
deux rives pour arroser la première partie élevée de la 
vallée. Vers Tamsé, le canal se divise en deux branches, 
dont l’une va jusqu’à ee village, où se trouve un pont 
en briques à trois arches, qui est da limite de là navi- 
gation, et les eaux vont se perdre dans les terres au 
pied de la montagne : l'autre partie fait quelques con- 
tours, passe auprès des villages d’el-Häfer,. Abousyr , 
Menfast, Ouboueyt et Qemen , et, après avoir couvert 
d’eau toute la plaine entre la digue Oukchechy au nord 
et celle de Behäbchyn au sud, porte le trop-plein par 
un déversoir pratiqué auprès du village de Ma’sarah el: 
Khalyl, dans un bas-fond inculle entre deug montagnes 
arides et désertes, d’où les eaux s'écoulent vers Le Bahr- 
Yousef, et vont se jeter dans le on ea passant 
sous.le pout d'Haouârab. 

La partie sud de la province offre moins se eanaux 


MÉMOIRES. . £4t 


dérivés da Nil que la partie nord : mais elle est tout 
aussi bien favorisée sous le rapport de l'irrigation : car 
elle est sillonnée dans le sens de sa longueur par plu- 
sieurs grands cauaux parallèles au cours du fleuve, et 
qui, même dans Îles crues faibles, couvrent facilement 
les bandes de terre qu'ils laissent entre eux. Les plus 
considérables de ces canaux sont connus des géographes 
sous les noms de Bahr- Yousef et de Bahr- Bathen, 
et ont, par leur direction du sud au noïd, induit en 
erreur les académiciens d’Anville et Gibert, qui les ont 
pris pour le lac de MϾris. 

Le Bahr-Yousef, que l’on a toujours représenté, dans 
les cartes modernes de l'Égypte, comme un. canal creusé 
sur des lignes droites dans une étendue d’environ trente- 
six lieues, depuis Meylaouy jusqu'a son eutrée dans le 
Fayoum, n'est autre chose qu’une ancienne branche 
du Nil, tout aussi sinueuse que lui, et qui présente 
aujourd'hui une largeur d'environ 100 mètres, La plus 
grande largeur que je lui aie trouvée est de 140 mètres 
entre le village d’el-Hazé et celui de Meuqgatyn, où je 
l'ai mesuré. Cette branche côtoie le pied de la chaîne 
Libyque, comme le fleuve côtoie celui de la chaîne 
Arabique, et vient porler ses eaux. dans le Fayoum. 
Partout son lit est plus bas que la plaine, dont le ni- 
veau, ainsi que je l'ai déjà observé , est inférieur à celui 
des eaux du fleuve ; mais, lors de l’inondation, le Bahr- 
Yousef communique avec les autres canaux parallèles , 
et couvre avec eux les terres qui se trouvent entre lui 
et le fleuve. 

‘ Le nom de Bathen qu'on a improprement donné à 
an canal, n'est point un nom propre ; il s'applique 
généralement à presque tous les canaux qui parcourent 


ba MÉMOIRES. 

lintérieur des terres dans la direction du: sud au nord 
(1). On appelle Bathen la partie des terres située entre 
le Nil et la chaîne Lybique. Ce mot dérive de l'arabe 
Bain, qui signifie milieu, ventre. C’est ainsi que l’on a 
. traduit par les mots Ventre de la Vache la pointe du 
Delta où les deux branches de Damiette et de Rosette 
se séparent, pointe que les. Arabes appellent Bain el. 
Bagarah. 

Un nom plus particulier, ee plusieurs canaux 
Je portent , est celui de Fyéd , qui distingue les grands 
Bathen des petits. Le plus grand de tous ces fyâd Bathen, 
%e seul qui ait pu induire eu erreur Granger, le P. Sicard 
et d’Anville, n’a pas plas de six lieues de longueur. Son 
origine sur le Nil est au village de Cheykh - Zayât, à 
environ douze Heues au sud de Beny-Soueyf. 11 prend 
ensuite son cours vers le nord-ouest, passe au nord et 
à une lieue de Fechn, au bas du village de Beny-Saleh ; 
de-là il va se perdre dans les terres , retenu par la digue 
de Saft-rachyn. Dans l’inondation , la communication avee 
Je -Bahr - Yousef se fait un peu au nord du village de 
Mezourah. Il a environ 36 mètres dans sa plus grande 
Hargeur : il n’y avait, au moment où jc l’ai sondé, le 20 
frimaire an 9 [11 décembre: 1800], qu'environ un mètre 
bo centimètres de proforideur d’eau , et sa superficie était 
à 2 mètres 60 centimètres au - dessous du mveau de {a 
plaine. 

On voit plus au sud un autre Fyâd Batheh, dont 
l'origine sur le Nil est entre le village de Nazlet-Abou- 


(tr) FWovez le Mémoire sur le lac de Hans M 
“Démoures , pee 79e | 


MÉMOIRES 243 


Esné et celui de Qalousaneh. Il passe au pied da village 
de Matäyeh, où il se divise en deux branches , dont, 
l'une à l’est devient petit bathen , et se perd, à deux, 
lieues de là, dans les terres d'Abou-Girgeh ; l'autre, à, 
l'ouest , communique pendant l'inondation avec le Bahr- 
Yousef, au village d'el-Houeh: mais il n’a pas plus de 
trois lieues de longueur. 

L’'arrosement des' terres dans la province de Benvy- Soueyf 
s'opère donc, comme dans toute la haute Égypte , par 
une irrigation naturelle et par une irrigation artificielle, 
avec cette différence que , dans la partie nord de cette 
province, la pente à l’ouest se ‘prolongeant jusqu’à la 
chaîne Libyque, l'irrigation naturelle a lieu. jusqu’au 
pied de cette chaîne, tandis que , dans la partie sud, 
le ‘profil de 13 vallée présente deux plans inclinés, par 
tant l’un des bords du Nil et l’autre des bords de la 
branche dite Bahr- Yous-f, pour venir former, à leur 
rencontre dans l’intérieur des terres, un bas-fond ou 
cunette qui, conservant les eaux plus long-temps que 
dans les autres parties, porte, par ce motif, le nom 
de Bahn Bathen, c’est-à-dire fleuve intérieur. Il suit aussi 
de cette disposition que l'irrigation artificielle n’a lieu dans 
la partie nord que sur la bande de terre rapprochée du Nil, 
tandis que , dans la partie sud , elle a lieu sur les bords 
du Nil et sur les bords du Bahr-Yousef. 

Les méthodes employées pour ce genre d'irrigation 
sont simples, et ne varient que lorsqu'on doit élever 
l'eau à une plus ou moins grande hauteur. Ces méthodes 
sont à peu près les mêmes dans toute l'Égypte, et ont 
été décrites par plusieurs de mes collègues; mais j'ai fait 
faire en ma présence des expérienres dont on ne sera. 
peut-être pas fâché de trouver ici les résultats, 


244 MÉMOIRES. 


/ La méthode la plus simple de toutes est celle qui est 
représentée fig. 4, pl, 6, É. w. vol. II. Deux hommes 
adossés à une butte de terre soutiennent avec quatre 
cordes et balancent un panier fait en forme de calotte 
sphérique, dosier recouvert de cuir: ils puisent l’eau 
avec ce panier à la volée, et la jetent par le même mou- 
vement sur les terres. Le balancement, la prise et le 
jet de l’eau sont réglés par un chant particulier, dont 
on peut vair le mode dans le Mémoire de M. Villoteau 
gur l’état actuel de l’art musical en Fgvpte (1). Cette 
méthode n’est presque pas en usage dans la haute Égypte, 
parce qu'elle ne suppose qu’une très-petite différence de 
miveau entre Îles terres et la surface des eaux du fleuve ; 
elle ne convient par cefte raison qu’à la basse Fgvpte, 
où elle est très-usitée. On voit , au reste, que c’est celle : 
qui est connue en Europe sous le nom de baquetage, 
et que l’on emploie dans les épuisemens. 

La seconde méthode, qui suppose une plus grande 
différence de niveau, est très-commune dans toute Ix 
haute Égypte. Elle consiste dans l'emploi d'une machine 
appelée delot, qui est représentée fs. 1 ,2et3,pl. 6, 
é. m. vol. II. C’est un levier en bois de 3 mètres de 
longueur , dont le point d’appni est à un mètre d'une 
des extrémités, et À un mètre 20 centimètres au-dessus 
du sol. À l'extrémité la plus longue est attachée une 
verge mobile de 2 mètres 65 centimètres de longueur, 
au boul de laquelle se trouve, cemme dans la précédente 
méthode , un panier en osier, rerouvert en cuir, et qui 
se meut sur son axe. À l’autre extrémité da levier est 
appliqué un rontre-poids en terre séchée, dont le but 


(1) Foyes Etat moderne, Mémoires , 101n, Æ , page 733: 


+ 


MÉMOIRES. 245 


est de faciliter le mouvement d’ascension da panier. Un 
homme chargé de la manœuvre de ce levier puise l’eau 
et la verse sur les terres, ou dans an canal destiné à 
l'y conduire. Les paniers ont 4o centimètres de diamètre 
sur 25 centimètres de profondeur ; ïls élèvent environ 
un centième de mètre cube d’eau. J'ai suivi plusieurs 
fois la manœuvre de deux deloñ. Au premier, l’eau était 
à 2 mètres 30 centimètres en contre-bas du sot: lou- 
vrier levait soixante -quatre paniers en six minutes. 
Au second, l’eau était à 2 mètres 60 centimètres en 
contre-bas du sol, et l’ouvrier ne levait que cinquante 
paniers en six minutes. Un seul homme ne travaille que 
deux heures de suite; il est relevé par un autre qui 
travaille pendant le même temps. Ainsi, en supposant 
deux “hommes travaillant continuellement depuis le 
lever du soleil jusqu’à son coucher, il faut environ 
cinq jours pour arroser un feddân, qui comprend une 
superficie de 5724 mètres carrés. 

Le deloû est en usage pour les terres susceptibles d’être 
semées en orge, dourah, froment, et autres graines 
céréales ou oléagineuses ; mais il serait peut-être difficile 
de l'appliquer à la culture du riz, des cannes à sucre, 
de lindigo, etc., qui demandent une plus grande 
quantité d’eau. 

Les terres susceptibles de ce genre de culture sont 
arrosées par une troisième machine, qui consiste en une 
roue à pots, représentée p4 1ret r , #. M. vol. IF, 
Arts et Métiers. Deux bœufs sont attelés à Pextrémité 
d'un levier de 2 mètres oo centimètres de longueur, 
au moyen duquel ils font tourner un arbre vertical, qui 
porte an hérisson horizontal d’un mètre 45 centimètres 
de rayon, dont les alluchons, au nombre de cinquante 


246 MÉMOIRES. 


six, engrènent une roue verticale dentée, de 80 centi- 
mètres de rayon, armée de trente-six alluchons portant 
20 centimètres de longueur. Son arbre tournant, qui 
a 2 mètres 7o centimètres de longueur, porte, à l’autre 
extrémité, une roue d'un mètre 20 centimètres de rayon, 
autour de laquelle se meut, par l’effet de la rotation, 
une échelle de corde portant dix-huit pots de terre cylin- 
driques, placés à 50 centimètres de distance l’un de 
Pautre. Ces pots montent l’eau au plus haut de la roue, 
à 3 mètres 20 centimètres au - dessus de la surface du 
fleuve , et la versent dans une auge d’où elle est conduite 
sur les ierres par un petit canal. 

La circonférence de, la route que suivent les bœufs, 
est de 18 mètres 86 centimètres, et ils font cent cin- 
quante tours par heure. Deux bœufs allant continuellement 
travaillent pendant trois heures, au bout desquelles ils 
sont relevés par deux autres bœufs qui travaillent encore 
trois heures; de manière que quatre bœufs, se relevant 
ainsi , travaillent chacun six heures par jour, et la roue 
tourne pendant douze heures, ce qui produit dix-huit 
cents tours en un jour. Le hérisson horizontal avant 
cinquante-six alluchons, et la petite roue verticale en 
ayant seulement trente-six, celle-ci fait un tour et cinq 
neuviemes à chaque tour du hérisson ; elle fait donc deux 
mille huit cents tours pendant qu’il en fait dix-huit cents. 
Le diamètre de la roue qui porte les pots étant de 2 mètres 
4o centimètres , la circonférence est de 7 mètres 54 cen- 
timètres , tandis que celle de Féchelle des pots est de 
9 mètres. Le nombre de leurs tours est donc en raison 
inverse de leur circonférence , c’est-à-dire que. l'échelle 
des pots en fait huit cent trente-sept et sept neuvièmes 
pendant que la roue en fait mille. Mais nous avons vu 

que 


MÉMOIRES, 247 


que celle-ci fait deux mille huit cents tours par jour ; 
celle des pots en fait donc deux mille trois cents quarante- 
six pendant le même temps. Les pots ont à peu près 
16 centimètres de diamètre sur 26 centimètres de pro- 
_ fondeur: leur capacité est donc d’un demi-centième de 
mètre cube; ce qui produit, pour les dix-huit pots, 
neuf centièmes de mètre cube à chaque tour, et pour 
les deux mille trois cents quarante-six tours, deux cents 
onze mètres cubes quatorze centièmes d’eau élevée en 
douze heures à 3 mètres 20 centimètres de hauteur. 
Si lon veut établir une comparaison entre le déloü, 
et la roue à pots , d’après les expériences que je viens 
de rapporter, on verra, en adoptant Îles premières, que 
l’ouvrier qui a élevé, au moyen du déloù, soixante-quatre 
paniers remplis d’eau à 2 mètres 30 centimètres de hau- 
_ teur en six minutes, n’en aurait élevé que quarante-six 
à 3 mètres 20 centimètres de hauteur pendant le même 
temps. La capacité du panier étant d'un centième de 
mètre cube, il aurait élevé 4 mètres 6o centièmes dans 
une heure, et 55 mètres 20 centièmes cubes d’eau pen- 
dant douze heures. Le produit du déloù est donc à celui 
de la roue à pots dans le rapport des nombres 5520 et 
21114 : ainsi l’on peut compter quatre déloi pour une 
roue. L’extrême simplicité de cette premiere machine, 
la facilité de la construire, de la transporter et de se la 
procurer par-tout, ont fait adopter de préférence le déloù 
que l’on voit répandu sur les bords du fléuve et des 
canaux d'arrosage dans toute l'étendue de l'Égypte. 
Dans la description hydraulique que je viens de donner 
de la province de Beny-Soueyf, on ne voit rien qui 
puisse raisonnablement faire penser que le lac de M&ris 
et ses accessoires aient pu jamais trouver leur place dans 
L 6. Ziv, 37 


240 MÉMOIRES. 


cette province. Nous allons entrer dans celle du Fsyoum, 
etlà, nous verrons toules les difficultés disparaître sans 
effort ni opposition , et nous reconnaïîtrons enfin que 
les détails donnés par les anciens s’appliquent si bien à 
cette province, qu’on est tenté, à chaque pas , de désigner 
les lieux actuels par les noms qu'ils nous ont transmis. 

SECTION IL 

Province du Fayoum. 

Quoique les recherches et les travaux à faire dans le 
Fayoum fussent le but principal de mon voyage dans 
ces contrées, je ne pus cependant y pénétrer que dans 
les premiers jours de nivôse an 9 [fin de décembre 1800 ]. 
Occupé dans les premiers temps, à Beny-Soueyf, à dresser 
le canevas trigonométrique auquel je devais rattacher la 
_ province du Fayoum, je me vis bientôt retenu et dans 
l'impossibilité de faire aucun mouvement vers l'intérieur 
des terres, à cause d’une crue extraordinaire du fleuve, 
_ qui suspendit mes opérations pendant plus de trois mois. 
Les débordemens du Bahr-Yousef avaient totalement in- 
terrompu la communication entre Beny - Soueyf et le 
Fayoum. L'isolement de cette dernière province est un 
grand malheur pour elle; car les Arabes étrangers ne 
manquent jamais de profler de cette circonstance pour 
venir piller les habitans: cet événement eut lieu à l’époque 
dont je parle ; et le commandant de Beny-Soueyf ayant 
été obligé de faire passer par la digue Oukchechy le’ 
secours qu'il envoya à Médine, les Arabes , avertis à 
temps, disparurent avec leur butin avant que le corps 
de troupes Françaises fût arrivé. Il serait très-important, 
ainsi que jen avais ouvert l'avis, que l’on construisit 
une route de Beny - Soueyf aux villages d'Haouäârab et 
d'Ellâähoun, qui se trouvent à l'entrée du Fayoum. 


. MÉMOIRES. 249 

Je partis enfin de Beny - Soueyf le 3 nivôse an 9 
L24 décembre 1800], avec mon collègue M. Caristie, et 
nous allâmes coucher à Haouârah el- Kebyr, gros bourg 
situé sur la rive gauche du Bahr-Yousef, à l'ouverture 
de la gorge dans laquelle cette branche du Nil déverse 
ses eaux. En face de nous, et sur la rive droite, nous 
vimes le petit village d'Ellâähoun. La communication entre 
ces deux villages se fait au moyen d’un pont en pierre 
de taille, composé de trois arches, ayant chacune 2 
mètres 8o centimètres d'ouverture entre les pieds-droits. 
‘Ce pont n’a pas seulement pour but d'établir la com 
munication entre les deux villages ; car chacune de ces 
trois arches est barrée par un déversoir qui sert à ré 
gulariser la quantité d'eau que la province du Fayoum 
doit recevoir, de manière que dans les crues faibles , l’eau 
ne s'écoule pas en trop grande abondance dans cette pro- 
vince et ne soit pas perdue pour le reste de l'Ésypte ; de 
même que dans les fortes crues, on ouvre à l’eau un débou- 
ché plus vaste et l’on en débarrasse le sol de l'Égypte ; sur 
lequel un trop long séjour deviendrait préjudiciable. 

On voit encore , au parapet de l’est, la trace de trois 
pierres enlevées sur lesquelles le Mamlouk kachef Soly- 
mân , qui était avec nous , m’assura avoir vu uneinscription 
Arabe qui poNait que ce pont a été construit par le 
sultan Solymân Ebn-Mohammed , dans le vi. siècle de 
l’hégire. Il est à remarquer que cette époque est celle 
de la dynastie des Fatimites, sous la domination desquels 
l'Égypte était redevenue un royaume indépendant , au soin 
duquel les sultans régnans apportaient par conséquent 
un intérêt plus particulier. | 

Entre le pont et le village d’Eliâätoun, se trouve une 
digue qui retient les eaux apportées par le grand canal 


256 * MÉMOIRES. 


de Beny-A’dy; et, tombant par le déversoir de Ma’sarah 
dâns le bas-fond qui sé trouve au pied de la montagne 
&’Abousyr, ces eaux vont féconder quelques terres autour 
du vitage d'Ellâhoun, et se rendent ensuite, par un 
ruisseau parallèle au Bahr - Yousef, dans le canal qui 
arrive à Tamyeb. | 

 Il'existe parmi les hahitans du Fayoum une opinion 
vulgaire sur l’ancien état de cette province , et je crois 
qu’il n’est pas hors de propas de la rapporter: elle m'a 
été communiquée par deux hommes en qui j'ai trouvé 
une intelligence supérieure à celle de leurs compatriotes : 
Pun est Seyä-Ahmed, cheykh principal de Médine, capitale 
du Fayoum; et l’antre, le Mamlouk kâchef Solymân, 
dont j'ai déjà parié, qui babitait depuis long-temps le 
Fayoura. Ils m'ont assuré que, d’après la tradition trans- 
mise d'âge en Âse , la province du Fayoum n’était, avant 
Joseph fils de Jacob, qu'ils rapportent à une très-haute 
antiquité, qu’une vaste mer dout les eaux étaient four- 
nies par le Nil; que Joseph fit construire une digue à 
Ellähoun pour empècher les eanx de se jeter davantage 
dans ce golfe; que celles qui y étaieut restées s'écoulèrent 
à la mer, ce qu opéra un prompt desséchement. d’une 
grande partie des terres. Lorsque le dessus des eaux fut 
parvenu par ce desséchement jusqu’au niveau du lit par 
lequel elle s’écoutait, le surplus resta dans les parties 
basses, et forma le birker-Qeroun et le Birket-Gar4k, 
qui devinrent légoût des eaux de la province, et ne 
diminuèrent de bauteur que par l’évaporation. 

Cette opinion , trop au-dessus de la portée des Ésyp- 
tiens actuels, n’est point, évidemment, un résultat de 
leur imagination; elle porte avee elle le caractère d’une 
ancienne tradition ; et peut-être, en l’examinant de près, 


MÉMOIRES. 251 


y trouverait-on l'explication de ce grand périmètre que 
les anciens ont donné au lac de Moœæris, et sur-tout de 
l'utilité qu’ils disent que les Égyptiens en retiraient, 
en le faisant servir tour-à-tour de récipient et de bassin 
déversant. Cette tradition s'accorde avec. ce que j'ai vu 
autour du Birket-Qeroun; et les conséquences que je 
tirerai de mes observations ; lui donneront ou en rece- 
vront peut-être plus de force. ; | 

En pénétrant dans l’ouverture que la montagne léfsse 
entre Haouârah el-Kebyr et Ellähoun , on voit se dével- 
Jopper une immense plaine, qui forme la province du 
Fayoum. Cette plaine n’est pas de niveau; elle présente 
deux plans légèrement inclinés, l’un au nord, l’autre 
au sad. Sur la ligne culminante formée par l'intersection 
de ces deux plans, on a pratiqué, depuis le pont 
d'Haouârah et dans la direction de l’ouest, un canal 
jusqu’à Médine : ce canal traverse la ville et à l'extré- 
mité ouest, il se partage en neuf petits canaux qui vont 
porter l’eau sur les terres des différens villages. La prise 
est déterminée pour chacun par un pont-déversoir, dont 
la hauteur est réglée sur la longueur du terrain à par- 
courir et sur la superficie des terres qu’il doit arroser. 

Le premier de ces canaux, c’est-à-dire celui qui est 
le plus. à l’est, s'appelle Barh-Nagälyfeh : il passe par 
les villages de Naqälyfeh et de Selleh. 
‘Le second porte le nom de Sezhour, et arrive au 
village de ce nom. 

Le troisième, dit de Synerow, se rend au village de 
Fydymyn. ‘ 

Le quatrième traverse les villages d'A’emyyn, Beché, 
Abou-Gonachou, et Abou-Keseh. 

Le cinquième , dit de Zalat, va au village de ce nom. 


252 MÉMOIRES. 


" Le sixième passe au village de Senbâtch: 

Le septième s'appelle Barh-Desyeh : il porte les eaux 
sur les territoires de PRE Garadoùû , Toubâr et Menä- 
chy. 

‘ Le huitième arrose les terres de Mantoue Ouerid et 
Abou-Dalaché. 

Enfin le neuvième, qui prend son origme sous une 
arche du pont de la mosquée de Häggy- Hasan , fertilise 
le petit village de Zäouyeh. 

Iya, vers l'extrémité est de la ville, d’autres canaux 
qui, comme les précédens, reçoivent les eaux par dés 
ponts-déversoirs. Celui qui est le plus près de la porte 
Noueyreh, après avoir contourné une partie des ruines 
d'Arsinoé, se rend au village de Terseh el-Akhsas. 

: Le second est le Bahr-Sennoures , qui passe aux villages 
de Ka’ähy, Bayamout, RASE Atoueyts Mechyd 
et A’bd-Alateh, 

Le troisième enfin est le Bahr-Ma’sarah, qui arrose 
les villages de Zerby, Foroseh, Kafr-amyr, Sersené 
et Antartarès. 

Le canal qui porte les eaux d'Haouäârah à Médine, et 
qui, dans toute cette longueur conserve le riom de 
Barh-Yousef , est, comme je l'ai déjà fait observer, 
plus élevé que le sol de la province; et, ce qui est 
remarquable, son lit est à nu sur le roc dans toute 
J''paisseur des montagnes à travers SAANAES il a tie 
pratiqué. 

A environ huit mille He du pont d'Haouärah el- 
Kebyr, on trouve, sur la rive droite, le village d'Haouärah 
el-Soghayr , auprès duquel a été construit avec beaucoup 
d'art, un mur de soutenement formant déversoir, qui 
présente une chute d'environ sept mèlres de hauteur, 


MÉMOIRES. | 253 


Lorsque les eaux s'élèvent dans ke Babr-Yousef au- 
dessus. de ce déversoir, elles tombent dans un large 
ravin, qui les conduit à Tamyeh, et de là dans le 
Birket-Qeroun : il paraît même que ce déversoir n’a. 
pas toujours sufh pour absorber la surabondance des 
eaux; car on voit, à trois mille mètres plus loin, un 
autre déversoir qui rejette aussi les eaux dans le premier 
ravin par un rameau qui les y conduit, 
_ Les détails de cette rive droite du Bahr-Yousef, depuis 
Ellähoun jusqu’à ce second déversoir, présentent un 
grand intérêt. Auprès du village d’'Ellähoun, se trouve 
une première pyramide dont le noyau est en pierres 
calcaires, et le surplus en briques séchées au soleil. Huit 
mille mètres plus loin, on voit une seconde pyramide 
aussi en briques de même nature, et au pied de laquelle 
passe un ruisseau qui prend son origine au Barh-Yousef, 
un peu avant le premier déversoir dont j'ai parlé, et 
se rend à Tamyeh par une direction parallèle à celle 
du grand ravin, qui, ne recevant que le superflu des 
eaux de la province, reste presque tous les ans à sec, 
et porte par ce motif le nom de Bahr-bel&-mä ( fleuve 
sans eau ). | 
Autour de cette seconde pyramide, le sol est couvert 
de monticules de pierres calcaires et de débris de monu- 
mens qui indiquent évidemment le lieu où fut ce fameux 
Jabyrinthe des douze rois, que tous les anciens historiens 
s'accordent à placer peu au-dessus du lac de Mæris, 
et non loin de Crocodilopolis : on y voit encore un reste 
de chambre, mais totalement enfoui; des tronçons de 
colonnes en'granit syénite, taillées comme celles des temples 
de la haute Égypte, en faisceau de plantes bulbeuses ;, 
d'énormes chapiteaux Égyptiens, aussi eu granit. Pline 


254 MÉMorress. | 
assure que le labyrinthe était le seul monument de la hante 
Égypte où l'on eüt placé des colonnes de cette matière. 

Je me suis transporté sur cetiemplacement le 10 nivôse 
an 9 ( 3: décembre 1800 ), et j'ai lié, par quelques 
opérations trigonométriques, la pyramide d’Ellähoun avec 
cette seconde pyramide, que j'ai appelée pyramile du 
labyrinthe, et avec le minaret de la mosquée de Rouby, 
qui est la plus occidentale de celles de Médine. Au moyen 
de ces opérations, j'ai déduit la latitude et la longitude 

e cette ville, qui n'ont pas été prises par M. Nouet, 

et je lui : trouvé 29° 28° 48" de latitude nord, sur 
28° 41° a! de longitude orientale, comptée de l’obser- 
vatoire de Paris. 

La ligne qui unit les deux pyramides , s’est trouvée de 
8116 mètres 57 centimètres de longueur, faisant ee 
Je méridien magnétique un angle vers l’ouest de 49° 1o!. 

| La pyramide du labyrinthe est carrée dans son plan 
sur 110 mètres de côté, maïs il paraît qu’elle avait un 
revétement dont on ne peut plus assigner l'épaisseur. 
Ün peu en avant de l'angle à l’est, on voit un vaste 
trou rond ; dans le fond duquel commence un souterrain 
en maçonnerie, qui se dirige vers la partie inférieure 
de la pyramide. Je suis descendu par ce trou pour pénétrer 
dans le souterrain ; maïs j'y fus bientôt arrêté par un amas 
de décombres dont il est rempli. Le fond du trou contient 
de f'eau , que j'ai reconnue très-fortement salée. 

En descendant vers le milieu du ravin, vis-à-vis la 
pyramide du labyrinthe, on trouve les restes d’un long 
mur en pierres de taille, que je présume avoir été une 
digue destinée-à retenir Îes eaux qui s’échappaient par 
le dessus des déversoirs appliqués au grand canal. 

La rive gauche du Bahr- Yousef ñe présente pas le 


EN r / 
4 


F 


MÉMOIRES. 255 


même intérêt que la rive droite. Les mamelons de roche 
dont elle est parsemée, et qui sont des appendices de 
la montagne aîtestent que cette rive n’a jamais été 
cultivée : on y trouve cependant le village de Demechqyn? 
mais les intérêts et le territoire de ses habitans se lient 
avec ceux d'Haouârah el-Kebyr, dont ils sont voisins, 
On ne pourrait même pas parcourir cette rive gauche 
pour se rendre au village d’el- Hazeb, que l’on trouve 
après avoir un peu dépassé le second déversoir de la rive 
droite dont j'ai parlé. C’est auprès de ce village d’el-Hazeb, 
à l’est et à l’ouest, que se fait, par deux canaux, le 
déversement des eaux du Bahr- Yousef sur cette partie 
du grand plan incliné au sud, pour l’arrosement des 
villages disséminés entre le Bahr et le lac de Garäh. 

Il paraît que ce plan, outre sa pente au sud, en 
présente une considérable à l’ouest, vers la pointe du 
Birket-Qeroun, sur lequel se dirige un large ravin qui 
porte le nom de Bahr-Ouädy. Pour s'opposer à l'écou- 
Jement des eaux sur cette pente, on a construit une 
grande et maguiïfique digue, bien différente des ouvrages 
de cette nature que l’on voit dans la vallée de l'Égypte : 
celle-ci est en maçonnerie de pierres de taille ct de 
briques cuites, soutenue par d'épais et nombreux contre- 
forts, et construite avec toute la solidité que donne 
J'observation des règles de l’art. Cette digue, qui prend 
sou origine au village de Defennoû, se termine à un 
petit ruisseau, qui fait la limite des terres cultivées ; 
elle ocupe une longueur d'environ 8500 mètres. 

On ne peut qu'être surpris de voir un ouvrase aussi 
considérable. pour l'intérêt d’un petit territoire tel que 
ce lieu , renfermé entre le lac Garâh, les montagnes qui 


séparent le’ Fayoum de l'Égypte, le Bahr-Yousef et la 


256 | MÉMOIRES. 

digue, tandis que d'immenses terrains sont atandonnés 
dans la vallée de l'Ésypte, faute de quelques légères 
dépenses faites aux digues et canaux conservateurs de 
ces terrains. Je suis assez porté à croire que le monu- 
ment dont je parle est, comme le pont d'Haouäârah 
l'ouvrage d’un des anciens sultans Fatimites. 

Men intention était de parcourir tout le Bahr-belä-mâ 
jusqu'à Tamyeh et au Birket-Qeroun : j'allais même en 
commencer le nivellement , lorsque des circonstances qui 
amenèrent quelques mouvemens militaires du corps sta- 
tionné dans la province, me privèrent des soldats qui 
avaient été mis à ma disposition, et qui m’étaient devenus 
indispensables pour mes opérations. 

Je fus donc forcé, à mon grand-regret, de retourner à 
Médine, où je fis de suite mes dispositions pour entre 
prendre autour du Birket-Qeroun le voyage que je désirais 
faire depuis si long-temps. Je profitai de quelque loisir 
que me laissaient les lenteurs des préparatifs, pour 
visiter l'emplacement de l’ancienne Crocodilopolis, dont 
le nom fut changé, sous les Ptolémées, en celui d’Arsinoé, 

Si l’on sort de Médine par le pont qui est vis-à-vis. 
Ja mosquée de Rouby, on traverse, en se dirigeant au 
nord, un grand espace parsemé de tombeaux musulmans, 
après lesquels on trouve, dans la direction sud-nord, 
plusieurs monticules composés de débris de pierres cal- 
caires, de briques ou de poteries, et disséminés sur un 
cspace d'environ 3500 mètres au nord et 2500 mètres 
de l’est à l’ouest. Nous avons, M. Caristie et moi, par- 
couru, visité et fait fouiller chacun de ces monticules, 
pour. y reconnaître la trace de quelques monumens : 
mais nous n’y avons trouvé que des débris informes, 
. d'où nous n'avons pu tirer d'autre conséquence > Sinon 


MÉMOIRES. 257 
que par leur étendue ils désignent l'emplacement d'une 
ville; et comme il n’en existe pas d'autre aussi consi- 
dérable dans toute la province , nous en avons conclu 
que cette ville était l’ancienne Crocodilopolis | appelée 
depuis Ærsinoé, _ 

Cette certitude nous a été bientôt entièrement acquise ; 
lorsque , par quelques opérations trigonométriques faites 
sur ces monticules, nous avons trouvé que leur distance 
à la. pyramide du labyrinthe était égale à une longueur 
de 802 mètres Q8 centimètres, compris 1250 mètres 
. pour la moitié de l’étendue des ruines. Strahoh dit posi- 
tivement (1) que la distance d’Arsinoé à cette pyramide 
est de cent stades. D’Anville (2) estime à un huitième 
Ja réduction que l’on doit donner aux mesures itinéraires 
en Égypte, pour les rapporter à deslignes droites. D’après le 
calcul des milles Romains, dont il égale quatre auschœne 
Égyptien (3), il trouve trois mille vingt-quatre toises pour 
la longueur du schœne ; ce qui donne cinquante toises deux 
pieds six pouces, ou 98 mètres 26 centimètres, pour 
la longueur du stade, à raison de soixante au schœne. 
Les cent stades font donc cinq mille quarante toises 
un pied huit pouces, ou 9826 mètres : d’où déduisant 
un huitième, il reste 8598 mètres, ce qui s'accorde 
assez bien avec la distance que nous avons irouvée 
trigonométriquement. 

Le pied des monticules est baigné à l’est et à l’ouest 
par deux canaux prenant leur direction au nord, sur 
une largeur de 30 mètres et une profondeur de ô mètres 
5o centimelres. 


D RER RER 
(1) Rers geograph. ‘Lib. xvi1; Lutetiæ Parisiorum , 16:20, 
(2) Traité des mesures itinéraires, pag. 181, 

(5) Zbid, ‘pag. 84 et 92. 


258 MÉMOIRES. 
_ Nous avions appris à Médine qu'il existait des ruines 
importantes à l’ouest de cétte ville; nous nous y 
sommes transportés ; mais nous n’avons trouvé qu’un lieu 
appeté e/ Æ’moud , où l’on voit un seul obélisque en granit, 
à 1000 mètres environ du village de Begvg, et à 4000 
mètres de Médine. Mon coltègue M. Caristie s’est chargé de 
donner les dessins et quelques détails sur cet obélisque. . 
Enfin, tous les préparatifs de mon voyage autour du 
Birket-Qeroun étant terminés, je pus me mettre en 
route pour effectuer cette reconnaissance. J’avais, dans 
le principe, consulté cheykh Ahmed et Solymän käâchef 
sur ce voyage , et je leur avais dit que, vu la dificulté 
de vivre plusieurs" jours dans le désert avec mes soldats 
Français, j'avais résolu de n’emmener que des Arabes 
avec moi. Ils cherchèrent lun et l’autre à me faire changer 
de résolution, en m’assurant que les tribus qui parcou- 
raient ces parages, étaient toutes en guérre , et que je 
ne pouvais me confier à aucune d'elles sans courir les 
plus grands dangers. Ce fait me fut encore confirmé par 
un cheykh d’Arabes , qui s’engagea bien à m’accompagner 
avec trente des siens, si j'avais avec moi autant de soldats 
Français. Je les demandai alors au colonel Eppler ; 
commandant de la province, qui me dt qu'il en 
mettrait à ma dispositior autant que j'en voudrais pour 
parcourir les villages ou les terres cultivées, mais qu'il 
ne m'en donnerait pas un pour le voyage que jé projetais. 
Le désir ardent que j'avais de faire cette reconnaissance , 
fit que je m’abouchai de nouveau avec le cheykh Arabe : 
le commandant Eppler se joignit à moi pour détruire 
les objections nombreuses et sans cesse renaïissantes qu’il 
faisait à toutes nos propositions, et nous le. déterminimes 
enfin à m’accompagner avec trente des siens à cheval. 


MÉMOIRES. 259 


Cet Arabe, nommé 4#’/y, était un jepne homme d’en- 
viron trente ans, fils de Sâleh, grand cheykh de la tribu 
des Sammalous , qui avait fixé sa résidence au village de 
Minyeh, situé sur les bords du Bahr-el-Ouäâdy. Ce nom 
de Sammalous est celui de l'association générale des tribus 
qui entourent le Fayoum. Säleh avait trois fils et un 
neveu, placés chacun à la tête d’une division de la tribu. 
Le premier, cheykh A’ly, résidait à Médine ; le second, 
Groubeh, était auprès de lui, à Minyeh; et le troisième, 
O’tmân, habitait Abou-Gandyr. Quelques autres enfans 
qu'il avait eus de ses femmes esclaves , étaient aussi 
auprès de lui, et faisaient le charme de sa vieillesse. Le 
neveu, A’lÿ-Aboubekr , occupait Nazleh. Je donnerai, 
à la fin de cette description, un tableau détaillé de 
toutes les tribus particulières, ainsi que de celles de 
Ja province de Beny-Soueyf. 

Les Sammalous sont les seuls Arabes qui aient une 
résidence fixe dans le Fayoum. Ils y sont très-anciens 
et très-puissans, maïs souvent en guerre avec Îles tribus 
étrangères, qui viennent faire des incursions dans la 
province. Ce sont les Da’/é de Beny-Soueyf, qui entrent 
par Tamyeh, lorsque les eaux atteignent les terres cul- 
tivées des villages de Menfast et d’Ouboueyt, où ils font 
leur résidence. Ce sont aussi les Fergân, qui habitent 
Jes déserts d'Alexandrie et de la Bahyreh, et qui, entrant 
par le Qasr-Qeroun, où est leur rendez-vous, viennent 
faire des expéditions nombreuses, dans lesquelles ils 
| pillent les villages des Sammalous. | 

Les craintes de cheykh A’ly n'étaient donc pas sans 
fondement ; mais, les ayant une fois vaincues, je me 
crus sans danger et ne pensai plus qu'à mon projet. 
J'endossai le barnous, je couvris ma tête d’un tarbouch 


260 MÉMOIRES. 


enveloppé du châle , et je partis seul Français au miliew 
de trente Arabes bien armés, et résolus, me disaient- 
ils du moins, à ne pas se laisser intimider. Cheykh A’ly, 
voulant sans doute me donner une bonne opinion de 
sa tribu, me parut, dès ce moment , animé d’un courage 
que je ne lui avais pas vu jusqu'alors, et qu'il communiqua 
sans peine à toute sa suite. 

Nous quittimes Médine le 16 nivôse an 9 [ 6 janvier 
1801], à midi précis, et nous suivimes notre route 
exactement au nord, entre plusieurs canaux. Nous laissä- 
mes à gauche, un canal sur les bords duquel je vis un 
petit déversoir en maçonnerie. Nous passimes bientôt 
près du village d’el-A’lâm, que nous avions à notre 
droite, et nous entrâmes dans un bois clair et planté de 

almiers , après lequel nous arrivâmes au village de Ka’äby 
el-Gedyd. Notre chemin le plus court était de suivre au 
nord-est, vers Ma’sarah et Tamyeh ; mais, sur ce qu’on 
me dit qu’an monument dont parle Pococke, et qui 
est connu sous le nom de Pieds de Pharaon, se trouvait 
près de là, nous continuâmes au nord, en traversant 
le canal qui passe à Ka’äby, et nous arrivämes à une 
grande plage de grève, où est situé le village de Baya- 
mout, auprès duquel s'élèvent les prétendus pieds de 
Pharaon. Ces pieds ne sont autre chose que deux énormes 
masses formées de grosses pierres calcaires, portant cta- 
‘une environ 6 mètres de longueur sur un mètre 30 
centimètres de largeur et un mètre de hauteur, posées 
bone sur l’autre sans ciment ni liaison. Les deux tas, 
distans l’un de l’autre d'environ 120 mètres, sont en- 
tourés d’autres petits tas, disposés de même. On voit 
aussi de grosses pierres éparses, qui indiquent que ces: 
tas étaient beaucoup plus élevés que je ne les ai vus; 


MÉMOIRES _ 261: 


œar ils n'avaient plus alors que dix assises, portant 
ensemble une hauteur de 10 mètres : leur plan torme 
un carré d'environ & mètres de côté. 

J'avais remarqué que, depuis environ 4oo mètres au : 
sud , la pente du terrain commençait à devenir légère- 
ment sensible ; ce qui pourrait faire penser que le lac 
s'étendait jusqu'a ce point. Notre marche avait été réglée 
et nous faisions environ 3500 mètres à l'heure : il était 
alors deux heures moins un quart. De ces ruines, 
j'apercevais au milieu d’un grand groupe de palmiers au 
nord le village de Sennoures , où j'arrivai à trois heures, 
élant parti des Pieds de Pharaon à deux heures précises. 

Sennoures est un assez grand village, bâti sur un 
monticule , le plus élevé de tous ceux que j'ai vus en 
Égypte, ét dont j'ai estimé la hauteur à environ. 50 
mètres. Il formait vraisemblablement autrefois une île 
du lac, dont on commence à apercevoir les eaux lors- 
qu'on est arrivé au haut du monticule. Sennoures est 
un dépôt des salines que l’on exploite sur le lac. Je 
descendis dans la maison du cheykh el-Habachy, de qui 
je reçus l’accueil le plus amical. J'achetai dans le village 
l'orge et les fèves nécessaires pour les chevaux dans le 
désert, et je partis à cinq heures, dirigeant ma route 
encore au nord. Nous marchâmes de jour jusqu’à six 
heures et demie, quoique nous fussions au solstice d'hiver, 
et nous arrivâmes sur le bord d’un petit ruisseau nommé 
Batch , qui coule de l’est à l’ouest, et porte l’eau depuis 
Tamyeh jusqu’au Birket - Qeroun. Elle est amenée de 
Tamyeh par un canal venant de Roudah, et à Roudah 
par celui qui passe au pied de la pyramide du laby- 
rinthe , et par les suintemens du Bahr-belä-mi. 

Au point où otre caravane arriva , le ruisseau était 


262 MÉMOIRES, 


guéable : il avait environ 8 mètres de largeur et 32 cen- 
timètres de profondeur d’eau ; mais j'olservai qu'il était 
creusé en forme de canal, sur une profondeur d'environ 
10 mètres et une largeur de 80 mètres. Nous étions ‘à 
deux lieues ouest de Tamveh , et l’eau, eucore très- 
bonne, ne se ressentait nullement de la proximité du 
lac. Nous y fimes notre provision d’eau , et nous rem- 
plimes nos outres pour toute La traversée du désert. 

Cheykh A’ly me dit que ce poiut était celui du passage 
des caravanes qui vont directement de Gyzeb à Sennoures. 
L'inondation n'interrompt même pas la marche de ces 
caravanes , qui alors remontent jusqu’à Sellsh. 

J'ohservai que, depuis Senuoures, la pente vers le 
Jac élait encore plus sensible qu'à Bayamout, et que le 
plan suivait une seconde pente de l’est à l’ouest : ces 
pentes étaient tellement Merueess que de la crête du 
Batch je ne voyais plus au sud qu’une bande générale, 
tranchant fortement sur l'horizon. 

Lorsque nous eûmes rempli nos outres , l'obscurité 
était déjà complète ; car on sait que, dans ces climats, 
le crépuscule est beaucoup plus court qu’en Europe: 
nous nous délerminâämes donc à passer la nuit dans ce 
lieu. Cependant nous allâmes établir notre camp sur la. 
crête du bord septentrional , à environ une demi-heure 
de distance ouest du point où nous avions passé à gué 
le canal de Batch. | | 

Depuis notre départ de Médine , mes compagnons de 
voyage cotmposaient leurs manières sur la conduite de. 
 cheykh A’ly envers moi. Celui-ci ne me quitl'ait pas; 
et, malgré la diflicullé que j'éprouvais de m’exprimer 
dans sa lagune , il ne parlait qu'avec moi. Dans la vue 
de me distraire, et de me plaire sans doute, il me racontait 

| des 


MÉMOIRES. 265 


des histoires dont j'avais, je l'avoue , grand peine à suivre 
le fil, mais qui me donnaient plus de distractions que 
je ne voulais, parce que j'étais tout entier à mes obser- 
vations. Quelquefois, au milieu de son récit , j'appercevais 
au loin un objet qui piquait ma curiosité; j’y courais: 
mais aussitôt son cheval au galop était sur les traces 
du mien. Les Arabes, voulant aussi me distraire, exécu- 
taient des combats simulés , en courant alternativement 
les uns sur les autres; après quoi, l’un d'eux venait 
auprès de moi. me faire entendre les chants héroïques 
de la tribu. L'air de satisfaction que je lui montrais, 
était sa récompense , et ils recommençaient leurs jeux, 
qui cependant n'interrompaient jamais la gravité et la 
régularité de notre marche. 

A peine le signal de halte fat-il donné pour le camp 
de la nuit, qu’en un clin-d’'œil ma tente fût dressée. 
J'avais apporté deux petits matelas, l’un pour cheykh 
Aly, et l’autre pour moi: je ne pus jamais lui faire 
accepter le siens et ce ne fut qu'avec peine que je le fis 
consentir a coucher dans ma tente, où il se contenta 
d’une natte étendue sur le sable. En quelques minutes 
le café fut préparé et servi, et l’on fit les appréts du 
souper. En attendant, je voulus voir tous mes compa- 
gnons, qui vinrent me baiser la main, et s’accroupir , 
rangés autour de mon lit. L’un d'eux, que cheykh A’ly 
désigna pour orateur, voulant me donner une idte de 
la gloire et de la supériorité de leur tribu, raconta une 
de ces histoires dans lesquelles sont rapportés les hauts 
faits des Sammalous, qu'ils se transmettent ainsi pour 
entretenir le courage. À tout instant, les auditeurs pous- 
saient des yé a/lah qui témoignaient leur admiration et 
encourageaient l'orateur, Quoique je comprisse peu de 

JL GT Ziv. 18 | 


26. MÉMOIRES. 

chose à ce qu'il disaïl , je n’étais pas en reste pour mon- 
trer ma satisfaction , et ils étaient tous enchantés. Enfin 
lon apporta les poules et le pilau , et l’on mangea avec ‘ 
avidité. Après le repas, cheykh A’ly congédia tout son 
monde , et fit allumer des feux autour de ma tente, 
pour écarter , disait-il, les hyènes qui sont errantes et 
très-communes dans ces cantons. Chacun s’enveloppa 
dans son barnous et passa la nuit auprès de son cheval. 

Le 17 nivôse [7 janvier], nous levâmes notre camp 
à six heures quarante minutes du matin. La direction 
principale de notre route était par est-ouest ; mais nous 
dévièmes un instant sur la droite vers le haut de la 
montagne, laissant le lac à environ une lieue sur notre 
gauche. La pente s'élève très-doucement et se perd dans 
une large vallée qui s'étend au nord, et que cheykh A’ly 
me dit être la route de Médine à Gyzeh et à Alexandrie 
par le Bahr-belâ-mâ, qui passe auprès des lacs de Nâtron. 
Cette opinion s'accorde avec celle du général Andréossy 
(1), et l’on verra les conséquences que j'en tire pour 
l’ancienne utilité du lac. 

Les Arabes étaient attentifs et cherchaient à reconnai 
tre dans le sable dont cette plage est couverte, s'il avait 
récemment passé d’autres Arabes. Après environ une heure 
de marche, ils reconnurent à travers les dunes la trace 
de ceux de Da’fé, qu'on avait chassé du Fayoum, vingt 
jours auparavant , ainsi que je l’ai déjà dit. 

Nous trouvâmes entire le lac et la montagne une 
immense quantité de bois sec encore sur pied qui res- 
semblait à un jeune aillis desséché : il paraît qu'on ne 


(1) FWoyez Observations sur le lac Moris , insérées dans Lo 
Moniteux du 13 brumaire an 9 


MÉMOIRES. 265 


tire aucun parti de ee bois, qui pourrait cependant être 
d’une grande utilité à Médine. 

Nous arrivâmes à dix heures moins un quart sur le 
bord du lac: je vis en cet endroit deux énormes buttes 
isolées l’une de l’autre, et portant 50 mètres de hauteur; 
_ June, circulaire, a 200 mètres de diamètre, et l’autre, 
à base quadiilatère, Boo mètres de longueur sur 8o mètres 
de largeur: celle-ci est la plus près du lac; elles sont 
toutes les deux couvertes de fortes pierres calcaires 
grossièrement taillées. On y voit aussi quelques débris 
de briques ; mais on ne peut y distinguer ni sculptures, 
ni traces de monument , et les pierres sont à moitié 
enterrées dans le sable. La situation de ces. buttes, l’une 
par rapport à l’autre, est sur uue ligne qui court nord- 
est, sud-ouest, sur une longueur d’environ 1000 mètres. 
Ici la montagne est éloignée de trois lieues au moins 
du lac; mais elle tend ensuite à s'en rapprocher. Tout 
cet espace est parsemé de tas de petites pierres rouges, 
formées d’une espèce de craie assez semblable à ce que 
nous appellons la sanguine. Les Arabes descendirent tous 
de cheval, et en ramassèrent avec avidité : ils me dirent 
qu’on achetait ces pierres pour teindre les toiles et peindre 
le bois. 

Je descendis au bord du lac, dont l’eau très-limpide 
me parut saumâtre, mais non salée: nous y fimes tous 
boire nos chevaux, et nous y primes un léger repas. 
Les Arabes m’assurèrent que le lac contenait de très- 
beaux et très - bons poissons, mais qu'il n’était point 
pêché par des habitans du Fayoum; que des pêcheurs 
du Nil y venaient à cet effet depuis la fin de mars 
jusqu’à la crue du fleuve. Le lac est aussi très-peuplé 
d'oiseaux aquatiques. Au point où nous nous trouvions; 
il me parut avoir une lieue de largeur, 


266 MÉMOIRES. 


Après avoir passé les deux buttes, on s’aperçoil que 
le terrain s'élève presque brusquement, quoique par 
une pente facile , et l’on arrive à un trés-grand plateau, 
dont la surface présente un rocher à nu qui va s'attacher 
à la montagne éloignée alors de nous d’une petite lieue 
à droite, et se prolonge jusqu’au bord du lac, à 1000 
mètres à gauche. On voit, dans l’espace qui sépare les 
buttes du plateau, des couches de terre végétale légè- 
rement recouvertes de sable : on y voit aussi quelques 
vestiges de salines. 

Je trouvai sur ce plateau, où j'arrivai à midi dix 
minutes , les ruines d’une ville, ou peut-être seulement 
d'un vaste palais, que les Arabes me dirent s'appeler 
Qasr-Tufchärah ou Medynet-Namroud. On y voit encore 
des murs épais et très-élevés. On y reconnaît différentes 
constructions dont l’antiquité est attestée par leur dis- 
posilion. J'aurais désiré pouvoir lever les plans détaillés 
de ces ruines, mais, n'ayant ni aides ni moyens, ni 
le temps nécessaire, je me contentai d’en faire un cro- 
quis que j'ai rapporté sur ma carte. Les murs sont 
construits d’une espèce de briques de 20 centimétres 
de longueur, 16 centimètres de largeur, et 7 centimètres 
d'épaisseur ; elles sont formées de craie blanche et de 
paille hachée avec un peu d'argile, le tout pétri, et 
seulement séché au soleil. Ce mélange est très-friable, 
et se réduit aisément en poussière entre les doigts. 

Ces ruines s'étendent jusqu’au bord du lac sur une 
largeur de 200 mètres, et sur une longueur de 600 
mètres dans la direction nord-sud. On y trouve une 
grande quantité de briques cuites, de poteries , de vases 
à momies, etc. Dans limpossibilité où je me voyais 
de lever le plan de ce lieu, je manifestai aux Arabes 


MÉMOIRES. 267 


le désir d'y faire. quelques fouilles ; ils se mirent tous 
à chercher, et lun d'eux me rapporta une lame droite 
à deux tranchans, avec une poignée de corne. Cette 
lame avait go centimètres de longueur sur 5 centimètres 
de largeur , et portait au haut sous la poignée un dessin 
arabesque, gravé et incrusté d’un filigrane en argent : 
je l’ai rapportée en France; mais elle m'a été volée à 
Marseille , au moment où je me disposais à partir pour 
Paris. | 

Je descendis de Ja petite hauteur sur laquelle ces 
ruines sont situées, et je continuai ma route assez près 
du lac par une direction ouest-sud-ouest. Le sol était 
ce même plateau de rocher que j'avais trouvé avant le 
Qasr-Tafchärah. La montagne que j'avais à ma droite 
était à une petite lieue du lac, et tendait toujours à 
s’en rapprocher. Vers les trois heures, notre route, qui 
était à peu près parallèle à la magistrale du lac, était 
absolument sud-ouest. Nous descendimes à cette heure- 
là dans un bas-fond que je pris d’abord pour un ancien 
golfe ; mais je vis ensuite qu'il se prolongeait vers la 
montagne, et qu'il en suivait la direction vers l’ouest. 
À l'entrée de ce bas-fond, sur le bori du lac, j’apperçus 
une petite hauteur en forme de pyramide : je m'y trans- 
portai aussitôt; mais je reconnus que ce n'était qu’uu 
rocher recouvert de terre végétale mêlée de sable : en 
face, je vis une île basse dans le milieu du lac. 

Tout ce bas-fond est parsemé d’une grande quantité 
de buttes en formes de cône, dont plusieurs sont cou- 
vertes de terre végétale et de débris de pierres calcaires, 
semblables à celles que j'avais vues le matin. Ainsi, dans 
l'hypothèse probable où le lac s’étendait jusqu’à la 
montagne, ( hypothèse appuyée sur les couches que 


268 MÉMOIRES. 


l'on voit, ainsi que les buttes dont je parle, rongées 
horizontalement par les eaux, et sur les coquilles encore 
entières que j'ai ramassées au pied }), il y a lieu de 
penser :iLe toutes ces buttes étaient autant d'îles habitées. 
Les deux pyramides dont parle Hérodote ; pourraient bien 
avoir été placées sur l’une de ces nombreuses îles; mais 
il serait peut-être difficile de dire sur laquelle, si l’on 
excepte les deux premieres qui sont vers le milieu de 
la longueur et de la largeur du lac, en supposant qu'il 
commencât à Tamyeh , et s’élendit de Bayamout jusqu’à 
la montagne Lihyque; rar, à part cetie circonstance du 
milieu, sur laquelle Hérodote paraît appuyer comme sur 
une chose précise, on trouve un très-grand nombre de 
ces îles auxquelles, d’après leurs dimensions et la quantité 
de pierres calcaires dont elles sont couvertes, l’emplace- 
ment de ces deux pyramides peut également convenir. 

Continuant toujours notre route dans la direction du 
sud-ouest, nous arrivämes à quatre heures trente-cinq 
minutes, après avoir un peu forcé le pas, dans un lieu 
couvert de bois desséché, semblable à celui que j'avais 
vu le matin. L'étendue de celui-ci paraissait même beau- 
coup plus considérable, et les corps d'arbres plus forts : 
plusieurs étaient de la grosseur du bras, et quelques- 
uns de la grosseur de la cuisse. Déjà nous avions en 
vue le Qasr-Qeroun à l'ouest, et j'entrevoyois lespé- 
rance d’aller y passer la nuit, lorsque nous fümes rejoints 
par un Arabe envoyé par Sâleh, père de cheykh A'ly; 
il venail d'apprendre que huit des siens avaient été 
dépouillés par un parti de trois cents F'ersän de la Bahyreh : 
il nous faisait dire de nous tenir sur nos gardes, et 
sur-tout de ne point hasarder de combat, vu notre petit 
nombre; mais que nous devions être tranquilles , qu'il 


MÉMOIRES 269. 


était aux informations pour savoir ce qu'ils étaient de- 
venus, et que, s’il apprenait qu’ils fussent encore de 
notre côté, il viendrait à notre rencontre avec cinq cents 
Sammalous. Cheykh A’ly, sans être intimidé par ces nou- 
velles, me fit observer qu’il n’étoit pas prudent d'arriver. 
au Qasr-Qeroun à l'entrée de la nuit, que ce point 
était un rendez-vous des tribus errantes, et que, dans 
la supposition où quelque parti passerait la nuit aux 
environs, il continuerait sa route à la naissance du jour, 
et nous laisserait le champ libre. Je trouvai son raison- 
nement juste; d’ailleurs, nous ne nous étions presque 
pas reposés depuis six heures du matin, ce qui faisait 
dix heures de marche: nous choisimes dans le bois un 
endroit bas, couvert et entouré de monticules, parce que 
la route que nous avions suivie est souvent fréquentée 
par les Fergän ; il plaça ses sentinelles, et nous passâmes 
Ja nuit dans ce lieu. 

Nous étions tout-à-fait sur les bords du lac, et néan- 
moins très-près de la montagne. Je goûtai encore de l’eau; 
elle était comme celle du matin: tous les chevaux en 
burent , même plusieurs de nos domestiques ; ce qui contre- 
dit un peu l’assertion de Pococke , qui la trouva, dit-il, 
plus salée que l’eau de la mer, Il y était, à la vérité, 
un mois et demi plus tard dans la saison que moi ; et 
peut-être l'inondation qui avait précédé son voyage 
avait-elle été très-faible , tandis que celle qui avait précédé 
le mien avait été très-abondante. 

Le lendemain 18 nivôse [8 janvier], nous reprimes 
notre route à cinq heures et un quart du matin: mais 
nous ne pümes suivre les bords du lac à cause du bois 
dont ils sont couverts; nous fûmes obligés de nous rap-- 
procher de la montagne , dont la distance au lac était 


270 MÉMOIRES. 


de plus en plus petite. La couche de terre végétale de= 
venait aussi de plus en plus épaisse et sans mélange de 
sable. Ainsi il n’est pas douteux que toute celte partie 
septentrionale du lac ne fût susceptible d’être cultivée 
jusqu’au pied de la montagne, si l’on pouvait l’arroser 
avec les eaux douces dans la crue. 

Enfin nous arrivames, par une marche un peu plus 
Jente que la veille, vers les sept heures et un quart, à 
l'extrémité ouest du lac, qui baignait fout-à-fait le pied 
de la montagne. Je crovais voir ici rette montagne in- 
terrompue par l’origine da Beli-m4, que d’Anville 
désigné , dans son Ægyptus antiqua, sous le nom de 
Lycus fluvius , maïs, au lien de cetle ouverture, je vis 
que la chaîne se coatinuait à perte de vue dans la di- 
rection du sud-ouest, et j'apnris des Arabes qu’il n’y a 
dans ces parazes ni Bahr-helà-mÂ, ni aucun bas-fond 
qui puisse donner prétexte à son existence. 

La petite :angue de terre qui permet de passer entre 
l'extrémité du lac et le pied de la montagne , est obstruée 
par un amas de grosses pierres calcaires qui ne présen- 
tent aucune trace de la maïi des hommes, et que je 
crois simplement tombées des couhes supérieures de la 
montagne. Ce passage est d’ailleurs d'autant plus difficile, 
que les bords du lac sont couverts d’une croûte saline 
qui cède facilement sous les pieds, et au-dessous de 
laquelle on ‘trouve encore l’eau quelquefois assez profonde. 
Nos chameaux avaient les plus grandes peines à traverser 
ce passage. Dans l’impatience où j'étais d'arriver au Qasr- 
Qerouu, que je voyais distinctement depuis le matin, 
je laïssai la caravane se débarrasser, et je partis seul en 
avant, me diigeant par le sud-sud-est vers ce monument, 
où j'arrivai à huit heures et un quart, ayant mis ainsi 


MÉMOIRES. 271 
une heure à parcourir, au grand trot du cheval , R 
distance qui le sépare de l'extrémité du lac. La pente, 
quoïque très-douce , était considérable ; et néanmoins 
Je Qasr est construit sur une petite élévation qui donne 
lieu de penser que les eaux du lac étaient autrefois 
beaucoup plus hautes, et qu’à l’époque où elles s’éten- 
daient jusqu’à la montagne, elles venaient aussi baigner 
le pied des monumens. | 
Je ne ferai point ici la description du Qasr-Qeroun; 
M. Jomard en a donné les plans et les dessins exacts. 
(1) Je me permettrai seulement de dire que je n’en 
crois pas la construction aussi ancienne que celles des 
temples de la haute Égypte. D’abord ses ruines ne pa- 
raissent pas porter l’empreinte des ravages du temps, 
mais seulement d’une dévastation opérée par la main 
des hommes. Ensuite on voit, à l'entrée, des rustiques 
à la manière des Grecs, sur des débris de piliers avancés. 
Peut-être aussi était-ce une fabrique ajoutée dans des 
temps postérieurs. Le docteur Pococke a gravé son nom 
sur celui des pieds-droits de la première porte d’entrée 
qui est à gauche , et Paul Lucas, sur celui qui est à 
droite. Je venais de faire une reconnaissance qui pré- 
sentait un grand intérêt ; je ne pus résister au plaisir 
de la constater, et j'écrivis ces mots sur le pied-droit 
à gauche, au-dessus du nom de Pococke : 
P. D. MARTIN, INGÉNIEUR FRANÇAIS, A PARCOURU 
LA PARTIE SEPTENTRIONALE DU BIRKET-QUROUN, 
Le 17 nivôse, an 9 de la république rrançaise ( 7 ranvier 


1801 ). 


Du haut du monument, j'examinai attentivement 


(tr) Voyez pl 69 et 7o , A. vol, 1. 


272. MÉMOIRES. 


avec une bonne lunette le prolongement de la montagne 
que j'avais laissée au bord du lac, et je n'y vis, sur 
une distance à perte de vue, aucune coupure qui püt 
faire supposer l'ouverture du Zycus de d’Anville. Le sol 
va toujours en montant par une pente douce depuis 
le lac, et finit par atteindre le haut de la montagne. 
On voit dans- un graud éloignement le mamelon que. 
ce géographe désigne, dans sa carte de l'Égypte moderne, 
sous le nom de Æaram Medaïé el-Hebjad. Le pourtour 
du Qasr-Qeroun présente encore quelques murs sur pied- 
tant à l’est qu’à l’ouest, même un petit monument en 
‘avant de l'entrée ; mais il n’y a pas un seul morceau 
de granit. La diagonale des chambres carrées du Qasr. 
est à peu près sud-nord; la face principale, ou bien 
l'entrée , est au sud-est. Si l’on étend sa vue sur l’horison, 
on remarque assez près et au sud une crête tranchante 
du sol, qui indique évidemment l’ancienne limite du lac. 

Je partis du Qasr-Qeroun à midi précis, et je pris ma 
route directement au sud-est. Le sol sur lequel nous. 
marchions est un rocher pur, légèrement recouvert de 
sable, et parsemé de petits tas de pierres et de briques 
cuites, mais en très-petite quantité; ce qui m'a fait 
penser qu’en donnant à ces débris le nom de Beled- 
Qeroun, on en a tiré une conséquence un peu hasardée : 
du moins je suis persuadé que sil y a eu quelques 
constructions sur cette roche, elles sont d’une époque 
très-récente et de beaucoup postérieure au retrait des 
eaux du lac , d’une très-petite importance , et ne peuvent, 
en aucune manière, donner l’idée d’une ancienne ville, 
qui eût été d’ailleurs d'autant plus mal située que ce 
lieu a toujours été dépourvu de terre végétale. 

Nous allions d’an assez bon pas, parce que nos chameaux 


MÉMOIRES. 273 


étaient partis une bonne demi-heure avant nous. Vers 
deux heures, nous nous trouvâmes à la hauteur d’une 
fabrique à gauche sur le hord du lac. Je m'aperçus qu’à 
partir de ce point, une crête assez élevée s'étend paral- 
lèlement à ce bord. À une demi-heure de distance, je 
vis une seconde fabrique sur la même crête. Ce sont 
Vraisemblablement les lieux auxquels Pococke donne les 
noms de Xasr Cophou et de Kasr Cobal, Les Arabes 
me dirent qu'on désignait toutes ces fabriques sous le 
nom général de Qasr- Benät. Sur les bords du lac, et 
au pied de la montagne que nous avions alors à droite 
vers le lac Garâh, se trouvent des salines exploitées par 
les habitans de Nazleh ; on a creusé, pour l'usage de 
celles-ci, des puits d’où l’on tire l’eau salée , qu’on laisse 
évaporer sur le sol, et qui donne un sel très-beau et 
très-estimé. 

Depuis le Qasr-Qeroun , la pente est insensible ; mais 
à trois heures je reconnus qu’elle devenait plus forte, 
et à trois heures un quart nous arrivimes sur la crête 
-qui termine le désert. Là , j’éprouvai un plaisir difficile 
à dépeindre. Depuis quarante-huit heures, mes yeux 
avides de découvertes , et parcourant sans cesse tout ce 
qui était autour de moi, ne se fixaient que sur des 
rochers et du sable ; l’image de la mort se peignait 
seule à mon imagination, sans me donner cependant 
aucune impression de tristesse ou de malaise. J'avais été 
Join d’éprouver les privations et les incommodités ordi- 
naires des voyages dans le désert: j'avais fait le mien 
avec tout l'agrément possible ; et je doute que jamais un 
Européen, dans quelque circonstance qu’il se trouve, 
puisse en faire un semblable. Toujours l'esprit tendu sur 
-mes opérations, je n’avais nullement souffert de la chaleur, 


274 MÉMOIRES. 

qui, quoiqu’au mois de janvier , s'élevait de vingt-deux 
à vingt-quatre degrés , entre dix heures du matin et trois 
heures après midi; je n'avais pas fait ouvrir une seule 
fois les outres pour boire , dans le chemin d’une station 
à l’autre: mais, au plaisir que me fit éprouver la pre- 
mière vue de la verdure , et de la nature en mouvement, 
je sentis que mon corps avait été, à mon insu , dans 
un état de tension continuel. 

Nous appercevions au loin le village de Nazleh, dans 
la même direction sud-est que nous avions suivie depuis 
le Qasr-Qeroun. Les Arabes, qui avaient suspendu leurs 
courses dans toute la traversée du désert, firent alors 
caracoler leurs chevaux autour de moi, m'accablant de 
saluts, de souhaits et de protestations d'amitié, Ils s’é- 
criaient, dans leur joie, qu'ils ramenaient sain et sauf 
Je Sammalous Modabber, mot qui signifie régulateur, 
et qui leur sert À rendre notre mot ingénieur ; et ils 
me donnaient un grand témoignage de leur eslime , en 
ajoutant à ce titre le nom de leur tribu. J'avoue que je 
n'étais pas insensible à ces démonstrations. Ils m'avaient 
identifié avec eux; ma figure hâlée par le soleil, mon 
épaisse moustache, et mon costume de Bédouin, auraient 
défié le plus habile physionomiste; aussi, parmi les habitans 
que nous rencontrâmes bientôt, je m’aperçus qu'aucun 
ue soupçonnait la présence d’un Français dans ce groupe 
d'Arabes. 

Nous arrivâmes à Nazleh à cinq heures. Ce village, 
assez considérable , est situé à environ trois lieues des 
bords du lac, sur la rive gauche d’un large canal qui 
fait suite au Bahr el-Ouâdy, dont j'ai déjà parlé. Autre- 
fois Nazleh n'était arrosé que par un ruisseau qui vient 
‘de Médine : mais, depuis que la digue de Minyeh a été 

\ 


MÉMOIRES: ‘ 279 
rompue, le territoire ‘est inondé , au point .que je vis 
encore de grandes flaques très-près du village, quoique 
la baisse des eaux qui s’écoulaient depuis plus de trois 
mois, eût laissé par-tout le sol à découvert. | 

Je passai la nuit à Nazleh, et j'invitai à souper avec 
moi le cheykh de ce village, ainsi qu’A’ly Aboubekr, 
neveu de Sâleh, qui était venu avec empressement me 
rendre sa visite. Je tirai parti de cette réunion , en prenant 
de chacun en particulier, tous les renseignemens qu'ils 
pouvaient me donner sur les déserts qui entourent le 
Fayoum. On présume bien que je ne négligeai pas ce qui 
est relatif aux Oasis, et je remarquai avec plaisir que 
leurs réponses coïncidaient parfaitement avec les détails 

que j'avais reçus, quelques jours auparavant, du kâchef 
Solymän et de deux habitans de la petite Oasis, que j'avais 
vus à Médine. Je donnerai plus bas les résultats de ces 
conférences. 

Nous quittâmes Nazleh le 19 nivôse [o janvierl, à 
neuf heures et un quart du matin, et nous fimes route, 
toujours par le sud-est, à travers les terres cultivées, 
qui étaient alors tres - crevassées ; ce qui rendit notre 
marche pénible jusqu’au Babr el-Ouädy, que nous re- 
trouvâmes seulement à onze heures et un quart , en face 
du village d’el-A’ryn, situé sur la rive droite. Ici ce ravin 
avait au moins 16 à 17 mètres de profondeur, sur. 200 
mètres de largeur ; nous y descendimes pour suivre notre 
route dans le fond, qui était moins difficile que le dessus 
des herges. Les eaux coulaient sur la partie droite de son 
jit, et nous en remontâmes le cours, par une direction 
sud, jusqu’à l'embouchure d’an petit canal à droiïle, 
qui, me dit-on, venait auparavant de Médine en passant 
par Minyeh, et se rendait au Birket-Qeroun après avoir 


‘al 


276 MÉMOIRES. 


arrosé les terres des villages établis sur son cours. Les 
Arabes m'assurèrent que le Bahr el-Ouäâdy , que je voyais 
si vaste, avait été formé par l’irruption soudaine des eaux 
échappées lors de la rupture de la digue de Minyeh ; mais 
on verra plus bas que cette supposition n’est pas vrai- 
semblable. Les montagnes à l’ouest ne me parurent ici 
qu’une légère pente, dont la crête se perdait dans un 
horizon éloigné. 

À onze heures et un quart, nous arrivämes à Abou- 
Gandyr, village très-élevé, au sud-sud-est dé Nazleh. 
Du haut du monticule sur lequel ce village est construit, 
je distinguais parfaitement Médine, Nazleh, et toute la 
partie intermédiaire de la province jusqu’au lac. Une 
branche du ruisseau qui vient de Minyeh, passe auprès 
d'Abou-Gandyr; et comme les eaux arrivent jusque-là 
toujours au niveau des terres, elles forment, en tombant 
dans POuädy, une chate d'environ 10 mètres, phéno- 
ène inconnu dans le reste de l'Égypte, où l’établis- 
sement de machines mues par des eours d'eau serait 
d’une si grande utilité pour l'irrigation. Mon condacteur, 
cheykh A’ly, trouva à Abou - Gandyr son frère cheykh 
O'imân, chef des tribus établies autour de ce village. 
Nous ne nous arrêétâmes qu’un quart d'heure dans son 
camp, pour prendre le café, et nous continuâmes notre 
route par la direction sud-quart-sud-ouest, emmenant 
cheykh O’tmân avec nous. À midi et an quart nous 
rentrâmes dans le désert, dont le sol, plus élevé que 
la terre cultivée , présente un sédiment terreux mêlé de. 
sable jaune, couvert de morceaux de pierres calcaires. 
Nous étions sur une espèce de plateau, dont la pente 
insensible s'étend, en descèndant au nord-ouest , vers 
le Qasr - = Ociouns et au sud-est, vers le village et le: 


MÉMOIRES. 2717 


ruisseau de Garâh. Au sud-sud-ouest , la pente se pro- 
longe insensiblement et à perte de vue en montant. 

A une heure moins an minutes , nous arrivâmes à 
une hauteur isolée, qu’on appelle Koum-Gar4h b’ta el- 
Malat, ou Wedynet- Ma’dy. J'y reconnus des ruines 
considérables d’une ville qui s’étendait tout autour dans 
Ja plaine. Je montai sur la hauteur , et je vis le lac Garâh 
dans le bas, au sud, à environ une demi-lieue. On me 
fit appercevoir au loin, dans le sud-sud -ouest, deux 
montagnes, entre lesquelles sont les deux Rayän et le 
chemin pour aller à la petite Oasis, dont je parlerai 
plus bas. À Vest-quart-nord-est , la montagne se prolonge 
jusqu'à la gorge d’Haouäârah. Au sud-est, on voit le 
village qui porte le nom de Medynet el-Garäh. Le revers 
de la montagne qui sépare la vallée de Garâh de celle 
de l'Égypte, forme une pente douce et facile. 

Nous quittâmes les ruines de Medynet - Ma’dy à une 
heure et demie , et nous descendimes dans un bas-fond 
de terre végétale légerement recouverte de sable. Cette 
terre, quoique déserte, serait susceptible de culture ; cat 
il y croît spontanément et sans aueun soin, une grande 
quantité d'arbres et de plantes diverses. 
= Un canal, dont les bords sont cultivés’, coule dansteé: 
bas-fond, et va porter ses eaux au sud dans le lac. Nous 
remontâmes ce canal jusqu'à Medynet-Garäh, où nous 
arrivâmes à trois heures après midi. Ce village est en- 
touré d’une muraille pour sa défense; mais son intérieur 
présente un aspect misérable: on y trouve une maison de 
mamlouk entièrement ruinée, Les alentours ne sont pas 
plus agréables. Bien différent des villages d'Égypte , qu'on 
reconnaît de loin aux nombreux palmiers dont ils sont 
entourés, Medynet-Garâh n’a pas un seul arbre dans 


278 MÉMOIRES. 


ses environs, et ne présente que l'aspect de la nudité 
la plus affreuse. J'y restai pour passer la nuit : je voulais 
voir les Xaouâm el- Ouazazé , Arabes dépendans des 
Sammalous, qu’on m'avait signalés comme de rusés 
voleurs dont je devais me mélier. Je ne sais si la pré- 
sence de cheykh A’ly et de cheykh O’tmän leur en 
imposa; mais je sortis de leurs mains sans avoir à m'en 
plaindre. Ils me parlèrent avec plaisir du Modabber Girard, 
qu'ils avaient vu et accompagné dans son voyage deux 
ans auparavant. Leur cheykh Kramné m'offrit ses services 
pour me conduire au lac qu'ils appellent Garëh b'ta el- 
.Gharag , distant du village d'environ deux heures de 
chemin au sud. Je les acceptai; mais je renvoyai cetle 
visite à l’époque où je me rendrais à la petite Oasis, 
voyage dont j'avais conçu le projet depuis que je connais- 
sais les détails et la situation de cette île du désert. 
J’allai seulement avec lui visiter des débris informes qui 
portent le nom de Deyr Zagkhäoueh b’ta el-Ghærag, 
et dont la position est à environ une lieue de distance 
du village par la direction sud-quart-sud-est, 
Nous partimes de Gharaq le 20 nivôse [ro janvier], 
à huit heures moins un quart du matin , et nous en- 
trâmes à Sennoures, petit village fermé de murs , autour 
duquel sont campés Îles Arabes de la tribu de Ma’rabyn; 
sur la rive droite du-canal, vis-à-vis de Gharaq. Diri- 
geant ensuite notre route au nord-est, nous trouvâmes 
plusieurs langues de désert coupées par des parties 
susceptibles de culture. À neuf heures et demie, nous 
traversâmes le petit canal qui va se jeter dans l’Ouädy 
au-dessous d’Abou-Gandyr, et nous arrivâmes sur l’autre 
bord à l’origine de la belle digue dont j'ai déjà parlé, et 
dont j'ai fait connaître l'usage en expliquant le mou- 
vement 


MÉMOIRES. 279 


vement général des eaux dans la province. Je vais 
actuellement en donner des détails. 

Cette digue, toute construite en briques cuites ou en 
pierres de taille solidement liées à mortier de chaux et 
ciment, présente l'aspect d’un de ces grands ouvrages, 
objets constans de la sollicitude des gouvernemens sages 
pour l'intérêt des hommes ; elle a 6 mètres d'épaisseur 
dans le haut, sur autant de hauteur en aval. Elle est 
renforcée d’épis et de contre-forts; et, malgré ces pré- 
cautions , elle a été rompue vers le milieu, près du village 
de Sedmoueh, sur une longueur de 60 mètres. Cette 
rupture paraît devoir être attribuée seulement à la force 
des eaux, et non à une destruction opérée par les hom- 
mes; car on voit encore les gros blocs de maçonnerie 
<mportés au loin en aval. Peut-être pourrait-on dire, et 
je partage assez cet avis, qu’une aussi grande rupture 
est due à la négligence apportée dans la réparation du 
premier dégât occasionné par les eaux; car il a suffi 
d'une légère infiltration pour opérer à la longue toute 
cette dévastation. Depuis cette époque la digue n’a plus 
de but , les campagnes de la vallée de Gharagq sont incultes, 
et les eaux vont par l'Ouädy inonder en pure perte les 
terres depuis Nazleh jusqu’au Birket-Qeroun. 

Le dessus de cette digue est souvent interrompu par 
de petits ponts, dans l’ouverture desquels on a pratiqué 
des déversoirs , destinés sans doute à régler la hauteur 
des eaux, lorsqu'elles couvraient la vallée de Gharaq. 
Cette circonstance détruit l’assertion des Arabes, qui 
prétendent que l’Ouädy n'existait point avant la rupture 
de la digue. Les eaux qui passaient sur ces déversoirs, 
devaient nécessairement se rendre par un canal dans le 
Birket-Qeroun; seulement, il pouvait être moins large 

L 7° Liv. | 19 


280 MÉMOIRES. 


qu'aujourd'hui. La digue fait plusieurs contours suivant 
les inflexions du terrain, et se prolonge à l’est, sur une 
Jonguear d’environ 8500 mètres, jusqu’au village de 
Defennoû , où elle se termine. 
_ Déjà notre approche avait été signalée au village de 
Minyeh, où résidait le grand cheykh Abou-Sâleh, père 
d’A’ly et d'O’tmân, mes compagnons de voyage ; et bien- 
tôt nous vimes paraître leur troisième frère Groubeh, 
qu'Abou-Saleh envoyait pour nous féliciter de sa part 
sur notre heureux retour. Ce bon vieillard vint lui-même 
à notre rencontre , et, s’arrêétant à cent pas de nous, ül 
descendit de cheval et se dirigea vers moi à pied; je lui 
rendis aussitôt le même honneur , et nous nous avançâmes 
seuls l’un vers l’autre , chacun en avant de nos groupes. 
Cheykh Aly jusqu'alors n'avait quitté mes mouvemens 
qu’une fois et malgré lui, lorsque je le laissai à l’ex- 
trémité da Birket - Qeroun, et que je courus seul au 
Qasr ; cette fois il ne me suivit point, retenu par le res- 
pect qu’il portait à son père, à qui je témoignai toute 
ma satisfaction d’avoir eu pour compagnons, un homme 
tel que son fils, et des Arabes courageux et fidèles , tels 
que ses braves Sammalous, Je m’aperçus qu’il était sensible 
_à mes éloges, et dés ce moment la confiance s’élablit 
entre nous. Nous remontâmes à cheval: Abou-Säleh se 
tint à ma droite, ses trois enfans derrière; et nous fimes 
ainsi une espèce d'entrée triomphante à Minyeh, sur 
les dix heures et un quart. La population entière s'était 
portée sur notre passage, et les femmes firent entendre 
leurs ululations, signe ordinaire d’une grande joie. 
Abou-Sileh habitait à Minych une maison assez vaste, 
qui fut bientôt remplie d’un grand nombre de convives 
de tous les rangs, À peine assis sur les divans, Abou- 


MÉMOIRES. . 28t 


Saleh me présenta tous ses enfans, parmi lesquels j'en 
remarquai un de neuf à dix ans , auquel il témoignait une 
affection toute particulière : cet enfant, d’une très- jolie 
figure, montait à cheval, se servait de ses armes aussi 
bien que le Bédouin le plus expérimenté , et montrait 
une vivacité de caractère qui plaisait beaucoup à son 
père. Je dis à Abou-Säleh que , sans le connaître, j'avais 
remarqué dans la plaine la bonne mine, la souplesse et 
la dextérité de cet enfant. Nouveau Jacob, Abou-Sileh, 
ému par les louanges que je donnais à son fils bien-aimé, 
m'en témoigna sa reconnaissance d’une manière qui pa- 
raîtra incroyable dans nos mœurs, mais qui est une 
conséquence de leurs idées sur l’esclavage ; il m'offit 
cet enfant, me disant que je pouvais l'emmener et 
V'attacher à mon service. Je lui répondis que j'étais sen- 
sible à cet offre, mais que son fils ne serait jamais 
aussi bien et qu'il dégénérerait sans doute dans d’autres 
mains que les siennes ; que d’ailleurs j'avais aussi en 
France un fils comme le sien, sur qui reposaient toutes 
mes espérances, et que, connaissant tout le prix de ce 
bienfait du ciel, je me reprocherais d'en avoir privé celui 
que désormais je voulais regarder et aimer comme mon 
père. Il leva les yeux au ciel, et le remercia de lui 
avoir fait trouver en moi un véritable ami. 

On croira, peut-être, que je me plais à peindre ici 
une scène d'imagination, ou que du moins je m’efforce 
à lui donner quelque intérêt. La vérité est que je rapporte 
exactement ce qui s’est passé, et que je rends notre 
conversation presque mot à mot, telle qu’elle se trouve 
dans mon journal, où je l'insérai le soir même; mais 
je dois dire aussi, pour l'explication de ces sentimens 
d'amitié qu’Abou-Säleh paraissait vouloir me témoigner ,. 


282 MÉMOIRES. 


que, me regardant, à cause dé ma qualité de modabber, 
comme un personnage très - important , il voulait me 
déterminer à faire rétablir la digue et ses déversoirs. Je 
lui parlai de l’état actuel de ce monument comme d’un 
grand malheur, qu'il entrait dans les vues des Français 
de réparer le plus promptemént possible. Dans un mou- 
vement d’effusion et de reconnaissance , il m'assura que 
je pouvais disposer de lui et de toute la tribu des Sam- 
ralous , qu’ils m'accompagneraïent par-tout où je voudrais 
aller, et qu’ils répondaïent de moi à la vie et à la mort, 
Je profitai de ce moment pour reparler de mon voyage 
à l'Oasis ; il me confirma l’exactitudu de tous les ren- 
seignemens qui m'avaient été donné à Médine et à 
Nazleh , et m'assura que lorèque je lui aurais fait connai- 
tre le jour de mon départ, je trouverais tout disposé 
pour faire cette excursion avec sûreté et agrément. Voici 
les détails que j'ai recueillis sur ces Oasis, et la manière 
dont nous convinmes de faire lé voyage. 

L’el-Ouäh situé à la hauteur du Fayoum , et désigné 
dans toutes les anciennes cartes sous ke nom d’Oasis 
parva, est à trois journées et dernie au sud-ouest de 
Médine. C’est un petit vallon, dans lequel on trouve 
plusieurs sources d'eau chaude et d’eau froide. La popu- 
lation se compose dé quatre villages contenant thacun 
cent cinquante à deux cents\ habitans , qui cultivent 
beaucoup le dattier, dont ils font leur principal comnrerce. 
ls, ont aussi du xiz, du dourah , ét quelques arbres 
fruitiers, tels que figuiers, bananiers, orangers et gre- 
nadiers ; mais ils n’ont pas de blé. Ils transportent’ ou 
font transporter par les Arabes Æoby &e là Babyÿreh le 
superflu de leurs denrées au Fayoum ét au Kaïre , et ils 
les échangent pour des toiles, du fer et du blé. Ë n'y 


MÉMOIRES. __. 283 


a dans cette Oasis ni chevaux ni moutons, vraisem- 
blablement faute de pâturages. Le climat en est très-malsain, 
parce que les vents du sud, de l’est et de l’ouest, qui 
traversent d'immenses plages de sable, y apportent un | 
souffle chaud et empoisonné , de la nature du kbhamsyn 
d'Égypte : aussi les hommes y sont d’une très - petite 
stature, toujours malades, ou ont l'apparence d’une 
très-mauvaise santé. 

_ Pour se rendre de Médine à el-Ouâh, on doit passer 
au lac Garah. On trouve, à deux heures au sud de ce 
lac, deux puits appelés Rayän el-Kebyr et Rayän el-. 
Soghayr , auprès desquels on voit un monument sem- 
blable au Qasr - Queroun. Il reste ensuite à traverser , 
‘dans la direction sud-ouest, deux journées et demie de 
déserts dans lesquels on ne rencontre ni puits, ni aucune 
trace de végétation. | 

Je devais faire le voyage avec cinquante Arabes portés 
sur vingt-cinq dromadaires chargés des alimens et de la 
boisson nécessaire pour les deux hommes, ainsi que 
pour l'animal , qui traverse sans boire tout le désert depuis 
le dernier Rayän jusqu’à el-Ouäh: les hommes boivent 
à Gardh et aux deux Raydn, où ils remplissent seule- 
ment une outre fort petite pour alléger la charge de 
leur dromadaire ; aussi ne boivent-ils qu’une fois par jour. 
Cheykh A’ly et moi devions monter chacun un cheval, 
et deux chameaux devaient porter le bagage, les vivres 
et trois outres d'eau, une pour chaque Rene etlune pour 
nous deux. 

Quaut à l'Oasis d'Ammon, connue sous le nom de 
Syou&k , la route est à l’ouest du Qasr-Qeroun. On monte 
là montagne à gauche, et l’on suit toujours à l’ouest. 
Sept jours et demi de marche séparent cette Oasis de 


284 | MÉMOIRES. 


l'el-Ouäh, et lon ne met que dix jours en partant de 
Médine. On trouve au bout de quatre jours de marche 
un Jac d'eau douce appelé Magrara. On doit remarquer 
que ce lac répond à la même distance de Médine que 
J'el-Ouâh, et l’on pourrait en conclure que ce lac est 
dans un bas-fond qui fait suite à celui de l’Oasis. Trois 
jours après, on arrive à un puits d’eau saumâtre nommé 
Hegé. Deux journées plus loin, on rencontre quelques 
huttes habitées, et enfin l’on arrive le lendemain au 
Syouäh. | 

Une outre suffit dans ce voyage à deux hommes pendant 
quatre jours, et une outre par jour pour chaque cheval. 
Les chameaux boivent au lac, au puits Hegé , au Syouäâh, | 
et ne boivent point dans l'intervalle d’une station à l’autre. 

Les distances ne sont appréciées dans ces détails que 
par les journées de marche, j'ai tenté quelquefois de les 
fixer d’une manière ‘plus certaine ; maïs cela me fut tou- 
jours impossible. Si je demandais combien’de lieues on 
compte depuis le Rayân jusqu’à el-Ouâh, les Arabes me 
répondaient : « Une seulement. » Lorsque j'en venais 
a l'explication, ils me disaient: « On ne compte pas 
» dans le désert comme dans le pays cultivé, où les 
» lieues, malagak, sont toujours la distance d’une station 
» à une autre. Dans le désert, on compte par le temps. » 
Mais. si je leur demandais combien on compte d'heures 
de marche, ils me répondaient: « C’est suivant la longueur 
» du jour: » car ils comptent douze heures depuis le 
lever du soleil jusqu'a son coucher, quelle que soit 
l'époque de l'année, ce qui fait que Pheure n’est LPO 
une quantité fixe. | 

On servit le diner, qui mit fin à l'intéressante conver- 
sation aie j'avais eue pendant plus dé deux heures ave 


MéMoInrnezgs. 285. 
Abou-Säâleh, ses fils et ses Arabes ; après quoi nous nous. 
séparâmes très-satisfaits l’un de l’autre, avec. promesse 
mutuelle de nous revoir bientôt: mais cette promesse. 
n’a malheureusement jamais pu être effectuée ; les évé- 
_ nemens rompirent tous mes projets, et je n’ai plus revu 
ce bon cheykh, à qui j'avais déjà voué une us 
affection. 

Cheykh A’ly et moi nous repartimes de Minyeh à une. 
heure, nous dirigeant sur Médine par le nord-est; nous . 
passâmes au village de Ga’freh à une demi-heure de 
distance, laissant Defennoû sur notre droite. Un quart 
d'heure après, nous arrivâmes à Atamneh, et ensuite à 
Etsä, villages qui se touchent. De là, nous suivimes le 
chemin entre Abousyr à droite, et Ma’sarah à gauche; 
nous traversämes Souâfyeh, nous passâmes auprès de 
Begyg, et nous rentrâmes à Médine à trois heures et 
demie, ayant toujours marché au bon ee du. cheval 
depuis Minyeh. 

La reconnaissance que je venais de terminer, avait 
entièrement fixé mes idées sur le système d'irrigation du. 
Fayoum: mais, pour bien expliquer ce système, et 
montrer comment il se lie avec ce que disent tous les 
anciens auteurs , il fallait des données précises sur la 
relation de tous les points de la province avec le régime 
du Nil et le sol de la vallée de l'Égypte. Mon intention 
était d'entreprendre , à cet effet, un nivellement depuis 
le Nil jusqu’à Haouäârah el-Kebyr, de mesurer la chute à 
ce pont , de continuer ensuite jusqu’au point de partage 
à Médine, et de conduire le nivellement jusqu’au Birket- 
Qeroun , d’un côté, et jusqu’au lac Garâh, de l’autre : 
mais je reçus quelques jours après, des ordres de me 
rendre au Kaire, et de 1à à Damiette, pour un projet 


206 MÉMOIRES. 


de route à faire entre Sälehyeh et Alexandrie. Des retards 
survenus dans l'exécution de ce projet me laissèrent 
encore l'espoir de reprendre mes opérations du Fayoum; 
j'avais même obtenu l'autorisation d'y retourner, et 
j'allais partir vers le milieu du mois de ventôse, com- 
mencement de mars 1801, avec le général Damas , nommé 
commandant des deux provinces, lorsque l'apparition 
des Anglais, et notre départ d'Égypte qui en fut la suile, 
mirent fin à tous nos travaux dans ce pays. 


CONCLUSION. 


Ce que j'ai vu suffit néanmoins pour répandre un 
grand jour sur la question de la vraie position du lac 
de Moœris, de sa forme, de son étendue et de son usage, 
Tout le monde .est d'accord sur ce point, que le lac 
de Mœris avait l’aspect d’une vaste mer, et qu’il avait 
long-temps été d’une grande utilité pour absorber les 
eaux dans Îles trop grandes crues, et fertiliser Ja vallée 
de l'Egypte dans la décroissance du fleuve. On varie 
seulement sur la position de ce lac, et l’on doute qu’il 
ait pu être fait de main d'homme, vu sa grande étendue. 

Les uns ; d’après ce passage d'Hérodote Késras de axpn 
, # Aipyn æpoc Bopens Te xœs vorey, ne cherchent le lac de 
Moœris que dans un long canal allant du sud au nord; 
et comme ils veulent lui donner les troïs mille six cents 
stades de circuit que cet auteur lui assigne, et qu'on 
ne peut trouver un canal aussi long dans la province 
du Tayoum, ïls Pont cherché et ont cru Île trouver 
dans la province de Beny- Soueyf. 

Les autres, au contraire, ne peuvent voir le lac de 
Moœris que dans le Birket - Qeroun, s'appuyant à cet 
égard sur la description détaillée de ce lac, que l’on 


MÉMOIRES. 207 
trouve dans Strabon: Oavmaçiy dé ka rs Alpevny êyes 
Tir Mospid'o re Tenayiay TÔ peyébes as TE Xp 
JaraTToed\n nai Tic ajytan8c d'é êçiv dpéy éoxoTæg Toic 
JanæTlior. 

Je n’entrerai point dans cette des qui devient 
aujourd’ hui entièrement superflue, et qui, ainsi que je 
l'ai déjà dit, a été si savamment et si complètement 
terminée par le Mémoire de M. Jomard. Le Birket- 
Qeroun d'aujourd'hui est bien certainement le lac Mœris 
d'autrefois, mais il n’en est que le bas-fond , la cunette 
proprement dite, dont l’abaissement est parvenu à son 
minimum par l'équilibre établi entre l’évaporation et Îles 
eaux qui y ‘affluent annuellement : d’où il suit qu’il 
ne faut pas comparer son périmètre actuel avec celui 
que lui assigne Hérodote. À cette époque, et encore 
du temps de Strabon, le lac enveloppait entièrement 
le nome Ârsinoite. Ce géographe le dit expressément , 
il commençait à la pente que j'ai reconnue sensible au 
village de Bayamout, et allait battre la montagne du 
côté septentrional. Cette certitude d’ailleurs est acquise 
par la grande élévation du village de Sennoures qui se 
trouvoit dans une île, par les couches de terre végétale 
que les dépôts ont laissées sur toutes la plage au nord 
du lac, enfin par les sillons horizontaux que l’on voit 
tracés sur les couches de la montagne dans toute sa 
bauteur. C'est dans le milieu de cette largeur que l’on 
voit les îles sur lesquelles étaient élevées les deux pyra- 
mides dont parle Hérodote. Le lac s’étendait le long de 
Ja montagne à l’ouest jusqu’à une très-grande distance, 
et retournait ensuite vers le sud, allant se terminer à 
la crête que j'ai vue près de Nazleh, et venant battre 
la montagne entre l'Égypte et le Fayoum. 


288 MÉMorR=s. 


- Si l'on considère maintenant l'immense étendue de 
cette développée, on ne sera pas embarrassé peut-être 
d'y trouver les trois. mille six cents stades d'Hérodote, 
ou du moins une mesure approchante; car il ne faut 
pas regarder les dimensions données par cet historien, 
comme mathématiquement précises. Il nous prévient lui- 
même qu'il ne peut affirmer comme vrai ce qu’il n’a pas 
vu, et il ne nous oblige pas de croire tout ce qu'il 
rapporte d’après les autres. Sa bonne foi dans le détail 
du procédé qu'il assure avoir été employé pour opérer 
le déblai des terres provenant du lac, nous avertit aussi 
de nous tenir en garde sur tout ce qu’il annonce lui 
avoir été dit par les prêtres d'Égypte. Strabon, qui se 
pique d’un peu plus de précision , et qui d’ailleurs devait 
être scrupuleux dans un ouvrage purement géographique, 
garde le silence sur la mesure de ce périmètre, qu'il 
n’avait pu ni voir ni apprécier avec justesse; il se contente 
de dire : Oayuagny renayiay T® ueytYes. Admirable per 
sa grandeur , semblable à une mer. 

La partie faite peut - être de main d'homme est le 
large canal appelé aujourd’hui Barh-belä-mé, qui com- 
munique du Barh-Yousef au Birket-Qeroun. C’est celui 
qu’Hérodote désigne lorsqu'il dit que son étendue va du 
sud au nord (1). | | 

J'ai trouvé l'emplacement du labyrinthe exactement, 
comme je lai prouvé plus haut, à cent stades d'Arsi- 
noé, mesure donnée par Strabon, Ileparaeucaævrs de 
Tara è® ExaTov sad'isc moe éçiv Aposrcn;et à l'origine 
du canal peu au-dessus du lac, comme le dit Hérodote, 
OAéyoy die The Aiuvnç The Moipioc. Enfin la tradition 


(t) Voyez le Mémoire sur le lac de Mæris. 4, pag. 0%. 


MÉMOIRES. 289 


populaire qui veut que la province du Fayoum ait été 
_ autrefois un golfe formé par les eaux du Nil, desséché, 
rendu à la culture et mis en état de servir à l'irrigation 
des parlies basses de l'Égypte par les soins d’un grand 
prince, tout démontre qu’il n’existe point de contra- 
diction parmi les anciens, et qu'ils ont tous décrit les 
Jieux tels qu’on les voit aujourd’hui ou du moins tels 
qu’on en reconnaît encore Pancien état. Mais, dira-t-on, 
comment le lac de Mœris a-t-il pu servir de récipient 
dans l'inondation, et de réservoir pour l'Égypte dans 
la décroissance du fleuve ! Il serait difficile, je dirai même 
peut-être impossible , de se rendre raison de cette desti- 
nation du lac, si l’on s’en tenait à ne voir l’entrée et la 
sortie des eaux que par le même orifice; mais Strabon parle 
positivement de deux ouvertures, opus apaporipeig y 
par l’une’ desquelles l’eau entrait, tandis qu’elle sortait 
par l’autre. | nu 

On doit se souvenir que l’eau tombe dans le Fayoum: 
par une chute pratiquée sous le pont d'Haouârah el- 
Kebyr, et que le lit du canal qui la reçoit est le 
rocher pur; sa hauteur n’a donc par varié. A l’époque 
de la plus grande étendue du lac de Mœris, c’est-à-dire, 
immédiatement après le desséchement du golfe, le 
niveau était évidemment inférieur à celui du sol de la 
province : or nous avons vu que le canal en domine 
la superficie, puisqu'il est sur la ligne culminante que 
forme l'intersection des deux plans’ versans ; les eaux 
ne pouvaient donc pas “retourner dans l'Égypte par 
l'ouverture d’Haouârah el-Kebyr. Cette ouverture n’a 
jamais pu servir, ainsi que le dit la tradition, que de 
déversoir pour dégager la haute Égypte de la trop Er 
quantité d’eau qui nuisait aux terres. : 


290 MÉMOIRES. 


On a vu, page 264, que la partie septentrionale du 
Jac présente l'embouchure d’une vallée qui communique 
à Gyzeh ; cette vallée devait donc nécessairement for- 
mer la seconde ouverture par laquelle on donnait passage 
aux eaux , lors de la baisse du Nil, pour aller fertiliser 
les terres de la basse Égypte, dont. le sol est de beau- 
coup inférieur à celui de la haute Égypte. 

Ainsi s'explique naturellement la manière dont les eaux 
entraient dans le lac de Mœris et en sortaient. Détournées 
de la branche du Nil qui formait l'ile Héracléotique du 
côté de la chaîne de Libye, par le canal de Joseph, 
elles fertilisaient d’abord le nome Arsinoite, et leur 
excédant tombait dans le vaste lac qui enveloppait ce 
nome, par le canal qui se dirige du sud au nord et 
passe au pied du labyrinthe. Elles étaient retenues dans 
ce lac à la hauteur des grandes crues, et venaient, 
pendant la décroissance du fleuve, par un autre canal 
également dirigé sud et nord vers Memphis , arroser les 
terres de la basse Égypte, sur lesquelles l’abaissement du 
sol permettait qu’elles se rendissent. 

Tels sont les résuliats de mes travaux, et les consé- : 
quences que j'ai tirées de l'inspection des lieux, pendant 
le peu de temps que j'ai passé dans la province du 
Fayoum. Je suis convaincu que les opérations qui me 
restaient à faire , m’auraient fourni des preuves mathéma- 
tiques de l'opinion que j'avance. Je regrette de n'avoir 
pu les terminer, et je desire que quelque Européen 
inspire un jour assez de confiance aux gouverneurs et 
aux habitans de ce pays pour pouvoir les entreprendre 
avec succès. 

Les détails que j'ai promis, dans le cours de cette 
Description sur les Arabes du Fayoum et de Leny-Soueyf, 


MÉMOIRES. 29t 
pouvant , dans celte hypothèse, être d’une grande utilité, 
je me suis fait un devoir de les donner, afin de ne 
rien laisser à desirer sur ces provinces intéressantes. 


Nota. Ce Mémoire fait partie de ceux composant la 
Description de Égypte » publiée par ordre du 
Gouvernements 


Û 


TABLEAU 


292 


 — 


MÉMOIRES. 


TAB: 
DES ARABES DE LA |: 
rene = 
NOMS DES TRIBUS, NOMS 

de | 

: LEURS CHEYKEHS. 
GÉNÉRAUX. PARTICULIERS. 

Le 
Kaouàm-el-Ouazazé À Kramné, ..., 4 
Manassé. CRC CT: Sälem-Goreby. 1: Ê 
Hout. ..oersure ss: . 

Byns....s.ouv. et 
Ù Häggÿ Mahamed..... L 
Roumlât....... M Mohamed Æ’bé-allah. | | 
Kämil-e!-Houmoudât.f Æoñeym, . +. ......{ | 1 
fu 
den= DL 

SAMMALOUS. T'iden Huseyn. . | 
rs Solymän-Scdé. 0 À 

_S4 Haouaté, 5... à 
Abou-Sâleh > grand | RE 

Cheykh, à Mipyeb. | 

Näsr-Fousef. ee... li 
| | Seyd-Dik. ee. 00°" à 
Ginoda.. es essor: Ga 
n Abou-el-Qäsin. ee. Le 
Fergân. «.oes-. 4€ Giébly Æ’bd=allah. || i 
Abou-Zeyt Æ’bd-alah, | | | 
Moubérek. .,.. .....||l! 
re a 

| 
en = & 


l 


L'EAU 


MÉMOIRES. 


PROVINCE DU FAYOUM. 


VILLAGES 
où 
IL$ SÉJOURNENT. 


Gharaq el-Toutoum... 
Abou-Gandyr,. ..,.. 
Seunoures. ... 


TR rÉSiS se 


Toutioun,....e.ee 
Tale ess tés at: 
E’douek. . 0000. 
Ma”sarah. .,,....0: 
| Maslouk.. .,,...,.,. 
| Sersené. .e ... 

| Gebeleh, ..,..,,:,. 
| Matartâres. . «, 
Bâhy-Amoun, . - 
ANT RTE 
FR EUNES 
_Roudah,.......,.. 


ToTrAUx.. 


- 


| 
1 


NOMBRE 
D'HOMMES. 
R. “./ 
à cheval. 
70 100 
40 70 
60 100 
30 79 
70 190 
200 
00 200 
20 
09 910 


NOMBRE 


165 
165 


170 


20 


DE 


nn Q 
‘hameaux.| moutons. 


1009 


1000 


1000 


1500 


1000 


203 


| 


.1 


ee 


294 MÉMOIRES. 
DE BENY-SOUEYr nr 


: TAB 1H 
DES ARABES DE LA PRO FIXC 


0 ——— + ee me me. 
ms 


NOMS DES TAIBUS, NOMS 
| Le | de 
GÉRÉRAUX. PARTICULIERS. LEURS CHEYKKS. 


A’bd-el-Emya....., 
Sélem-Aboudyär . .., 
Metterid 0: 

Outanât........ À Mahamed-Goreyb..,, 
: Billedy .....,,,.: 


Oulat-Hamydeh. .. { 


| ; Masa’-Essé, ,,.:,: 
DA’FÉ.. ose Nalàt-Sa”yd,. sos À A'hbâs...,...1,,, 
: É Amr-Habbany. 00: 
: Siderât..«.. 0. + M Aboubekr ....,.,., | EE 
Fausef-Abouzeyt..,. 
El-Qsyd. 00. Abd-Mouc’et, CET , Lu 
Sakas-el-dyn. 00: 
) : TIbrahym=Zeieta, ..,.|||} 
Nolât-Yezyd. .. 1 Loteyf, eos osos:: . 


Fousef-Hamät. .1,.…. 
“Æouät . ee... eg ect 
Æbd-el=Qader .:.…. 
Æ'bd-allah-Sourouf, .: 
#’bd-cl-Rahman...: 
n r à Are ses vs ses 
SA BNE,..45..: Sa'dné,. ,5..0..0: EI-Nedrak. : . os: 
Zayté, , CCC EEE 
Hasan-Æ’ly-Souell... 
Aly-Rastän , , ou: 
Ahmed=-Alansour.., 1: 
Æloust-Giouma?., . , | 
El-Seyd, ,..o.0.1! 


ET DU FAYOUMs 


LEAU 


| 


VINCE DE BENY-SOUEYF. 


ie "y . 


VILLAGES 
. où 


tLS SÉJOURNENT 


Abousÿr .,.,.+.,.: 
A’ouâouneh..,. 


Eïifoueh. EN 10 KA 2 
Meydoun. 7%. 


E 
ÉTÉ 
. 
" 


ae ns .…. 


1 El-Häfer. . es 


Meymoun.-.,... 


 Bonafsyn. PR TL 


Saft-Meydoun .,.. 


TOTAUX,.. 


Beny-A? dy. . 

Abousyr...... 
1 Menfast.. ET 
LE On. 0: 2 0 . 

Su . 


Meymoun,... 
Hagar...... . 


HAS dt eue 


MÉMOIRES. 


209 


NOMBRE NOMBRE 
D HOMMES. DE 
a À mu 
à cheval à pied. ‘hameaux | moutons. 
100 20 
100 20 
62 15 
16 15 
42 n 
130 30 
452 
102 1 87 


| 
| 


200 MÉMOIRES. 
L DESCRIPTION DE BENY- 


NOMS DES TRIBUS, NOMS 
de 


LEURS CHEYKHS. 


L l 


GÉNÉRAUX. 


PARTICULIERS. 


Girré soso se: 
Fousouf-Abou-Souen.. 
Abd-Rabou. ., ... 

Ismayl-Giassi. ex 
À Mahamed-Aa’ouny. . . 


4 Farayät. ...... 
- Kassadoué .,...,.. 
Y anene. eee œ te © 


Mahalyf.......: 


K & . Mahamed-4’bd-A’myd, 
, F REBEMSEÉe soso À Kazouné-O’mar.. . .. 
KO'LLY. 0... 0.\ Mahmoud-Sagyeh. e . « 
Agâr.. coco Ê Noukhar. . eee ce. 
Ferebyt . ses). 
| El-A’lêmes, soooes { AÆly=lbräbym, es à 5 : j 
| | E’id-Mohtér ,. +: 
Sananga......... ss... 


; A bau-Oué, .... 


: < Y + Es ie" 
ae mm ln mt me mm me 


Solymän-Abou-Nay + 


à ss 


Akhmei- Abou=Dyéb, . 
. Massariga.,. . ....,4 ÆMalunoud-Giouma”. . , 
| Hasan-Akhmet. . .., 


MASSARIGA....: 


, Fargâl..«.,. 0 

Ou'âd Heneh..,,. 
E'-Homour...eu« 
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Ouläd Giabr. ,..,, 
Za’ouneh.,....,e 


Ahmed-Hamzah . ... 
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MÉMOIRES. 297 
ut SOUEYÉ ET DU FAYOUM. 


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ToTAUx. ...” À 6: 


298 | Mémoires. 


AAA IAA ANA AR RAARANARAE 


vw 


NOTICE 


SUR LES PRINCIPAUX QUADRUPEDES 
dd QUI SE TROUVENT 


AU NORD DE LA SYRIE, 


Par M. CORANCEZ, 
Ancien Consul à Alep , Membre correspondant 
de la Société royale d'Arras. 


FH. à 
| 


Rx n’est plus sec.qu’unitinéraire des régions reculées 
de lorient. Les lieux n’y offrent guère d'intérêt que dans 
le passé. La description de leur état actuel se réduit 
trop souvent à leurs noms, à celle de quelques ruines; 
mais ces ruines sont placées sous le plus beau ciel. Ce 
don de la nature, répand sur le sol qu’il féconde , sur 
les animaux qui Phabitent, la plus heureuse influence. 


De là, la supériorité de plusieurs races de ces animaux 
sur les nôtres. Une autre cause ajoute à cette différence, 
<t modifie en orient les mœurs des animaux domestiques: 
Chez les peuples nomades de ces contrées, les animaux 
forment avec l’homme une société plus intime. Aussi 
leurs mœurs sont plus douces, leur intelligence plus 
développée. D'un côté, leurs rapports avec l’homme 
donnent à leur instinct plus d’étendue ; de l’autre, l’in- 
. fluence du climat ajoute'à leurs formes plus de beauté 
et d'élégance. 


MÉMoIRxs. 299 


C’est surtout dans la race du cheval que se développent 
ces heureux résultats. Celle des Arabes est la seule qui 
se conserve pure en se multipliant parmi des individus 
de cette race elle-même. Elle serait dégradée par le 
mélange des autres. Celles-ci s’embellissent , au contraire, 
en se croisant avec elle. Aussi est-ce une preuve sans 
réplique de la supériorité et de l'excellence des chevaux 
Arabes. | — 

Leur patrie paraît étre le grand désert qui, placé 
au sud de Damas, sépare la Syrie des rives de l’Eu- 
phrate et des montagnes au centre de l'Arabie ( 1 }. 
* Ge désert est le domaine des norgbreuses tribus réunies 
en apparence par des mœurs semblables, séparées en 
effet par ces mœurs elles-mêmes qui ne permettent pas 
qu’elles se confondent par le mariage. Elles possèdent 
des races de chevaux distinctes les unes des autres, 
comme elles le sont elles-mêmes. Les plus estimées 
sont celles du Neilg et des Agneseh. Celle-ci est plus 
haute, elle a les formes plus élégantes, les membres 
plus minces et plus alongés. L'autre est plus épaisse, 
‘ mieux taillée en force, et préférée pour ces qualités 
par les Osmanlis. 

On sait que les Arabes ont soin, à la naissance de 
chaque poulain, de constater par des certificats, la 
tribu du père et celle de la mère (2); qu’en vendant 


+ ee dar te 


| (1) Bruce dit avoir observé de très-beaux chevaux dans le 
royaume de Sennaar, parmi les tribus Arabes des bords du 
Nil. Mais il est le seul Européen qui les ait observés. 


- (2) Pour constater la race.et la naissance du poulain, les. 
témoins sont appellés au moment où l’on amène l’étalon pour 
couvrir la jument. On dresse ensuite le certificat, et l’on a 


- 


300 MÉNOIRES. 
une jument, ils ne vendent qu’une partie de sà pro- 
géniture, et s’en réservent une autre. De là, le prix 
très-élevé de leurs jumens relativement à celui des 
chevaux. Ïls montent les premières dès l'âge de trois 
ans; ils attendent beaucoup plus tard pour les étalons. 
C'est ce qui a donné lieu à ce proverbe, qu'il faut 
monter les jumens encore si jeunes, qu’elles tombent 
sous le cavalier ; qu'il ne faut monter les chevaux que 
quand ils sont assez vigoureux pour jeter le cavalier à 
terre. 

Tandis que les Arabes préfèrent pour leur usage Îles 
jumens aux chevaux entiers, ceux-ci sont plus estimés 
par les O<manlis. Les premières sont plus douces, plus 
sobres, plus attachées à leurs maîtres. Files supportent 
plus aisément de grandes fatigues. Les chevaux, au 
contraire, présentent dans leurs mouvemens, plus de 
vivacité et d'éclat; mais on peut dire que ces mouve- 
mens brillants sont pris aux dépens des mouvemens 
utiles; car l'animal plein de feu consume dans des 
bonds inutiles, sa force qu'il ‘a bientôt épuisée. Les 
jumens, plus calmes, calculent leurs moyens, et ne 
les déploient que pour l'utilité du maître. Franquilles 
au commencement de la carrière, elles s’animent 
davantage 'à mesure qu’elle se prolonge. C’est par cette 


pt oermererenlinnserellne 


soin de la boucler pour qu’elle ne puisse pas recevoir un autre 
étalon. Cet nsage, au surplus, quoique général dans les tribus . 
Arabes, n’est pas pratiqué dans toutes avec les mêmes forma- 
lités, Parmi les Neïlg, on se contente ‘d’appeller les témoins 
Torsque la jument est couverte, pour qu'au mement où Île 
poulain sera vendu, ils POUsEREE certifier la race en pèce et 


celle de la mère. 


MÉMOIRES. $or 
qualité particulière aux races Arabes, qu elles. inénagérit 
leur haleine , qu'elles s’animent en galopant, qu’elles 
fournissent enfin un galop dé plusieurs heures : bien 
différentes en cela , des chévaux entiers , qui les devancent 
d’abord, qu’elles rejoignent ensuite, et qu’elles ‘laissent 
enfin bien loin derrière elles, sans qu ils puissent les 
atteindre encore. | 

Le blanc, le gris ét ses diverses nüâñces , sont les 
couleurs dominantes dans les races Arabes. Le manteau 
bai n’y est pas très-cornmun; le noir est le plus rare de 
tous. Les Arabes méprisent les chevaux dont le corps est 
d’une couleur plus foncée que les jeiibes, La situation 
de\celles qui diffèrent du manteau dé l'animal, les épis 
que forme le poil sur le poitrail, lés tâches au chanfréin ; 
en un mot, tous les accidens et les variétés de couleut 
dans le manteau sont pour les Orientaüx l’objet d’une 
étude particulière, d'autant pltis importante , qu’ils croient 
ÿ trouver le pronostic des événemens que le sort réserve 
au cheval et À soh maître. Chez des Peuples errans, 
qui ne vivent guère que de pillage , la fottune du cavalier 
- est toujours attachée à celle du cheval. Ainsi se forme 
le préjugé qui met à celle-ci tant d'importance, et les 
règlés que l’on a voulu établir pour la deviner dns 
l'avenir. | | 

Ce n’est pas là le seul préjugé des Arabes relativement 
à leurs chevaux. Ils prétendent aussi que ce noble 
animal a la faculté de’ découvrir de loin l'ennemi de 
son maître; qu'il reconnait, par la force de son odorat, 
les embuches de l'assassin caché pour le sürprendre ; 
qu'il l'en avertit par ses hennissemens; qu’enfin, il 
refuse de marcher si lArabe, iméprisant ses avis, veut 
continuer sa route. Ainsi, chez ce peuple pasteur, le 


502 MÉMOIRES. 

cheval n'est pas seulement l’ami de la famille, le com- 
pagnon du maitre; c'est encore à ses yeux, un être. 
intellisent qui veille à sa sürelé. Ce préjugé mérite 
d'autant plus d’être remarqué, qu’on en retrouve des 
traces en orient dès la plus haute antiquité. C’est aînsi, 
que la couronne de Perse, disputée par plusieurs pré- 
tendants, fut le partage du possesseur des étalons qui 
avaient donné, au lever du soleil, les premiers bennis- 
semens. . 

On a beaucoup parlé de l’excellence des chevaux 
Arabes. Ils ont, en effet, dans leurs formes et dans. 
leurs mouvemens, une élésance, une noblesse qui 
n’apparliennent qu'a eux. Cette élégance est d'autant 
plus remarquable, qu’elle existe dans l’ensemble et que, 
le plus souvent, elle manque dans les. détails. Il n’est 
pas rare qu'ils aient les jambes de devant trop basses , 
le corps trop court, la tête et la croupe;du mulet. 
Malgré ces défauts, leur supériorité est bien reconnue. 
Us sont vraiment la race primitive. Ils présentent Le type 
de l'espèce. Au lieu que nos chevaux, plus beaux peut- 
être daus les détails , offrent en quelque sorte, l'ouvrage 
de l’homme par le croisement des races, par le résultat 
du manège; les chevaux Arabes, qui n’ont, point d’allure 
grctice, dont le sang est pur et sans mélange, sont 
l'ouvrage de la nature. Ils ont conservé ce charme qui 
est particulier à tous ceux de ses ouvrages que l’homme 
n'a pas altérés et façonnés à son gré. 

Ce noble animal a le désir d'apprendre et de. deviner. 
en quelque sorle la volonté de son maïtre. Mais une 
lecon trop longue et les châtimens le dépitent. Il y 
contracte des vices qui deviennent difficiles à corriger. 
Quelques chevaux Arabes ont naturellement des. allures 


MÉMOIRES. 803 
relevées. Les Osmanlis les préfèrent aux autres, quoi- 
qu'ils ne cherchent pas à les former à ces allures. 
L'exercice qu'ils font faire à leurs chevaux, en les 
arrétant tout court, au milieu de la course la plus 
rapide, les ruine bientôt et leur Ôôte tous leurs moyens. 
Les Mamlouks, qui excëllent à cet exercice, emploient 
_pour cela des mors qui pèsent plusieurs livres, et dont 
la gourmette est un anneau ovale d’une seule pièce de 
fer. Les Arabes, au contraire, ne se servent pour leurs 
chevaux , que de mors très-légers et tres-minces. 

Quoique les chevaux Arabes ne soient pas rares en 
Syrie, les habitans du désert sont si jaloux de la pos- 
session de leurs étalons, et surtout de celle des jumens, 
qu'il est difficile d’en acheter de très-beaux. Alep et 
Damas sont les lieux les plus convenables pour cela; 
Damas surtout, a de certaines époques dans l’année 
où les tribus se rapprochent de cette ville. On peut 
alors se hasarder à aller parmi ces tribus pour y faire 
soi-même ses achats. Si les Arabes consentent à se 
défaire de leurs jumens, ce n’est qu’à des prix si élevés 
qu'il est impossible de les atteindre. Il n’est pas rare 
qu'ils en demandent jusqu’à cinquante ou soixante 
bourses, quinze ou vingt mille piastres. Souvent , après 
avoir terminé Île marché le plus avantageux pour eux, 
ils reviennent sur leur parole, et ne peuvent consentir 
à livrer à des infidèles la jument chérie qui jusqu'alors 
babita dans leurs tentes, où elle faisait parlie de leur 
famille (1). 


ES 
ds \ 


(1) Les jumens Arabes sont sujettes à un élargissement de 
Ha partie extérieure de la matrice, ce qui les rend stériles, 
parce qu’elles ne peuvent plus alors garder la semence de 


0 


304 MÉMOIRES. 

" Au nord de la Syrie sont les chevaux des T'urcomans. 
À l'est, sont ceux des Courdes, plus minces que ces derniers; 
ais plus épais que ceux des Arabes. Les chevaux des. 
Turcomans ont le poil long , les membres épais, lencolure 
renforcée. Souvent ils sont erochus sur les jambes de 
derrière, tandis que dans les chevaux Arabes le jarret est 
placé sar une même ligne perpendiculaire que l’extrémité 
de la croupe. Les premiers ont néanmoins de la grâce et 
de léclat; mais ils ne sont pas capables de supporter 
une longue fatigue. | 
” Du mélange de la race Arabe avec celle des Courdes et 
_ des Turcomans, sortent les chevaux indigènes de la Syrie. 
Hs tiennent plus ou moins de Pune d'elles. Quelques-uns 
ont des qualités excellentes. Les plus petits sont coupés 
et servent à la monture des Chrétiens. C'est ce que les 
Syriens nomment des Guedichs. Ils sont estimés comme 
capables de soutenir une longue fatigue ; l’amble est leur 
allure la plus commune. Cette allure, préférée par les 
Chrétiens , est méprisée par les Arabes comme une preuve 
de faiblesse, 


Pétalon. C’est à cet accident que les Arabes ont trouvé moyen 
de rémédier; en rapprochant et en cousant avec un fil ordi 
haire les deux extrémités du vagin. Quelques voyageurs pré- 
tendent que souvent Ja stérilité procède de petits trous qui se 
trouvent dans le tissu même de la matrice; qu'alors, les 
- maréchaux ont l’art de l’extraire, de la racler et d’en teéoudre 
les fentes. Cette prétendue opération serait impraticable ; elle 
n’a d’autre fondement que celle que nous avons rapportée, 
Nous croyons également fausse, l’opinion assez généralement 
?épandue, qui attribue des écoulemens périodiques aux jumens 
de belles races Arabes , écoulement qu’on prétend s’interrompre 
pendant les époques de la gestation. . 


MÉMOIRES. 305 


Si le cheval est l'ami et le compagnon de l'Arabe , le 
chameau est son esclave. C’est un serviteur fidèle , capable 
de supporter les plus longues fatigues, de combattre la 
faim et la soif pendant de longs intervalles, et dont l’exis- 
tence, privée de toutes les jouissances individuelles , est 
consumée toute entière au service du maître. C’est à lui 
que lArabe doït son indépendance; car lui seul, assure 
le domaine du désert où on ne peut l’atteindre, et qui» 
sans cet animal utile » deviendrait pour lui-même inac+ 
cessible. | 

Presque toujours, les vertus utiles, moins dtinies 
que les qualités brillantes , deviennent pernicieuses à ceux 
qui les possèdent. L’homme qui ne voit que lui seul, 
abuse de ces qualités au lieu de s’en servir. Voilà comment 
Je chameau, devenu victime de sa sobriété et de son 
tempérament robuste, porte jusque sur ses membres , dont 
Ja forme a dégénéré, les traces d'un long et pénible 
| esclavage. : | 

On sait que cet animal a été lun des principaux moyens 
de l'agrandissement des Wahabis. Seoud le fit servir de 
monture à deux cavaliers armés de fusils. Il le chargea 
encore d’une quantité de pelotes d’orge pilé, suffisante pour 
la nourriture de plusieurs semaines. Ces chameaux ainsi 
équipés, que l’on nomme Mardoufah, encore en usage 
parmi les Wahabis, donnent à leurs armées, quoique 
nombreuses, la faculté de franchir en un moment, les 
vastes espaces du désert. Ainsi , fondant à Fimproviste ; 
sur leur proie, ils vainquent sans combattre , Ou 6e retirent 
sans avoir été vaincus. | 

Le laït et la chair du chameau offrent aux Arabes une 
nourriture saine et agréable : leur toison , la matière 
première de plusieurs étoffes. C’est à tort que l’on a cru 


306 MÉMOIRES. 

qu'elle servait à la fabrication des schalls, et qu'on l’z 
confondue avec la laine de chevron. Chardin et Thevenot 
sont, je crois, les premiers qui aient donné lieu à ce 
préjugé que beaucoup d’autres ont admis après eux. (1) 
Lorsque l’Arabe, égaré loin des sources qui sont séparées 
dans le désert par de longs intervalles, est sur le point 
de mourir de soif, il peut , en sacrifiant le chameau, 
compagnon de son infortune , trouver encore plusieurs 
pinies d'eau dans un réservoir particulier que la nature 
a accordé à cet animal. On assure aussi que les Wahabhis 
ont trouvé le moyen de se désaltérer aux dépens de leurs 


(1) Voici le passage de Thévenot : 

n Du poil des chameaux, on en fait des chaussons: on en 
» fait aussi en Perse des ceintures fort fines; il y en a qui 
» coûtent deux tomans, principalement quand elles sont blan- 
» ches , à cause que les chameaux de ce poil sent très-rares” 
F. tom, 2. : 

Thévenot paraît désigner par ces ceintures, les schalls analogues 
à ceux de Cachemire que l’on fabrique encore aujourd’hui en 
Perse, | | 
_» Le poil tombe tout à cet animal au printemps, et si 
>» entièrement qu’il paraît un cochon échaudé , et alors on le 
u poisse partout pour le défendre de la piqûre des mouches. 
> Le poil de chameau est la meilleure toison de tous-les animaux 
n domestiques : on en fait des étoffss fort fines, et nous en 
n faisons des chapeaux en Europe, le mêlant avec le castor ». 
F'oyags de Chardin. Tom. 7, pag. 28. | 

Chardin parait confondre ici la dépouille du chameau avec 
la Jaine de chevron qui appartient à une race de chèvres 
répandue dans l’Asie. Au moins, c’est de cette dernière qu’on 
fait usage dans la fabrique des chapeaux, ‘et qui est un objet 
d'exportation considérable à Smyrne et dans les villes commer- 
gantes de l'Orient. | 


MéMoirnres. 307 


thameaux sans les faire périr. S'ils se trouvent pressés 
par la soif, ils boivent leur sang en leur ouvrant une 
veine au sommet de la tête. 

On distingue au nord de la Syrie deux races principales 
du chameau : le chameau des Arabes et celui des Tur- 
comans : ce- dernier est très-épais, garni d’un poil long 
et frisé : capable de porter jusqu’à dix ou douze quintaux: 
marchant alors d’un pas égal et mesuré; avec une vitesse 
moyenne de deux mille quatre cents toises à l'heure : 
soutenant cette marche de huit à dix heures par jour, 
dans des voyages non interrompus'et d’assez long cours. 
Le chameau des Arabes est beaucoup plus fin; il a le poil 
ras, les membres légers et dégagés. Plus robuste que celai 
des Turcomans, il marche plus vite et. soutient long- 
temps la faim et la soif ; mais il ne porte guère plus de 
cinq à six quintaux. C’est dans cette dernière race que 
se trouve le Dgin, qui en est une variété bien plus mince 
. et plus légère encore. Le Dgin a pour allure habituelle 
un trot allongé dont la vitesse égale celle du cheval au 
galop. Il fournit à cette allure de longues carrières et peut 
faire ainsi un chemin de 300 lieues en six ou sept jours. 
Cet animal, rare à Alep, et dans Îles environs , est commun 
en Égypte. 

Le chameau des Turcomans vient des régions -septen— 
trionales de l'Asie mineure. Au sud de l’Égypte sont les 
limites de la Zone que le chameau des Arabes peut ha- 
biter. Dans ce vaste intervalle, on peut suivre les altérations 
successives qu’il éprouve par lés variations de la tempéra- 
ture et observer quelle est l'influence du climat sur ses 
formes, ses mœurs et son tempérament. Epais , lourd, 
incapable d’une longue fatigue et d’une abstinence sou- 
tenue dans le nord, il acquiert au midi les qualités 


308 MÉMOIRES, 


contraires. Cependant , dans les pays secs et montagneux, 
quoiqu'ils soient situés au nord, les formes plus délicates 
du chameau se rapprochent de celui des Arabes. Cest 
au moins ce que j'ai été dans le cas d'observer dans 
les parties méridionales de l’Asie mineure, sur les chaînes 
du mont Taurus. Toutes ces races répandues dans l'Asie, 
n’ont qu’une seule bosse sur le dos et appartiennent 
conséquemment au dromadaire. Le vrai chameau à deux 
bosses est très-rare au nord de la Syrie. 

En Europe on trouve le chameau jusqu’à une distance 

de cent cinquante lieues de Constantinople , au-delà d’An- 
drinople , et sur les confins de la Bulgarie. Cet animal 
y est aussi commun qu’en Asie ; il y est employé aux 
mêmes travaux. Comme le climat de cette région ne 
diffère pas de celui des Zones tempérées de l’Europe , que 
le sol y est coupé de plaines et de hautes montagnes, 
on doit présumer que le chameau pourrait aisément se 
naturaliser en Italie, en Espagne et même en France, 
et qu'il y rendrait les mêmes services qu’au nord de l'Asie. 
A la vérité, les moyens adoptés par les Européens, pour 
Je transport des marchandises, le rendraient moins utile 
parmi eux qu'il ne l’est aux peuples de l’Orient, mais 
ses avantages se feraient sentir dans les parties privées 
de routes où de canaux navigables. 

Le chien est aussi l’un de nos animaux domestiques : 
dont la race doit fixer en Asie l’œil de l'observateur. En 
Europe, l’état d’une longue domesticité a tellement altéré. 
son caractère, qu’il est bien difficile d'y retrouver quel- 
‘ques traces de ses inclinations primitives. En Orient , au 
contraire, cet animal est presqu'indépendant de l’homme. 
Mais il ne paraît pas que cette indépendance soit celle 
qu'il a tenue de Ja nature et qu'il aurait pu conserver. 
C'est l’affranchissement d’un esclave dont le maître dé 


MÉMOIRES. 329 


daigne les services. Quoiqu'il s’y soit isolé des hommes 
pour se réunir en petites sociétés , ces sociétés sont restées 
sous la surveillance de ses anciens maîtres , auprès d’eux, 
dans les villes qu'ils habitent. L'instinct de l'espèce est 
si fort pour se conserver au service de l'homme, que 
méme où il a rejetté ce service, elle a voulu vivre près 
de lui et s’en écarter le moins possible. 

Dès qu’on approche des confins de l’Europe, on peut 
observer dans la Bulgarie cette race indépendante qui est 
déjà très-nombreuse à Constantinople et que l’on retrouve 
ensuite dans toutes les villes de l'Asie. Elle a la taille 
des mâtins ordinaires , les oreilles droites, le poil assez 
court, mais rude et hérissé. Le museau est allongé, 
l'intervalle de la poitrine entre les jambes de devant, 
chargé de poils plus fournis que le reste du corps. 

Je n'ai jamais remarqué que ces chiens conservent 
aucune trace de l'instinct général de leur espèce pour la 
chasse. Cependant, ils se répandent par bandes dans les 
campagnes, où ils dévorent les cadavres des animaux. 
Ceux qu’on essaye quêlquefois d’élever dans les maisons, 
se montrent si indociles, qu’on ne peut en tirer aucun 
parts Comme ils ne chassent jamais , ils semblent différer 
beaucoup des chiens sauvages (1) que les voyageurs ont 


(x) Les chiens qui ont été abandonnés dans les solitudes de 
PAmérique, ct qui vivent en chiens sauvages depuis cent 
cinquante ou deux cents ans, quoiqu’originaires des races 
altérées , puisqu'ils sont provenus de chiens domestiques, ont 
dû pendant ce long espace de temps se rapproclier, au moins 
en partie, de leur forme primitive; cependant les voyageurs 
nous disent qu’ils ressemblent à nos lévriers, Ils disent Ie 
même chose des chiens sauvages ou devenus sauvages à Congo, 


310 MEMOIRES. 


observés en Amérique, et qu’on retrouve äussi dans 
_ d’autres parties du monde. Cette différence est sur-tout 
très-grande, si ces derniers se rapprochent effectivement 
pour la forme, de la race du lévrier. Mais M. de Buffon 
en discutant Ja réalité de cette ressemblance, a prouvé 
qu'elle ne peut être fondée, et la figure qu’il attribue à 
eette race de chiens sauvages se rapproche beaucoup de 
celle que tous les voyageurs peuvent observer en Asie. 
Les Musulmans regardent le chien comme un animal 
impur, ils se croient souillés par son contact. Dans l’état 
d'isolement où ces animaux se trouvent, ils forment, 
dans chaque quartier, des sociétés particulières. Ils y vivent 
des débris d’alimens, des viandes que leur fournissent 
quelques Musulmans charitables. Ces sociétés , réunies 
entr'elles dans le même quartier, sont dans un état de 


qui, comme ceux d'Amérique, se rassemblent par troupes pour 
faire la guerre aux tigres, aux lions , etc, Mais d’autres , sans 
comparer les chiens sauvages de St. Domingue aux lévriers, 
disent seulement qu’ils ont pour l’ordinaire la tête plate et 
longue, le museau effilé, l’air sauvage, le corps mince et 
décharné; qu’ils sont très- légers à la course, qu’ils chassent 
en perfection , qu’ils s’apprivoisent aisément en les prenant 
tout petits ; ainsi ces chiens sauvages sont extrêmement maigres 
et petits; et comme le lévrier ne diffère d’ailleurs qu’assez peu 
du mâtin ou du chien que nous appellons chien de berger, 
on peut croire que ces chiens sauvages sont plutôt de cette 
espèce que de vrais lévriers, parce que, d’autre côté, les anciens 
voyageurs ont dit que les chiens naturels du Canada avaient 
les oreilles droites comme les renards, et ressemblaient aux 
môâtins de médiocre grandeur de nos villageois, c’est-à-dire , 
à nos chiens de bergers; que ceux des sauvages des Antilles 
avaient aussi la tête et les oreilles fort longues , et approchaient 
de la forme des renards, ( Histoire naturelle du chien ). 

| guerre 


| MÉMOIRES. 311 


guerre perpétuelle avec celles du quartier voisin. Aussi, 


ce n’est pas sans danger qu'un chien peut quitter la 
rue qu’il habite et où il est bien connu des siens, pour 
traverser une rue voisine. Il y est bientôt assailli par 
ceux dont elle est le domaine. Cette haine de l'espèce 
pour elle-même est bien plus active encore, à l'égard 
des chiens d'Europe, contre lesquels elle s'exerce avec 
fureur. | 

Le chien de l'Orient a conservé cet instinct qui devine 
les dispositions de son maître, et partage en quelque 
sorte ses affections à l'égard des hommes qui l'entourent. 
11 reconnaît en Orient les Musulmans pour les maîtres 
de l'Asie. H les respecte partout et ne les insulte jamais ; 
mais il semble partager leur mépris pour les: Chrétiens. 
C’est surtout contre les Européens que sa haine s'exerce 
avec fureur. Leurs habits, qui les distinguent, éveillent 
l'attention de ces animaux; et il n’est pas rare qu'ils 
en soient cruellement mordus. | 

Quoique ces animaux restent souvent sans nourriture , 
et que l’eau leur manque quelquefois dans les grandes 
chaleurs , il est bien rare qu’ils deviennent enragés. Je 
sais même que l'opinion générale est, que cette maladie 
cruelle est parmi eux sans exemple. Quelques auteurs 
Vont avancé , et presque tous l'ont répété. Mais cette 
assertion est dénuée de fondement. La rage est très-rare , 
il est vrai, en Orient, parmi les chiens domestiques : 
elle l’est plus encore parmi ceux qui vivent dans l'indé- 
pendance.; mais elle n’est pas sans exemple, même parmi 
ces derniers (1). 


(1) Il ne peut me rester aucun doute à cet égard, d’après 
lexactitude avec laquelle les Bohémiens qui sont à Àlep, 
Tome L 7 Liv, 21 


512 — MÉMOIRES. 


Cette race indépendante conserve la même forme dans 
toutes les parties de l'Orient, quoique séparées les unes 
des autres par de grandes distances. A Constantinople, 
au Caire, dans toutes les villes de l’Asie mineure , elle 
présente les mêmes mœurs et le même caractère; partout 
l'indocilité, l’absence des qualités brillantes et utiles dont 
l’homme a tiré tant de fruits. Maïs ces qualités se retrou- 
vent, jusqu'à un certain point, dans deux autres races 
que l’homme y a gardées à son service : le lévrier et le 
Lodgé, espèce batarde du basset. 

Le lévrier présente , en Syrie, deux variétés très- 
distinctes. L’une est d’une finesse et d’une légèreté ad- 
mirables: c’est le lévrier des Arabes; celui d'Égypte est 
le plus mince de tous. L'autre, beaucoup plus épais, 
se rapproche du Danois par les formes et par le courage: 
c'est cetie dernière race qui s’est conservée chez les 
Turcomans. L'espèce du lévrier est, au surplus, très- 
commune dans toute lAsie mineure. On la retrouve 
aussi, en grand nombre , dans les provinces Européennes 
de l'empire Oftoman : ceux de Salonique sont très-estimés. 

Le bodgé est une variété de notre chien basset. On s’en 
“sert pour prendre le lièvre dans les trous. I est têtu, 
indocile, et on le dresse difficilement. Mais en le croisant 
avec les braques et avec les chiens courans qui viennent 
d'Europe , on en tire uñe race excellente, que nous croyons 
plus intelligente , et surtout plus précoce qu'aucun de 
ces derniers. , | 

Ces trois races sont les seules qui habitent, à-peu-près. 


particulièrement chargés du soin des chiens de chasse, m’ont 
décrit les phénomiues de la rage, 


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MÉMOIRES. ; 313 


indistinctement, toutes les parties de l’empire Ottoman. 
Il en est quelques autres qui sont resserrées dans de 
certaines provinces, et qu’on ne trouve pas au-delà : 
telle est celle des chiens d'Irlande dans l’Arabkir, pro- 
vince de l’ancienne Arménie. Ce chien, que l’on emploie 
à la garde des troupeaux, ne le cède ni pour la taille, 
ni pour le courage, à la grande espèce que Buffon a 
décrite. Il y a une autre race qu’on emploie au même 
service : elle ne diffère pas de nos chiens de bergers. 
Le chien Turc, qui dans l’origine dut être un doguin 
transporté au midi, où la chaleur a fait tomber son 
poil, ne se trouve pas en Syrie. Il est même rare au- 
jourd’'hui à Constantinople. 

: Parmi les autres quadrupèdes qui habitent le nord de 
la Syrie, on trouve d’abord le chacal, espèce de chien 
sauvage, dont le poil rude est d’un jaune doré. Ces 
animaux se réunissent par bandes ; ils vivent dans des 
trous sous terre. Quoique très-multipliés autour des grandes 
villes, où ils annoncent leur voisinage par des cris 
plaintifs et prolongés, sur-tout à de certaines époques 
de l’année, ils sont si sauvages, qu’on les rencontre 
difficilement. Les lévriers les chassent avec fureur, mais 
non pas sans danger; car cet animal a les dents longues 
et fortes, et ne se laisse pas aisément approcher. 

Il y a aussi des renards aux environs d'Alep : cet 
animal y est même très-commun dans les plaines pier- 
reuses qui s'étendent à l’ouest de cette ville. On le chasse 
avec des lévriers. Sa fourrure, d'un gris sale et mal 
fournie de poils, se vend à bas prix. Le loup est beau- 
coup plus rare en Orient. Le blaireau y vit isolé, aussi 
bien qu’en Europe. On trouve aussi des fouines, des 
bérissons, des porcs-épics. Le peuple est persuadé que 


L 


314 MÉMOIRES. 

ce dernier a la singulière faculté de lancer ses dards comme 
des flèches , contre les chiens et contre les chasseurs : tant 
le merveilleux s’adopte aisément, même sur les faits dont 
une expérience journalière démontre la fausseté. La chair 
du porc-épic est d’assez bon goût, mais fort indigeste. 
Les Chrétiens d'Alep la mangent sans répugnance , au 
contraire des Musulmans et des Juils, qui la regardent 
comme impure. 

Dans le désert, à l’orient d'Alep, on rencontre une 
variété du loup-cervier que les Turcs nomment Ear- 
rah- koulah. Sa fourrure fauve et mouchetée, est bien 
moins estimée que celle du lynx : on l’emploie pour des 
pelisses communes, qui se vendent 50 à 80 piastres. 
C'est du caracal que les Arabes ont dit, qu'il sert de 
pourvoyeur au lion, et qu'après lui avoir indiqué sa 
proie, il en partage avec lui les dépouilles. Les hyènes 
ne sont pas très-rares dans la Syrie septentrionale; elles 
habitent dans le fond des cavernes, et n’approchent des 
lieux babités que dans la mauvaise saison. Les Bohémiens 
ont l’art d'approcher cet animal, le plus vorace de tous, 
et de le saisir dans sa retraite : ils y réussissent, en le 
charmant, pour ainsi dire, par l'aspect d’une vive lumière 
qu'ils portent au-devant d'eux, et par de certains tons 
_cadencés. Dès que l'animal ébloui s’est laissé approcher, 
ils fui jettent sur le corps un manteau qui l’aveugle, 
et le prive de l’usage de ses membres. Enfin, il y a dans 
les gorges du Taurus, au-dessus d’Alexandrette, une 
espèce d'once, dont la peau est recherchée pour des 
housses de chevaux. Il paraît que c’est la même que 
Tavernier et d’autres voyageurs ont observée en Perse. 
Ils la représentent comme si douce et si facile à appri- 
voiser, qu’on la dresse pour la chasse; mais je n'ai 


4 


MÉMOIRES 31: 


jamais entendu dire qu’on eut pensé à en faire cet usage. 
Non loin des ruines d’Isionda, vers les limites entre 
Ja Lycie et la Pamphylie, se trouve une contrée isolée 
habitée seulement par des bergers qui possèdent pour 
toute propriété des chèvres qu'ils mènent paître sur 
des montagnes voisines. | 
Cet animal est de l'espèce que l’on nomme chèvre noire 
dans l'Asie mineure, par opposition à celle dont le poil 
est long, soyeux et frisé, et que l’on connait en 
Europe sous le nom de chèvre d’Angora. Ces deux 
races, qui dans quelques endroits, vivent très-rappro- 
chées, ne se confoudent pourtant jamais, C’est à tort 
que quelques naturalistes ont prétendu que la race 
d'Angora offre le dernier degré d’une amélioration suc- 
cessive, dont on peut suivre les nuances à mesure 
qu’on approche de cette ville. J'ai réuni à cet égard des 
renseignemens assez détaillés, qui ne seront pas déplacés 
ici. Ils ont l'avantage d'offrir quelques données qui 
pourront servir à l'amélioration des races de l'Europe (1). 
Comme je l'ai déjà observé, l'espèce de chèvre counue 
en France sous le nom de chèvre d’Angora , n’est pas 
la seule qui existe dans la Natolie et aux environs de 
cette ville. On y trouve aussi une espèce plus com- 
mune, et qui est bien plus rapprochée de la chèvre 
d'Europe. Les voyageurs n'ont désigué qu'imparfaitement 
ces deux races très-distinctes : de 1à, l'incertitude où 
l'on est en Europe, sur l’espèce de la toison et les 
produits de chacune en parliculier. 
PR RER 
(1) Ces renseignemens que j'avais réunis en 1893, pour répon= 
dre aux questions proposées par la Société d’agriculture de 
Lyon, ont été imprimés en partie dans le Moniteur du 38 juia 
1804 , et réimprimés ensuite dans plusieurs ouvrages périodiques. 


316. MÉMOIRES. 


‘On ne peut détruire cette incertitude qu’en désignant 


d'une manière positive ces diverses races; car cette 
distinction empêchera de confondre à l’avenir le duvet 
court et catonneux d’une espèce avec le poil long et 
soyeux de l’autre. C’est pour remplir cet objet que je 
décrirai séparément les deux races de chèvres qui se: 
trouvent dans la Natolie. L'une et la chèvre noire, 
l’autre est la chèvre de laine. 

La chèvre noire ( cara-gueschi ou seys ) est la chèvre 
commu’e, qui se rapproche le plus de celle de l'Europe. 
Cet animal se tronve en Egyp'e, en Syrie, dans la 
Natolie et dans tout l'Orient. Sa toison est noire ou 
d'un bruu foncé. Le poil en est droit, long, assez fin 
vers Le bout qui s'implante dans le cuir, De noir et 
roide à l’extrémité contraire. 

‘La chèvre noire se tond tous les ans. Son poil est 
grossier, et ne s’exporte pas au dehors. Il se travaille 
sur les lieux, où l’on en fabrique des étoffes rudes, 
dés tentes , et des sacs semblables à nos sacs de crin. 
Celui d'Angora n’est pas plus estimé que celui des autres. 
parties de l'Orient, H vaut sur les lieux trente paras- 
l’'ocque de quatre cents dragmes. 

Sous ce poil, et sur la peau même de l’animal est 
un autre poil plus court et plus fin. Il est composé 
de fils minces, dont la longueur varie depuis un pouce 


jusqu’à un pouce et demi. Ces fils forment, par leur 


mélange à la naissance du poil, un duvet court, coton- 
neux, et d'un gris tirant sur le jaune. 

C'est cette partie de la toison qui en est le produit 
le plus précieux. On l’obtient, en platrant d'une eau 
saturée de chaux la peau de l'animal encore garnie de 
ses poils. Après quelques instans le poil et le duvet se 


2 
mr ———— D EEE DEEE 


MÉMOIRES. 317 
détachent du cuir et se séparent aisément l’un dé l’autre. 
Le duvet de la chèvre noire. est importé brut en 
Europe ; où il est connu sous le nom de poil de chèvron. 
U y est employé dans diverses manufactures, particu- 
liérement pour la fabrique des chapeaux. C’est surtout 
pour ce dernier usage que Marseille en tirait et en tire 
encore une grande quantité : aussi est-ce pour cette 
ville l'objet d’un commerce considérable, et l’un des 
principaux objets de retour contre les produits de nos. 
manufactures qui sont importées en Orient. 

La laine de chèvrom est peu abondante en Syrie, et 

la qualité n’en est pas estimée. Celle qu’on tire d'Angora, 
d'Erzéroum et du nord de la Perse, l’est beaucoup plus. 
La province de Kerman en fournit de très- belle. En 
général , toutes ces laines sont expédiées à Smyrne par 
les caravannes de chameaux qui partent d’Erzéroum. De 
Smyrne, elles sont envoyées à Marseille et en Italie par 
mer. : | | 
On ne sait pas filer la laine de chèvron ni dans la 
Syrie, ni dans la Natolie. Elle n’y a d'autre emploi que 
celui de servir de base à la fabrique des libets, et on ne 
se sert pour cela que de la plus commune. Sa valeur 
sur les lieux n’a guères d’autres bases que la demande 
des manufactures d'Europe. À Angora, le terme moyen 
de cette valeur est de quatre à cinq piastres l’ocque. 
. La laine de chèvron est aussi expédiée brute en Europe 
de la Perse et de la province de Kerman. Mais ici elle 
a sur Îles lieux mêmes une valeur que lui donne son 
emploi. Les Persans savent la filer. Ils en font des 
schalls semblables à ceux de l’Inde , maïs qui leur sont 
fort inférieurs pour la finesse et le goût du dessin. 

La chèvre de laine ( tisik gueschi ) forme la seconde 


318 … MÉMoirres. 


espèce de ces animaux qui se trouve à Angora; mais 
au lieu que la première est semblable à la race de 
l'Europe avec laquelle elle a beaucoup de rapport, la 
chèvre de laine en diffère à beaucoup d’égards; aussi 
forme-t-elle dans le genre, une variété constante, peut- 
être même une espèce distincte. 

Cet animal est celui que Buffon a décrit sous le nom 
de chèvre d'Angora. IL est plus bas que la chèvre de 
laine. Sa toison est d'une blancheur éclatante ; les poils, 
ou plutôt les cheveux qui la composent, sont longs, 
déliés, soyeux et frisés naturellement. Leur finesse est 
extrême ; et au lieu que la chèvre noire a le poil aussi 
dur que le crin, les cheveux de la chèvre de laine sont 
aussi sonples que la laine la plus précieuse des mérinos 
d'Espagne. 

Ces cheveux longs et frisés composent seuls toute la 
toison du #islik gueschi. Aussi déliés à leur extrémité 
supérieure que vers celle qui s'attache à la peau , ils n’y 
sont mélés d'aucun duvet étranger ; ainsi la laine de 
chèvron appartient exclusivement à la première race, 
et ce duvet est entièrement étranger à la loison de la 
chèvre d’Angora. 

Cette différence fournit seule un caractère constant qui 
distingue les deux espèces. Il y en a beaucoup d’autres. 
Tandis que la chèvre noire se multiplie dans tout l'Orient , 
Ja chèvre de laine est particulière au sol d’Angora et à 
quelques régions de l’intérieur. Au-delà , la race s’abâtardit ; 
le poil devient plus grossier et on ne trouve plus l'espèce 
qui, seule, fait la richesse de la ville qui lui a donné 
son nom. a ; s 

Le territoire d'Angora est formé de montagnes peu 
élevées: sur ces montagnes, qui sont couvertes de neige 


MÉMOIRES. 319 

pendant deux mois de l’année, sont des sources nom 
breuses dont l’eau est pure et salutaire, Les ruisseaux 
auxquels elles donnent naissance’, arrosent et fertilisent 
le sol qui se couvre de gras pâturages. Aussitôt que les 
froids ont cessé, on y conduit le Téslik Gueschi. Il passe 
sur ces montagnes toute Ja belle saison. Toujours en 
route , il change chaque jour de pâturages et reste sans 
cesse exposé à l'air. Ce n’est qu’en hiver qu’on le fait 
rentrer pendant la nuit dans sa bergerie. 
* Les chèvres d’Angora paissent par troupeaux, qui sont 
de 200 à 800 têtes. Les mäles sont plus hauts et plus 
forts que les femelles. Leur toison est blanche et frisée 
comme la leur; mais le poil en est plus rude. La chair de 
, cet animal est plus estimée que celle de la chèvre or- 
dinaire. On tue pour la boucherie les individus qui ont 
passé trois ans; car au-dessus de cet âge le por grossit 
et la toison est moins estimée. 

Les chèvres d'Angora se tondent tous les ans; après 
les avoir lavées dans l'eau courante, on :leur coupe le 
poil avec de longs ciseaux d’acier. La toison des femelles, 
plus estimée que célle des mâles, pèse de 350: à 400 
dragmes. Cette toison est filée sur'les lieux mêmes; et 
c'est un fait remarquable que toute la dépouille des trou- 
peaux s’y consomme en entier , sans qu'il se fasse aucune 
exportation de cette dépouille encore brute. Ce fait au 
surplus, s'explique aisément; c’est à ce ‘travail que les 
habitans d’Angora doivent leur subsistance, et ils sont 
jaloux de la conserver toute entière. 

. Rien de plus simple que les procédés qui sont ne 
pour méttre en œuvre da “oison des chèvres d’Angora: 
Aussitôät-que l'animal .en ‘est. dépouillé , on la peigne avec 
we instrument en fer dont les dents sont longues ‘et très- 


520 MÉMOIRES. 


serrés. Les poils restent nets et dégagés de toutes les 
matières étrangères qui ont pu s'y introduire sur le corps 
ce l'animal. | 

Tous ceux des habitans d’Angora que j’ai pu consulter, 
m'ont assuré que cette opération est la seule que l’on 
pratique sur le poil en suint. Après l'avoir subie , il est assez 
net pour être filé: ce sont les femmes qui sont chargées 
de ce soin. Elles filent ce poil à la quenouille, comme 
on file le coton, et en réunissant plusieurs brins, ou 
deux à trois seulement. Ce dernier fil est le plus fin et 
le plus cher de tous ; il vaut jusqu’à douze paras le 
dragme. Le prix des autres va en diminuant, suivant leur 
grosseur : le plus fort ne vaut qu’un para. 

Le poil de la chèvre d’Angora , quoique filé , est encore 
écru, et n’a éprouvé aucune opération de teiuture. C’est 
dans cet état qu'il est mis en œuvre. On en fait l’étoffe 
connue en Orient sous le nom de Chalit d’Angora. Les 
chalits, dont on y fait une si grande consommation , sont 
tous , en effet, fabriqués dans cette ville. 

On estime qu’il y a à Angora plus de deux mille métiers, 
tous en activité. Chacun de ces métiers emploie depuis 
cinq jusqu’à dix-huit ouvriers: aussi ce travail est-il la 
principale source des richesses d'Angora. Les chalits sortent 
du métier en pièces de vingt-huit piks de long sur deux 
üers de pik de largeur. Ces pièces sont alors envoyées 
à la teinture. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes 
les nuances possibles. Les rouge vif et les violet sont 
jes plus estimés. 

‘ Le Chalit est supérieur au Camelot par sa légèreté, 
par la finesse et le motlleux du tissu: aussi le prix en 
est-il beaucoup plus élevé. Le plus commun vaut 15 piastres 
la pièce, le plus cher 190. Ce dernier esi surtout consommé 
à Constantinople et en Egypte. 


MÉMOIRES. 321 


11 résulte de ce que j'ai dit, que, de la double race 
qui existe dans lAsie , l’une , la chèvre d’Angora , fournit 
une toison précieuse pour la fabrique des Camelots ; 
l'autre, la chèvre noire, offre dans le duvet ou laine 
de chèvron, une matière première plus précieuse encore. 
C'est donc en introduisant en France la chèvre noire de 
l’Asie qu’on peut y naturaliser une matière première plus 
propre que celles qu’on a pu y employer jusqu'ici pour . 
la fabrique des schalls. Cet objet est d'autant plus im- 
portant à remplir, qu'il paraît bien prouvé que la laine 
de mérinos, quelque fine qu’elle soit, présente, dans 
les tissus qu'on en forme , une sécheresse et une roideur 
auxquelles il est impossible de rémédier, 

La beauté et la finesse de la chèvre de laine doivent 
aussi faire desirer qu'on puisse en naturaliser l'espèce en 
France. Déjà quelques individus de cette race ont été 
envoyés à Rambouillet, où le petit troupeau qu’ils for- 
maient s’est long-temps maintenu. Mais on n’avait pu 
y employer leur dépouille. Les détails que j'ai donnés 
plus haut pourront peut-être servir relativement aux 
procédés que l’on doit suivre pour cela. 

Le prix des tislik-gueschi à Angora est de 10 7 12 
piastres pour Îles femelles, et de 12 à 15 pour les mâles. 
Celui des chèvres noires serait moins élevé encore. On 
pourrait aisément faire acheter de petits troupeaux de 
l'une et de l’autre races. La dernière devrait être choisie 
sur les confins de la Perse, et plus loin encore, sil 
était possible. Le voyage d’Angora à Alep serait de vingt 
à vingt-cinq jours dans la belle saison. D’Alep, il faudrait 
envoyer ces troupeaux à Latakié et en Chypre, où se 
trouvent toujours des bâtimens destinés pour les ports 
de France. Il'serait essentiel de faire accompagner ces 


Li 


322 MÉMOIRES. 


troupeaux par des bergers du pays. En faisant voir la 
facilité de cette tentative, il reste à prévenir une ob- 
jection qu’on fera sans doute contre Le succès que l’on 
doit en attendre, 

On a vu plus haut que c’est à la nature du sol 
d'Angora qu'on attribue, dans le pays, la finesse de la 
toison du éislik - gueschi. En effet, dès qu’on s'éloigne 
. de son territoire, on ne retrouve plus cette race que par 
troupeaux bien plus rares. Et les mêmes inconvéniens 
se présentent sans doute relativement aux races choisies 
des Seys. Il semble donc qu'elles pourraient bien éprouver 
en France une prompte et entière dégénération. À cela 
il est facile de répondre par l'exemple récent d’une ten+ 
fative semblable dont le succès est à-présent hors de 
doute; c'est l'introduction en France des mérinos d’Espagne. 
Qui pourra douter que les soins et l’atlention conve- 
nahles ne produisent sur l’espèce dont nous parlons , le 
même effet qu'ils ont déjà produit pour cette autre race 
au moins aussi précieuse ? 

En effet, le même préjugé qui existe en Asie existait 
et existe encore en ‘Espagne. Les propriétaires et les 
majoraux des cabanats étaient tous persuadés que la race 
pure des mérinos appartenait exclusivement à leur sof, 
ls assuraïient , de plus, que la finesse des Jaines était 
un résullat des voyages continuels de leurs troupeaux , 
depuis des montagnes du royaume de Léon jusqu’à celles 
de l’Andalousie. C’est à ce préjugé enraciné parmi eux, 
et qu’on eut en vain cherché à détruire, que l’on dut 
la complaisance qu'ils mirent , dans l’origine , à l’extrac- 
tion de la race pure et à sa propagation en France. Cette 
opinion se trouvait en quelque sorte vérifiée sur les lieux 
mêmes ; car, les mérinos qui devenaient sédentaires à 


MÉMOIRES! 323 


Ségovie, et qu’on y distinguait sous le nom de piarras , 
dégénéraient dès les premières années , et leur laine y 
perdait dès lors 20 à 25 pour cent de son prix. Cepen- 
dant l'induction qu'on a tirée de ce fait pour l'impossibilité 
de conserver en France la race pure, se trouve absolument 
fausse. Les béliers choisis des beaux troupeaux du royaume 
égalent par leur finesse, surpassent par la taille et la 
force les plus beaux mérinos d'Espagne. Cette induction 
n'a donc aucune solidité. Elle ne peut avoir, relati- 
vement à l'introduction présumée des chèvres de l’Asie 
en Europe, plus de poids qu’elle n’en a contre celle des 
mérinos. Ce n’est qu'à l'expérience qu'il appartiendra de 
la justifier ou de la démentir. Cette expérience peut 
conduire à des résultats si importans, que même dans 
le doute , elle mériterait d’être tentée, 


324 MÉMOIRES. 


AAA AAA AAA AAA VAN SAT AA 


Montreuil-sur= Mer, le 16 Mars 1619. 
\ 


A Monsieur le Secrétaire de la Société royale d’Arras, 


pour l’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts. 


Monsieur , 


Moccurarr, depuis bien des années, de préparer 
un ouvrage sur la Cécité des chevaux, et jaloux , pour. 
lui laisser le moins à desirer possible, de m’environner 
de toutes les lumières, de tous. les renseignemens que 
je pourrai recueillir, j'ai l'honneur de vous adresser, 
et de recommander à FPattention de la Société royale 
d'Arras, une série de questions à traiter que j'ai dressée 
dans cette intention. Veuillez, Monsieur, la soumettre 
à la Société, et la prier pour moi d'accorder l’autori- 
sation de l’insérer dans la prochaine livraison de ses 
Mémoires. La Société, en me rendant ce service, concourra 
_avec moi à remplir l’objet utile que j'ai en vue; il me 
sera infiniment agréable d’avoir à lui en témoigner ma 
reconnoissance, et à vous prier d'en partager avec elle 
l'expression. 


J'ai l'honneur d’être, | 
Monsieur , 


Votre très-humble et très-obéissant 


serviteur , 


HURTRKL - D'ARBOVAL. 


MÉMOIRES. 7 325 


PR TS ST FX TS 


QUESTIONS A TRAITER 
SUR LA CECITE, 
OU LA PERTE DE LA VUE, 


DANS LES CHEVAUX; 

Posées par M. HURTREL-D’ARBOVAL, Médecin vétéri- 
naire amateur , Commissaire spécial pour les Maladies 
épizootiques et contagieuses du departement du Pas-de- 
Calais, ‘associé correspondant de la Société royale da 
la Faculté de Médecine de Paris, de la Société royale 
et centrale d'Agriculture, de celle d'Arras, etc. , etc, 


EE LE LL LE EE 


oi | Et Cécité est-elle ou n’est-elle pas commune dans 
les chevaux de tel ou tel département ; dans quelle 
proportion y affecte-t-elle ces animaux ? 

2.” Quelles sont les races des chevaux qui paroissent . 
les plus prédisposées à la Cécité; remarque-t-on cette 
infirmité plutôt sur les individus de certains que sur 
d'autres ? 

3.° Les chevaux qui ont léncolite courte et chargée, 
la tête grosse et basse, et ce qu'on appelle la sue 
grosse , sont-ils plus dr que d’autres à perdre la 
vue; pourquoi ? 


4 Les chevaux de trait, de charroï , de labourage, 
qui: fatiguent beaucoup, deviennent-ils plutôt aveugles 
que les chevaux de selle ou de voiture, qui travaillent 
moins; pourrait-on en donner la raison ? 


326 . MÉMOIRES. 

5. Quel est, selon les différens pays ou les différentes 
localités , l’âge où le développement de la Cécité est 
le plus à craindre ? 

6° La Cécité frappe-t-elle de préférence les chevaux 
ou les jumens, les individus les plus jeunes ou les plus 
âgés, ceux qui ont eu ou qui n’ont pas eu la gourme, 
ou ceux qui ont encore ou qui n’out plus de dents à 
faire; quelles en sont les raisons ? 

7° Quelles sont en géuéral les principales causes de 
la Cécité ? proviennent-elles de quelques vices dans 
la conduite, dans l'emploi des forces des chevaux, dans 
la manière de les soigner, de les gouverner; de quel- 
ques causes générales enfin qui ue soient pas inhérentes 
à leur constitution ou à leur espèce, et qui n'agissent 
que relativement à certaines circonstances ? Peut - on 
déterminer et développer ces. circonstances ? 


On est prié d'accorder une grande attentian à cette 
question, et de ne pas épargner les détails en y répondant. 


= 8.° Quelles sont en particulier les principales eauses 
de la Cécité des chevaux ? proviennent-elles : 
= D'une prédisposition innée ou héréditaire ; 

De l'influence des climats ; 

De la constitution atmosphérique en général, et en 
particulier du froid ou du chaud, de la sécheresse ou de 
l'humidité, de l'influence du voisinage de la mer, ou 
de celle de la température des vallons et des montagnes; 

Du mode, de la trop courte durée de lalaitement ; 
«: Da sévrage brusque et intempestif; 

: De l’engraissement et de l’amaigrissement alternatifs; 

Des pilurages bas, hunudes, marécageux; 

Dés récoltes des prairies artificielles ; 


MÉMOIRES. 327 


De la nourriture sèche et trop ferme donnée aux jeunes 
‘ animaux dont la bouche n'est pas faite; 

De la mastication forte et fatiguante qu 'occasionnent 
de tels alimens ; 

De la qualité mauvaise ou trop succulente des fourrages 
et des grains ; | 

De la gourme mal jetée. 

Des étranguillons ou affectations catarrhales ; 

De ce qu'on fait travailler les chevaux trop jeunes 4 

Des effets des harnois , et particulièrement du collier 
éûr les animaux jeunes, ou sur ceux plus âgés; 

De quelques autres causes particulières enfin qui ne 
soient point prévues ici? 

9° Quelle est l'influence et la manière d'agir de ces 
diverses causes sur les yeux des chevaux ? 

10.° Quels sont les principaux accidens dont la Cécité 
est le plus communément la terminaison ou la suite ; 
doit-on les attribuer : | 

Aux ophtalmies ; 

A la fluxion périodique ou lunatique; 

A la cataracte: 
_ À Ja goutte sereine ; 

A d'autres affections enfin qui ne soient point prévues 
Ici? — | 
ir.® Quels sont les meilleurs moyens de prévenir la 
Cécité des chevaux ? 

° Doit-on essayer de délruire aleree de chaque 
cause par une indication opposée qui lui serve de 
correctif ; quelle serait cette indication pour chacune des 
causes? | 

13.° Peut - on indiquer dés moyens plus propres à 
prévenir celte trop fâcheuse infirmité , et dans la sup- 


328 …_ — HÉnorses 


position affirmative, en quoi peuvent consister ces derniers - 
moyens ? | 

14° Quels sont en général les moyens de rémédier à 
la Cécité? 

15.° Quels sont en particulier les moyens de rémédier 
à la cécité, et l'application à en faire à chaque cas, 
c’est-à-dire, au traitement de chacune des affections 
qui la constitue , ou dont elle est la terminaison ou 
la suite? 


A la suite de ces Questions, M. HURTREL-D'ARBOVAL 


a placé les observations suivantes : 


Le Gouvernement désire et encourage l'amélioration 
des chevaux, qui est aussi avantageuse pour les besoins 
de nos remontes, que pour ceux des derniers de nos 
cultivateurs ; c’est donc chercher un but utile à ses 
travaux, que de s’occuper de détruire une infirmité qui 
détériore quelques-unes de nos bonnes races. Un travail 
sur cet objet ne peut être d’une utilité véritablement 
générale, qu’autant qu'il est applicable à toutes les 
parties de la France; mais, comment essayer de remplir 
‘une telle condition sans rapprocher des données parti- 
culières acquises dans le cours d’une longue expérience, 
celles qu’on a pu noter ou trouver remarquables dans 
les différens départemens du Royaume ; sans réclamer par 
conséquent le secours des sociétés savantes, des proprié- 
taires des chevaux, des cualtivateurs, des directeurs et 
inspecteurs des écoles et des baras, des vétérinaires et 
des amateurs. On ose appeler sur ce point important 
l'attention des uns et des autres, les prier d'examiner 
attentivement les questions ci-dessus, de les communiquer 


MÉMOIRES. 829 : 
aux personnes de leur connaissance dans le cas ou dans 
la position de s’en occuper, et on les invite à vouloir 
bien y répondre, et à communiquer , tant leurs propres 
observations que celles qu’ils pourront recueillir, Il serait 
difficile sûrement que la même personne pût répondre 
‘a toutes les questions; mais chacun est prié de faire 
part de ce qu'il a pu être à portée d'observer : l’on 
recevra avec reconnaissance toutes les observations que 
l'on voudra bien envoyer : ne fussent-elles relatives qu’à 
une seule question. Que l’on ne soit pas arrêté par la 
crainte de les mal écrire; on recevra jusqu’à des notes 
détachées ou de simples brouillons; et l’on prend ici 
l'engagement de conserver le nom des personnes qui auront 
la bonté d’exprimer leur intention à cet égard , et de 
signer leurs articles. Si l’on veut bien ne pas épargner 
Jes détails, quelqu’étendus ou même minutieux qu'ils 
puissent paraître, les renseignemens que l’on procurera 
seront toujours très ‘utiles, soit qu'ils se rapportent à 
des faits observés autrefois, soit qu’ils concernent ceux 
qui se présentent journellement, soit qu'il s'agisse de 
choses. rares ou. même ordinaires. Il ne suffirait pas de 
répondre négativement ou affirmativement à chaque ques- 
tion , il est indispensable de les traiter toutes, une à une, 
avec une certaine étendue, et même d'accompagner les 
observations que l’on produira de l’exposition de plusieurs 
faits bien détaillés et bien circonstanciés , propres à en 
mettre l’exactitnde en évidence. 

M. HURTREL-D'ARBOVAL qui, depuis plus de vingt 
années, exerce gratuitement l’art vétérinaire pratiqué dans 
le département du Pas-de-Calais, s'occupe depuis long- 
tems d'un ouvrage sur la Cécité des chevaux: c’est afin 
de procurer à son travail toute la perfection dont il est 


0 


330 MÉMOIRES. 


susceptible qu'il propose cette série de questions et la 
soumet à l'attention, aux lumières et aux connaïssances 
des corps savans et des hommes instruits dont il vient 
de réclamer la coopération. Il ose espérer qu’en faveur 
des motifs qui le dirigent et de l’importance même du 
sujet, l’on voudra bien mettre quelque zèle à le seconder, 
à payer ce faible tribut au bien de l’économie rurale et 
à l'avancement de la Science vétérinaire. 


AN. B. L'on est prié de faire parvenir les réponses ;, 
soit par la voie de ce Recueil, soit en les adressant dia 
rectement et franc de port à M. HURTREL-D'ARBOVAL, 


à Montreuil-sur-Mer, département du Pas-de-Calais. . 


MÉMOIRES 531 


AAA AAA AAA A A A AN PA A AR ANA ANS ANNE 


NOTICE 
SUR UN MALLUS: 


_ 0 
SANCTUAIRE DRUIDIQUE, 
| VULGAIREMENT NOMMÉ | 
LES DANSES QU NEUCKES, 


Situé dans la plaine ou commune de Landerthun et Ferques ; 
villages de l'arrondissement de Boulogne-sur-mer , 


PAR:.M. HENRY, 


Secrétaire de la Société d'Agriculture de Boulogne, 
et Membre correspondant. de celle d'Arras. 


I. territoire du village de Landerthun est séparé de 
celui de Ferques par un immense terrain communal, 
vague et inculte , dont le sol, couvert de bruyères, n’a 
jamais été entamé par le soc de la charrue. Ces sortes 
de terrains se nomment riez dans le patois Boulonnais, 
et ce mot avait autrefois dans le langage français la 
même acception que celle que nous lui avons conservé 
dans ce pays. (1). 

Ce Riez et la portion du territoire de Landerthan 
qui lui est contiguë vers le nord, sont assis sur un 
plateau trés-étendu qui aboutit au pied du côteau demi- 
“circulaire qui enceint la partie basse de cet arrondisse- 


(1) Borel, Trésor des recherchés et antiquités gauloises, 
Tome X, 8% Liv, 22 


332 MÉMOIRES. 


ment nommée la fosse Boulonnaise, et la sépare da 
terrain supérieur appellé le haut Boulonnais (a). 

Quoique le territoire de Landerthun soit un dés points 
les plus élevés du Boulonnais, néanmoins l’escarpement 
du côteau environnant qui, partout ailleurs, est forte- 
ment prononcé , devient ici presqu'insensible. Ce village 
étend sa partie méridionale sur le has Boulonnais, et 
sa partie septentrionale sur le haut. L'église et les habi- 
tations qui l’environnent , sont placées vers le point 
culmimant , de sorte que l’on peut dire figurément que 
le, territoire de Landerthun est à cheval sur le côteau. 

Vers le milieu du riez, à 8oo mètres environ au 
sud-ouest du moulin de Landerthun, on apperçoit un 
monticule peu saillant au-dessus du vaste plateau sur 
lequel il domine. La longueur de ce tertre est de 40 
mètres de l’est à l’ouest; sa largeur du nord au sud 
est de 20 mètres. 

Des pierres brutes de différentes grosseurs sont dispersées 
ça et là sur le monticule: plusieurs y sont disposées 
par groupes, plus ou moins nombreux. Cet amas de 
roches est connu dans le pays sous le nom de Du 
ou de Neuches , c'est-à-dire, Nôce, 

Les blocs placés en védette du côté de l'occident , sont 
remarquables par leurs dimensions, lisolement où ils sont 
entreux , et par la distance qui les sépare des groupes 
qui occupent la partie orientale : on les appelle les violons. 
L'un de ces blocs, plus volumineux que les deux autres, 
est la basse ou le gros violon. Quelques petites pierres 


L 


ds ERIC gr : z Pa: 
- “ > É 


(a) Le côteau s'élève jusqu’à 180 mètres au - dessus du 
niveau de la basse mer, On l'appelle la montagne jo haut 
EBoulonnais. 


. 


MÉMOIRES. 353 


qui environnent les trois ménétriers sont des enfans 
qui s'amusent au son des instramens. 

Les groupes bordant le côté septentrional du Tumulus, 
celui au centre et celui du côté mér.dional, sont les 
danseurs : les blocs épars confusément au sud et à l’est, 
représentent les assistans et ceux qui, après avoir dansé, 
se reposent sur: le gazon. 

Telle est la tradition Orale transmise de père en fils 
dans les lieux circonvoisins. Les uns attribuent l’origine 
de ce monument à la vengeance exercée par le Tout- 
Puissant, contre une assemblée de Nôces où l’on dansait, 
tandis que le Curé de la paroisse allait administrer le 
St. Sacrement de l’Eucharistie à un malade des environs. 
Tous ces Mécréans furent changés en HS afin de 
servi: d'exemple à la postérité, 

D’autres , mieux informés sans doute, prétendent qu’an 
tems jadis, il y avait des fées qui, pendant la nuit, 
s’assemblaient dans cet endroit, qu’elles y formaient des 
danses; qu'un jour, ou plutôt qu’une nuit, s'étant 
oubliées dans leurs divertissemens , elles passèrent l'heure 
assignée et furent incontinent transformées en rochers. 
Cette version vaut bien l’autre ! 

À travers l’absurdité de ces contes, on aperçoit en- 
core quelques points lumineux qui peuvent guider dans 
la solution de ce problème archéologique. | 

D'abord, la position du monument sur un terrain 
absolument vierge, dans la plaine la plus spacieuse et 
Je point le plus élevé du bas Boulonnais , induit À penser 
que-ee-tertre était un Mallus, c’est-à-dire un sanctuaire 
où les habitans de ce canton , autrefois nommé Gésoriac, 
venaient adorer et consulter la Divinité à laquelle ce 
lieu était consacré, 


334 . MÉMOIRES. 


. Cette opinion est fondée 1. Sur ce que les peuples 
Celtes et Gaulois, regardant la terre comme la mère 
commune du genre humain (1), avaient pour principe 
d'établir leurs sanctuaires dans des lieux incultes, où 
Jon ne vit rien qui ne fut l'ouvrage de la nature, et 
où Ja main de l’homme n'eut point dérangé ni séparé 
les parties d’une matière qui était pour ainsi dire le corps 
et le véhicule de la Divinité (2). | 
2.° Elle est fondée sur ce que ces mêmes peuples 
étahlissaient leurs Mallus à une distance considérable des 
Jieux habités, sur des montagnes. où la Divinité, qui 
xemplit l'univers , avait un passage ouvert et libre... 
daus des bruyères dont le fond n’avait pas été remué (3). 
-.3.° Sur la coutume usitée parmi ces mêmes peuples 
de porter, dans les lieux consacrés, un grand nombre de 
pierres, afin d'empêcher le soc de la charrue de déchirer 
Je sein maternel (4). | 
.. 4? Enfiu elle est fondée sur ce que ces sanctuaires 
étaient établis en rase campagne, le long des. grands 
chemins, et sur-tout -dans des carrefours où plusieurs 
chemins se réunissaient, atin que les habitans des cantons 
circonvoisins pussent s’y rassembler lors des solennités (5}. 
Il est facile de démontrer que toutes les conditions 
requises pour l'établissement d’un Mallus se trouvent 
réunies dans l’endroit où le Tumulus des Danses est placé. 
On a dù voir, par la description du local, que le 
monument de Landerthun est situé en rase campagne, 
sur le plateau le plus élevé du Boulounais ; qu'il est 


d (1) Tacite. De Moribus germ. (3) Cicéro. De Leg. Le 2e 
© (2) Strabo. xv, 732 ‘ (4) Just, XLIV, 3 
(5) Poultier. Fist. des Celtes, 1V, NI . ne 


MÉMOIRES. 333 

distant de 600 mètres de l’habitation la plus voisine: 
que malgré cet isolement , il touche , par son côté méri- 
dional, au chemin de Boulogne à Ardres, dont les 
tamifications sont nombreuses en cet endroit; que ce 
monticule est couvert de pierres dont l'espèce ne se 
trouve employée dans aucune construction (a). Enfin 
ces blocs rangés dans un certain ordre pourraient encore 
faire penser qu'ils entraient dans la composition d'un 
thême céleste. ou que ces pierres rappelaient au sou 
venir des habitans du lieu, des époques intéressantes 
pour eux. 
Les preuves que l’on vient de produire en faveur de 
l'établissement d’un Mallus ne sont. pas les seules que 
les localités nous fournissent; en voici d’une espèce 
différente encore. 

La terre, pour laquelle les Celtes avaient une vénéra- 
tion particulière, était appelée dans leur langagé Herthum'; 
JNecquicquam notabile in singulis, nisi quod in commune 
Herthum , id est terram matrem colunt, dit Tacite: et 
ce passage est d'autant plus remarquable, que ‘le nom 
du village de Landerthun, sur le territoire duquel sont 
les Danses, désigne dans le langage Celtique, l’origine 
et l’usage de ce monument. Land signifie territoire, 


(a) Cette particularité, de me trouver cette pierre dans 
aucune construction , quoiqu’elle soit de belle et bonne qualité, 
influe beaucoup sur ceux qui croient à la métamorphose des 
danseurs. Un propriétaire, Cartier, du village de. Ferques, 
‘homme de bon sens d’ailleurs, voyant un éclat de ce marbre 
que je venais de détacher d’un des blocs, me fit remarquer 
qu’il ressemblait à de la chair pétrifiée, et que .l’oh n’en 
truuvait point de pareille dans les carrieres du pays. 


336 | MéMoïinExs. 


pays, lieu sacré, (a) Ærthum est bien le nom de la 
Divinité révérée dans ce sanctuaire, que Zacite dit s’ap- 
peler Herthum; ces noms ne diffèrent que par l’aspiration 
forte A, qui dans le premier est atlirée par la voyelle 
faible e qui la suit immédiatement ; au lieu que dans le 
second , .c'est-à-dire dans le nom ancien Herthum, 
l'articulation forte se prononce . véritablement. 

Les Celtes s'imaginaient que la Déesse Herthum allait 
_wisiter les peuples quand il lui en prenait la fantaisie, 
et voici comment elle voyageait, suivant le même historien, 
Tacite. | | 

» Dans une des îles de l'Océan , dit-il, il y a une 
» forêt vierge (b) daus laquelle on conserve un chariot 
» consacré à Herthum : il est couvert d’un voile, et 
» personne n'a la permission de le toucher, que le Sa- 
» crificateur de la Déesse. Celui-là observe le tems où 
» la Déesse se trouve dans le lieu qui lui est consacré , 
» et suit avec beaucoup de respect la voiture traînée 
# par deux vaches. On fait de grandes réjouissances, 
» on célèbre des fêtes dans tous les lieux où elle passe : 
» pendant cette solennité on ne fait point la guerre, 
» on ne porte point les armes, qui sont toutes enfer- 
» mées. Ce n'est que pendant ce tems que la paix et 
» Île repos sont connus et aimés. Lorsque Herthum est 
» rassasiée d’habiter parmi les mortels, le même sacri- 
» ficateur la ramène dans le temple. Le chariot, la 


Ÿ 


| 


\ ; 

(a) Froissart assure que ce mot Land signifiait un Monastère; 
d’où est venu le nom de Landi donné à la foire acéardée au 
-Monastère de St. Denis. . 

(8) C'est-à-dire une forêt dont les arbres n’avaient. jamais 
été taillés. 


MÉMOIRES. 337 


» couverture, et, si. l’on veut le croire, la Déesse elle. 
» même, sont lavés dans un lac caché et inconnu. On 
» emploie à cette cérémonie des esclaves qui sont noyés 
» dans le lac même. De-là naît une frayeur religieuse 
»# qui réprime toute curiosité profàne sur un mystère 
» que l’on ne peut vouloir pénétrer sans qu'il en coûte 
» la vie à l'instant. » (a) 

En allant de Landerthun à Ardres , lorsqu'on a par- 
couru 5 kilomètres et demi, on trouve une branche 
de chemin qui traverse une partie du territoire d’un 
autre village nommé aussi Landerthun , auquel on ajoute 
l'épithète de lès 4rdres, pour le distinguer du premier 
que l’on appelle Landerthun le Nord. La branche de ce 
chemin prolongée aboutit à Terrouenne, Tarvana, an- 
cienne capitale de la cité des Morins. | 
\ Ce Landerthun lès Ardres, se trouvait sur le territoire 
des peuples Oromansacs, contigu au canton Gesoriac ; 
(1) c'était probablement un lieu de séjour pour Hertbum, 
lorsque faisant sa tournée , elle visitait les peuples de 
ce canton Oromnansaec. 


(a) Est in insula oceani Castum nemus , dicatum in eo vehiculum 
veste contectum, attingere uni sacerdoti concessum. Is adesse 
penetrali deam intelligit, vectamque bubus fæminis cum veneratione 
prosequitur, Læti tunc dies , festa loca, quæcunque adveniu 
hospitioque dignatur. Non bella ineunt , non arma sumunt , clau- 
sum omne ferrum. Paz et quies tunc tantum nofta, tunc fantum 
amata, donec idem sacerdos satiatam conversatione mortalium 
deam templo reddat, Mox vehiculum et pestes ; et si credere velis, 
numen ipsum secreto lacu abluitur, Servi ministrant | quos statim 
idem lacus haurit. Arcanus hinc terror, sancia que ignorantia, 
quid sit illud quod tantum perituri vidents . 
| (r) Pline : Nat, hist Lib. xvir. 


r> 


- 


338. MÉMoIrnEzxEs. 


La terre, ou le principe passif, n’était pas la seule 
Divinité révérée par les peuples de cette contrée. L'esprit 
universel, l'âme du monde, le principe actif, paraît avoir 
eu son simulacre dans l'endroit nommé le Coderous, 
distant d'un kilomètre à l'est des Danses. Ce simulacre 
était un chêne, pour lequel les Druides avaient la plus 
grande vénération. Cod ou God en celtique signifie bon, 
excellent, Dieu: Rove (a) désigne un chêne, ainsi 
Cod-Rove que l'on prononce ici, Coderous signifie le 
Chène de Dieu. 

Les peuples Celtes et Gaulois pensaient aussi que les 
lacs, les fleuves et la mer même étaient sous la protec- 
tion de certains génies qui avaient coutume d'y résider , 
et dans cette persuasion ils rendaient un culte religieux 
à ces diverses parties de la nature. Nous retrouvons 
encore ici des traces de cette ancienne superstition. Une 
source peu éloignée du Mallus d'Herthum , vers le sud- 
est, a, dit-on, la propriété de fournir, aux vraïiscroyans, 
un breuvage délicieux la veille de la St. Jean d'été à 
minuit très - précis. Il faut seulement être à jeun et 
en état de grâce, comme de raison; alors on peut à 
loisir s’abreuver d’un vin excellent qui ne coûte rien 
que la peine de le puiser à la fontaine. Ce vin là est 
bien naturel, sans doute (b). 


2 PE) 


(a) Ce mot Hove, chêne , nous a été conservé dans la vie de 
St. Joave ou Jovin, qui se trouve dans les actes des Saints 
de Bollandus au second de Mars. De-là, le mot français 
Houvre , et le mot Robur que les latins avaient emprunté 
des Gaulois. — | 
| (6) Lette propriété supposée est fort acoréditée dans les 
villages des environs. On m'a raconté, et je me suis fait 
répéter, en différens tems et en divers endroits, l’histoire 


MÉMOIRES. 359 


Quelques-uns des peuples Celtes plaçaient dans leurs 
‘ sanctuaires une pierre qui représentait la divinité que 


des Danses et de la fontaine miraculeuse qui est auprès; on 
m’a cité des personnes de Landerthun qui s’étaient rendues 
sur les lieux pour attendre l'instant propice. J’ai vu une de 
ces personnes âgée maintenant d’une soixantaine d’années ; 
elle m’a confessé de bonne foi, qu’étant accompagnée de deux 
äutres earmarades , ils s’étaient rendus auprès de la fontaine 
ün soir, veille de la St. Jean, pour attendre minuit; que 
malheureusement ils furent saisis d’une torreur panique quel- 
ques momens avant l'heure précise, et qu’ils avaient regagné 
leurs gites au plutôt. 

Il n’y a rien d'étonnant dans la crédulité des habitans de 
nos campagnes, gens simples de mœurs, et d’une foi très— 
rigoureuse , lorsque nous apprenons de Pline, livre 4, chap. 
103, de son histoire naturelle, que dans l’ile Dardros il y 
a an temple dédié à Bacchus, dans lequel l’eau d’une fontaine 
se change toujours en via Je 6.° jour de janvier. 7n ÆAndro 
insula templo lberi patris fontem nonis januaris semper sini 
sapore fluere. Et lorsque St. Epiphane nous assure que par un 
prodige fort surprenant, on voyait de son tems, en divers 
endroits, plusieurs fontaines et quelques rivières dont l’eau 
se changeait en vin, ou en prenait le goût avec la couleur 
au jour anniversaire du miraele fait par J.-C. aux nôces de 
Cana; qu’il proteste même avoir goûté lui-même du vin de 
lune de ces fontaines à Cibyre , dans l’Asie mineure, décla- 
rant de plus que des Moines de sa connaissance avaient éprouvé 
la même chose d’une autre fontaine qui était dans l’église 
de la ville de Gerase, en Arabie; que quelques-uns publiaient 
la même chose des eaux. du Nil, ( dans certains endroits ), 
et que les Égyptiens en prenaient de J’eau le jour de l’Epir 
phanie pour la conserver. ; 
_ Baillet, qui rapporte ces témoignages dans la vie des Saints, 
t. 1. p. 82, dit que lon ne doit pas rejetter légèrement Pautorité 
dun aussi saint homme qu’EÉpiphane , suriout en ce qu’il assure 
sur le iémoignago de sa propre expérience. | 


340 MÉMOIRES. 


l’on y adorait. Cette pierre était distinguée de celles que 
l’on portait dans les lieux consacrés pour empêcher le 
remuement du sol. 

Il n'est pas possible de reconnaître parmi es pierres 
des Danses, celle qui aurait pu représenter la Divinité 
du lieu. On remarque seulement dans le groupe un 
bloc qui semble attirer les regards des gens du pays 
d’une manière plus particulière que les autres. La partie 
supérieure de cette pierre se trouve creusée par. hazard 
et d’une manière très-irrégulière : cette cavité peut avoir 
de 30 à 35 centimètres de longueut sur 25 à 30 de lar- 
geur: sa profondeur très-inégale est de 20 à 22 centi- 
mètres. Des parties plus ou moins saillantes couvrent. 
cette espèce de vase du côté méridional ,. et par ce moyen 
empêchent les rayons du soleil d'y pénétrer: de plus, 
l’intérieur du bloc est complètement saturé par l’eau des 
pluies et les rosées qui l’humectent depuis que la pierre 
est déposée en cet endroit. Il reste donc toujours quelque 
peu d’eau dans ce réceptacle, et cette circonstance a pu 
frapper ceux qui ont visité les Danses à plusieurs reprises 
et les induire à penser que l'eau distillait de la pierre, 
qu’elle était intarissable et par conséquent douée de quel- 
que vertu singulière. Me trouvant sur les lieux par un 
très-beau tems, et après une sécheresse de quelque durée , 
on me fit remarquer ce prétendu phénomène. Je crus 
qu'il était convenable d’en faire voir l’absurdité ; je cassaï 
Je bord septentrional du réservoir et fis remarquer à mon 
Cicérone que l’eau ne revenait d'aucun côté, ce qui 
mé parut le surprendre. 

Après avoir découvert les lieux consacrés au culte des 
anciens habitans de ce pays, il est à propos de faire Îa 
recherche de ceux où les Ministres de leur religion 
faisaient leur résidence. | 


MÉMOIRES. 341 


En jettant les yeux au sud du Mallus d’Herthum, 
on apperçoit un petit vallon d’un aspect agréable, qui 
reçoit la liqueur limpide que fournit la source miracu- 
leuse dont nous avons parlé plus haut. À un kilomètre 
environ de cette fontaine , et sur le penchant du côteau 
du côté oriental, on trouve une habitation dont le nom 
Bardes (a) ne laisse aucun lieu de douter que cet endroit 
ne fut le séjour de l’ordre sacerdotal nommé les Bardes, 
qui, chez les Gaulois, étaient chargés de composer des 
hymnes et de: poëmes héroïques pour honorer les Dieux, 
et célébrer les actions glorieuses des grands hommes de 
leur Nation (1). 

Les Fates , autre classe de prêtres Gaulois, fournissaient 
un Sacrificateur chargé de l'interprétation des présages , 
de la prédiction des choses futures, et des réponses à 
faire à tous ceux qui venaient consulter la Divinité (2). 
Ce souverain poutife vivait dans la retraite, présentait 
les offrandes et ne communiquait point avec le reste 
des humains. Le village de Ferques paraîtrait avoir été 
le lieu de la résidence de ce Sacrificateur. Selon Ducange, 
Ferctum désigne une offrande que l’on présentait dans 
les temples ; Genus libi dictum quod crebrius ad sacra 
Ferebatur. Ferctor était le nom du Sacrificateur. 

Les Druides qui composaient le troisième et le plus 
nombreux des ordres sacerdotaux , s’adonnaient particu- 
lièrement à l’étude de la phylosophie naturelle et de la 
morale: ils occupaient les lieux retirés, les solitudes les 
plus profondes. C’est dans ces retraites que l’on allait les 
consulter (3). Le village de Caffiers, dans un lieu couvert 


(r) (2) (3) Strabo, Lib 1v. . 
(e) La carte de l’Académie nomme aussi cet endroit les Bardes. 


542 MÉMOIRES. 


et enfoncé, dans le voisinage de plusieurs bois, semble- 
rait indiquer la résidence de ce chœur pontifical. Cofen 
celtique , signifie creux, retraite , solitude. Les ruines de 
l'ancienne abbaye de Beaulieu donnent encore un certain 
poids à cette hypothèse. 
Examinons maintenant les motifs qui ont pu faire 
donner le nom de Danses au Tumulus de Landerthun. 
Les peuples Celtes et Gaulois attribuaient à la lune 
une grande influence sur toutes les parties du monde 
sublunaire: ils pensaient que cette influence arrivait à 
son maximum avec le sixième jour du croissant, c’est 
pourquoi ils appellaient ce jour-là Guerit - tout (x). 
Cependant le jour de la pleine lune était l’époque ordi- 
naire de leurs assemblées; alors ils passaient la nuit hors 
de leurs domieiles en chantant et en dansant au son des 
instrumens de musique. Lorsqu'ils se rendaient aux 
assemblées religieuses , ils portaient chacun un flambeau 
qu’ils déposaient devant l’objet de Icur vénération. 
Ces coutumes datent de la plus haute antiquité : elles 
- étaient pratiquées par tous les peuples Celtes et Gaulois 
qui occupaient ka majeure partie du territoire Européen. 
Elles s'étaient enracinées chez ces peuples de manière à 
s'y éterniser. Long-tems après l'établissement du chris- 
tianisme , elles étaient encore en usage, malgré les dé- 
 fenses expresses des canons et la publication des édits 
les plus rigoureux. | 
= Charlemagne proscrivit absolument ces usages ; un de 
ses capitulaires porte: » A l'égard des arbres, des pierres 
» et des fontaines où quelques insensés vont allumer 
» des chaudelles et pratiquer d’autres superstitions ; nous 


RS RER SERIE 
(x) Pline xviuxr. | ot 


— 


MÉMOIRES. 343 


» ordonnons que cet abus si criminel soit aboli et en- 
» tièrement détruit partout où il se trouve établi. » 

Dans un autre capitulaire il est dit que , « s’il se trouve 
» dans une paroisse des infidèles qui allument des flam- 
» beaux , et qui rendent un service religieux aux arbres, 
» aux fontaines et aux pierres, le curé qui négligera 
» de corriger un pareil abus doit savoir qu'il est cou- 
» pable d'un véritable sacrilège. » 

Pour éluder, autant que possible , » des ordres si 
positifs, les Gaulois restés fidèles au culte de leurs 
ancêtres se rendaient furtivement aux assemblées qui se 
tenaient pendant la nuit dans les campagnes les plus 
désertes : là, on offrait des sacrifices accompagnés de 
cérémonies que le peuple appellait magiques, parce que, 
dit Pelontier , il n’y comprenait rien. Alors, les accusa-" 


tions de sorcellerie furent prodiguées aux adorateurs de 


la terre et de la nature, et donnèrent lieu à Ja fable 
du sabbat où les sorciers tiennent pendant la nuit des 
assemblées que le diable préside. 

Les Danses qui terminaient ces réunions , etla blancheur 
éclatante des vêtemens des Druides, firent inventer les 
contes ridicules des danses des fées, et lorsque la re- 
hgion chrétienne fut la seule pratiquée dans le Boulon- 
nois on voulut donner à ces contes une tournure analogue 
au culte nouvellement établi : alors on imagina l’histoire , 


non moins absurde , de la nôce rassemblée sur la commune 


de Landerthbun pour le divertissement des danses, le 
passage du curé portant le St. Sacrement , le refus de 
fléchir le genou devant le Créateur, et la punition de 
ce crime abominable qui suivit aussitôt. Enfin les acteurs 
se trouvant encore rangés dans le lieu même de l’action 
imaginaire , le nom de Danses ou de Neuches fut donné 


4 


344 MÉMOIRES. 


au tas de pierres, et lui fut conservé jusqu’à ce jour. 
= Les cérémonies et les danses druidiques finissant lors- 
que l'aurore venait annoncer Île retour du soleil sur 
l'horison, il ne faut pas s'étonner de voir le nom de 
point du jour donné à quelques habitations où hameaux 
éloignés d’un kilomètre au sud-est des Danses, c’est le 
point du lever du soleil, au solstice d'hyver, époque 
des nuits les plus longues. 

Une masse de preuves aussi considérable , parmi les- 
quelles il s’en trouve qui portent le sceau de l'évidence, 
doit sufhre pour démontrer que le monument de Lan- 
derthun, connu sous le nom de Danses ou Neuches , était 
un Mallus ou sanctuaire consacré à Herthum ou à la terre, 
à qui les Celtes rendaient un culte particulier comme 
à la-mère des humains. Il serait possible encore que dans 
les environs de Landerthun il y eut une forêt vierge comme 
dans l’île désignée par Tacite , où le chariot de la Déesse 
eut été déposè au retour de ses voyages. Au pied de la 
montagne du haut Boulorinais, entre Cafiers et le Ventus, 
on trouve un endroit nommé Bastret: ce hameau qui 
occupe le point le plus bas de la contrée est situé au 
confluent de deux vallées qui se croisent et qui par 
conséquent couvrent Bastret de tous côtés. En supposant 
que le sol ardu fut anciennement couvert d’arbres an- 
tiques et touffus , qui l’ombrageaient dans les tems 
reculés dont nous nous occupons, on aura l'idée d’un 
licu inaccessible à tous regards profanes et curieux; 
d’un lieu tel que Tacite dépeint le Castum nemus qui 
était parvenu à sa connaissance, et qui certainement 
n’était point le seul qui existât sur l'immense territoire 
des Celtes et des Gaulois. | | 
_ Le nom de Bastret que porte le hameau dont nous 


ES um 


MÉMOIRES. 345 


venons de parler peut avoir de l’analogie avec celui de 
Basten qui selon Bullet, dans son dictionnaire Celtique, 
désigne un Char garni de tapis molleis traîné par des 
animaux , et par conséquent semblable au chariot d’AHer- 
thum, décrit par Tacite. 

Il résulte donc de tout ce qui précède que le territoire 
des villages de Landerthun , de Ferques et de Caffiers 
était l'emplacement que le Clergé Druidique de la cité 
des Morins avait choisi pour y faire sa résidence , et 
que c'était là que les peuples de cette contrée venaient 
célébrer les mystères de leur religion et consulter les 
oracles. 


346 MÉMOIRES. 


\ 
AAA AAA AA AAA AAA ns à | 


MÉMOIRE 
SUR UN NOUVEL ALCALI 
| (LA STRYCHNINE) 
| | | TROUVÉ ! 
DANS LA FÈVE DE NE 4 
LA NOIX VOMIQUE, ETC. 


PAR MM. PELLETIER ET CAVENTOU , 


Membres correspondans de la Svcieté royale d'Arras. 


Lx pensait que les plantes d’une même famille , et, 
à plus forte raison, celles d’un même genre, étaient le 
plus souvent douées de propriétés médicales analogues. 
Murray et Gmelin partageaient cette opinion: c’est encore 
la doctrine que professent les plus célèbres botanistes de 
nos jours. | 

Si, comme on n’en peut douter d’après de telles autorités, 
l’action que les végétaux peuvent exercer sur l’économie 
animale est en rapport avec leurs formes essentielles , 
de sorte que les plantes d'une même famille possèdent 
généralement les mêmes propriétés médicales, n’est - ce 
pas parce qu'elles contiennent les mêmes matériaux 
immédiats , et avec ceux-ci un même principe dont l’action 
sur l’économie animale, plus forte , plus énergique, semble 


imprimer un caractère à toutes les parties du végétal qui 


le renferment ? Et si Gleditsch , Cullen et plusieurs autres, 
ont assuré qu’on ne pouvait juger des vertus des plantes 
d’après leurs formes extérieures et leurs caractères bota- 

niques 


LES 


MÉMOIRES. 347 
niques, c'est qu’ils attachaient un sens trop littéral aux 
expressions dont se servaient leurs adversaires. Mais en 
posant ainsi la question : 

Les végétaux doivent leurs propriétés rides aux 
matériaux immédiats qui les constituent; les végétaux 
d’une méme famille contiennent le plus souvent les mêmes 
matériaux ou principes immédiats ; la propriété médicale 
caractéristique , dans chaque végétal, est principalement 
due à l’un de ces corps ; l'intensité de cette propriété es£ 
proportionnelle à la quantité du principe qui la détermine, 
et si ce principe vient à manquer dans une espèce, la 
propriété médicale caractéristique de la famille manque 
avec lui; alors l'accord le plus parfait touchant ce sujet 
régnera parmi les botanistes, C’est dans le but d’établir 
ces vérités d’une manière incontestable que nous avons 
entrepris des recherches chimiques sur les végétaux les 
plus actifs de la matière médicale. 

Parmi ceux-ci, on a signalé avec raison plusieurs 
espèces du genre sérychnos , et particulièrement la noix 
vomique et la fève de Saint-Ignace ( sérychnos nux vomiea 
et strychnos ignatia ). Ces deux graines ont, dans ces 
derniers temps, attiré toute l'attention des physiologistes , 
et la première a donné lieu à de savantes dissertations 
lues dans le sein de l’Académie. Les effets de la seconde 
ont été aussi observés; mais les difficultés de se procurer 
cette semence ont rendu les observations moins nom- 
breuses. Plusieurs travaux chimiques avaient aussi été 
entrepris sur la noix vomique , et il existait deux analyses 
de cette semence; l’une publiée par M. Desportes, et 
l'autre , peu différente, par M. Braconnot. L'on ignorait, 
au contraire, entièrement la composition de la fève de 
Saint-Ignace, jusqu’à l’époque où nous étant procuré 

Tome 1. 8°" Liv. 23 


348 MÉMOIRES. 


, une certaine quantité de cette substance, nous lavons 
soumise à l'examen. C’est en nous occupant de ce travail 
que nous sommes parvenus à isoler le principe actif de 
cette matière et des autres sérychnos vénéneux. Nous 
Pavons obtenu sous forme cristalline, parfaitement blanc, 
et avec tous les caractères d’une substance pure et toute 
particulière, douée des propriétés distinctives et carac- 
téristiques des bases salifiables, c'est-à-dire, de la faculté 
de s'unir aux acides, de les saturer en formant avec eux 
de véritables sels neutres , solubles , a et 
cristallisables. 

. Eucouragés par ce succès nous avons repris l’analyse de 
la noix vomique , et nous n'avons pas tardé à retrouver 
dans cette matière le principe alcalin de la fève de Saint- 
Ignace. Dans la noix vomique, il eonstitue, par sa 
combinaison avec un acide et son mélange avec une 
matière colorante , le principe jaune amer décrit par 
MM. Desportes et Braconnot. Il existe enfin dans un 
bois connu sous le nom de bois de couleuvre, et que 
les naturalistes rapportent à un strychnos (srychnos 
colubrina ). 

 L'exposé des propriétés chimiques de la matiere active 
des strychnos et de son action sur l’économie animale, 
fait le sujet de ce Mémoire. 

La présence d’une matière active dans trois espèces 
de plantes d’un même genre nous autorise à faire dériver 
le nom quil est nécessaire de lui imposer comme subs- 
tance nouvelle, du nom même de ce genre: en consé- 
quence nous proposons d'appeler sétrychnine la substance 
qui fait le sujet principal de ce Mémoire. 

Nous l’avions d’abord nommée vauqueline , en l'honneur 
du célèbre chimiste qui le premier a signalé un’ a/cali 


MÉMOIRES. 349 


orgaganique (1); mais nous nous sommes rangés à 


(r) Rappelant ici une découverte sur laquelle M, Vauquelia 
a trop peu insisté, on nous permettra de citer le passage où 
on la consigne : « Nous étant appercus que le principe âcre 
n du daphné ne sévaporait point avec l’alcohol , et qu’il 
n s’évaporait, au contraire, avee l’eau, nous avons distillé 
n la dissolution de ce principe dans l’alcohol, jusqu’à ce qu’il 
n ne restât plus de ce dernier; et, après avoir étendu le 
résidu avec de l’eau et filtré la liqueur pour en séparer la résine 
verte, nous avons distillé de nouveau cette liqueur jusqu’à 
ce qu’elle fût réduite en consistance sirupeuse. Cette subs- 
tance n’avait plus alors de saveur êcre; mais J’eau distillée 
que nous avons obtenue en avait une très-marquée , qui 
ne se faisait sentir qu’une heure après l’avoir mise dans 
la bouche, mais dont l’intensité croissait pendant plusieurs 
heures, et ne cessait entièrement qu’au bout de vingt-quatre 
à trente heures. Voici les phénomènes que cette eau a 
présentés aux réactifs: 1.° elle rétablit la couleur de tour- 
nesol rougi par un acide; ce qui prouve qu’elle contient un 
alcali , ou une autre substance qui agit de même; cependant 
elle ne verdit pas la teinture de violette ; 

» 3° Elle précipite en blanc l’acétate de plomb, et ce pré- 
n oipité prend, quand on l’agite, un aspect brillant satiné, 
» comme une ancienne dissolution de savon de suif ; 

» 3.9 L’eau de chaux ni l’eau de baryte n’en éprouvent 
n aucan changement; ce qui prouve que cette liqueur ne 
» contenait pas de carbonates alcalins. 

n 4° Elle précipite le sulfate de cuivre en flocons bJanchâtres 
n tirant un peu sur le vert, | 

» 5.° Elle trouble légèrement Île nitrate d’argent; mais la 
» liqueur devient rose au bout d’un certain temps. Sont-ce 
» quelques traces d’ammoniaque contenues dans cette eau qui 
n produisent les effets qui viennent d'être exposés, ou scrait-ce 


SI III II YŸYS 3 


% 


n la matière âcre elle-même ? Je serais assez disposé à le croire, » 
(Annales de Chimie , tom. LXXXIV.) 


550 | MÉMOIRES. 

Pavis de MM. les commissaires de l’Académie , qui ont 
pensé qu’un nom chéri ne pouvait étre appliqué à un 
principe malfaisant. Nous ne parlerons pas de tous les 
essais que nous avons faits sur la fève de Saint-Ignace 
ét la noix vomique, pour séparer les différens principes 
immédiats que renferment ces substances. Nous croyons 
cependant devoir rapporter les observations qui nous ont 
conduits à la découverte de la strychnine, cet exposé 
pouvant offrir quelque intérêt sous le point. de vue de 
l'histoire de l'analyse végétale, 

Extraction de la Strychnine. 

_ La texture cornée de la fève de Saint-Ignace, et la 
quantité de matière grasse qu’elle contient , n’ayant pas 
permis de la réduire en poudre, nous l'avons divisée au 
moyen de la râpe. Dans cet état, elle a été soumise à 
l'action de l’éther sulfurique dans le digesteur à soupape. 
Nous avons , par ce moyen , obtenu une sorte de beurre 
. ou d'huile de consistance épaisse d’une couleur légère- 
ment verdâtre , transparente lorsqu'elle est à l’état de 
fusion. Cette huile, que nous regardions d’abord commie 
un principe pur, avait sur l’économie animale l’action 
caractéristique de la fève de Saint-Ignace, et faisait périr 
les animanx dans les accès du tétanos. Nous verrons 
plus bas que cette propriété n'appartient pas à l'huile , 
mais à un corps qu’elle renferme, et que nous n'y 
soupçonnions pas alors. 

La fève de Saint-Ignace, ne cédant rien de plus à 
l'éther , fut traitée par l’alcohol bouillant. Les nombreuses 
décoctions alcoholiques que nous avons été obligés de 
faire pour enlever à la fève de Saint-Ignace tout ce qu’elle 
contenait de soluble dans ce menstrue, ont été réunies 
après avoir été filtrées deux fois: la première fois, bouil- 


MÉMOIRES. S5Y 
lantes, pour les séparer da corps de la semence ; la seconde 
fois, après être entièrement refroidies, pour obtenir une 
petite quantité de matière cireuse qui s'était séparée par 
le refroidissement. Alors elles ont été soumises à l'éva- 
poration , et ont laissé une matière d’un brun jaunâtre, 
très-amère, soluble dans l’eau et dans l’alcohol. Cette 
matière avait sur l’économie animale l’action la plus 
vive el la plus énergique, 

_ Jusqu'ici notre analyse marchait parallèlement aveo 
l'analyse de la noix vomique , telle qu’elle avait été faité 
par MM. Desportes et Braconnot. Comme ces chimistes, 
nous trouvions une matière grasse très-active, et une 
matière jaune -brunâtre très-amère, non moins active 
que celte dernière. Cependant il nous répugnait d’ad- 
mettre que deux corps si différens par leurs propriétés 
chimiques , que la matière grasse et la matière jaune 
amère ; eussent une action semblable sur l’économie 
animale ; et regardant toujours la matière grasse comme 
uve substance homogène et pure; ayant , au contraire, 
de fortes rafsons pour considérer le principe amer coloré 
comure un composé plus ou moins complexe, notre 
attention se porta sur ce dernier, et supposant qu'il 
retenait de la matière grasse en combinaison, nous 
variâmes nos essais pour l’en séparer entièrement. Nous 
parvimmes , il est vrai, par plusieurs moyens, à en 
séparer encore une petite quantité de matière grasse ; 
mais il conservait toujours son activité. Les solutions 
dans l’eau et l’alcokol , l’action de l’éther, des sels , des. 
| oxides métaHiques ,; furent en vain éprouvées , et nous 
restions toujours dans la même incertitude. Enfin, nous 
étant aperçus que la matière grasse élait susceptible 
d’être saponifiée, nous tentâmes de l’attaquer dans la 


592 MÉMOIRES. 


matière amère colorée:, en employant les alcalis, espé- 
rant trouver plus de facilité à opérer la séparation de 
la matière grasse lorsqu'elle serait dans l’état de la sa- 
ponification. Ayant donc mêlé une solution de potasse 
caustique avec une solution assez concentrée de la matière 
jaune amère obtenue de la fève de Saint-Ignace , il se 
fit sur-le-champ un précipité abondant. Ce précipité , lavé 
à l’eau froide , dans laquelle il était insoluble , a offert une 
matière blanche, cristalline , d’une excessive amertume ; 
la jiqueur alcaline retenait toute la matière colorante, 
‘et un acide sur lequel nous reviendrons par la suite. 

: Après avoir ainsi obtenu la matière blanche, nous 
nous hatâmes d’examiner ses propriétés. Nous aperçûmes 
bientôt qu’elle possédait celle de ramener au bleu les 
couleurs végétales rougies par les acides , quoiqu'il fût 
impossible de reconnaître les moindres traces de potasse 
dans les derniers lavages de la matière blanche. Cepen- 
dant , pour lever jusqu’au moindre doute, nous prépa- 
râmes de nouvelles quantités de matière cristalline, en 
traitant quelques grammes de matière jaurfé amère par 
de la magnésie bien pure , à l’aide de l’ébullition prolongée 
quelques minutes. Le tout refroidi et jeté sur un filtre 
qui retenait la magnésie et la matière cristalline à l'état 
de mélange , la matière colorante fut entièrement enlevée 
par des lavages à l’eau froide, qui n’a que peu d'action 
sur le principe amer cristallin: celui-ci étant, au contriire , 
très-soluble dans l’alcohol , fut séparé, par ce moyen, de 
la magnésie, et obtenu dans un grand état de pureté. 
Dans cet état, il jouissait d’une manière très-marquée 
des propriétés alcalines. | 

‘L'action épouvantablement énergique que cette matière 
exercait sur l’écenomie animale , action constatée par un 


MÉMOIRES. 353 
grand nombre d'expériences rapportées à la fin de ce Mé- 
moire, ne pouvait plus nous faire balancer à regarder 
cette substance comme le principe actif de la fève de Saint- 
Ignace ; maïs alors il devait se retrouver dans la matière 
grasse, et celle-ci , en:s’en dépouillant , devait perdre ses 
propriétés vénéneuses. L'expérience a confirmé notre idée. 
En dissolvant à froid fa matière grasse ‘dans de l’éther, 
nous avons obtenu une certaine quantité de matière 
cristalline, et nous sommes enfin parvenus à dépouiller 
la matière grasse de toute action sur l’économie animale, 
en la faisant bouillir long-temps dans de leau acidulée 
avec l'acide hydrochlorique , qui s’emparait des dernières 
portions de matière alcaline. | 
©" La matière amère cristallisée alcaline de la fève de Saint- 
Ignace, ou, pour ne*plus se servir de périphrase, la 
strychnine, devait se trouver dans la noix vomique : 
l'expérience confirma bientôt nos soupçons ; mais obtenue 
par le même procédé, elle n’était ni blanche ni cristalline 
comme celle fournie par la fève de Saint-Ignace , et ik 
était assez difficile de la reconnaître. Si nous n’avions pas 
été prévenus en faveur de son existence par nos expé- 
riences sur la fève de Saint-Ignace, elle aurait pu échapper 
à nos recherches comme à celles des chimistes qui nous 
ont précédés dans l'analyse de la noix vomique. Elle 
était colorée, poisseuse, se pelotonnait et se prenait en 
masse. Nous reconnûmes qu’elle était souillée d’une 
grande quantité de matière grasse dont il faHait la dé- 
barrasser. Le procédé le plus prompt et ke plus économique, 
poar obtenir pure la strychnine de la noix vomique, 
consiste à en faire un extrait alcoholique qu’on dissout 
dans l’eau; alors on ajoute dans la liqueur de la solution 
de sous-acétate de plomb jusqu’à cessation de précipité. 


554 MÉMOIRES. 


Par l’acétate de plomb, on précipite À la fois l’acide 
combiné à la strychnine, la matière grasse, ainsi que 
la plus grande partie de la matière colorante et de la 
gomme qui constituent l'extrait alcoholique de noix 
vomique. 

La sirychnine reste en dissolution, unie à de l’acide 
acétique. La liqueur contient de plus une portion de 
matière coloraute non précipitée par l’acétate de plomb, 
et quelquefois un excès d’acétate de plomb. On sépare 
le plomb par l'hydrogène sulfuré, on filtre et on fait 
bouillir la liqueur avec de la magnésie qui s'empare de 
l'acide acétique, et précipite la strychnine; on la lave 
avec de l’eau froide , on la redissout. dans l’alcohol pour 
la séparer de la magnésie ajoutée en excès, et par l’é- 
vaporation de l’alcohol on l’obtient à l’état de pureté. 
 $ielle n’était pas encore parfaitement blanche, il faudrait 
Ja redissoudre dans l'acide acétique ou l’acide hydrochlo- 
rique, et la précipiter de nouveau par la magnésie. C’est 
en employant ce procédé que nous avons retiré de la 
strychnine du bois de couleuvre ( sérychnos colubrira). 

De la Strychnine et de ses propriétés. 

La strychnine obtenue par cristalisation , dans une 
solution alcoholique étendue d’une petite quantité d'eau , 
et abandonnée à elle-même, se présente sous forme de 
_ cristaux presque microscopiques, que nous avons reconnus 
être des prismes à quatre pans, terminés par des pyrami- 
des à quatre faces surbaissées. Lorsqu'elle a cristallisé 
rapidement , elle est blanche et grenue ; sa saveur est d’une 
amertume insurpportable, son arriere-goût fait éprouver 
une sensation qu’on peut comparer à celle que produisent 
certains sels métalliqnes; son odeur est nulle ; son action 
sur l’économie animale est des plus énergiques ; nous la 


MÉMOIRES. 355 


décrirons en détail dans la seconde partie de ce Mémoire. 
Exposée au contact de l'air , elle n’éprouve aucune altéra- 
tion. Elle n’est ni fusible ni volatile; car, soumise à l’action 
du calorique, elle ne se fond qu’au moment où elle se dé- 
compose et se charbonne. Le degré de chaleur auquel 
sa décomposition a lieu est même inférieur à celui 
auquel se détruisent la plupart des matières végétales : 
en effet, ayant cherché à dessécher entièrement de la 
strychnine pour des expériences subséquentes, en l’expo- 
sant, renfermée dans des tubes de verre, à la chaleur 
de l’huile bouillante , nous avons toujours observé qu’elle 
se charbonnait au moment où l’huile allait entrer en 
ébullition (3:12° à 315°). Chauffée à feu nu, elle se 
boursouïfie , neircit, donne de l'huile empyreumatique, 
un peu d’eau et d’acide acétique, des gaz acide carbo- 
nique et hydrogène carboné: il reste un charbon très- 
volumineux. Distillée avec le deutoxide de. cuivre , .elle 
fournit beaucoup d'acide carbonique, et ne donne que des 
traces d'azote que nous croyons devoir attribuer à quel- 
ques parcelles d'air atmosphérique, Elle est donc composée 
d'oxigène, d'hydrogène et de carbone, et lazote ne 
paraît pas faire partie de ses élémens (1). 

Malgré sa saveur des plus -fortes, la strychnine est 
presque insoluble dans l’eau, 100 grammes d’eau à la 
température de 10° n'en dissolvent que of,oi5 ; elle 


G) M. Gay-Lussac, s’occupanf dans ce moment de la déter= 
mination des principes constituans de Îa morphine et du 
Tapport de leurs proportions, x bien voulu sé charger de 
faire le même travail sur la strÿchnine. On doit penser avec 
quel exnpsessement nous avons répondu à une proposition 
aussi flatteuse. | 


356 MÉMOIRES, 


demande donc 6667 parties d’eau pour se dissoudre à 
cette température. L'eau bouillante en dissout un pew 
plus du double ; 100 grammes d’eau bouillante en ont 
dissout 08,04 : elle est donc soluble dans 2500 parties 
d’eau bouillante. Nous noterons, comme digne de re- 
marque, qu’une solution de strychnine faite à froid , et 
par conséquent n'en conteaant pas ,,., (€ son poids, 
peut être étendue de 100 fois son volume d’eau, et 
conserver encore une saveur très-marquée. 

Le caractère principal de la strychnine, consistant 
dans la propriété qu’elle a de s'unir aux acides en formant 
des sels neutres, nous engage à traiter d’abord cette classe 
de combinaison ; car , après avoir développé leurs pro- 
priétés , il nous restera peu de choses à exposer pour 
terminer l'histoire de cette substance singulière. 

Du Sulfate de 'strychnine. 

L’acide sulfurique s’unit à la strychnine, et forme avec 
cette base un sel neutre , soluble dans moins de dix parties 
d’eau froide, plus soluble à chaud, cristallisable par le 
refroidissement, et mieux encore par évaporation spon- 
tanée. Ces cristaux, si le sel est bien neutre , se présentent 
sous forme de petits cubes transparens. Un excès d’acide 
détermine une cristallisation en aiguilles déliées. Le sul- 
fate de strychnine , ainsi que tous les sels de cette base, 
sont d’une excessive amertume ; ils sont tous décomposés 
par toutes les bases salifiables solubles qui en précipitent 
sur-le-champ la strychnine. Lorsque l’on verse sur le 
sulfate de strychnine un peu d’acide nitrique concentré, 
il prend sur-le-champ une couleur rouge de sang: un 
excès d'acide nitrique fait ensuite passer la couleur au 
jaune. Nous reviendrons: sur cet effet, qui, d’ailleurs, 
est commun à tous les sels de strychnine ; lorsque nous 


-MÉMOIRES, 357 


traiterons de l’action de l'acide nitrique sur cette base. 

Le sulfate de strychnine exposé à l’air n’éprouve d’autre 
altération que de perdre un peu de sa transparence. 
Chauffé au bain-marie , il devient légèrement opaque, 
mais ne perd pas sensiblement de son poids. Exposé à 
une chaleur un peu plus élevée, il se fond d’abord dans 
la petite quantite d’eau qu'il paraît contenir, mais bientôt 
il se prend en masse ; par cette opération , il perd ;>; de 
. Son poids. À une chaleur plus be il se Jeompese 
et se charbonue. 

Désireux de connaitre les cons d'acide et de 
base qui constituent ce set, nous avons pris une mesure 
d'acide sulfurique étendue d’eau, contenant 08,1 138 d’acide 
sulfurique réel déterminé par l'analyse : pour en opérer 
la saturation > 18,1400 de strychnine ont été nécessaires. 
Le sulfate obtenu et desséché jusqu’au point de fusion 
pesait 18,200. Le poids de la strychnine, ajouté à celui 
de l'acide, aurait dû donner 1,2538. Il y avait donc une 
perte de 0,0538 provenant d’un peu d’eau contenue dans 
la strychnine employée, et qui s'en est séparée lors 
de sa combinaison avec l’acide sulfurique , ou D cuis: au 
moment de la fusion du sulfate, | 

Les 58,200 de sulfate de strychnine desséché contenant 
01138 d'acide réel sont donc formés de : 

| Acide sulfurique, o0,1138; 

Strychnine , 1,0862. 

Cherchant par le calcul la composition de 100 parties 

de sulfate ; on a, d'après ces données : 


Base, 90,501 90,500 : 
Acide , 9:499 9900. 


398 MÉMorrss. 


De l'Hydrochlorate da strychnine. 

L’acide hydrochlorique s’unit fort bien à là strychnine, 
et forme avec cette base un sel neutre. L’hydrochlorate 
de strychnine, encore plus soluble que le sulfate, cris- 
tallise en aiguilles ou prismes très-déliés , qui se groupent 
entre eux sous la forme de mamelons : ces prismes, 
regardés à la loupe, paraissent être quadrangulaires ; 
exposés à Fair sec, ils deviennent légèrement opaques. 
E’hydrochlorate de strychnine , chauffé au point de dé- 
composer sa base , laisse dégager de l’acide hydrochlorique. 
. Ce sel jouit d'ailleurs des propriétés qui sont communes 
aux sels de strychnine ; propriétés que nous avons rap- 
me dans le paragraphe précédent. | 

Du Phosphate de strychnine. 
 L'acide phosphorique forme avec la strychnine un sel 
soluble ; parfaitement cristallisable, Ce sont des prismes 
quadrangulaires très-prononcés On ne peut obtenir le 
phosphate de strychnine parfaitement neutre que par dou 
ble décomposition ; car ; lorsqu'on fait bouillir de l’acide 
phosphorique étendu d’eau sur un excès de strychnine , 
la Hiqueur surnageante reste toujours sensiblerhent acide : 
c'est même dans cet étzt que le sel cristallise plus fa- 
clement. Cette propriété est d'ailleurs commune à plu- 
sieurs autres bases salifiables, 

Du Nitrate de strychnine, et de. Paction nn ene de 

l'acide nitrique sur cette base. - 
” L’acide nitrique a deux modes d'action sur la strychnine. 
Quand l'acide nitrique est très-étendu d’eau , il s’unit à 
la strychnine et forme avec elle un sef neutre: Lorsqu'il 
est très-concentré, une réaction a lieu entre ses élémens 
et ceux de la strychnine, et produit des phénomènes 
remarquables. Nous allons nous occuper de ces deux 
modes d'action, 


MÉMOIRES. 559 


-_ Pour préparer le nitrate de strychnine, il faut prendre 
de l'acide nitrique très-étendu d’eau , y ajouter une quan- 
tité de strychnine plus que suffisante pour sa saturation, 
chauffer la liqueur et la filtrer, afin de séparer l'excès 
de base non dissoute. On obtient, par ce moyen, une 
liqueur limpide, incolore, qui , évaporée convenablement, 
cristallise en une multitude d’aiguilles nacrées qui se grou- 
pent entre elles sous forme de faisceaux , de gerbes on 
d'étoiles. Ce sel, beaucoup plus soluble dans l’eau bouil- 
lante que dans l’eau froide, est d’une excessive amertume, 
son action sur l’éeonomie animale est encore plus violente 
que celle de la strychnine pure. Il est susceptible de s'unir 
à une plus grande quantité d'acide: en effet , si l’on prend 
une solution de nitrate neutre, non assez rapprochée 
pour cristalliser, mais cependant peu éloignée du point 
de cristallisation , et si on y ajoute quelques gouttes d'acide 
nitrique affaibli, ce sel acide cristallise en aiguilles infini- 
ment plus déliées que celles produites par le nitrate neutre. 
Mais ce sel acide est altéré par la dessication ; il prend une 
couleur rose due à la réaction de lexcès d'acide sur la 
base ; réaction dont nous nous occuperons dans un instant. 

Le nitrate de strychnine, exposé à une chaleur peu 
supérieure à celle de l’eau bouillante, jaunit et ne tarde 
pas à se décomposer. Si on augmente la chaleur, il se 
boursoufle, se charbonne, et fait entendre un bruit 
semblable à celui que produit le nitre lorsqu'il fuse avec 
le charbon. I n'y a cependant pas de lumière produite 
si le sel est parfaitement neutre; mais s’il est avec excès 
d'acide , il y a déflagration véritable et lumière produite : 
H reste cependant encore un charbon assez volumineux. 
* Le nitrate de strychnine est légèrement soluble dans 
-Falcohel ; it est insoluble dans l’éther. 


+ / 


360 MÉMOIRES. 


Lorsque l’on verse de l’acide nitrique concentré ou peu 
affaibli sur la strychnine, celle-ei prend sur-le-champ 
une couleur amaranthe qui passe instantanément au rouge 
de sang : à cette couleur succède une teinte jaune qui 
devient de plus en plus prononcée , et passe au verdâtre, 
suivant inversement la marche des anneaux colorés du 
troisième ordre. L’acide nitrique se colore également en 
dissolvant la matière. Pendant cette action, l’odeur du 
gaz acide nitreux se répand d’une manière très-marquée 
lorsqu'on agit sur une masse assez forte. 

L’acide nitrique concentré fait également prendre ces 
diverses couleurs aux sels de strychnine ; maïs, dans ce 
cas, la couleur rouge est Leaucoup plus vive, plus per- 
manente , et il faut beaucoup plus d'acide nitrique pour 
la détruire et la remplacer par la couleur jaune. If paraît 
que la strychnine, combinée aux acides , est défendue 
par eux contre l’action trop énergique de l'acide nitrique. 

La chaleur augmente beaucoup l’action de l'acide ni- 
trique , de sorte que cet acide, déjà trop étendu pour 
rougir la strychnine à froid , peut souvent produire cet 
effet à l’aide de la chaleur. 

. L’acide sulfurique et l’acide hydrochlorique concentrés , 
versés sur du nitrate de strychnine, déterminent sur- 
le-champ la couleur rouge. Dans ce cas, c’est à la réaction 
de l'acide nitrique mis à nu qu'est dû le phénomène. 
Les autres acides ne produisent pas le même effet, parce 
qu'ils ne peuvent mettre à nu l'acide nitrique. 

. Cette propriété que possède la strychaine et surtout 
ses sels, de rougir par l’acide nitrique, donne un moyen 
de reconnaître cet acide mélé à d'autres acides. Les sels 
de strychnine sont même des réactifs précieux pour recon- 
naître la présence d’un nitrate mélangé à d’autres sels. 


MÉMOIRES. 361 


U suffit d'ajouter au sel dans lequel on soupçonne un 
nitrate un peu de strychnine, et d’y verser de l’acide 
sulfurique concentré. La présence du nitrate est rendue 
sensible par la couleur rouge qui se produit. 

Lorsqu’après avoir fait passer au rouge un sel de 
: strychnine par l'addition d’une certaine quantité d’acide 
nitrique, on ajoute de la potasse ; il se fait, si les 
liqueurs sont assez concentrées , un précipité orangé qui 
se dissout par une plus grande quantité d’eau. Si, au 
lieu de potasse, on emploie de la magnésie, on obtient 
également, par la filt.ation, une liqueur orangée ; la 
magnésie est colorée par la même matière, qu'on peut 
enlever entièrement par le lavage. Les liqueurs , évaporées 
convenablement , donnent un liquide sirupeux qui, par 
le refroidissement, se prend en masse grenue, formée 
de nitrate de magnésie et de l’alcali modifié par Pacide 
nitrique. Dans cet état, la strychnine est encore alca- 
line; mais son énergie, comme base salifiable, est déjà 
affaiblie : elle peut cependant encore saturer toutes les 
liqueurs acides, et former des sels d’une couleur rouge, 
même avec les acides végétaux les plus faibles, 

Les sels jaunes provenant de l’action plus prolongée 
de l’acide nitrique sur la strychnine et ses combinaisons, 
traités par la magnésie, donnent aussi une substance 
alcaline très-soluble ; mais, dans cette nouvelle modifi- 
cation, elle a encore une vertu alcaline beaucoup plus 
faible. Les sels que la strychnine ainsi modifiée est 
susceptible de former sont jaunes. Si l’on augmente la 
proportion d’acide nitrique, la teinte jaune devient plus 
foncée , et prend une nuance verdâtre qu’on ne peut faire 
disparaître que par une énorme quantité d'acide nitrique. 
En évaporant la liqueur au moment où la masse devient 


362 MÉMOIRES. 


solide, elle s’enflamme; et si l’on sature la liqueur acide 
après une ébullition long-temps prolongée, on y découvre 
la présence d’un acide que nous regardons comme de 
l'acide oxalique. L’acide nitrique, dans sa réaction sur la 
strychnine, paraît donc affaiblir de plus en plus sa force 
alcaline. Il est probable qu'avec des précautions, il serait 
possible de lui faire subir une suite de moditications 
tendant à produire des substances progressivement moins 
alcalines ; puis neutres, et enfin acides; mais cet objet 
nous entraînerait loin de notre sujet. Il pourra d’ailleurs 
donner lieu à un travail subséquent sur ces ælcalis 
artificiels. Nous ne terminerons pas toutefois sans faire 
cette observation remarquable, que, par l’action de 
l'acide nitrique, l’alcalinité, l’amertume et la propriété 
délétère (1) de la strychnine diminuent graduellement et 
finissent par disparaître totalement. 

Mais comment agit l'acide nitrique ? Est-ce en portant 
une certaine quantité d’oxigène sur la strychnine sans 
distraire aucun de ses élémens , ou bien est-ce en enlevant 
une certaine quantité d'hydrogène, ce qui, pour les 
résultats, reviendrait à peu près au même? Avant de 
chercher, non à donner la solution du problème , 
mais du moins à l’aborder, rapportons quelques autres 
phénomènes qui se rattachent à la question. 

Lorsque l'on fait passer ‘de l'hydrogène sulfuré dans 
une combinaison rouge de strychnine, sur- le - champ 
elle se décolore et redevient parfaitement blanche, ou 
du moins ne retient qu'une teinte jaunâtre provenant 
quelquefois d’une certaine quantité de sel jaune mélangé ; 
car l'hydrogène sulfuré ne rétablit pas la couleur primitive 


(1) Woyes la partie physiologique de ce Mémoire, 
ans 


MÉMOIRES. 363 
dans lés séls jaunes. Si le sel rouge provient de Paction 
immédiate de l'acide nitrique sur la strychnine ou sur. 
un de ces sels, on peut rétablir la couleur rouge de la 
dissolution en {a faisant chauffer, parce que, d’une. 
part, on chasse l'hydrogène sulfuré en excès qui s’op- 
poserait à l’action de l'acide nitrique libre contenu dans 
la liqueur, et que, de l'autre, on détermine cette action, 
‘elle-même en augmentant la force de l'agent qui la 
produit.. Mais si on prend de l’al:ali séparé d’une solution 
rouge au moyen de la magnésie, si on le sature par un 
acide. non capable de mettre à nu l'acide nitrique du 
nitrate de magnésie qu’il peut retenir; si on décolore 
la liqueur par l'hydrogène sulfuré, alors on peut chauffer 
sans rétablir la couleur rouge. : ._ 

Comment agit ici l'hydrogène sulfuré? Est-ce en 
enlevant à la strychnine une certaine quantité d’oxigène 
que l'acide nitrique lui aurait cédé, ou bien serait-ce 
en restituant une portion d'hydrogène ? Passons à d’autres 
faits ; ils nous fourniront encore quelques lumières. 
Lorsque, dans un sel rouge de strychnine, on verse 
une certaine. quantité de proto-bydrochlorate d’étain , la 
couleur rouge disparaît ; une nouvelle quantité d’acide 
nitrique la fait reparaître; on la détruit encore par 
lhydrechlorate d’étain protoxidé ; et cet effet se renou- 
velle jusqu’au point où toute la matière est passée au 
jaune par les additions successives d’acide nitrique; ear 
l'hydrochlorate de protoxide d’étain ne peut entièrement 
faire disparaître la couleur des sels jaunes de strychnine. 
Le proto-sulfate de fer produit un effet analogue, ainsi 
que le gaz acide sulfureux ; mais il est moins marqué 
à l'égard du premier, à cause de la couleur particulière 
des sels de fer. L 

Tome I, 8.°"° Liv. | | 24 


364 Mémoires. 

, Dans ces deux cas, on ne peut supposer l'hydrogèné 
ajouté à la strychnine, à moins d'admettre qu'à la faveur 
de cette base, l’eau soït décomposée par le proto-hydro- 
chlorate d’étain , le proto-sulfate et l'acide sulfureux. 

- Nous croyons donc pouvoir considérer la strychnine, 
dans ses sels rouges, comme à l’état de protoxide formé 
par l’anion de l'oxigène avec cette base. Dans les sels 
jaunes , est-elle à l’état de déssoside ? Nous n'avons pas 
autant de probabilités sur ce point, et nous ne pouvons 
Vadmettre que par analogie {1 } Sans nous arrêter plus 
longtemps sar ces objets qui pourront donner lieu à de 
hoavelles recherches, nous nous hâtons de revenir à 
lexamen de la strychnine non vxidée. 

Du Carbonate de Strychnine. 

L'acide carbonique s'unit à la strychnine, et forme 
avec cette base un sous-sel qu’on peut obtenir par double 
décomposition. Il se dépose sous forme de magma fo 
conneux..H est peu soluble dans l’eau, mais il se dissout 
très-bien dans l'acide. carbonique. On peut obtenir cette 
combinaison en faisant passer de l'acide carbonique dans 
la strychnine délayée au moyen de l’eau, Le carbonate 
acide exposé à l'air laisse dégager son excès d’aciée car- 
bonique : et le sous-carbonate se dépose èn cristanx grenus. 
: Des Sels formés par la strychnine ot les acides végétaux. 

Les acides acétique , oxalique , tartrique , forment avec 
}a strychnine des sels neutres très-solubles et plus où moins 
susceptibles de cristalliser régulièrement. Ces mêmes sels 


_ (r) Nousavons observé des phénomènes analogues ayec la mor- 
phine; mais comme il n’entrait pas dans notre but d’examiner 
vtette matière, dont un de nos amis s’occupe spécialement , 
nous n'avons pas poussé plus loin cette observation. 


MÉMOIRES. 363 


cristallisent plus facilement quand ils sont avec excès 
d'acide. L'acétate neutre est très-soluble, et cristallise 
difficilement. | 

Les acétates, tartrates et oxalates A ne déterminent 
pas de précipité dans les sels de strychnine formés par 
les acides minéraux, 

De P M dorinaté de he 

L'acide hydrocyanique dissout parfaitemect la Fer 
nine, et forme avec celte base un sel que nous avons 
obtenu cristallisé, mais dont nous n'avons pu déterminer 
Ha forme. L’hydrocyanate de strychnine peut être évaporé 
à siccité sans se décomposer ; car il se redissout daus 
l'eau, et versé dans une dissolution de sulfate de fer, 
Ü y produit un précipité bleu très-foncé, | 
| L'action de l’hydrocyanate de strychuine sur l’économie 
animale est consignée plus bas. lei se terminent nos 
ebservations sur Îes sels de strychnine ; mais l’action de 
cette base sur lés éorps simples, sur les oxides et les 
sels métalliques mérite également d’être étudiée. Nous 
allons rapporter les observations que nous avons faites 
sür cet objet, 

De l'Action de la strychnine sur hi corps at 
mt ep, ét. sur des oxides. 

: Le ce ne peut se combiner à la strychnine Lie 
J'on fait bouillir ces deux corps ensemble dans l’eau distil- 
Jée : il ne s'exerce aucune action entre eux , et après avoir 
filtré-la Squeur, le soufre reste sur le filtre, et la strych- 
mive passe. dissoute si l'on a employé une assez grande 
masse d’eau. 

Lorsqu'on ‘expose à la chaleur un ibn de soufre 
æt de strychnine, on n’observe pas d'action jusqu’au 
smoment où le soufre entre en fusion; mais alors la 


566 MÉMOIRES. 
Strychnine se décompose, et il se dégage une grande - 
quantité d'hydrogène sulfuré. 
Le carbone ne s’unit point à la strychnine. L'iode a 
sur la strychnine une action très-marquée. Si l’on fait 
bouillir de l’eau dans laquelle on ajoute de la strychnine 
et de l’iode, la couleur de celui - ci disparaît, -et la 
strychnine se dissout en grande partie : par la filtration, 
on obtient une liqueur très- limpide qui fournit -par 
Pévaporation un sel blanc cristallisé en aiguilles. La 
strychnine agit donc sur l'iode à la manière des alcalis. 
fl est facile d’ailleurs de reconnaitre, dans la liqueur, la 
présence d'un hydriodate, en ajoutant du As de 
acide sulfurique concentré, etc. nr à 
Pour convertir l’iode en acides iodique et hydriodique, 
_ faut employer une quantité de strychnine plus que 
* suffisante à la saturation de la dose d'acide qui se forme: 
Cela provient probablemient du peu de solubilité de la 
strychnine, et par conséquent de la difficulté d'établir 
les points de contact. L'’excès de la strychnine reste sur 
le filtre légèrement coloré en jaane. Dans cet état , elle . 
paraît être à l’état d'hydriodate ioduré avec excès : de 
base. ne. 
Lorsque l’on fait agir liode sur la strychnine en em- 
ployant une très-petite quantité d’eau , on ‘apperçoit des 
zones amarantes et rouges semblables à celles qui résultent | 
de lation de l'acide . nitrique sur la strychnine. Le sel 
obtenu ‘est’ aussi légèrement rosé. L’acide iodique : qui 
se forme dans ce cas paraît réagir:sur la ra à 
la manière de l'acide nitrique. TE 
Le ‘chlore agit sur la strychnine ‘d'une Satile ana- 
logue à celle de l'iode, Lorsque lon fait passer’ un 
eourant de chlore gazeux dans de la strychnine délayée 


MÉMOIRES 357" 


avec de l’eau ; ‘elle se dissout parfaitement , et par une 
évaporation spontanée, on obtient une cristallisation. 
d’'hydrochlorate qui, dans ce cas. est parfaitement blanc. 
Si, au lieu d'employer l’évaporatiou spontanée ,: on. 
concentre la liqueur par le calorique, alors elle se 
éolore et brunit. Il paraît, dans ce cas, que le chlorate de 
strychnine qui s’est formé en même temps que l’hydro- 
chlorate ;, se décompose par la concentration de la liqueur 
et l'élévation de la températnre. Nous nons proposons 
de préparer du chlorate de strychnine par l’union directe 
de cette base avec l'acide chlorique ; nous pourrons alors 
déterniner d’une manière plus précise le genre d'action, 
du calorique sur ce sel. | 
Action de la Strychnine sur les Sels métalliques. 

. La strychnine considérée comme base salifiable, doit: 
avoir un rang sous le rapport de son affinité pour les 
acides. Nous avons déjà vu que la potasse , la soude, 
la baryte, la strontiane , la magnésie, la chaux, l’am- 
moniaque , lui enlevaient les acides auxquels elle pouvait | 
être combinée. Nous isnorons si l’alumine, l’yttria et la 
glucine produiraient les mêmes effets. Quant aux oxides 
métalliques des autres sections , ils peuvent, pour la 
plupart, être séparés de leur dissolvant par la strychnine. 
Pour opérer ces précipitations , il faut prendre une solu- 
tion de strychnine dans de l’alcohol faible: l’eau ne 
dissout pas assez de strychnine pour produire des précipités 
sensibles dans les dissolutions métalliques. On peut aussi 
faire bouillir la strychnine dans une solution métallique : 
__ on la verra s’y dissoudre et l'oxide se précipiter. 

_-Il.est cependant des cas où tout l’oxide métallique 
n’est pas séparé : il se forme alors un sel triple. Si, par 
exemple, on fait bonillir de la strychnine dans du sulfate. 


568 MÉMOIRES. 

de cuivre, on voit aussitôt, à la couleur bleue, saccéñer 
une teinte verte: il se précipite alors une certaine quantité 
d'oxide de cuivre. La liqueur, filtrée, a une légère teinte 
verdâtre, et. par l'évaporation . elle donne un sel en 
très - longues aïguilles : c'est un sulfate triple “ stry— 
chnine et de cuivre. 

” Nous avons encore entrevu d’autres sels triples ; mais 
Je temps ne nous a pas permis de les examiner. 

De l'action de ‘la Strychnine sur quelques produits des 

végétaux. 

| Les acides exceptés, on ne remarque pas d’actiori 
sensible entre la strychnine et les autres produits des 
végétaux , tels que le sucre, la gomme, l’amidon , etc. 
Les huiles fixes ni les graisses ne la dissolvent pas d’une 
ranière sensible , et la très-légère amertume qu'elle leur 
éommunique est une preuve de son peu de dissolubilité 
dans ces corps. Elle se dissout , au contraire, avec fa- 
cilité dans les huiles volatiles, et peut cristalliser par ke 
 refroïdissement lorsque ces liquides en sont satnrés à chaud. 
Nous avons déjà signalé alcohol comme un dissolvant 
de la strychnine. Les éthers, au contraire, ne la dissol- 
vent pas sensiblement quand ils sont bien dépouillés de 
tout acide libre. 

” Ici se termine l’histoire ne. de la strychniné : 
nous croyons cependant devoir dire un mot des substances 
auxquelles elle est associée dans la fève de Saint-Ignace et 
ja noix vomique, et terminer ainsi l'analyse de ces graines, 
Suita de l'analyse de la fève de’ Saint - Ignace; 

‘expériences sur la noix vomique , etc. 

© On se tappelle sans doute le procédé analytique au 
oyen duquel nous sommes parvenus à séparer la strych< 
nine de l'extrait alcohotique de la fève de Saint-Jgnace ; 


\ 


À 


MÉMOIRES 369 


en se rappelle que, par le lavage de la magnésie, on 
obtient une eau colorée. Cette eau retient la matière 
colorante , plus ane petite quantité de strychnine , et un 
peu de l'acide qui y était combiné dans la fève de Saint- 
Ignace, uni à la magnésie en petite portion, mais dont 
la plus grande partie reste sur le filtre, Soppne à un 
excès de magnésie. : 

Quoiqu'il soit peut-être impossible de déponiller en- 
tièrement la matière colorante des dernières portions de 
strychnine et du sel magnésien qu’elle contient, on 
peut cependant, en évaporant les liqueurs presqu'à siccité, 
et en reprenant cette matière par de l’alcohol faible, 
l'obtenir assez pure pour en examiner les propriétés: 
comme elles offrent peu d'intérêt, nous nous conten- 
terons de dire qu’elle est soluble dans l’eau et dans lalcohol, 
que les acides affaiblissent «a teinte, que les alcalis l’a- 
vivent, qu’elle est précipitée par l’acétate de plomb, 
qu'elle a peu d’aflinité pour l’alumine; d’où l’on vait 
qu’elle différe peu de la matière colorante jaune qu'on 
trouve dans la plupart des végétaux. 

Quant à l'acide qui sature la strychnine dans la fève 
de Saint-Jgnace , il est plus important de connaître ses 
propriétés. Malheureusement il existe en si Fous quantité 
dans cette semence, qu’il est fort difficile de s’en pracurer 
des quantités notables. Il faut si peu d'acide, quelle que 
soit sa nature, pour saturer la strychnine, qu’on ne doit 
pas être étonné d’en retrouver également si peu dans 
les substances dont il est question, malgré que la stryc- 
nine y soit à l’état de sel acide. 

Quoiqu'il en soit, pour obtenir l’acide, il faut prendre 
Ja magnésie qui a servi a obtenir la strychnine , et après 
-Vavoir dépouillée, par leau froide, de toute matière 


370 _MéMmorRes. | 
colorante, la faire bouillir dans une grande masse d’eau 
 distillée qui dissout le sel magnésien. On évapore la 
liqueur, et lorsqu'elle est assez concentrée, on y ajoute 
de l’acétate de plomb ; il se fait un échange de base, 
et l’acide de la fève de Saint-Ignace est précipité, uni 
à l’oxide de plomb. On sépare le plomb par le gaz hydro- 
sulfurique, et on évapore la liqueur jusqu’à consistance 
de sirop. On obtient un acide d'autant moins coloré, 
que la magnésie a été plus lavée à l’eau froide : cepen- 
dant il l’est toujours, ce qui dépend peut-être de sa nature, 
ou plutôt de ce qu'il est difficile d'isoler totalement la 
matière colorante jaune de la magnésie à laquelle il était 
combiné. Cet acide a quelque analogie avec l’acide malique; 
cependant il en diffère sous plusieurs rapports. Voici les 
propriétés qu'il nous a paru posséder: évaporé à consis- 
tance de sirop et abandonné à lui-même, il cristallise 
en petits cristaux durs et grenus. H est très-soluble dans 
l’eau et l’alcohol. Sa saveur est acide et très-styptique. 
Il s’unit aux bases alcalines et terreuses, et forme des 
sels solubles dans l’eau et dans l’alcobol. Sa combinaison 
‘avec la baryte est très-soluble et cristallise difficilement 
‘et en champignons. Sa combinaison avec l’'ammoniaque 
parfaitement neutre ne forme pas de précipité dans les 
sels d'argent, de mercure et de fer; mais elle se com- 
porte avec les sels de cuivre d’une maniere particulière, 
et qui semble caractériser l'acide des strychnos (car ce 
‘même acide se rencontre dans la noix vomique et le 
‘bois de couleuvre ): cet effet consiste dans la décom- 
position par sa combinaison ammoniacale des sels de 
“cuivre; ceux-ci passent de suite au vert, et il se dépose 
"peu à peu un sel d’un blanc verditre, très-peu soluble 
‘ dans l’eau, L'acide des strychnos semble par là se rap- 


MÉMOIRES, RL 
procher de l'acide méconique , mais il en diffère essen- 
tiellement par son action sur les sels de ‘fer. Ceux-ci 
prennent sur-le-champ une couleur rouge très - foncée 
avec l'acide méconique; effet que ne produit pas l'acide 
des strychnos. Nous croyons donc devoir regarder jus- 
qu’à nouvel ordre, mais sans oser l’affirmer , l’acide en 
question comme particulier, et le désigner sous le nom 
d'acide igasurique, du nom malais par lequel les indigènes 
désignent, aux Grandes-lndes la fève de Saint -Ignace. 
. Là strychnine serait alors, dans la fève de Saint-Ignace 
et la noix vomique, à l’état d'igasurate. 

__ Après avoir enlevé à la fève de Saint-Ignace tout ce 
qu’elle contient de soluble dans l’éther et l'alcohol, si 
on la met en macération dans l’eau froide, elle aban- 
* donne au liquide une assez grande quantité de gomme. 
Du moment où l’eau agit sur le tissu de la fève, la 
masse se gonfle et occupe un volume très-considérable. 
Après en avoir séparé la gomme par plusieurs lavages, 
et un peu d’amidon par l’ébullition , il rèste une matière 
insoluble, dans l’eau bouillante, comme gélatineuse , 
soluble dans l’acide hydrochlorique; et ayant enfin tous 
les caractères de la bassorine. Celle-ci enlevée, il ne 
reste plus que quelques fibres ligneuses. | 
La fève de Saint-Ignace, incinérée, laisse quelques 
atomes de cendre dont le poids ne s'élève pas an millième 
. de celui de la matière employée: on peut donc négliger 
. ce résidu , qui, du reste, ne contient qu'un peu de 
carbonate de chaux et de chlorure de potassium. 
La fève de Saint-Ignace est donc composée : 

1. D'igasurate de strychnine ; 

2.° D'un peu de cire ; 

3.° D’une huile concrète ; : 


374 -MÉMOIRES. 


4.°-D'une matière colorante jaune ; . 
5° De gomme ; 

+ 6° D’amidon; 
7. De bassorine ; 

.  8.° De fibre végétale. 

La. noix vomique, analysée par le même Dieidé 
fournit les mêmes produits, mais en proportions diffé- 
rentes (1). Elle contient moins de sel de strychnine A 
mais une plus grande quantité d'huile concrète et de 
matière colorante. Le bois de couleuvre encore plus chargé 
de matière grasse, contient moins de sel de strychnine ; la 
malière colorante jaune y est, au contraire, en plus 
grande quantité, et la fibre ligneuse remplace entièrement 
la bassorine et l’amidon. | | 


DEUXIÈME PARTIE. 
Espériences physivlogiques. 

L'action qu'exerce la noix vomique sur l'économie 
animale a été étudiée avec soin par MM. Delille, Ma- 
pute et Desportes, et, sous ce point de vue , nous 
n’aurions rien À ajouter aux travaux de ces physiologistes. 
Mais, à l’époque où ils ont publié leurs expériences , 
Panalyse de ces semences n'avait pas été faite; les prin- 
cipes immédiats qu'elles renferment n'avaient pas été 
isolés, et l’on ignorait absolument à quelle substance 
‘ces semences devaient leurs propriétés actives. Ce pro- 


2 ot GE 
_ (4). Un kilogramme de fève de Saint - Ignace a donné douze 
grammes de strychnine parfaitement pure. La même quantité de 
noix vomique n'en a fourni que quatre grammes. [l est probable 
qu’il en existe une plus grande quantité, mais que l'on perd pr 
les manipulations nombreuses qu’exigent sou erteton et sa 
purification. 


MÉMOIRES. 373 


blème intéressait également le physiologiste et'le chimiste. 
Les expériences analytiques que nous avons rapportées 
dans la première partie de ce Mémoire , nous ont permis 
de le résoudre. Les différentes substances que l'analyse 
des strychnos nous a fournies, après avoir été portées 
au plus ‘haut degré de pureté, ont été administrées, à 
différentes doses , à divers animaux. Les résultats géné- 
faux de ces expériences ont été que, dans fa noix vomique, 
ha fève de Saint-Ignace et le bois de couleuvre, le seul 
principe actif est la strychnine, c’est-à-dire, la base 
salifiable que nous y avons découverte; que les autres 
principes contenus dans les mêmes végétaux , lorsqu'ils 
sont à l’état de pureté, n’ont aucune action sur l’économie 
animale ; que les sels de strychnine ont une action plus 
énergique que la base elle-même, et cela en raison de 
leur grande solubilité par la présence d’une petite quan- 
tité d'acide ; qu'il n'existe aucune substance capable de 
former avec la strychnine des combinaisons non véné- 
neuses; et par conséquent que les seuls moyens de 
remédier aux effets de la strychnine et des. substances 
qui la contiennent, sont ceux qui, agissant directement 
sur les animaux, et indépendamment de leur action chi- 
mique sur le poison, tendent, soit à l'expulser comme 
les émétiques, soit à affaiblir les mouvemens spasmodi- 
ques, cause de l’asphyxie à laquelle succombent les ani- 
maux, comme l’opium , la morphine ; soit à prévenir 
cette asphyxie par des opérations chirurgicales et les 
moyens mécaniques indiqués par les physiologistes que 
nous avons déjà cités. 
LEE et observations sur La strychnine pure. 

* Un demi-grain de strychnine retirée de la fève de 

obie fut insoufilé dans la gueule d’un lapin. Après 


374 MÉMOIRES. 

deux minutes,’ les convulsions se manifestèrent, et- 
l'animal périt, au bout de cinq minutes, dans une 
attaque de tétanos ; 

2° Un demi-grain de strychnine fut introduit dans 
une ihcision faite au dos d’un lapin. Le tétanos se 
manifesta au bout de soixante secondes , et l’animal 
expira en trois minutes et demie ; 

. 3. Ces expériences, répétées avec la strychnine relirée 
de la noix vomique, présentèrent les mêmes résultats ; 
4° La strychnine administrée , à la dose d’un quaït 
de grain , à des lapins, des cochons d'Inde et des chats, 
les fit toujours périr dans. l’espace de vingt à soixante 
minutes. 
* Expériences sur les 'sels de Strychnine. 

1.” Un quart de grain de nitrate de strychnine fut 
donné à un lapin: à la deuxième minute, accès de 
‘ tétanos, et mort dans Îles trois minutes suivantes ; 

2. L'expérience répétée avec l'hydrochlocrate offrit le 
même résultat ; | 

3° De la strychnine fut dissoute dans l'acide hydra- 
cyanique; le sel, évaporé à siccité pour chasser l'excès 
d'acide non combiné, fut redissous dans l’eau et admi- 
nistré à un lapin, à la dose d’un quart de grain. L'animal 
succomba aux attaques tétaniques dans l'espace de vingt 
minutes. | 

Expériences de la Strychnine oxigénée. 
__s.° Un grain de strychnine oxidée , précipitée du sulfate 
rouge, fut donné à un lapin : il eut une forte attaque 
à laquelle il succomba ; | 

Le nitrate rouge lui-même, administré à ds lapins | 
les fit promptement périr ; : 

2.” Après avoir long-temps fait bouillir de la ur 


# 
{ 


» 
v 


MÉMOIRES: 375 


dans de l'acide nitrique, afin de faire entièrement passer 


_ cette base à l’état d’oxide jaune, on a évaporé l'acide 
et traité la liqueur. par de Ja magnésie. La matière jaune 
obtenue, et dont nous avons parlé plus haut, administrée 


à deux lapins, à la dose d’un demi-grain et d’un grain, , 


n’a produit aucun effet. 

Ces deux expériences démontrent que l'action prolongée 
de l’acide nitrique sur la strychnine détruit ses propriétés 
vénéneuses, ou, en d’autres termes, que la strychnine 
suroxidée n’a plus cette action énergique sur l’économie 
soma qui la caractérise lorsqu'elle est intacte. 

_ Æxpériences sur la Matière grasse. 

1.” Un grain de matière grasse, retirée de la fêve de 
Saint-Ignace par l'action de l'éther bouillant, a été 
administré à un chat. IL est mort, au bout de deux 
minutes, dans un accès de tétanos. 

2. Un demi-grain a sufñ. pour tuer un | nine 
3° La matière grasse redissoute dans l’éther à froid 


et traitée par l’eau acidulée. pour enlever entièrement la: 


_strychnine, a été administrée, à la dose d’un grain, à 


un lapin : il n’a éprouvé aucun effet. FA a été 


répétée deux fois. ; 

C’est donc à la présence de la strychnine que .la matière 
grasse non purifiée devait ses. propriétés vénéneuses. Ces 
expériences .ont.élé répétées par M. Magendie, sur des 
chiens ; et il a de plus obrèrvé que la strychnine employée 
médicalement chez un vieillard de soixante-sept ans, à 
Ja dose d’un quart de-grain, avait produit des effets 
non équivoques .de secgusses tétaniques. ( P oyez La note 
. Ja. fin de ce Méinoire ).. 

; | Expériences diverses. 
- en de connaître ce qui arriverait en | administrant 


376 MÉMOIRES. 
la strychnine conjointement avec l’opiam ou Ia niorphine, 
pour constater si lear effet narcotique et stupéfiant ne 
contrebalancerait pas les effets de. la strychnine, nous 
avons fait les expériences suivantes ; 
‘ x. Un quart de grain de strychnine, quantité sante 
pour tuer un lapin, fut mêlé à deux graias de morphine; 
le tout, dissous dans l’acide acétique (la morphine non 
dissoute n’a presque pas d’action sur l’économie animale }; 
fut donné à un lapin: l'animal ne manifesta d’attaqne 
de tétanos qu’au bout d’une heure. Cette attaque fut 
suivie d’un calme qu'interrompit une seconde ssconsse 
tétanique. Le soir, l'animal mangeait bien : cépendant 
ñ succomba pendant la nuit; : 
2 Un quart de grain fut de nouveau administré à 
ün lapin, avec six grains de morphirie dissoute dans l’acitle 
acétique. 72 ne s’est pas manifesté d'attaques tétaniques ; 
et l'animal bien portant, au bout de trois jours, a servi 
k d’autres expériences ; | 

3.e Un quart de grain d'acétate de A aite, æt dix 
grains d’acétate de morphine ont été introdaits dans une 
plaié faite au dos d’un lapin. L'animal eut, au: bout de 
trois minutes, une attaque de tétanos assez faible ‘dans 
ses. symptômes ; maïs qui s’est prolongée trois quarts 
d'heure : l'animal a succombé. Le tétanos n'a ee lien 
que dans a poitrine et es pates de devant.. Les extré- 
mités inférieures et le train de derrière Oo 1m+ 
mobiles et comme paralysés : 

4° ‘Un quart de grain: de or fut administré ; 
avec douze grains d'extrait - gommeux d'opimn., à un 
lapin. Au bout d’un quart d'heure, &ccès tétariique assez 
violent: lanimal ÿ résista. Plus tard, accès moins fort. 
L'animal mañgea, sembla ensuite s’essoupir :. le. lende- 


main il était mort, 


MÉMOIRES. S7T 


: Un physiologiste exercé, qui aurait suivi la marche 
des symptômes dans ces expériences , pourrait peut-être 
en tirer des inductions pour la thérapeutique. Nous avons 
éru devoir nous borner à rapporter les faits: ils serviront 
du moins à prouver, comme ceux qui précèdent , que 
ha strychnine , nouvelle substance alcaline et base salfiable, 
dont nous avons rapporté les propriétés chimiques dans 
Ja première partie de ce Mémoire , est la sabstance active 
et vénéneuse des strychnos, et particulièrement de la 
fève de Saint-Ignace et de la noix vomique; que, dans 
toutes ses combinaisons , elle conserve ses propriétés sur 
l'économie animale ; qu’on peut peut-être, par des moyens 
thérapeutiques , remédier aux ravages qu’elle exerce ; mais 
que ce serait en vain qu’on chercherait à lui opposer 
une substance comme antidote capable de prévenir ses 
effets en la neutralisant. 


. à eu 


PANNE Me 


NOTE SUR LA STRYCHNINE; 
Par M. MAGENDIE. 


CES 


Jai examiné les effets de la strychnine sur les animaux, 
et j'y ai reconnu tous ceux que M. Delille et moi avons 
décrits , il y a environ dix ans, comme propres à l’upas- 
tieuté de Java, à la noix vomique et à la fève de Saint- 
Jgaace. Comme ces substances , la strychnine exerce une 
action stimulante spéciale sur la moelle épinière, et 
produit un vrai tétanos (1); mais son activité m'a paru 
A SN 


. {r) A raison de cette propriété, j'aurais préféré qu'on nommât 
ee nouvel alcali tétanine. Ce nom aurait été ainm en harmonie 


378: MÉMOIRES. 
plus forte que celle de l'extrait alcoholique du strychnes, 


Un quart de grain du nouvel alcali suffit pour produire. 


des effets prononcés sur un chien de forte taille. Je l'ai 
employé à cette dose sur un malade âgé de soixante- 
sept ans, atteint d’une débilité musculaire, suite d'une 
maladie cérébrale, et pour laquelle je me proposais 


d'employer l'extrait alcoholique de noix vomique, J'ai 


obtenu sur ce malade des effets non équivoques de 
secousses tétaniques , et au bout de huit. jours de ce 
traitement , il avait éprouvé une amélioration remarquable 
dans ses forces musculaires. 

Jai essayé aussi sur ‘des chiens plusieurs sels de stry- 
chnine, tels que le sulfate, le nitrate et les prussiate 
( Aydrocyanate ), ils m'ont paru agir comme la stry- 
chnine elle-même, peut-être même avec plus d'énergie. 
Si ce fait est exact, il en serait de ces sels comme 
de ceux de la morphine qui ont, en général, beaucoup 
plus d'activité que la clÉmete co 


« = 


avec celui de la morpäine et de l’émétine, qui rappellent les 
caractères physiologiques de ces substances (1). 

(x). M. Magendie ne savait pas alors qu’il existait, dans Îa 
fausse apgusture, un autre alcali différent de la strychnine, 
et-qui, par son action sur l’économie animale, mérite aussi 
le nom de tétaline; c’est ce ae m'a déterminé à ne pa 
employer ce mat. . TE _ + à 


MÉMOIRES. _ 379 


AAA AAA AAA RAIN 


D 


PROCÈS-VERBAL DES OPÉRATIONS 
L | FAITES 
DANS LA MANUFACTURE 
DE M. CRESPEL-DELLISSE A ARRAS, 
| | POUR RAFINER 


LES SUCRES EXTRAITS DE LA BETTERAVE (1). 


/ 


L:, N mil huit cent dix-neuf, Île dix-huit Janvier 
et jours suivans : 

Nous soussignés, SIGAUD , Ingénieur en chef au corps 
royal des Ponts et Chaussées; TzERNINCK, Membre 
du Conseil municipal de la ville d'Arras; GARNIER, 
Ingénieur au Corps royal des Mines; LETOMBE , 
Architecte du Département; et MARTIN, Ingénieur 
ordinaire au Corps royal des Ponts et. Chaussées. 

Appellés par M. le Baron S1MÉON, Préfet du 
Département du Pas-de-Calais, selon sa lettre du 28 
décembre 1818, pour constater que le suc de betteraves 
est la seule des matières sucrées ou susceptibles de 
devenir telles qui soit employée par M. Crespel de cette 
ville , pour fabriquer le sucre dont les échantillons doivent 
être présentés à S. À. R. Mgr. le Duc d'ANGOULÈME, 
et à S. Exc. le Ministre de l’intérieur. 

Nous avons assisté dans la fabrique de M. Crespel 
aux opérations suivantes, qu'il a faites pour produire 
ces échantillons ci-joints, au nombre de sept. 
® Les betteraves réduites en pâte par le moulin à raper; 


{1} C* Procès-verbal est celui annoncé dans la note page 
x42 de ces Mémoires. 


Tome I. 9.* Liv, LL 25 


580 MÉMOIRES. 


leur suc séparé de la partie fibreuse au moyen des 
pressoirs, mis dans des évaporatoires et successivement 
dans une chaudière, où il est rapproché au point 
convenable pour cristalliser , a été porté à l’étuve. La 
cristallisation y étant avancée autant qu’elle peut l'être 
dans le liquide où elle se forme, et que l’oi nomme 
mélasse , on a fait écouler ce liquide, et au moyen 
de fa ptesse, on en a débarassé les cristaux autant que 
cela est possible, par un moyen mécanique. Ce premier 
produit cristallisé est la moscouade, son échantillon est 
n.° 1. 
C'est sur 52 kilogrammes £ de cette moscouade que 
l'on a opéré pour continuer l'examen de la fabrication. 
Cette quantité mise dans une chaudière avec 40 litres 
d'eau pure, on a procédé à à sa clarification. Elle a été 
faite par lintérmède du charbon animal et des blancs 
d'œuf, Elle ‘a duré 63 minutes. | | 
Le sirop résultant ayant été filtré, remis à bouillir 
et concentré par une chaleur portée à oo degrès du 
thermomètre de Réaumur , il a été retiré. Dès qu'il a 
été refroidi au point de grainer et de devenir trouble, on 
en a empli 16 formes, dont une a été déposée chez l’un 
de nous, pour servir à constater au besoin l'identité 
des à autres. Une onzième forme a été remplie avec 
le produit retiré des écumes. | 
24 heures après, les formes ont été débouchées pour 
donner issue à la mélasse libre. 6. jours après, Îles pains 
ont été lochés, c'est-à-dire, désunis d'avec la forme 
à laquelle ils adhéraient, et on | leur a donné le premier 
tèrrage LA 


seu - = es — | Ba 7 12 - EE 
# Le terrage est une coûche d’argile détrempée, que. Fos 


place au-dessus du pain et en contact Avec lui. 


MÉMOIRES. 381 

7 jours ensuite, il a ‘été fait un second terrage qu’on 
# maintenu durant 8 jours, après lesquels les pains 
xetirés des formes sont demeurés 7 ia a l’étuve. Au 
sorts Jeur poids a été de 25 kilogr. 3 L’échantiHon 
n.°.2 est l'un de ces pains. 

La mélasse ou sirop écoulé des 1r formes a a 
glarifié et terré comme l’a été la moscouade. IL a produit 
7 kilog. > de sucre mélisse. n° 3. 

Le 1." sirop écoulé, par suite de cette nouvelle 
@pération, a produit 5 kilogr, de vergeoise, n.° 4, et 
5 kilogr. de sirop qu'employent les fabricans de pain- 
d'épice, tandis que le dernier sirop, provenant de la même 
epération ; à la fin des terrages, a produit 2 hilogr. +; 
qu'on n’a pu concentrer, vu la trop petite quantité 
de matière, mais qui aurait produit environ : .kilogr. 
de sucre mélisse, 1° qualité, et zx kilogr. de sirop 
propre à la fabrication du pain-d'épice. 

Ainsi les 52 kilogr, : de moscouade, sur lesquels on 
a opéré, ont produit 44 kilogr. +, dont 38 + de sucre 
de diverses qualités, et G kilogr. de és La diffé- 
rence de 8 kilogr. + serait moindre en proportion, si 
Ton eut opéré sur de grandes quantités avec lesquelles ot 
atilise le lavage des vaisseaux et des fortes étoffes de 
laine qui servent à filtrer. 

Le sucre de première qualité dit rafinade, ou sucre 
royal , est celui a.° 5. Il provient d’une opération faite 
sur 14 Kilogr. du sucre n.° 2, fondu, clarifié et mis 
dans trois formes, en procédant comme sur la moscouade, 
Mais, sans l’intermède du charbon animal ; 9 jours après, 
eu a loché les pains, et on leur a donné un premier 
terrage; 10 jours ensuite, on ‘a fait un second terrage 
qui a été maintenu pendant 10 jours, à la fin desquels 


382 MÉMOIRES. 

on a loché les pains , et après trois jours, ils ont été 
tenus à l’étuve pendant so jours. À la sortie , ils pesaient 
6 kilogr. +. Nous avons négligé les résidus, parce que ce 
raffinage n’avait pour objet que de faire la coniparaison 
du sucre royal de betteraves au sucre royal de la 
canne à sucre. ' 

Le candi est une sorte de sucre plus en usage qu'aucun 
autre parmi les artisans des villes, et les gens de cam- 
pagne des Départemens septentrionaux. L’échantillon n.° 
#, est celui de cette sorte, provenant d’une opération 
faite sur 55 kilogr. de moscouade n.° 1. Traité comme 
pour les autres qualités ci-dessus désignées, sauf que 
la cuite n’a été portée qu’à 88° de chaleur , le sirop 
résultant , tenu 10 jours à l’étuve, a douné 20 kilogr. 
» de candi première qualité , en très-beaux cristaux , dont 
l'échantillon porte le n.° 7. Le sirop restant, recuit au 
même point et remis à l’étuve, a donné 6 kilogr. + de 
seconde qualité; le résidu a fourni moitié de son poids 
en sucre vergeoise, plus beau que le n.° 4, et moitié 
en sirop pour fabrication de pain-d’épice. 

Les opérations terminées, nous avons reconnu que 
le pain de sucre déposé chez l’un de nous, était iden- 
tique avec ceux de même qualité qui ont fourni aux 
fabrications subséquentes. 

En foi de tout ce qui est détaillé ci-dessus, nous 
avons fait ce procès-verbal, en quadruple expédition, pour 
être joint aux sept échantillons qu’il désigne, et rémis; 
avec eux , à M. le B.°" SIMÉON, Préfet du Pas-de-Calais 
. Après lecture faite, M. Crespel a signé avec nous. 

Arras , le samedi dix-sept avril mil hüit cent dix-neuf. 

+ Signés : SIGAUD, TERNINCK, GAANIER dE 

MARTIN et CRESPEL. 


MÉMOIRES | 383 : 


| | NOTICE 
SUR L'EAU DE BOULEAU; 
EXTRAITE 


DES ANNALES DE L'AGRICULTURE FRANÇAISE, 
Du 30 Avril 1819. 


V, ICE le temps où, dans le nord de l'Europe, on 
se met à l’usage d’une boisson que la nature a pris soin 
de préparer elle-même, et qu'etle a douée de propriétés 
également utiles. à l'entretien et au rétablissement de la 
santé. Dès le commencement d'avril, les marchés publics 
de ces contrées sont couverts de vases pleins de cette 
bienfaisante boisson , que les gens de la campagne vendent 
à très-bas. prix aux habitans des villes, et que ceux-ci 
vident le matin à jeun , en société et en se promenant, 
comme font les buveurs aux sources d'eaux minérales. 
Il s’agit de l’eau de Bouleau, si renommée en Alsace, 
en Allemagne ,'en Pologne , en Russie. Cette Eau, cette 
sève, cette liqueur végétale est à peine connue parmi nous; 
elle est extrémement limpide, elle a le goût du petit 
lait des laiteries , et il faut être prévenu pour ne pas 
s'y tromper. Elle a une saveur un peu sucrée , elle paraît 
douce et mucilagineuse en la buvant, et quand on l’a 
bue, elle laisse une légère acreté au fond de la gorge. 
Il faut la boire avant qu’elle ait pu s’altérer, ce qui 
lui arrive en cinq ou six jours ; alors elle toarne à 
l'accessence, prend le piquant des liqueurs fermentées 
et devient énivrante. C’est en cet état que les septen- 


364 MÉnaornts. 
trionaax aiment à s'en régaler, quand üls n’ont pas besoin 
- d'en boire pour leur santé. 

Il faut, pour qu’elle soit bonne et agréable, qu’elle 
ail deàx jours: plus récente, elle est insipide; plus. 
vieille elle est prêle à se décomposer. 

Pour se procurer cette Eau , il suffit, dans Ja saison où 
nous Sommes, de mettre en perce un Bouleau; tar la 
prévoyante nature semble alors avoir accumulé dans le- 
tronc de cet arbre, comme dans un tonneau, le liquide- 
Je plus ami de l’homme. On en choisit un qui soit 
vigoureux ; et de moyenne grosseur; on y fait, à quel- 
ques mètres du 60ol, avec une vrille un peu forte, un 
trou qui pénètre à un décimètre, et dans ce trou, on: 
insinue deux ou trois brins de paille coupés entre-deux: 
nœuds, pour servir de. condactear à la liqueur qui va: 
couter et qui souvent n'attend pas PA PAARÇRES que: 
là vrille soit retirée: 

On met à terre, à le endroit ee la chûte des 
prémières gouttes, une terrine ou tout autre récipient 
de terre, de faïencé on de porcelaine bien. propfe, et 
recouvert d'un linge blanc de lessive préalablement 
mouillé ét ensuite- tordu. L'eau coule incessamment et 
bientôt le récipient est rempli L'arbre en fourmrait 
jusqu’à quinze et vingt bonteilles dans les vingt-quatre 
heures ; #i où voulait le sacrifier; mais les premières. 
seules éeraient bonnes , les autres seraient simplement 
aqueuses, êt auraient àh goût de bois désagréable. 4 
convient de s'adresser successivement ou à la fois, à 
plusieurs bouleaux , afin qu'aucun ne souffre de l'opé- 
ration à laquelle il aura été soumis. Où pense bien, 
qü’après chaque saïgnée À faut boucher le trou avec une 
chevilte ou ‘an fosset, 


MÉMOIRRS: 385 

L'Fau de Bouleau est singulièrement diurétique ; elle 
convient beaucoup dans les affections des reins et dans 
quelques-unes de la vessie ; elle passe presqu’avec la 
même rapidité que les eaux minérales acidnlées ; elle 
fait uriner pour le moins aussi abondamment ; les gout- 
teux se trouvent, en général , assez bien de son usage ; 
mais c’est surtout dans les maladies de la peau, dans 
les gales chroniques, Îles dartres, la goutte rose que 
Yon peut le plus compter sur ses salutaires effets. Elle 
réussit aussi dans les embarras du foie et de la rate. 
On a vu un jeune officier phtisique au deuxième degré, 
guérir de cette maladie réputée incurable, après avoir 
bu en quarante-quatre jours,”et pris pour toute nour- 
riture cent soixante et seize bouteilles, ou bien. quatre 
bouteilles par jour d'Eau de Bouleau qu'il coupait avec 
un quart de lait. 

Ce médicament est si simple, si naturel et si efficace, 
qu'on regarde comme très-utile d’éveiller l'attention du 
public, et sur-tout. de le faire eonnaître dans les cam- 
pagnes, dont les habitans sont loin de 6e douter que: 
la nature leur ait fait un don aussi PHÉAETE et qu’elle 
Vait placé si. près d'eux. 

Il n’est qu’un temps pour lusage de l'Eau de Bouleau; . 
et ce temps, qui commence avec les premiers mouve- 
mens de la sève , c’est-à-dire du 10 mars au 1‘ avril, 
selon que lhyver a plus ou moins duré, et a été rude 
ou tempéré, ne va guire au-delà du 15 mai 


386 MÉMOIRES, 


AA RAARARRARA 


AAAARAARARRAA 


Le : 


NOUVELLE MÉTHODE 
D'ENSEMENCEMENT, 


Mise en usage par Monsieur DEVRED, Cultivateur &. 
| Flines, Département du Nord, 
Et communiquée par Monsieur De SomBrin, Chevalier 
de St. Louis, demeurant à Arras... 


Êe Méthode consiste en un semis à la main dans 
des sillons parallèles et convenablement espacés. 

Quelque soit l’assolement adopté , la préparation des 
terres ne subit aucun changement; ce n’est qu’au moment 
d’ensemencer que la nouvelle méthode commence ; ce- 
pendant on observera, avant le dernier labour, de passer 
la herse et ensuite le rouloir pour égaliser le terrein et 
briser les mottes autant que possible. 

Pour procéder à l’ensemencement, on ouvre un premier 
sillon avee une charrue à versoir. Une femme, ou un 
enfant suit la charrue, et répand le grain à la main 
dans ce premier sillon à mesure qu’il est ouvert. IF 
faut observer de ne pas semer trop dru. Le semeur 
arrive ainsi au bout du sillon presqu’en même temps 
que le laboureur, qui se retourne et trace un second 
sillon parallèle au premier, et le plus rapproché possible , 
de manière que la terre rejettée par le versoir recouvre 
entièrement la semence jettée dans le premier sillon ; 
mais ce second sillon ne doit recevoir aucune semence : 

On ouvre ensuite le troisième sillon dans lequel on 
sème comme au premier, et la semence est recouverte 
par la terre du quatrième qui ne reçoit rien; ainsi de 


pu 


MÉMOIRES. 387 
suite; de manière que le grain n’est jetlé que dans les 
sillons de nombre impair, et il est recouvert par la terre 
des sillons du nombre pair. L'opération est Ja même pour 
les fourrières en sens: opposé. 

Ce procédé si simple exigé seulement l'emploi de deux 
chevaux; le labour ne doit étre foncé que de deux à 
trois pouces au plus. On sème une hectolitre de bled 
par bonnier , ( environ 140 ares ) et en trois jours. 
Si la terre est douce, l'opération est terminée par le 
recouvrement des sillons:; au cas contraire, on passe la 
herse sur la longueur des sillons et en reculant. 

Le bled semé de cette manière, couche difficilement, 
résiste mieux aux hivers rigoureux ; il n’y a pas un 
grain de perdu , et les oiseaux ne peuvent faire le moindre 
tort. Les épis sont plus longs, ils s'élèvent même d’un 
pied au-dessus de la méthode ordinaire. La récolte est 
d'un tiers plus productive. On retire en effet ordinaire- 
ment par ce procédé, de 6o à 70 hectolitres par bonnier ; 
{140.ares ). Le sarclage est plus avantageux, car il se 
fait à la petite houe, ce qui détruit plus facilement les 
mauvaises herbes et donne un nouveau labour à la terre. 
1l est plus expéditif que le sarclage à la main, et peut 
se faire également par des enfans. On sème de la même 
manière toutes sortes de grains, excepté le seigle qui 
n'aime pas d'être recouvert. | 

Déjà la plus grande partie des caltivateurs de Flines 
et des environs , témoins des succès obtenus par Monsieur 
DzvrED, ont adopté ce procédé si simple etsi économique. 


3588 MÉMOIRES. 
ARR ARR IR PR RS RSR ARS RAVERAENRS 


ÉLECTRICITÉ ATMOSPHÉRIQUE 
ET 
VARIATIONS DU BAROMÈTRE; 
PAR A. VÈNE, 


CAPITAINE AU CORPS ROYAL DV GÉNIE, 


MEMBRE RÉSIDENTe 


Nos ne reconnaissons la présence de l'électricité 
que par les mouvemens qu’elte communique à nos élec- 
tromètres ; car, lorsque les deux boules de cet instrament 
‘ne prennent aucun mouvement, nous disons que les 
corps sont à l’état naturel ; cependant on peut augmenter 
ou diminuer lelectricité des deux boules sans troubler 
l'équilibre ; il suffit d'augmenter ou de diminuer propor- 
tionnellement le fluide des corps environnans. 


C'est pour cette raison que l’électromètre ordinaire 
placé dans l'atmosphère ne donne aucun indice des 
changemens électriques qui surviennent dans l'air où il 
est placé, MS | 


MÉMOIRES. 589 


Maïs la faculté qu’on reconnaît au fluide électrique de se 
distribuer inégalement sur la surface des corps conducteurs 
et de se condenser vers les extrémités des corps aigus, 
nous donne le moyen de le rendre sensible aux électros- 
copes. 


Une tige conductrice ou un fil de métal, tendu entre 
deux points isolés dans l’atmosphère, attirent vers leurs 
extrémités un fluide assez dense pour donner des étincelles 
et procurer des mouvemens électriques qu’on peut mesurer 
avee l’électromètre. 


{ 
Saussure se sert d’un moyen ingénieux pour mesurer 


l’état électrique de l'atmosphère; il prend une boule à 
laquelle il attache un fil de métal qui communique avec un 
électromètre, et en jettant la boule dans l'air, le fil se 
dévide, se détache de l’appareil et laisse l’électromètre 
isolé, après lui avoir communiqué l’état électrique des 
couches supérieures. 


Par ce moyen, il s’est assuré que, dans l’état habituel 
de l'atmosphère, les feuilles de son électromètre sont mues 
par une électricité positive, 


_. Mais il est intéressant de savoir si cet état vient d’une 
augmentation de fluide enlevé aux différentes couches 
atmosphériques par le fil métallique, ou si cet état est 
produit seulement par le fluide naturel du fil refoulé par 
électricité de l’atmosphère dans l'appareil élecitroscopique. 


Les expériences de MM. Biot et Gai - Lussac nous 


3g0 MÉMOIRES. 


mettent À même de résoudre cette question. Ces physiciens 
ayant suspendu au-dessous de leur ballon, lors de leur 
ascension aérostatique, un fil métallique de 50 mètres de 
‘ longueur , remarquèrent qu'il communiquait une électri- 
cité négative à l’électromètre qu'ils avaient dans le ballon, 
quoique le temps fut serein, et que par conséquent , l’état 
de l'atmosphère dut être positif. 


Pour accorder cette expérience avec celles de Saussure, 
il faut admettre mne augmentation progressive d'électricité 
dans les couches supérieures de l'atmosphère. 


D’après cette supposition , le flaide naturel du fil métal- 
lique doit être refoulé vers son extrémité inférieure par 
l'effet de la répulsion électrique des couches supérieures de 
l'atmosphère ; de sorte que cette extrémité devient positive, 
tandis que l’autre prend un état négatif : c’est pour cette 
raison que l'observateur placé à la surface de la terre trouve 
toujours, comme Saussure, un état positif, tandis que 
MM. Biot et Gai-Lussac ont trouvé constamment un état 

négatif dans leur ballon. : 


Ces considérations doivent nous faire voir que l’état 
habituel ‘d'électricité positive qu’on a reconnu à l’atmos- 
phère, n’exprime autre chose qu’une augmentation 
progressive d'électricité à mesure qu’on s’avance dans des 
régions plus élevées. 


Quoique dans ces expériences l'électricité da fil fat 
produite par l’accumulation de son fluide naturel vers la 
partie inférieure, il est des circonstances où ce fil peut 

| ! | 


MÉMOIRES. Zot 


s’électriser par communication , et ce cas a.lieu lorsque le 
. \ : 
fil est long-tems en contact avec l'air. r 


Beccaria ayant tendu horizontalement un fil métallique. 
entre deux points isolés, apperçut à ses extrémités des 
signes électriques, quoique le fl traversât une couche 

d'air également électrisée.. 


” S'il se trouvait une partie de l’atmosphère où l'électricité 
fut décroissante à partir de la terre, une tige verticale ow 
l’'appa eil de Saussure indiqueraient une électricité négative, 
et il est à croire que c'est à une cause semblable qu'est dû. 
l’état négatif que l’on remarque dans les mouvemens violens 
qui agitent l'atmosphère. Mais, comme l'airélectrisé devient 
plus léger , il s’éleve dans les régions supérieures et reprend- 
bientôt son état ordinaire et permanent , qui est une-élec— 
tricité croissante et positive. 


Supposons que AB soit un fil métallique isolé et dont 
l'extrémité B soit mise en communication avec un électro- 
mètre, ce fil se mettra en équilibre avec l'atmosphère, et 
comme celle-ci est positive, AB prendra un état semblable, 
de sorte qu'aux extrémités À et B, le fluide sera plus dense. 
que dans toute autre partie, et les balles de l’électromètre 
indiqueront uni écartement positif. 


; 


Si l’on double la densité de l'air en même tems que le 

_ fluide électrique du fil, l'équilibre ne sera pas troublé, mais 

l’écartement des balles sera augmenté : d’après cela, on voit 
qu’une condensation dans l'atmosphère doit produire une 
| augmentation dans l'état électrique de Pair. | 


392 MÉMOIRES. 


Supposons maintenant que la température venant à 
augmenter, l'air se charge d’une certaine quantité de 
vapeurs, le volume d'air augmentera, mais sa densité 
diminuera, et cet effet produira une diminution dans 
la tension électrique du fil; et comme les vapeurs 
absorbent , au moment de leur formation, l'électricité des 
corps terrestres, cette seconde cause produira un effet 
contraire à la premiere; l'expérience prouve néanmoins 
qu’elle ne fait que la modifier sans pouvoir la détruire. 


__‘ C'est ce qui explique la nation électrique vers le. 
milieu de la journée. 


Lorsque les chaleurs de la journée sont épuisées , les 
. vapeurs se rapprochent, se changent en rosée et se déposent. 
sur les corps terrestres, et, par cette nouvelle transfor- 
_ mation, elles rendent au réservoir commun l'électricité 
_ qu’elles lui avaient enlevé au moment de leur vaporisation. 


. Une autre cause qui n’a pas moins d'influence que celle: 
ci, tend encore à produire les mêmes effets ; les vapeurs : 
. condensées forment un espèce de réseau qui s'étend dans: 
les couches inférieures de l'atmosphère, et qui met l’air en. 
contact avec le réservoir commun, et cette communication 
fait perdre à l'air tout l'excès de fluide dont il s'était 
chargé auparavant. 


On peut conclure delà que l’électricilé est plus faible la 
nuit que pendant le jour , parce que l'excès de densité que 
l'air acquiert pendant la nuit, ne peut pas compenser la 
perte électrique qu'il éprouve pendant le même tems, par 


MÉMOIRES 398 


la condentibilité des: vapeurs qui se déposent pendant 
la puit. | | 


Au lever du soleil , ces vapéüuré commencent à s'élever 
. par l’effet d’une augmeñtation de température , et la roséé 
_se réduisant en vapeurs, donne naïssancé à une nouvelle 
quantité d’électrieité ; ces deux causes réunies produisent 
l'augmentation électrique que l'on remarque au cemmen- 


eement de la journée. 5 


_ La même canse qui fait décroître à midi l'électricité 
atmosphérique du matin, explique pourquoi Pélectrieité 
est plus faible l’èté que pendant l'hiver. 


Lorsqu’après avoir suivi pas à pas la marche lente de 
Pexpérienee , on veut s’écarter un moment de cette route . 
pour s'élever dans les régions qu’elle ne peut atteindre ; 
une des premières. considérations qui doivent fixer notre 
attention est de suivre, dans toute son étendue, cetté 
marche progressive d'augmentation électrique dans lPat- 
mosphère; alors on ne peut manquer de se demander 
qu'elle est la source de ce fluide et qu'elle est sa limite 
d’élévation.. 


Nous assignons une limite à latmosphère aérienne, 
parce que sa densité est décroissante ; mais, comment 
donner une limite à une quantité qui a une marche pro 
gressive d'augmentation. 


| On ne voit pas de raison pour la terminer à la hauteur 
” de l'atmosphère, et quoique ce fluide soit soumis aux lois 


394 MÉMOIRES. 


de la gravité, il est impossible d’assigner un terme où s2 
force répulsive soit en équilibre avec sa’ pesanteur ; car, 
la pesanteur diminue et la force répulsive augmente en 
raison de l’élévalion : | 


Ce fluide doit done s'étendre dans l’immensité des 
espaces , et la terre ne peut être son origine, quoiqu’nn 
lui ait donné le nom de réservoir commun. 


Supposons, pour développer notre idée, que le 
cylindre AB soit rempli de fluide électrique, on sait 
que sa densité sera plus grande aux extrémités que 
vers le milieu, mais la différence de densité entre deux 
couches voisines sera d'autant plus petite que le cylindre 
sera plus long. Par conséquent, si le cylindre devient 
iutiui, les deux couches seront également denses. 


On peut donc supposer que l’univers a été primiti- 
vemetut rempli par un fluide électrique d’une densité : 
uniforme. 


Supposons maintenant que lon place Ka terre au 
milieu de ce fluide : le fluide électrique pénétrera dans 
son intérieur, et les molécules aériennes de son atmos- 
phère s’envelopperont d’une légère couche de fluide 
électrique, et cette accumulation continuera jusqu’à 
ce que la dilatation atmosphérique puisse faire équilibre 
à la pression extérieure ‘exercée par le fluide contre la 
linnte de l’atmosphère. 


Lorsque cet équilibre sera étabhi, l'électricité atmos- 
phérique sera décroissante à partir de sa limite supérieure. 


MÉMOIRES. L 395 


Quoique la terre ne soit point la source primitive de 
l'électricité, elle n’en est pas moins une mine féconde 
qui fournit ‘aux différentes variations que ce fluide 
éprouve dans l’atmosphère. 


Les vapeurs qui se forment dans son sein, pendant 
les chaleurs de l’été, lui dérobent ce fluide pour allet 
grossir celui de l'atmosphère. 


La rosée, la pluie et les différens météores ramènent 
à la terre le fluide qu’elle avait perdu. 


Considérons deux sphères A et B enveloppées chacune 
d’une couche de fluide électrique. Aux points les plus 
rapprochés, sera la moindre densité, et si l’on les 
rapproche jusqu’au contact, la densité des points oppo- 
sés deviendra si grande, par l'effet de la répulsion, que le 
fluide sera forcé d'abandonner ces corps et de s'échapper 
par rayonnement , de sorte que ces deux sphères auront 
beaucoup moins de fluide lorsqu'elles seront en contact, 
que lorsqu'elles seront éloignées. | 


Mais , lorsque les sphères seront réunies , elles peuvent 
être considérées comme deux molécules d’eau. à l'état. 
liquide, et lorsqu'elles sont éloignées, elles peuvent 
représenter les deux mêmes molécules à l’état de vapeurs. 


On doit donc conclure qu’en général les vapeurs 
absorbent l'électricité au moment de leur formation, et: 
que leur retour à l'état liquide ramène le fluide électrique 
à l'état latent. 

VARIATIONS DU BAROMÈTA E. 


; Les mouvemens du baromètre ont excité pendant 


396 MÉMOIRES. 


Fong-tems la sagacité des physiciens. On supposa d’abord 
que la pluie, en diminuant le poids de l'atmosphère, 
devait produire un abaissement dans le baromètre, mais. 
on ne fit pas attention que eet abaissement précédait 
kR pluie, et qu'il était suivi le plus souvent d’un mouve- 
ment rétrograde, alors même que l'air se trouvait purgé 
& vapeurs; de sorte que. cette explication supposait 
dans. le baromètre. un mouvement contraire à celui qui 
existait réellement. 


Leibnitz perfectionna cette théorie, il pensa, avec 
gaison , que lorsque Îles vapeurs sont suspendues, ow 
combinées avec l'air, elles tendent à charger l'atmosphère 
et, par conséquent, à produire une élévation dans la 
eolonne barométrique, mais il pensa aussi que, lorsque 
ces vapeurs s’agglomèrent dans les régions supérieures, 
et qu'elles filtrent lentement à travers les différentes 
couches d'air, elles déchar gent l'atmosphère d’une partie 
de leur poids, avant même qu'elles soient tombées et 
réduites en pluie. 


C'est ainsi qu'une pierre jettée dans l'atmosphére ne 
peut augmenter par sa chüte le poids dé Fair; mais, 
l n’en ‘serait pas de même, si cette pierre était réduite 
en poudre, assez fine et assez étendue, pour rester 
suspendue dans les régions supérieures de ‘atmosphère; 
elle produirait alors Peffet de l’eau à l'état de vapeurs. 


C'est de cette manière que Bossut explique, d’après 
Leïbnitz, l’abaissement du baromètre avant læ chûte de 
Ja pluie; mais cette théorie est impuissante pour se 


Mémornrs _ 097 


rendre raison de la haute élévation du baromètre pen 
dant les tems secs; car, d'après ces principes, l'air 
devrait être plus lourd pendant l'été que pendant l'hiver, 
et l'expérience prouve le contraire. à 


Quelques physiciens ont cru expliquer ce phénomène 
à l’aide de l'expérience suivante : : 


On prend une ballon rempli d'air, on y introduit 
quelques gouttes d’eau pour les faire vaporiser, et aussi- 
tôt, on remarque une élévation dans la colonne de 
l’éprouvette qu'on a eu soin d'introduire dans le ballon, 
et cette élévation augmente tant que dure la vapori- 
sation, de sorte que l’élasticité de lair se trouve 
augmentée, et si on laisse étendre cet air jusqu’à ce 
que sa force élastique soit égale à celle qu'il avait 
primitivement, le poids de cet air hamide sera moindre 
que le poids d’un égal volume d'air primitif. C’est d’après 
ce résultat que l'on a cru devoir conclure qu'une 
atmosphère humide devait de plus légère qu’une atmos- 
phère sèche. 


Cependant l'expérience citée ne peut pas fournir cette 
conclusion, elle dit seulement qu'à égalité de hautèur 
atmosphérique la plus humide est la plus légère; mais 
pendant l'été l'atmosphère est plus élevée que pendant 
l'hiver à cause de la grande élasticité qu elle acquiert 
par le mélange des vapeurs, de sorte que l’on ne peut 
savoir si son défaut de densité peut étre compensé par 
excès d’élévation. Il est même probable que l'été l’atmos- 
Phère est plus pesante que l'hiver, car il faut admettre 


398 MÉMOIRES. 


qu’nne colonne d'air contient à peu-près ke même nombre 
de molécules aëriennes dans son état de sécheresse que 
dans son état d'humidité ; il est vrai que dans ce dernier 
cas la gravité doit agir moins. fortement sur les molécules, 
parce qu'elles sont placées à une plus grande distance 
de la terre. | 


Mais rien ne prouve que cette cause puisse compenser 
. Vaugmentation qu’elle acquiert par le poids des vapeurs. 


‘ Il est singulier que dans ces phénomènes, l’on n'ait 
point songé à l'influence du fluide électrique, et que 
cependant on ait reconnu celle du calorique. 


On concevra facilement que ces deux fluides doivent. 
produire des effets opposés sur l'air de l'atmosphère ; 
en effet, le calorique dilate lair, mais l'expérience 
prouvant que la température diminue dans les régions 
supérieures, le calorique doit être plus grand vers la 
terre, et c’est pour cette raison qu'il élève la hauteur 
de l'atmosphère et la soustrait en partie à l’action de 
la gravité, de sorte que le calorique, considéré sous ce 
rapport, tend à diminuer le poids de l'air. 


Mais le fluide électrique étant plus fort dans les régions 
supérieures , l'air doit être poussé vers la terre, de sorte 
qu’une augmentation de fluide doit produire une élévation 
dans la colonne barométrique. Ces principes donnent 
l'explication de tous les mouvemens du baromètre. 


Dans un tems sec, l'électricité étant plus forte doit 


L 


MÉMOIRES __ 399 


produire une augmentation de pression et une élévation 
dans la celonue du haromètre. | 


C'est pour cette raison que pendant l'hiver cet 
instrument se tient à une plas haute élévation que 


pendant l'été. : 


On peut aussi expliquer les variations diurnes du 
‘baromètre et les changemens brusques que cet instrument 
éprouve pendant les grandes tempètes. 


IL résulte de ces considérations que le baromètre ne 
donne point le poids de l'air, il ne donne que son 
poids joint à la force élastique du fluidé électrique. 


am QC CHEN OMS) mm 


400 MÉMOIRES. 


| DESCRIPTION 
DE L'’'ISLÉE DE TINO, 


SITUÉE 
À L'ENTRÉE DU GOLFE DE LA SPEZZIN , 
DANS L'ÉTAT DE GÈNES; 


AAR 


Par M. À BURDET, Membre honoraire. 


memes 


17 Peuples profitent du moment de tranquillité qui 
succède à un quart de siècle d’agitation pour recueillir 
les matériaux avec lesquels la postérité fera l’histoire de 
notre temps. Au soin et à l’activité qu’on met dans les 
- recherches, il n’est pas probable qu'aucun fait, quelque 
peu intéressant qu'il soit, puisse tomber dans l'oubli; 
les arts et les découvertes ont leurs historiens aussi 
bien que les batailles et les empires. Et cette masse 
décrits, qui sont maintenant les voix de la renommée, 
transmettra à nos descendans la longue histoire de nos 
fautes et de nos erreurs. Elle leur indiquera les écueils 
politique contre lesquels le vaisseau de l’État s’est brisé 
tant de fois. Mais notre expérience sera nulle pour eux 
comme celle de nos pères l’a été pour nous; car les 
siècles passés nous avaient aussi offert le funeste spec- 
tacle de villes embrâsées , d’armées détruites par les climats 
et par le fer, et de trônes renversés. L'histoire nous 
avait tracé en caractères de sang Îles déplorables effets 
des guerres civiles. 

Je viens présenter un spectacle plus doux; je vais 
parler d’un Roi qui chérit ses peuples comme ses enfans, 


MÉMOIRES. 40% 


et d'un peuple qui sait être heureux sous un sceptre 

paternel; aucun fait éclatant ne se rattache à son histoire, | 
et c’est pour cela, sans doute, qu'il a échappé à la 

plume infatigable de nos écrivains. Je veux réparer un 

oubli injuste. Assez d’autres célébreront ces exploits qui 

éblouissent le vulgaire. La sagesse et la vertu sont digues 

d'un plus pur hommage ; elles seutes mettent l’homme 

dans la voie da vrai bonheur, et elles sont le plus digne 

encens qu’on puisse apporter à l'autel des Dieux. 

Pendant les commotions violentes qui, dans ces derniers 
temps, ont agité l'Europe , il n’est aucun des peuples 
qui habitent celte partie du monde, qui n'ait pris une 
part plus ou moins active à la lutte épouvantable qui 
s'était engagée. Tous ont été tour-à-tour les alliés et 
les ennemis de la France; mais, quand la fortune trom- 
peuse l’eut précipitée en un instant de la puissance 
suprême, tous s’unirent pour la combattre et pour en 
partager les dépouilles. 

Mais au raug de ces souverains avides et encore 
tremblans de leurs victoires, il ne faut point mettre 
celui dont je vais parler ; car il n’a point répété contre 
la France d’onéreuses réclamations , il ue s’en est pas pris 
à elle seule des désastres inséparables de la guerre; il n’a 
poiut oublié que quand elle plantait ses glorieux étendarts 
sur toutes les rives, elle fut souvent appellée par les 
peuples eux-ruèmes pour venger leurs injures. 

Quand la victoire eut mis les états de ce Roi en notre 
pouvoir, il se soumit avec résignation ; quand elle eut 
momentanément déserté nos raugs, il oublia un orage 
passager et reprit paisihlement les rênes du pouvoir. : 

Ce Royaume, peu éloigné du continent, est entouié 
par les mers; ii est heureux en cela, puisqu'il est à 


402 MÉMOIRES. 


l'abri des empiétemens toujours plus cruels d’une inva- 
sion totale, parce qu'ils paraissent être d’une moins grande- 
injustice. 

Les lois de la nature y règlent seules les rapports des. 
citoyens ; ils n’ont ni constitutions pour les enfreindre, 
ni garanties écrites de leurs droits ; moyen précieux pour- 
en pallier les violations. 

Là, le Roi consulte également les grands et les petits .. 
et va ainsi au-devant de l'opinion publique ; car il est 
loin d'ignorer qu’elle ne se trompe jamais ni sur l'intérêt 
. des gouvernés, ni dans le jugement qu’elle porte sur les. 
gouvernans. Il n'attend pas qu’on le force de faire. 
ce qu'on eut aimé ne devoir qu’à sa volonté ;. il tient: 
trop à l’amour de ses. sujets pour perdre aïnsi à leurs. 
yeux le mérite d’une bonne idée, d’un Lienfait ,. ou d’une. 
heureuse amélioration. 

Si quelqu'un se trompe, il est repris avec toute la 
douceur d’uue autorité paternelle; on ne confond pas les. 
erremens de l'esprit humain avec les crimes de fait. Car 
l’auteur de ceux-ci doit être sequestré de la société, afin 
qu’il ne puisse plus faire le mal ; mais la pensée sort avec 
_biea plus de force par les soupiraux. des cachots; et la 
voix d'un opprimé est répétée avec un. éclat effrayant par 
les voùtes luguhres des prisons. 

Mais dans cet heureux état, l’âge et l'expérience gou- 
vernent et savent consulter les besoins de Îa génération 
qui s'élève et ne la régissent pas d’après les mesures de 
la génération qui n’est plus. 

Le bien public est le but où tendent également le 
Peuple et le Roi; mais celui-ci, chez qui une haute 
sagesse est unie à une gtande connaissance des hommes 
et des choses, ne sépare jamais ses intérêts de ceux 


MÉNMoïIRxs. 403 


de ses sujets; car il sait bien qu’en travaillant à leur 
bonheur et à leur bien-être, il ne travaille que pour 
lui-même, et se prépare de longues années de paix et 
de félicité. | 

Aussi la parole du Roi y est l’oracle de Thémis. C'est 
lui qui juge les différens, qui appaise les querelles, ses 
jugemens, toujours pleins d'équité, sont vénérés et de 
celui qui gagne sa cause et de celui qui la perd. Jamais 
les dissentions civiles n’y ont séparé le même peuple en 
deux peuples différens ; jamais de vaines disputes ; jamais 
le funeste esprit de parti n’a porté le deuil et la désu- 
nion dans les familles; jamais le sang national n'a 
coulé pour une cause étrangère à celle de la patrie. 

Mais si, plus heureux en cela qu'aucun Roi, il n’a. 
point à craindre les divisions intestines, il doit être 
continuellement en garde contre des invasions soudaines. 

Hélas! l'esprit de paix et de justice sont de faibles 
gardes contre les violences et les spoliations des conqué- 
rans ! 

D'avides étrangers , attirés par l’appat d’un butin facile, 
se présentent tout-à-coup, la menace à la bouche et le 
fer à la main. Entouré de ses sujets fideles, il oppose 
d'abord la force à la force; mais dans le trouble de la 
surprise, que peut la défense la plus courageuse contre 
une attaque préparée de longue main? 

Bientôt il se voit forcé d'abandonner son palais. Il 
se retire, avec tout ce qui lui est cher, au centre de ses 
États, dans un lieu élevé que sa prévoyance a forlifié, 
et où il opposera la terrible résistance du désespoir; 
car il aime mieux mourir qu'être esclave. 

Assis tristement sur un créneau -antique, il voit au 
loin les ravages des vainqueurs insolens. Mais ceux-ci 


404 MÉMOIRES. 


craignant un retour de la fortune, se hâtent d'embarquer 
leur butin, et délivrent enfin de leur présence des lieux 
qu’ils ont rempli de désolation. 

Le Roi revient alors avec une curiosité inquiète; le 
chemin. qu’il suit est semé de. débris ; les portes de son 
palais sont brisées; ce qu'il contenait de précieux est 
enlevé; les objets de peu de prix, dédaignés par le 
vainqueur, sont mis en pièces ; tant la soif de l’or qui 
n'est pas a souvie, porte l’homme à de coupables excès. 

Le Roi aidé de ses sujets, s'occupe alors à réparer 
ses pertes. Il appelle à son secours les arts et l’industrie; 
on redouble de travail; on établit une économie sévère; 
une activité nouvelle multiplie les ressources; mais 
combien ne faut-il pas d'années de paix et de prospérité 
pour effacer les dévastations d’un instant ? Aïnsi il faut 
plus d’une nuit pour rétablir les forces de l’athlète qui 
a succombé à la lutte. | 

IL a des vaisseaux, mais leurs flancs sont dénués 
d'armes ; il ne s’en sert que pour maintenir des relations 
de paix et de commerce avec Îles peuples voisins ; il 
croit que la mer dévore assez de victimes, sans que la 
fureur de l’homme er fasse encore un vaste champ de 


bataille. 


Cruel embléme ! Jamais l'État n’est plus en sûreté 
que quand la tempête règne au-dehors. 

Souvent les vents soulèvent la mer et la poussent 
avec violence contre les bords; l'air retentit au loin 
d'un mugissement sourd; la terre est ébranlée par les 
coups multipliés des flots qui frappent les rivages, comme 
le bélier antique sapait les murs élevés; une ceinture 
blanche enveloppe l'ile; des tourbillons d’écume salée, 
‘emportés par les vents, s'élèvent le long des pans de: 


| MÉMOIRES. _ 405 
rochers escarpés et menacent de dévorer la végétation 
toute entière; car tout ce qui est touché par cette eau 
brûlante, languit et meurt bientôt. 

Mais la nature est inépuisable dans ses bienfaits; 
elle a couronné les bords de myrthes et de pins, dont 
les rameaux stériles arrétent la bruine amère, et en 
reçoivent seuls les atteintes funestes. 

Sous la feuille qui meurt pousse une feuille qui mourra 
à son tour après un second orage ; ainsi, cette succession 
de vie et de mort, forme un rempart vivant qui défend 
le produit des sueurs de l’homme , et même, après des 
siècles d'existence, quand les ans ont desséché ses racines, 
il offre encore son squelette brülé aux flots qu’il a bravé 
si long-temps. 

Tel, le jeune guerrier succède à son aîné qui succombe 
-et se place sans pâlir à l'endroit où un autre lui succédera 
à son tour. Tels, quand la mort promène dans les rangs 
sa faux tranchante , les vieux soldats, se serrant , offrent 

à l'ennemi les fronts cicatrisés et leurs phalanges hérissés 
de bayonnettes, jusqu'à ce que le dernier des braves 
ait mesuré la terre déjà teinte de son sang. 

Dans cet état, il n'a pas fallu la main dévastatrice 
des révolutions pour renverser ces établissemens fondés 
par la piété sincère, environnés de la vénération des 
grands et du peuple, tant qu'ils ne sortirent pas de l’es- 
prit de leur institution, si méprisés , quand des richesses , 
d'abord légitimement acquises, ne servirent plus qu’à 
nourrir loisiveté et à encourager là paresse. 

De pieux Cénobites allèrent au désert chercher le 
repos que ne pouvait leur offiir le monde. Par des 
travaux de longues années, ils couvrirent lîle toute 
entière de plantes marines, et de débris jettés par les 


406 MÉMOIRES. 

flots sur les rivages, et firent naître la terre même sur 
d'arides rochers. C'est à eux qu’on doit les fruits qui à 
présent y naissent presque spontanément. 

Mais le temps a détruit ces asiles des amours chré- 
tiennes; il ne reste plus que des murs renversés, des 
voûtes qui s’affaissent chaque jour, et des sépulchres 
ouverts où les saints ossemens ne sont pas même enve- 
loppés de la terre des tombeaux. 

Cette île est située dans un climat où le ciel est 
toujours pur; les zéphirs y tempèrent constamment 
J'ardeur du soleil; jamais de météores funestes n’y dé- 
truisent les moissons; jamais les frimats et leur Jugubre 
appareil n’y flétrissent les plantes, n’y ferment le calice 
toujours ouvert des fleurs, et ne suspendent la récolte 
continuelle des fraits. | 

Les myrthes, les lauriers, les grenadiers, y forment 
de frais ombrages. Le romarin, le serpolet, mille plantes 
aromatiques, y parfument les airs; l’arboisier et J'oranger 
y portent en même-temps des fleurs odorantes et des 
fruits brillans de couleur. Le figuier tortueux, au vaste 
feuillage, joint toujours une larme sucrée à sa baie en- 
trouverte. Le palmier y élève dans les airs ses dattes 
rafraichissantes , et des ceps immenses, suspendus aux 
branches des arbres, abritent les céréales sous leurs 
voûtes de pampres. Co 

Je l'ai vu ce bon Roi: c'était un jour de repos. Il 
était assis sur un rocher au haut de son île. Sa garde 
fidèle était auprès de lui; il jettait sur ses états un 
regard de satisfation, et semblait jouir de a prospérité 
et du calme qu'il leur avait donné. 

Un air de sérénité et de bonheur était répandu sur 
sa personne et sur son visage vénérable. Sa barbe était 


MÉMOIRES . 407 


blanche et ses cheveux flottaient sur ses épaules. Soixante 
et dix hivers ne lui avaient presque rien Ôté de sa vivacité: 
ils avaient donné à ses traits ce caractère auguste qui 
inspire tant de respect pour la vieillesse. C'était une de 
ces belles images sous lesquelles on se plaît à nous 
représenter l'Éternel. | 

Non, jamais le spectacle qui, dans cet instant, se 
présenta à moi, ne sortira de ma mémoire. 

Je découvrais toute la pleine mer; Vile d'Elbe, la 
Gorgone et la Corse paraïssaient comme de légères va- 
peurs à la limite du ciel et des eaux. Les riches plaines 
de la Toscane, les Apennins bleuâtres, les superbes 
rochers de la Ligurie, et l’horizon lointain des côtes 
de France, formaient Île cadre d'un tableau magnifique ; 
dont l'épisode était sur le sommet de Pile. 

Le soleil se couchant dans la mer, dorait le sommet 
des vagues et répandait des torrens de feu sur l’ancien 
de l’île, sur le rocher où il se reposait, sur le Pin 
antique qui s'élevait au-dessus de sa tête, et sur les 
créneaux de la tour voisine. Le vent du soir agitait le 
feuillage et rafraïchissait l'air embrâsé par les feux du 
lion. Les flots caressaient les rivages ; l'air était parfumé ; 
la nature semblait attentive et en silence. On eut dit 
qu’uu concert mystérieux d’hommages s'élevait des plantes 
et des flots et était apporté au vieillard par les zéphirs. 

‘Il n’est pas besoin de gouverner des états d’une grande 
étendue , ni d’avoir de puissantes armées pour être chéri 
et respecté; et surtout pour être heureux. Ce Patriarche, 
| qui avec ses enfans et ses petits enfans , habite et cultive 
la petite île Tino, située à l'entrée du golfe de la 
Spezzia, aux confins dé la Ligurie et de la {Toscane , 
ne changerait peut être pas la liberté et la paix, dont 


408 MÉMOIRES. 
il jouit dans sa propriété, avec l'esclavage et les soucis 
. dun trône. 

Son palais est une chaumière, son sceptre une 
houlette, et sa garde fidèle est son chien. Quand les 
pirates qui infectent la Méditerranée viennent l’attaquer, 
il a pour refuge une forte tour bâtie au sommet de l'ile. 

Vivant du produit de sa culture et de sa pêche, 
vêtu des dépouilles de ses moutons, isolé au milieu 
des mers, hors de la portée des lois, plus par sa probité 
que par sa position, indifférent aux constitutions, car 
sa volonté paternelle est toujours chérie et respectée, 
ce cultivateur, appellé Roi de Tino, est dans la situation 
la plus heureuse qu'on puisse desirer sur la ierre ; car 
il jouit à la fois de l'indépendance du sauvage et de 
tous les bienfaits de la civilisation. 


MÉMOIRES 409 


LE POUVOIR DE LA MUSIQUE. 


O D E. 


La seusibilité fait tout notre génie. 
PrRON. Métromanie. 


J AMAIS d’une injuste puissance 
Je n'ai célébré les exploits ; 
Jamais l’orgueilleuse opulence 

Ne m'a vu ramper sous ses lois ; 
Exempt de toute inquiétude, 

Je me plais au sein de l'étude, 
J'honore l’homme vertueux, 
J'aime les arts et la sagesse ; 
Voilà mes titres de noblesse, 
Ma philosophie et mes jeux. | 


Ah ! si l’inconstante fortune 
M'avait accordé ses faveurs, 
J'aurais fui la gloire importune 
Et le vain éclat des honneurs; 
Berceau du goût et du génie, 

Cité de l'antique Ausonie, 

J'aurais vu vos sacrés remparts, 

Ou des champs, citoyen tranquille, 
_ J'aurais, dans un modeste asile, 

Du monde évité les regards. 


Mais, puisque le destin contraire . 
Me défend des plaisirs si doux, 
Cherchons du moins à satisfaire 
D'autres desirs et d’autres goûts; 


410 MÉMOIRES. 
Pour les rivaux de Terpsichore, 
Ma faible voix essaye encore 
Un chant digne des Immortels ; 
Je veux célébrer la Musique, 
Je veux d'un Tribut poétique 
Honorer ses divins Autels. 


Nymphes de la double Colline, 
Chastes compagnes d'Apollon, 
Doctes filles de Mnémosine 
Quittez le brillant Hélicon, 
Prenez le Théorbe et la Lyre, 
Venez..... un sublime délire 
_ S'empare déjà de mes sens; | 
Et toi, Maître imprudent d’Alcide, 
O Linus ! à ma voix timide, 
Unis tes accords ravissans. 
L'homme envers tous les Dieux injuste, 
Était déchu de sa grandeur, 
1 n'avait plus cet air auguste, 
Ce front couronné de candeur ; 
Au léopard, au tigre horribles 
Sa main, de la brebis paisible, 
Disputait souvent un tambeau; 
Toujours farouche et solitaire 
Expirait -it? un fils, un frère 
Ne le mettait pas au tombeau. 
Du haut de la voûte étoilée, 

‘ Le Père et le Maître des Dieux, 
Sur la nature désolée, | 
Un jour daigne jetter les yeux; 
Pour calmer ses maux, il appelle 
Une Divinité nouvelle ; 

| Polymnie 


MÉMOIRES. 4 
Polymnie accourt à sa voix; 
Tout change !... Cybèle éclaikée 
Sourit au siècle heureux d’Astrée, 
Et l’homme quitte enfin les bois. 

Sans toi, noble et sainte harmonie, 
Jouirions-nous d’un seul beau jour? 
Ta parais, la haine bannie | 
Cède notre cœur à l'amour, 

Hélas ! quand sur nous la tristesse . 
Vient étendre son ombre épaisse, 
Qui nous ranime ? c’est le chant: 
L'oiseau que l’on a mis en cage 
Sait adoucir son esclavage | 
Par un air plaintif et touchant. 

Ma Déesse , de l’homme sage; 
Embellit les doctes loisirs ;. . 

Toujours on la voit au village . 
Donner le signal des plaisirs ; 
Courez, volez, essaims folâtres ! 
Jeunes Bergères, jeunes Pâtres, 
Pressez l'herbe d’un pied léger ; 
De guirlandes ornez vos têtes! 

Et montrez qu'il n’est pas de fêtes 
Sans le flageolet du Berger. 

Aux champs de Mars et de Bellone, 
Quand nous teiguons nos bras de sang, 
Lorsque le bouclier raisonne 
Sous les coups du fer menaçant ; 

Si, pleine d’une horrible joie, 

La mort vient réclamer sa proie, 

Nous pälissons, nous fuyons tous ; 

Le Barde chante la victoire, | 

IL chante! ... et l'Amour de la gloire 

Reprend son empire sur nous. | 
Tome XL, 9." Liv. | 21]. 


La 


MÉMOrR£és. 
Oui, dans les camps toujours admise; 
La Muse des brillans accords, 
À nos guerriers qu’elle maîtrise, 
Fait partager tous ses ‘transports ; 
En vain le démon de la guerre 
Nous écrase de son tonnerre ; 
Polymnie et le Dieu des arts, 
Chargés de clairons, de cymbales, 
Guident les ‘eohortes rivales 
Et soutiennent leurs étendarts, 
Sur l’âme la plus indomptée 
La musique étend son pouvoir ; 
Les doux concerts de Timothée 
Jadis savaient tout émouvoir ; 
Admis près du héros d’Arbelles 
ll ne chantait point les rebelles 
 Attaqués ; tremblans et vaincus; 
Mais, prenant uh mode plus tendre, 
Il fesait gémir Alexandre | 
‘ Surcles malheurs de Darius. 
Voyez Achille qu’on outragé; 
Achille, hors de lui, rugissant, 
Pour captiver enfin sa rage, 
Toucher un luth obéissant ; 
Il redit aux plaines liquides , : 
Et l’insolence des Atrides , 
Et Driseis et sa beauté: 
I s'irrite, il s'appaise , il pleure, 
La corde que sa main effleure 
Le rend à la tranquillité. 
‘ Ainsi, lorsqu’une voix lésère 
Cadence un chânt mélodieux, 
‘Il croit, bien loin de notre Sphère 
Assister aux banquets des Dieux; 


MÉMOIRES 413 
Veut-elle exprimer l’épouvante? | 
Aussitôt mon âme tremblante 
Frémit de crainte et de plaisir ; 
Peint-elle une amoureuse ivresse ? 
Mon cœur, ouvert à la tendresse , 
Laisse échapper un doux soupir, 

Suivez-moi tous au Sanctuaire, 
J'y veux brûler un pur encens, 
L'asile où l’infortune espère, 

Redira mes vœux innocens ; 

Ah ! quelle pompe le décore ! j 
‘Mais, qu'entends-je ! l’orgue sonore 
Anime ses tuyaux d’airain; 

Il s’échauffe, redouble, tonne, 
L'immense édifice en résonne, 

Et s’unit au concert divin. 

Peuples, courbez-vous dans la poudre, 
Voici le moment redouté 
Où celui qui lance la foudre 
Va dévoiler Sa Majesté ; 

Un Prêtre parle, et Dieu se lève; 

Ce Dieu quitte à l'instant le glaive 
Dont il arme son bras vengeur, 

Mon œil l’entrevoit, le contemple, 

11 approche ! il est dans le temple ....: 
Ou plutôt, il est dans mon cœur, 

Loin de moi l'esprit fanatique 
Dont les disciples turbulens 
Voudraient du culte catholique 
Chasser les arts et les talens, 
Pourquoi ? leur auguste magie 
Donne au faible de l'énergie ; 

Et lorsque, sous un doigt savant, 
La harpe de Sion répète 


_ + 
414 MÉMOIRES. 
Ua air chéri du Roi Prophète; 
L’adorateur est plus fervent.  ‘: 
J'ouvre les pages de l’histoire j 
J'y lis cent miracles fameux ;. 
Jason, Orphée et la victoire, 
Franchissent l'empire écumeux ; 
Arme-toi, superbe Colchide ! 
Un espoir séduisant les guide ; 
Ârme-toi , songe à ton salut ; 
Thétis vainement te protège , 
Crains leur audace sacrilèse, 
Crains tout... Otphée a pris son luth, 
Je vois ces enfans de la Grèce 
S’en éloigner en souriant , | 
Dans leur cœur règne lallégresse ; 
Et sur leur tête un jour brillant ; 
«__ Thétis contre eux anime Eole, 
» Ïl faut les submerger, cours, vole, 
» Vole, point de grace ; » elle dit : 
J'entends mugir l’eau blanchissante; 
Orphée alors prélude, chante; 
Thétis s’appaise, Eole fuit. 
Martyr de la foi conjugale, 
Bientôt ce généreux époux 
: Traverse la nuit infernale 
En bravant les destins jaloux ; 
Sous ses doigts se plaint une iyre, 
Il commence. Ixion respire; | 
Tantale mord le fruit trompeur ; 
Mégère quitte ses victimes, 
Et le Roi des profonds abîmes 
Couronne son heureux vainqueur. 
Tout se police dans la Thrace, 
Tout rit dans Les vallons d'Hémus ; 


MÉMOIRES. 415 

Le Strymon sent son eau de glace oo? 
Bouillonner aux champs de Linus: 
Des coups d'une horde perfide, | 
Un Dauphin, sur son dos humide, 
Sauve le sublime Arion ; 
Thèbes, lève sa tête altière , 
Ses murs sortent de la poussière 
Aux divins accens d'Amphion. 

Sur le Liban, du cèdre antique 
S'incline le vaste sommet ; 
David entonne un beau cantique ; 
L'ange applaudit , l’homme se tait ; 
Hier , sa harpe victorieuse , 
D'une âme impie et furieuse, 
Adoucissait les maux cruels ; 
Aujourd'hui, sa voix noble et sainte, 
Porte dans la céleste enceinte 
L'hommage et les vœux des mortels. 

» © toi dont la toute-puissance 
# Créa d'un mot cet univers, 
#» Donne l'essor à ta clémence 
» Et prends pitié de mes revers ; 
» Vois le sentiment qui m’anime, 
” Mes pleurs ont expié mon crime, 
» Suspends, suspends enfin tes coups, 
» Dieu! souviens-toi d’un misérable ! 
— Ainsi chante David coupable, 
Et Dieu jette un regard plus doux. 

Il n’est point, parmi nous de bouche 
Qui n’aime à fredonner des sons; 
Le Nègre indolent et farouche 
À sa musique, a ses chansons ; 
Souvent , d’une sombre harmonie ; 
Les monts de la Scandinavie 


sw 


48 MÉéMoirgs. 
Ont redit les pompeux accords : 
Souvent , dans ces forêts sauvages ; 
Du bruyant séjour des orages, 
Elle à fait descendre les morts. 
Le visage baigrié de larmes, 
Le fronf orné de cheveux blanes 
Ossian frouve encor des charmes 
Dans son luth ef dans ses accens; 
De Malvina là main tremblante 
Conduit sa marche défaillante 
Aù bord d'un fleuve impétueux ; 
Ga voix se mêle au bruit de l'onde : 
Le vent mugit, la foudre gronde , 
Et Fingal paraît dans les cieux. 
Où suis-je! uñ torrent de lumière 
, * Vient m'inonder et m’éblouir , 
Je frémis.… la naturé entière 
Semble tout-à-coup tressaillir ; 
Un Dieu s'annonce. il va paraître... 
Ab! c'est Apollon , c’est mon maïtre ; 
Du Cynthe il quitte les forêts; 
Mais, hélas ! Je deuil l’environné, 
Son auguste front se couronne 
De crêpes noirs et de cyprès. 
_» Qu’as-tu brillant fils de Latoné ; 
» Pourquoi vois-je tes pleurs couler ? 
» Du Ciel où ton disque raÿotiné 
» Veut-ori de nouvéau t'exiler ? 5 
Il me répond : — » brise ta lyre, 
» La mort m’atteint et nie déchite. 
» O soins! 6 regrèts superflus ! 
» Aujourd'hui , , ce monñstré im’enlève 
» Mon fils, mon soutien, mon élève... 
» Je succombe..… Grétry n'est plus. 


LS 


MÉMOIRE=s. ‘417 
1 dit, un groupe de nuages 
L'enveloppe au milieu des airs: 
Aûieu donc, immortels ombrages, 
Forêts du Pinde , heureux déserts ; 
Adieu, souree de Castalie ! 
Beaux lieux où je passais ma vie 
Loin d'an monde en proie aux méchans. 
Grétry n'est plus !.... à Polymnie! 
Cesse d'inspirer mon gémie, 
Je dois mettre fin à mes chants. 
Par Armand FROMENTINE, de Boulogne. 


418 MÉMOIRES. 


AAA ANRAANAAIAIV AAA 
FRAGMENT 
D'UNE TRAGÉDIE INÉDITE, 


INTITULÉE 


CONSTANTI N; 


PAR M.PELLET-D'ÉPINAL, 


MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ, 


VNAANNAANAAIANANV AAA 
Acte 3° — Scène I" 


ANARAA RAAARARARAAAAR RAAARARAR 


CONSTANTIN, MAXIMIEN. suiTr. 


CONSESAEER 


Sr lorsqu’en ce jour auguste et solennel, 
Je cours me mes pieds de l'Éternel, 
Et que, las d’encenser d’impuissantes images, 
Aux autels du Très-Haut je porte mes hommages, 
Verrai-je, à mon exemple, un jour Maximien 
Rejeter ses faux Dieux pour adorer le mien ? 
Lui seul, n’en doutez point, est le Dieu qu’il faut croire ; 
Du séjour des élus qu’il invite à sa gloire , l 
I! dispose à son gré des Peuples et des Rois, 
Et la nature entière obéit à sa voix. 

| MAXIMIEN. 
| Je m'en faisais , Seigneur , une toute autre idée, 
Un obscur novateur sorti de la Judée, 
Expiant sur k Croix sa folle mission , 
N’avait rien d'imposant aux yeux de ma raison. 
Pour des êtres si fiers , quelle triste origine ! 
Le dernier des chrétiens cependant s'imagine, 
Qu’établi pour juger tous les cultes divers ’ 
J doit à sa folie asservir l'univers. 
lis traitent d’insensés nos dieux et nos oracles. 


Î 


/ 
M£Mmorrgs. 419 
Je n’approfondis point de prétendus miracles, 
Trop fabuleux récits qui n’ont d'autre garant 
Que la crédulité d’un vulgaire ignorant : 
Des cultes, vrais ou faux, c’est la ruse ordinaire. 
Qu’à la voix de nos Dieux , qu’au bruit de leur tonnerre, 
L'univers effrayé courbe un front suppliant , | 
Un tel culte du moins n’a rien d’humiliant. 
Mais quel est donc ce Dieu qu’ils veulent qu’on révère. 
CONSTANTIN. 
Demandez-le, Seigneur , aux rochers du Calvaire ! 
Demandez au trépas, par quel secret nouveau, 
Transfuge du cercueil , et vainqueur du tombeau, 
Il reprit dans la mort sa majesté première, 
Et monta vers les Cieux tout brillant de lumière. 
Que dis-je ? Démentez ces prodiges nombreux , 
Accomplissant les jours prédits chez les Hébreux ? 
Le Sauveur est mourant ! quelles pompes funèbres ! 
Il meurt, et le soleil s’éteint dans les ténèbres ; 
Des astres consternés la marche s’interrompt, 
Et la foudre partout à la foudre répond. 
Sont-ce là des témoins vendus à limposture ? 
Est-ce ainsi qu’un mortel commande à la nature ? 
| MAXIMIEN. 

Je vous l’ai dit, Seigneur : soit amour de mes Dieux, 
Soit raison, les chrétiens me sont tous odieux, 
Leurs mœurs que l’on nous vante et que j’ai démasquées.. 

| CONSTANTIN. 
Nommez donc des vertus qu’ils n’aient point pratiquées ? 
Simples, mais résignés, ils meurent en héros. 
Leur secte qui s'accroît sous le fer des bourreaux, 
Triomphante et joyeuse au milieu des supplices, 
Semble de la torture emprunter ses délices. 
Quel genre de tourmens n'a-t-on point inventé ? 
Souvent le bourreau même en fut épouvanté, 


42 MÉMOIRES. 

Et pâle , et comme atteint d’une foudre imprévue 

Désertait} la victime, ou tremblait à sa vue. 

Bientôt chaque pays luttant d'impiété, 

Rivalisa contre eux d’ardeur, de cruauté, 

De ce feu destructeur vous. vites les ravages , 

Quand des rives du Tibre aux plus lointains rivages, 

De Dioclétien l’épouvantable Édit, 

Sur cent mille chrétiens tout-à-coup s’étendit; 

Que n'’ont-ils point souffert ! Là, le bücher s'allume, 

_ Aux champs de Babylone, un feu lent les consume, 

L’Arabe les égorge ; et là, le plomb fondu, 

Dans leurs flancs embrâsés lentement répandu , 

De leur dernier soupir prolonge la torture; 

Rafinemens cruels dont frémit la nature. 

O Spectacle sanglant ! que n’a-t-on point tenté. 

Pour fléchir leur courage ou leur fidélité ! 

Dans leur sein palpitant j'entends crier la scie; 

Tandis que sur les monts de l’âpre Béotie, 

Deux arbres avec force, un instant rapprochés, 

Emporterit dans les airs leurs membres, arrachés. 

A Rome, rassemblés dans un amphithéâtre, 

( Rome de ses faux Dieux toujours plus idolâtre } 

Par l’ordre de Maxence, on les voit aujourd’hui 

Déchirer par des Ours moins féroces que lui; 

Cependant, quel que soit le supplice ou l’injure, 

Un seul se permet-il une plainte, un murmure ? 

Ont-ils, pour résister à tant d’oppression , 

Éveillé parmi nous quelque sédition ; 

Au meurtre, à la révolte excité nos provinces, 

Et refusé leur sang, même aux plus mauvais Princes ? 

Loin de là ; de leur maux ils plaignent les auteurs, 

Et meurent en priant pour leurs perséculeurs. 
MAXIMIEN. 

Que ne peut, quelquefois, l’aveugle fanatisme ? 


MÉMOIRES. 421 
CONSTANTIN. 
Le mensonge, Seigneur, n’a point cet héroisme, 
L'erreur est moins superbe à l'aspect du danger, 
Et j'en crois des témoins qui se font égorger. 
MAXIMIEN. 
Il est de ces efforts que l’orgueil nous suggère ; 
Malgré quelques vertus qu’en eux l’on exagère, 
Plus d’an crime à leur secte ici fut imputé : 
Sur Dioclétien que n’ont-ils point tenté ? 
Vantait-il teur douceur , lorsqu’à Nicomédie 
La torche en son palais promenait l'incendie ? 
is l’osèrent deux fois: c’est assez pour juger 
De leurs desseins, Seigneur, s'ils pouvaient se venger, 
| CONSTANTIN. 
Ïl est aisé, Seigneur, de confondre l'envie, 
Sur un fait dont la haine a cru noircir leur vie, 
- D'un complot si cruel, qui ne doute en effet? 
Galère les accuse, et lui seul a tout fait, 
De Dioclétien connaissant la faiblesse, 
IL voulut par ce crime effrayer sa vieillesse ; 
“Lui montrer les Chrétiens terribles, dangereux, 
Et changer en’ fureur l'amour qu’il eut pour eux, 
C’est ainsi qu'il obtint cet Édit sanguinaire, 
Triste fruit des erreurs d'un Prince octogénaire ; 
Rome, ou plutôt l’Empire est d’accord sur ce point, 
Et vous-même, Seigneur, vous ne l'ignorez point. 
MAXIMIEN ( avec ironie). | 
Un jour les nations les prendront pour modèles. 
| CONSTANTIN. 
Où donc trouverez-vous des vertus plus fidèles ? 
Sujets non moins soumis qu'intrépides soldats, 
À la voix de leur Prince ils volent aux combats ; 
Îls ne recherchent point les honneurs, ni la gloire, , 
Æt sans briguer la palme ils donnent la victoire. 


422 ‘ MÉMOIRES. - 
Je la leur dus souvent ; et contre les Gaulois, 
Ils eurent quelque part, Seigneur , à vos exploits. 
MAXIMIEN. 
Ils n’ont fait en cela que ce qu'ils devaient faire. 
Mais doit-on s'étonner qu’en mon cœur je préfère 
À des guerriers jaloux, détracteurs de ma foi, 
Le soldat qui mourut pour mes Dieux et pour moi? 
Que ma haine, après tout, cède ou reste inflexible, 
Quel pacte, entre eux et moi, désormais est possible ? 
Pourraient-ils, si j'allais dans leur temple m'offrir, 
Oublier tous les maux que je leur fis souffrir? 
Ma main qui, dans leur sang, tant de fois s’est plongée; 
La Lésion Thébaine, à ma voix, égorgée ; 
Son Chef même, envoyé par mon ordre au trépas : 
Ce sont là de ces traits qu’on ne pardonne pas; 
Je ne serais pour eux qu’un objet de scandale. 
| CONSTANTIN 
Que vous connaiïssez peu leur sublime morale ! 
Leur Dieu , qui sur la croix souriait à la mort, 
Pardonne à la faiblesse et fait grâce aux remords ; 
Et loin de vous hair, chacun d’eux au contraire, 
. Éprouverait pour vous les sentimens d’un frère. 
| MAXIMIEN 
Non, non, de leur pitié j'aùrais trop à rougir; 
Ma haine .est inflexible , et la leur peut agir, 


.GONSTANTIN. 
Puisque mon amitié, dans ses vœux repoussée, 


_ N'obtient pas le on dont elle s’est bercée, 
Et que perdant, Seigneur , l’espoir de réussir, 
Elle voit le bandeau sur vos yeux s’épaissir ,.. 
Souffrez que, sans vouloir insister davantage , 
Je déplore une erreur que Faustine partage ; 
Veuille le Dieu des dieux, Li jour vous changer. 


. Nous: marchons à l'autel. .... : 
EEE LL à 


= 


MÉMOIRES. 423 


SINAANAR AI AR AAA NAN AAA AAA AAA RAIAAIAAS 


MÉMOIRE 


SUR 


3 


LE DÉPLACEMENT ET LE Pr ALTERNATIF 
D E S M ER 8 ; 
EXTRAIT DE L'INTRODUCTION A L'HISTOIRE ; 


PAR E G. LENGLET; 
PRÉSIDENT'A LA TOUR ROYALE DE DOUAI, 
| MEMBRE HONORAIRE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE D'ARRAS. 

A  — 
Ex observant T'état actuel de la À terre , les naturalistes 
ont trouvé des vestiges très-multipliés d'un ou ee plusieurs: 
états antérieurs. qu D 

Quelques - uns des anciens changemens pin par 
les observations, ne paraissent pas très-différens de ceux 
dont nous sommes tous les jours les témoins. Mais 
beaucoup d’autres faits semblent’ annoncer aussi des 
révolutions ‘plus importantes et qu'il ne paraît pas 
possible d'attribuer aux mêmes causes. | 

Il faut partir des faits les plus connus. 

. Ce qui nous frappe le plus à la première inspection 
du globe, ce sont ses inégalités, 

Des mers plus ou moins profondes couvrent les deux 
tiers de sa surface. La partie qui s'élève au-dessus des 
eaux est divisée en continens, sillonnés par d'immenses 
chaînes de montagnes, de hauteurs très - ‘différentes et 
diversément ramifiées. Là masse entire est enveloppée 

” Tome À, LOT Liv, . 26 


424 MÉMOIRES. 


d’une atmosphère, dont la hauteur n’a pu étre deter- 
minée encore. : 

Les mouvemens continus ou temporaires, accidentels 
ou périodiques, concourans ou opposés fde ces deux 
fluides , ceux du. calorique ou du feu qui pénètre égale- 
ment, et ces mêmes fluides et la masse totale du globe 
contribuent sans éesse à varier l'aspect des corps soumis 
à. leur action immédiate. 

Pour toutes les parties de la terre, Je jour, la nuit, 
l'hiver et l'été se-saccèdent, produisent de perpétuelles 
variations dans la température de chaque zone et de 
chaque hémisphère, augmentent et diminuent tour-à- 
tour les glaces amoncelées aux deux pôles et au sommet 
des montagnes. | | 

Les phénomènes des marées se répètent. deux fois chaque 
jour, et varient du plus au moins deux fois chaque 
mois ,et deux fois chaque année. | 
. Une partie des eaux de l'océan vaporisées, aspirées 
sans cesse, transportées par les vents dans toutes les 
régions de l'atmosphère , arrêtées autour des points les 
plus élevés des continens , se précipitent, pénètrent daus 
les cavités intérieures, coulent en ruisseaux ou en tor- 
rens à la surface, fertilisent les vallées et les plaines, 
et retourneat enfin au vaste réservoir d'où elles doivent 
sortir encore. Ainsi , les montagnes recevant par les nuages 
les eaux de locéan, les rendent sans cesse à Focéan 
par les fleuves. | 

De ces intarissables courans , les plus considérables 
grossis dans certaines saisons , se débordent, entraînent 
les débris des rochers qui resserrent. les vallées , Les arbres 
qui les ombragent, forment à leur embouchure des 
atterrissemens set semblent forcer la mer à réculer devant 
eux. 


1 


à 


MÉMOIRES. _ 425 


Ces différentes causes, tres-peu régulières, mais sans 
cesse actives, semblent conspirer à abaisser les montagnes, 
à combler le bassin des mers, à rapprocher du niveau 
toute la surface du globe. 

Mais une autre cause plus irrégulière encore, et dont 
l'action échappe à tous les calculs, tend à produire des 
résultats opposés. Le feu des volcans agite et soulève 
les couches supérieures ; des cavernes s’écroulent, des 
montagnes s’affaissent, des îles do d’ autres s’abt- 
ment sous les eaux. : 

Ainsi, mouvemens généraux réguhèrement pétiodiques , 
mouvemens partiels variant sans cesse, forces opposées 
dont l'action, au moins en partie, se compense ; tel 
paraît être le premier résultat des lois auxquelles la 
surface du globe est soumise. | 

Si, pénétrant sa première enveloppe; on obeurré Ja 
différence, la distribution ou la position relative des 
matériaux qui la composent ; on remarque d’abord trois 
ordres de montagnes , les montagnes granitiques , calcaires 
et volcaniques. Chacun de ces trois ordres se subdivise. 

On distingue entre les montagnes granitiques , celles . 
qui sont et celles qui ne sont pas asératifiées, c'est-à- 
dire disposées par couches. 

Toutes les montagnes calcaires sont ainsi postes 
mais les unes contiennent des débris des matières orga- 
niques, d’autres n’en contiennent pas. 

Enfin , on connait des volcans Frs et des volcans 
éteints. : eo 

Dans les masses qni composent les montagnes du 
premier ordre , la terre siliceuse domine ; dans les autres, 
c'est la terre calcaire. our 

Sur' les hauteurs, comme sur les lines, dans Pinté- 


426 MÉMOIRES. 

rieur comme à la surface, la silice et la claux sont 
mélangées, quelquefois entr'elles, plus souvent avet 
 l'alumine ou l'argile. Fnfin, la terre calcaire, l'argile et 
la silice, leurs combinaisons, leurs agsrégäts ou leurs 
mélanges semblent composer les neuf dixièmes des ma- 
tières placées à la surface du globe. | 

De ces premiers faits, observés sur tant de points, 
déjà quelques-uns conduisent à soupçonner qu’une partie 
de ce qui existe a pu avoir antérieurement une autre 
position, d’autres rapports et d’autres formes. 

Mais deux faits, plus généraux, rapprochés des pre- 
miers ,, semblent augmenter la curiosité , en promettant 
plus de lumières. . 

La figure de la terre, c'est-à-dire l'élévation de l’équa- 
teur et l’applatissement des pôles semblent prouver que 
ce globe; ou au moins une couche extérieure plus ou 
moins ‘profonde , a été primitivement dans un état de 
liquidité ou de dissolution plus ou moins complette. 

- D’après la disposition des matières qui sont accessibles 
. à nos recherches, d’après la multitude et le parallélism2 
des couches, la correspondance des angles, le nombre 
et l’immensité des bancs de coquilles, ou de pierres 
coquillières , trouvés à des hauteurs et à des profondeurs 
très - inégales ; il paraît que depuis la consolidation du 
globe , les parties de sa surface qui dominent aujourd’huï 
sur les mers, ont été long-temps et peut-être plusieurs 
fois submergées et puissamment modifiées par les eaux. 

Sur ces deux faits.et sur leurs conséquences immédiates; 
tous fes naturalistes paraissent d'accord, 

. Mais la dissolution primitive a-t-elle eu pour cause; 
le calorique , l’eau ou les acides, ou plusieurs de ces 
fluides réunis ? ce | : 


av 


MÉMOIRES 427. 


‘ La submersion secondaire a-t-elle été totale et simul- 
tanée, ou partielle ‘et successive? La masse des eaux 
diminue - t-elle, ow a-t-elle été seulement déplacée ? 
Doit-elle diminuer ou se déplacer encore ? Quelles causes 
ont produit et peuvent reproduire ces grands effets? A: 
quelles époques et de quelle manière ? Sur ces points, 
beaucoup plus obscurs , les opinions se partagent. Il faut, 
en peu de mots , rappeller et classer les faits qui peuvent 
appuyer, contrarier où modifier chacune d'elles. 

I De la Dissolution primitive du Globe. 

L'état de dissolution auquel on attribue l'élévation 
de l’équateur et même celle de quelques montagnes, 
ayant dû être antérieur à toutes les révolutions dont 
nous retrouvons les vestiges , il n’est pas étonnant que 
la cause de cette HUE soit un Hessainene 
à saisir. 

, Les premiers physiciens qui l’ont cherchée, ont supposé 
l'incaudescence ou la fusion générale de nos minéraux, 
en d’autres mots, leur dissolution dans le calorique. 

Descartes et Leibnitz, par exemple, imaginent que 
notre globe a été d’abord un astre lumineux ; et que 
cet astre s’est éteint. | 

J/iston fait de la terre une comète, gelée et solide 
à l'aphélie , embrâsée au périhélie. Peu après son passage 
près du soleil, une force quelconque change son orbite 
et la rapproche du cercle. À mesure que la comète, 
devenue planète, se refroidit, une partie des matières 
qui composaient son atmosphère se condense , se préci- 
pite..... Le premier: point accordé, tout s'explique 
assez lement 

Buffon conjecture que la terre, toutes les . planètes et 
leurs satellites ont été détachés du soleil par le choc 


428 MÉMOIRES. 


d’une comète. Il calcule le tems nécessaire pour leur 
refroidissement , en raison de chaque masse , et les effets 
différens que chaque degré de chaleur peut produire. 

Mais, depuis les rapides progrès de la minéralogie 
et de la chimie, on a paru accorder moins à l’action 
du feu, un peu plus à l’action de l’eau et des acides. 
Saussure et M. Lametherie disent, mais avec plus de 
circonspection, que Îles parties aujourd'hui solides de 
Ja terre, dissoutes autrefois dans un fluide d’une 
température approchant celle de l’eau bouillante , se sont 
cristalisées en se refroidissant , et que cette cristallisation, 
très-confuse , a formé nos montagnes, au moins celles 
que l’on nomme primordiales ou primitives. 

Il faut comparer chacune de ces opinions avec les. 
faits. | 

Des trois substances minérales qui dominent dans la 
composition du globe , l’alumine se trouve quelquefois, 
la chaux presque toujours combinée avec un acide; la 
silice jamais. t 

Les pierres argileuses et calcaires paraissent devoir à. 
ces acides leur consistance on l'adhésion de leur. molé- 
cules ; la pierre siliceuse doit la sienne à quelqu'autre 
cause. | | 

: Quels effets a pu produire sur ces différentes matières ,. 
l'action plus ou moins développée du calorique ? 

D'abord, entre les substances acidifères, les plus 
connues et les plus communes sont les carbonates, les. 
sulfates et les phosphates calcaires; ou en d’autres 
mots les combinaisons de la chaux avec les acides. 
carbonique, sulfurique et phosphorique. (1) Or, un 


(1) Les marbres et pierres de taille, les plâtres et la pierre. 
d’'Estramadure. 


MÉMOIRES, 429 


degré de chaleur un peu élevé suflit pour séparer ces 
acides de leurs bases. L'incendie général n’a donc pu 
les combiner. | | 
_ Cette combinaison s’est-elle opérée pendant le refroi- 
dissement ? 

En supposant aujourd'hui la température du globe 
élevée progressivement à un degré tel qu’il pût d’abord 
vaporiser ou évaporer la masse de l’océan , ensuite priver 
de leur acide et réduire en chaux vive toutes les pierres 
calcaires; en supposant aussi que la masse de l’atmos- 
phère , augmentée par les premiers gaz ou Îles premières 
vapeurs ne s’opposät pas invinciblement au dégagement 
des dernières, on conçoit que telles matières fondues 
et volatilisées À tel degré des pyromètres, reprendraient 
tour-à-tour, à chaque degré de refroidissement , et leur 
liquidité et leur solidité premières. On conçoit aussi, 
que telles combinaisons détruites par les divers accrois- 
semens de chaleur, pourraient se former de nouveau 
pendant sa diminution. | 
_ Par exemple, à mesure que les eaux suspendues 
dans l'atmosphère commenceraient à se précipiter, la 
chaux vive, mise en effervescence , ensuite pulvérisée, 
puis dissoute, se combinerait avec ce liquide ; la com- 
binaison pourrait continuer jusqu’au point de saturation, 
c'est-à-dire, jusqu’à ce que la quantité de chaux en 
dissolution fut à la masse entière de l'océan, à peu- 
près comme 1 est à 500. 

Bientôt le gaz acide carbonique , le Li pesant des 
. gaz de l’atmosphère , se trouvant en contact avec Îa 

surface de l'eau, serait progressivement absorbé par elle, 
et se combinant avec la chaux en dissolution, la préci- 
piterait. Tout cela se conçoit et delà, peut-être, où 


430 MÉMOIRES. 
pourrait conelure que la fusion primitive du globe n’est 
pas démontrée impossible, 

Quelques autres indices pourraient même donner à à cette 
supposition quelque probabilité, mais d’autres observations 
semblent la repousser. L | 

Il est très-vrai que la plupart des matières incaudes- 
ceutes, en se refroidissant, se boursoufflent, Au-dessus. 
de leur suifare, on voit des éininences, on voit au- 
dessous des cavités, C’est ce qu’on peut en petit, observer 
par-tout ; c’est ce que l’on remarque en grand dans les 
laves. L'hypothèse de la fusion ou de la dissolution du 
globe par le calorique, en expliquant l’aplatissement des. 
pôles, expliquerait donc assez bien aussi la formation 
_de quelques montagnes; par exemple , de celles qu'on 
appelle primitives. 

Mais, parmi Les pierres qui ont certainement suli 
l’action du feu , celles qui sont assez peu altérées pour 
laisser reconnaître leur foïme ou leur composition ori- 
giuaire, ne paraissent pas avoir été mises en fusion, 
Celles qdi ont été fondues , comme les Basaltes, et sur- 
tout les scories et Îles laves vilreuses, quoiqu'elles con- 
tiennent beaucoup de silice, ressemblent trës-peu au 
granit, aux quartz et aux autres pierres où la même 
terre domine. Le quartz et le granit des montagnes 
primitives ue paraissent donc pas avoir été fondus comme 
Jes basaltes, 

En général, la terre silicéuse ne se fond que quand 
elle est mélée avec les alcalis, et alors elte donne du 
verre. Elle se fond encore avec les acides phosphorique 
et boracique ; elle se dissout dans l'acide fluorique. Enfin, 
l’alumine infusille au feu , n’est soluble que dans = 
, potasse ou la soude, 


MÉMOIRES | 451 

Mais si l’acide ou Falcali, nécessaires autrefois pour 
dissoudre l’alumine, pour fondre ou pour dissoudre la 
silice existante, ne se trouvent pas combinés avee elle, 
ou ne le sont qu’en partie; il faut ou renoncer à la 
dissolution par tes alcalis ou les acides, ou il faut in- 
diquer ce que ces fondans ou dissolvans ont pu devenir; 
ou bien enfin, il faut prouver qu'ils ont pu être suppléés 
par une chaleur supérieure à celle que l’on peut obtenir . 
par tous les moyens qui sont à la disposition des chimis- 
tes, supérieure même à la chaleur des volcans. Ensuite, 
‘à cette intensité supposée, il faut assigner ou supposer 
une cause. Jusqu'à ce que tout cela soit vérifié, on ne 
peut donc assurer. que tel des agens indiqués, ni le 
calorique lui-même à aucun degré connu, ait opéré 
la dissolution des matières qui os SH LE la plus grande 
partie du globe. | 

S’il arrrivait qu’an jour, cette dissolution généralement 
admise fut expliquée, et l’une des causes hypothétiques 
qu'on lui assigne mieux établie, l'explication des autres 
faits deviendrait plus facile, 

Si, en effet , les montagnes granitiques, c'est-à-dire les 
plus hautes montagnes ont été formées peu : après la disso- 
lution , et pendant le refroidissement , par la cristalisation 
du globe, il ne restera à expliquer par le mouvement 
des eaux , que la formation des montagnes moins élevées. 
Il aura fallu pour les couvrir tour-à-tour, un moindre 
déplacement ; pour opérer ce déplacement , une moindre 

force. | 
Ceci nous conduit aux questions relatives à des révo- 
lutions moins anciennes. | 
IL De l’ancien niveau de l'Océan. 
Les savans qui attribuent au calorique ou aux acides, 


452 MÉMOIRES. 


la dissolution primilive du globe ; reconnaissent comme 
Jes autres et reconnaissent par-tout , le travail secondaire 
des eaux, 

Pour suivre avee moins d'incertitude, les traces diffé- 
rentes de leur séjour ,. il faut remonter des plus modernes 
aux plus anciennes. 

1.° On sait que tous les volcans aujourd’hui en érup- 
ton, sont situés dans les îles, ou près des côtes. Or, 
<n parcourant les continens, on reconnaît des volcans 
éteints dans présque toutes les chaînes de montagnes 
autres que les montagnes granitiques. Les continens 
ont donc été autrefois beaucoup moins étendus qu’au- 
jourd’bui, la mer a été plus élevée; 

2.° Dans beaucoup d'autres montagnes, à des hauteurs 
‘supérieures aux bases des volcans, aujourd’hui les plus 
éloignés des mers, on trouve des terres et des pierres 
mélangées de corps organiques et sur-tout de coquilles ; 

Ces coquilles, soit dans les pierres , soit dans les terres, 
sont ftrès-souvent remplies des mêmes matières qui les 
‘enveloppent. Elles paraissent donc avoir été supendues, 
Jes autres matières dissoutes ou tenues seulement en 
solution dans nn où plusieurs fluides , et le niveau de 
cefluidé paraît avoir été très-élevé. | | 

3. De ces corps organiques fossiles, la plupart ont 
appartenu à des mollusques marins : donc le fluide où 
se sont formées les couches et les montagnes coquillières ; 
est autre chose que l’eau de l'océan ; | 
. 4° Ces dépouilles des anciens habitans de la mer sont 
infiniment plus nombreuses, et en général se trouvent 
plus haut et à des profondeur plus considérables que 
les dépouilles des plantes et des animaux terrestres. La 
nature vivante paraît donc avoir commencé sous les 


eaux ; 2 


MÉMOIRES 433 


5.° Au-dessus du niveau où se remontrent les dernières. 
ct probablement les plus anciennes coquilles, on voit 
encore des matières qui n’en contiennent pas et dont 
plusieurs, néanmoins, sont disposées par couches ( par 
exemple Les roches calcaires primitives ). Ces hauteurs 
ont-elles toujours dominé sur l'océan? Ou seulement 
leur submersion est-elle antérieure à l'organisation de 
la nature vivante ? la seconde supposition paraît la plus 
probable ; | | 

6. De ces montagnes sans coquilles, les unes sont 
granitiques, les autres calcaires ; et par-tout on trouve 
les roches ou autres matières calcaires appuyées sur les 
roches granitiques. Les montagnes granitiques. paraissent 
donc plus anciennes. 

Ainsi, depuis la fusion ou la dissolution du globe, 
depuis le refroidissement et la précipitation de ses ma- 
tières les moins solubles, le plus ancien , le plus grand 
événement qu'on apperçoive à travers les siècles , et don 
les monumens nous restent encore, celui qui semble 
former pour nous, la première époque de la nature; . 
est l’organisation des êtres vivans. 

Quel était à cette époque le véritable niveau des mers ? 
Ce niveau paraîtrait indiqué assez clairement par la ligne 
des coquilles les plus élevées ; mais plusieurs. abserva- 
tions semblent inviter à réduire à cet égard les premières 
conjectures. | 

Dans les continens, sur-tout au milieu ds groupes 
de montagnes, et beaucoup au-dessus du niveau général 
des eaux, il existe beaucoup de lacs. Ceux de ces lacs. 
qui, comme la mer Caspienne, le lac Aral et quelques 
autres, n’ont aucune communication avec l'océan, ont 
une salure plus ou moins sensible, et elle s'explique. 


434 MÉMOIRES 


comme eelle des mers plus étendues. Les sels dont certaines. 
terres sont imprégnées, étant dissous par Îles eaux plu- 
viales ,. sont entraînées avec elles sur les terreins les plus. 
bas. Quand, de nouveaw, une partie de ces eaux s’évapore, 
les sels resterit, À ceux-là ; de nouvelles pluies , de nou- 
veaux torrens ajoutent d’autres sels. La salure de ces 
Jacs, comme celle des autres mers, doit donc augmenter 
autant que celle des terres environnantes diminue. Or, 
plusieurs observations annoncent que ces lacs ont été. 
autrefois plus étendus et plus nombreux. | 

: Dans les montagnes noires et sur plusieurs autres points 
de la chaîne qui dessine, au nord, le bassin du Danube, 
on trouve , en effet, des vallons presque circulaires, qui 
n’ont qu’une seule ouverture assez étroite , et qui paraïis- 
sent avoir été totalement fermés. Selon Sulzer, ces bassins 
ont été probablement des lacs , et leur ancien écoulement 
semble attesté encore. par le grand nombre de cailloux 
roulés qui couvrent les terreins inférieurs. 

‘ Lors donc qu’à des hauteurs considérables, par exem- 
ple , à. 1500 toises dans les Pyrénées , à 2000 toises dans 
les Cordilières, on trouve des coquilles pareilles à celles. 
des mers, il faut certainement conclure , que ces terreins 
ont été couverts par des eaux semblables aux eaux de 
l'océan, c’est-à-dire composées de même, donnant ou 
contenant Jes mêmes produits. Maïs ces hautes vallées, 
au moins celles du Pérou, étant dominées encore par- 
des sommets ‘de 1200 .toises et. au-delà, auraient pu, 
en recevant à la fois les eaux et les sels des terreins. 
supérieurs, former. anciennement, des lacs salés, sans 
que la masse entière de l'océan soit jamais parvenue aw 
même niveau. Il se peut donc que l'océan n'ait jamais 
été aussi élevé que semblent l'indiquer les coquilles des 
Cordilières ou celles des Pyrénées. 


| MÉMOIRES. _ 435 


Cette observation, tendant à diminuer l'intervalle de 
l’ancien niveau au niveau actuel, peut rendre, par 
conséquent, moins difficile à expliquer, ou la diminu- 
tion des mers ou leur’ abaissement. 
III. Toutes les parties du globe ont-elles été submergées 
à la fois? Hypothèses imaginées pour éxpliquer 
|. l’abaissement total des mers. 
_ Pour concevoir que l’ancien océan a pu s'élever par- 
tout à la fois jusqu’au sommet des plus hautes monta- 
gnes, au moins jusqu'à la ligne des derniers bancs de 
coquilles , il faut supposer de trois choses, l’une: 

Ou que fa masse des eaux était double ou triple de 
ce qu’elle est aujourd’hui ; et c’est ajouter en quelque 
sorte à l’océan qui nous reste, deux ou trois océans 
éganx: que sont-ils devenus? DE 

Ou la masse des mers étant supposéé. la mèêime, il 
faut imaginer que leur fonds fut’ autrefois UE 
plus élevé. . 5 | 

de que les montagnes l'étient moins. 

® Si l'océan a été autrefois doùble ou triple de celui 
que nous voyons, comment a-t-il pu diminuer ? 

La masse des eaux que l’on suppose perdues, a été 
supposée, tour-à-tour enlevée ou trarisformée, ou Aou 
difiée ou: combinée. : | 
: Selon. tel ‘physicien ;’ une comète, au retour du 
périhélie , où ‘elle s’est considérablement échauffée, pas- 
‘sant assez près de la terre pour évaporer une partie de 
ses eaux, les emporte dans l’espace, sans éause 
extraordinaire; l’évaporation habituelle de l’océan élève, 
selon AMaillet ; atmosphère “au point que ses dernières 
couches sortant des limites de l’attraction terrestre, lui 
échappent et passent à d’autres globes. 


436 MÉMOIRES, 


Newton pensait que l’eau se change en terre, que 
par conséquent, la partie solide du globe augmente 2 
mesure que l'océan diminue. On ignore si, par cette 
transformation, Newton entendait quelques combinaisons 
semblables À celles qui sont constatées et qui paraissent 
| expliquées par la chymie moderne ; mais rien n’annonce 
encore que ce grand homme ait été, à cet égard, aussi 
heureus qu’il a été en devinant, par la refraction, la 
eombustibilité du diamant, la composition de l'eau , et 
la eombustibilité de l’un de ses principes 

Dans l’ordre actuel de la nature, deux causes connues , 
peuvent jusqu’à certain point, diminuer la masse des 
mers. Une partie des eaux se concentre et se combine 
dans la cristallisation , se décompose et se combine dans 
les végétaux; une autre s'élève en vapeurs dans l'at- 
mosphère, et de ces vapeurs une partie se fixe en neige, 
en glace aux deux pôles, ou au sommet des montagnes, 
Il est vrai encore que ces énormes glaciers, paraissent 
chaque jour s’avancer et s'étendre. Mais la quantité d’eau, 
combinée daris les cristaux ou les végélaux, ou habi- 
tuellement dissoute dans l'air, ou suspendue en nuages, 
ou fixée aux extrémités du globe, peut-elle être supposée 
égale à la masse de l’océan qui nous reste ? Il est dif- 
ficile de trouver des données pour de semblables caleuls. 
Sans trop s'assurer des bases de ces calculs, quelques 
savans en ont poussé très-loin Îes résultats. 

Selon Morel-Findé , par exemple , lorsque les couches 
extérieures deg terre sont cristallisées sons l'océan , 
une partie des eaux s’est combinée avec les terres dis- 
soutes, une autre partre à été plûtard et très-lentement 
décomposée par les végétaux et les animaux, Si on l'en 
croit, cette décomposition, comnieneée depuis fong- 


Ca 


MÉMOIRES. 437 
tems, s'avance sans cesse. Quand elle sera totale , le 
globe desséché s’embrâsera ; l’hydrogène et Foxigène 
totalement séparés se combineront de nouveau ; la terre 
sera de nouveau submergée. Les mêmes phénomènes 
dont nous trouvons tant d'indices, et dont nous eher- 
chons les causes, se reproduiront; de nouvelles cris-. 
tallisations, de nouveaux sdimens, formeront de nouvelles 
couches; la masse des eaux, quelque tems entière, 
bientôt recommencera à diminuer en se décomposant 
encore. Ainsi, se succéderont sur la terre , les com- 
positions ; fes décompositions , les incendies et les déluges 
universels, jusqu'à ce que quelqu’événement dissolve le 
globe lui-même, ou qu’une fermentation intérieure 
arène son explosion , ou qu’une autre cause change 
son orbite , pout l'emporter loin du soleit ou l'y précipiter. 

La composition et la décomposition alternative de Peau 
sont des faits, et ils se répètent sans cesse. Mais rien 
n’annonce que les résultats de lune de ces opérations 
surpassent journellement ou annuellement les résultats 
de l’autre ; que les dépôts d'hydrogène et d'oxigène sé- 
parés s’accroissent , que la masse des eaux, c'est-à-dire 
de l'hydrogène et de l'oxigène combinés diminue, rien 
ne prouve d’ailleurs, que par l’absence totale des eaux, 
la terre puisse s’embrâser plus que les\ sables de Libie 
ne s'embrâsent , et tout annonce Île contraire. 

Il est donc clair, au total, qu'aucun fait n’a pu 
prouver ‘encoré l'existence primitive d'une masse d’eau 
double: ou triple de l'océan actuel, ni expliquer sa ré- 
duction progréésive. Aussi d'autres physiciens * ont-ils 
supposé un simple abaïésement , éans diminution. 

2. Si lon i imagine la surface de la terre plus régulière ; 
cu bien l'intérieur divisé eri immehses cavernes absolu 


458 MÉMOIRES. 


ment vides, ou seulement remplies de quelques fluides 
élastiques ; enfin , l’océan appuyé sur les voûtes de ces 
cavernes ; on conçoit que le niveau des mers sera plus 
élevé, sans que leur masse soit plus considérable, et 
que ce niveau peut facilement baisser sans que cette 
masse diminue. Il suffit pour cela que plusieurs voûtes 
s’écroulent. Les cavernes alors se remplissant , l’océan 
qui, d’abord , couvrait toute la surface du globe, n’en 
couvrira plus qu'une partie. Ces suppositions sont ad- 
mises également par Burnet, Huston », HWoodwart , 
Saussure, Deluc, etc. Mais à ces hypothèses : chacun 
d'eux en ajoute quelques autres, et sur celles que 
plusieurs admettent , ils raisonnent diversement. 

Les trois géologues anglais, par exemple, supposent 
les cavernes d’abord remplies d’eau, et leurs voûtes 
rompues , ou par leurs propres poids, ou par un trem- 
blement de terre, ou selon Whiston, par approche 
d'une comète, Les débris de ces voûtes , enfoncées d’un 
côté, s'élèvent de l’autre , par un mouvement de bascule ; 
et voilà les montagnes et les, vallées, les continens et 
les mers. 

Deluc, pour expliquer l'existence Da cavernes , ; suppose | 
la terre primitivement gelée, le soleil opaque. Tout-à- 
coup cet astre s'allume, la glace de notre globe se 
fond, dissout ou détrempe les parties solides ; ‘à deux 
Jieues -ou ‘un myriamètre de profondeur. Une partie. de 
cette eau s’évapore; la couche détrempée se desséchant, 
occupe un moindre espace. De-là les fentes, perpendi- 
culaires et les cavernes où la moitié des eaux s 'engloutit. 
Selon lui, la surface du globe était à peu- près aussi 
inégale à cette époque, que nous la voyons. Mais les 


parties qui dominaient alors, étaient appuyées. sur. des 
| cavités 


MÉMOIRES. | 439 
“cavités imimenéeés : les voûtes éboulées, les terreins les 
plus élevés sont devenus les plus bas. Les mêmes terres 
qui, primitivement submergées, s'étaient couvertes de 
‘coquillages ou de poissons, se découvrant à leur tour, 
par l’abaïissement des terres voisines, ont nourri des 
‘arbres, des quadrupèdes , ‘etc. , “etc. 

Ce qui est commun à ces derniers systèmes , l'hypo- 
thèse des ‘cavernes, peat, jusqu’à certain point, être 
regardé comme un fait. Sans ces cavernes et leurs come 
‘munications à de grandes distances, il serait difficile, 
en effet, de concevoir comment des tremblemens de 
terre semblent parconrir le quart ou le tiers d’un grand 
cercle du globe; comment celui de 1755, par exemple, 
‘s'est fait sentir presqu’en même-tems aux îles Canaries, 
à Lisbonne, sur les deux côtes de la Méditerranée, au 
‘centre et au nord de l’Europe. 

Que des cavernes aient été d'abord formées aprés 
Tincandescence ou l'immersion du globe, par le refroi- 
dissement ou le dessèchement inégal des couches différentes; 
qu'après celles-là, l’éruption des volcans en ait produit 
‘beaucoup d’autres, les anciennes comme les nouvelles 
ont pu en grande partie s’écrouler. Maïs supposer ces 
cavernes assez grandes, ou en assez grand nombre, 
_ pour recevoir une masse d’eau égale ou supérieure à la 
masse actuelle des mers , c’est une supposition purement 
gratuite; c’est une exagération qui excède de beaucoup 
ce que. les faits connus pourraient justifier. | 

3.° Enfin, une troisième classe de savans , supposant 
la surface du globe primitivement sphérique, et dans” 
tous ses points également éloignée du centre , attribuent 
ses inégalités actuelles, non à l’affaissement des vallées, 
mais au soulèvement des montagnes ; ils attribuent ces 
Tome X. 10."*° Liv, 29 


44 MÉMOIRES. 
soulèvemens à plusieurs causes, et d’abord à Péruption 
des volcans. | | 

L'Etna, dont la hauteur perpendiculaire est de 8300 
mètres, et la circonférence de 30 myriamètres et au- 
delà , paraît devoir une grande partie de sa masse aux 
matières lancées dès cratères par la force du feu et 
par celle de l’eau que le feu évapore ou décompose. 
fl est incontestable que les éruptions volcaniques ont 
des elfets prodigieux , et l’on connaît beaucoup plus de 
volcans éteints que de volcans en éruption. Mais d'abord, 
très-peu de montagnes primitives sont volcaniques. Le 
nombre de volcans brülans ou éteints ne paraît pas être 
à celui des montagnes secondaires ou autres non volca- 
nisées, comme un à dix. Ou ne pourrait donc attribuer 
aux feux souterreins que la formation du dixième au 
plus de nos montagnes. Ceux qui les attribuent toutes, 
à cette seule cause, exagèrent donc à peu-près des neuf 
dixièmes. Si d’ailleurs on considére quelle différence existe 
entre la régularité des couches secondaires et le désordre 
des matières entassées ou bouleversées par les éruptions 
volcaniques, ou par les tremblemens de terre , on apperce- 
vra combien peu cette hypothèse est vraisemblable. La 
suivante l’est encore moins. 

Les pirites ou sulphures de fer tombant en efflores- 
cence se dilatent , et peuvent , dit-on, se dilater au point 
de soulever de très-grandes masses. Mais quel immense 
amas de pirites il faudrait dans l’intérieur du globe pour 
soulever ou la totalité ou seulement la dixième partie 
des montagnes existantes. 

Saussure védnisant de beaucoup ces séulivemiens, les 
attribue à une autre cause, à l'explosion ou à la dilatation 


des fluides acrifurmes eoutenus dans les cavités inté- 
rieures. 


MÉMOIRES. _ 44r 

Dans l'opinion de ce sage et savant naturaliste, quelques 
‘montagnes auraient été élevées par cristallisation , d’autres 
par soulèvement; des vallées se seraient formées par 
Yéboulement des cavernes, etc. Ainsi , par la combinaiso 
de plusieurs hypothèses, chacune d'elles étant en quelque 
sorte moins étendue, devient plus vraisemblable. Ën 
admettant Île concours de plusieurs forces, il exige ; 
pour ainsi dire, moins de chacune, mais au total, ik 
exige ou ïl suppose à pèu-près également. 

En résultat, la difhiculté d'expliquer par les faits 
l'immersion totale da globe , et la diminution on l’abaisse- 
ment des mérs, ne serait pas une raïson suffisante pour 
_rejetter cette immersion totale, si elle était prouvée 
d'ailleurs. . Maïs certainement , elle n’est pas prouvée ; 
et des faits assez nombreux, semblent établir, 1.° que 
notre globe n'a jamais été que partiellement submergt ; 
2. que dans chaque contrée, la hauteur des eaux a 
varié plüsieurs fois da plus au moins, et. plusieurs fois 
‘du moins au plus. | 

AV. Faits qui semblent prouver le deplacement et le 

mouvement alternatif des mers. | 

1. En observant les matériaux qui composent Îles 
premières couches de la terre, les minéralogistes ont 
remarqué bientôt que ia position relative de ces couches 
ne suit pas constamment l'ordre des pesanteurs spéci- 
 fiques. Souvent on trouve des pierres ou des terres plus 
pesantes appuyées sur des matières plus légères, Ces 
matieres différentes n’ont été ni dissoutes, ni suspendues 
toutes à la fois. En d’autres mots , il y a eu plusieurs 
dissolutions ou solutions, et probablement plusieurs 
immersions successives ; | 

2° Dans les Cordilières, dans les Pyrénées et les Alpes; 


442 MÉMOIRES. 


à trois et quatre mille mètres au-dessus du niveau actuel 
de locéan, on trouve des productions marines ; en 
Hollande, près de Bruges, en Angleterre et ailleurs, 
on trouve à diverses profondeurs, au-dessous du même 
niveau , des dépowilles de végétaux et d'animaux terrestres, 
des charbons, des forêts entières. 

La mer a done été au-dessus des premiers terreins 
et au-dessous des seconds, au-dessus et au-dessous de 
son niveau actuel, Ces divers niveaux n’ont pu exister 
en même-tems. Ils ont donc eu lieu tour-à-tour ; 
32 Sur certains points , par exemple, près de Soissons , 
on rencontre successivement au-dessous du sol, des 
coquillages terrestres et des coquillages marins. On trouve 
aux environs de Paris, entre-deux couches contenant 
des productions marines, une ou plusieurs couches 
contenant des débris de quadrupèdes ou des plantes 
terrestres , ou des matières volcaniques ; 

4. Il est reconnu que l'océan est plus agité dans les 
détroits, qu’il ne l’est loin des continens ou des îles, 
et qu’en pleine mer, le mouvement des eaux diminue 
en raison de leur. distance à la surface. Dans la région U 
des côtes, les fragmens détachés du fond ou des bords, 
remués et roulés en plusieurs sens par les flots, sont 
enfin déposés et abandonnés à des hauteurs différentes, 
en raison de leur pesanteur , et de Vinclinaison des 
plans qui les soutiennent. Les sables ou les terres plus 
divisées, long-tems suspendues dans les eaux en mou- 
vement, ne se précipitent que dans une eau plus 
tranquille, et par conséquent dans la haute mer. 
D'un autre côlé, non-seulement les coquilles Auviatiles 

ou terrestres ne ressemblent point à celles de l’océan , 
mais entre celles-ci, on distingue les espèces qui vivent 


MÉMOIRES. 443 
près des rivages ou dans les mers profondes. Rouelle 
et Lavoisier nomment les unes storales, les autres 
pélagiennes. | 

Or, en parcourant la surface, ou en creusant 
masse des continens, on trouve alternativement des 
dépôts de caillonx et des matières plus attenuées, des 
bancs de coquilles pélagiennes et de coquilles Kttorales. 

Fous ces faits, inexplicables et en quelque sorte 
eontradictoires dans la supposition d'une immersion unique 
et totale, on peut les concilier en admettant plusieurs 
inmersions partielles et successives, en attribuant à fx 
thasse des mers un mouvement d'oscillation. Mais les 
savans qui admettent ce grand phénomène, s'accordent 
très-peu sur la manière de lexpliquer.. 


V. Opinions publiées jusqu'à ce jour , sur l'étendue ; 


là direction et les causes. du déplacement des mers. 

D'abord, en quels sens. et par quels forces ce dé- 
placement s’opère-t-il ? 

Les mers ont trois mouvemens connus. 
D'orient en occident , | | 
Des pôles vers l'équateur, 

‘Flux et reflux en tout sens. 

E.° La terre tournant autour d'elle-même, d’occident 
en ortent , entraîne en effet les eaux de l’océrn dans 
_ la même direction. Mais le mouvement de ce liquide, 
étant plus lent, paraît rétrograde, Et il l’est, non rela- 
tivement aux divers points du ciel, mais relativement 
à chaque partie de la terre. Cette rétrogradation , peu ou 
point sensible vers le fond des mers , l’est beaucoup plus 
à la surface, et doit l’être plus encore pour Patmosphère. 
L'air étant et plus fluide et moins pesant, et moins 
adhérent à la terre, doit rétrograder davantage, et cette 


À . 


444 MÉMOIRES: 

rétrogradation; augmentée par la dilatation. progressive. 
qu’occasionne dans ce fluide la chaleur du soleil, produit 
le vent alisé ou le vent d’est presque continuel: entre. 
les tropiques. Ce mouvement doit augmenter celui: des. 
mers dans le même sens; 

2. Deux causes également connues concourent à porter- 
l'océan des pôles. vers l'équateur. 

La première est la raréfaction de l'air et asston 
des eaux sous la zone torride. L'air dilaté, l’eau éva- 
porée à chaque instant entre les tropiques , sont remplacés. 
sans cesse par l'air et les eaux des zones tempérées, 
ceux-ci par l'air et les eaux des zones glaciales. Ce. sécond: 
mouvement étant perpendiculaire au premier, doit prendre. 
une direction moyenne , diversement modifiée par celle. 
des. côtes, | 

La seconde cause qui contribue au même effet est la: 
fonte des glaces pôlaires. L’alternative d’aocroissement 
et de diminution, peu sensible du jour à la nuit, l’est: 
beaucoup plus de l'été à l'hyver. Ce fait très-constant , 
auquel un écrivain très-estimable semble. attribuer ex- 
clusivement les phénomènes des marées, peut seulement 
les modifier; et peut-être il est bon d'en tenir compte, 
si l'on veut expliquer pour chaque mer, la différence 


des hauteurs réelles avec celles qui sont indiquées par. 


les calculs de Newton. 

3.° Tout le monde connaît, et tous les physiciens 
admettent l'explication Newtoniène des marées, comme. 
une conséquence nécessaire du grand principe auquel se. 
rattache tout le systéme du monde. Les eaux de notre 
globe , qui se trouvent plus voisines de la lune, sont 
plus attirées que le centre, par cette planète; les eaux 
opposées le sont moins. Les premiers doivent dance 


MÉMOIRES. 44 


séloigner du centre de la terre. Le centre doit s'éloigner 
des autres. De là, élévation simultanée et en sens. 
contraire aux deux extrémités d'une même ligne ou d’un 
ellipsoïde , dont un sommet tonjours dirigé vers la lune,, 
tourne avec elle, avance comme elle d’orient en occident, 
et par une raison. semblable. Les eaux élevées par la lune 
sont remplacées et soutenues par d’autres eaux qui arri- 
vent non-seulement. de l’est et de l’ouest, mais de tous. 
les points. Cette affluence continuelle des eaux autour 
d'un point mobile, le mouvement de ce point, modifié 
sans cesse par les positions relatives et toujours chan- 
geantes du soleil et de notre ro doivent occasionner 
des effets très-irréguliers. 

_ Ainsi, . combinaison de trois mouvemens, dont l’un 
dans le sens de l'équateur, le second dans le sens des. 
méridiens ,. le troisième mixte; rotation, diurne du globe 
terrestre, raréfaction de l'air , évaporation des eaux, fonte 
des glaces, flux et reflux occasionné surtout par l'attrac- 
tion inégale de la lune sur les différens points de la. 
terre ; voilà les faits et leurs canses, Tout cela suffit-il 
pour expliquer les inégalités du globe et le déplacement 
des mers? Plusieurs géologues l'ont pensé, et cette 
opinion a été particulièrement développée par M. Lamarck. 
_ Les alternatives de chaud et de froid, de sécheresse et 
d'humidité décomposent, dit-il, ou divisent la superficie 
des corps les plus durs. Les parties aïnsi divisées sont 
détachées par les pluies et entraïînées par les courans 
jusqu'au bassin des mers. Pourquoi ce bassin , recevant 
sans cesse les débris des continens, ne se comble-t-il 
pas? Parce que Je balancement imprimé par le soleil et 
la lune, à la masse de l'océan, repousse sur les bords, 
non-seulement les matières apportées par les fleuves, 


446 MÉMOIRES 
mais celles que cette masse, toujours agilée,. détache. 
sans cesse du fond. qui la porte, 

Ainsi, l’action des pluies sur les continens,. celle de: 
la lune sur les mers se compensent. Mais cette com- 
pensation admise , tout n’est pas expliqué. Aussi ce savant: 
attribue encore d’autres efféts aux mêmes causes. 

Les pluies et les courans qu’elles produisent , sillonant- 

la surface des terres découvertes, creusent et le lit des. 
fleuves et les vallées où il serpentent , escarpent leurs. 
bords , taillent selon l'expression de l’auteur, les mon-. 
tagnes dans les plaines et broduisent les inégalités des. 
continens. 

D'un autre côté, si plusieurs mouvemens ont contribué 
à former et concourent à conserver le bassin des mers ; 
l’un de ces mouvemens tend à déplacer ce bassin; c’est: 
le mouvement de l’est à. l’ouest. L'océan atlantique, 
toujours avançant dans cette direction, a. séparé les. 
Antilles, et tend à couper l’isthme de Paname, comme. 
la mer du sud, aprés avoir battu long-temps les côtes 
orientales de l’Asie , a formé enfin l’Archipel des PAi= 
lippines , de la Sonde, et des Moluques, En attendant que. 
l'isthme de Panama soit coupé, et les deux Amériques. 
séparées, l'immense courant qui les attaque sans cesse, 
se divise en deux courans, dont lun avance au sud-ouest, 
Vautre au nord-ouest. Le premier de ces courans est 
beaucoup plus considérable ; et par cette inépalité, l’au- 
teur explique l’accroissement, plus probable que prouvé, 
_des mers australes et la diminution peut - être. plus. 

directement constatée des mers du nord. 
Sur cette explication PE observations : se pré- 


sentent. 
1.° Le mouvement des mers de l'est à l’ouest est, 


MÉMOIRES. 447 


comme Île reconnaît ce savant naturaliste, de trois lieues 
par jour, ou d’un huitième de lieue par heure. Comment 
attribuer d'aussi grands effets à une telle cause? 

2.% Si, par son mouvement de l’est à l’ouest, la mer 
du sud a brisé sa barrière, si l’océan atlantique attaque 
sans cesse la. sienne, il est évident que ce mouvement, 
qui a détruit l’une et tend à détruire l’autre, ne les 
_ a pas élevées ; qu’il a même dù empécber leur formation ; 
quelle force a donc , avant ou malgré cette translation 
continue des eaux de l’est à l’ouest , élevé ces grandes émi- 
nences du nord au sud? L'auteur ne. l'explique pas. 

3% On. ne peut nier que de mémoire d'homme, 
certaines mers n’abandonnent leurs rivages, que d’autres 
mers ne couvrent progressivement leurs côtes. Maïs ce 
mouvement se fait-il dans le sens indiqué? Est-il vrai 
que les côtes occidentales des continens soient abandon- 
nées, les côtes orientales submergées ? 

Les physiciens qui paraissent avoir le mieux observé 
les monvemens des mers, ont reconnu qu’elles s’é- 
loignent des rives très-inclinées à l’horison , et creusent 
sana cesse Îles rives plus escarpées ; et ce fait se conçoit 
assez facilement. Lorsqu’en effet le flux apporte sur tel. 
rivage Îles matières détachées à quelque distance, ces 
matières doivent s’avancer d'autant plus, et le reflux 
doit en emporter d'autant moins , que le rivage approche 
plus de plan horisontal. Les côtes très-applaties doivent 
donc, recevant et conservant plus, s'élever et s'étendre. 

Or, on sait que PAmérique a une pente très-douce 
à lorient, et vers Voecident, une pente très-rapide, 
Tous les grands fleuves coulent à l’est; la chaîne des 
Cordilières qui partage les eaux a sur plusieurs points, 
son sommet vingt fois plus éloigné des mers orientales ; 


418 MÉMOIRES. 
c’est-à-dire de la mer atlantique que de la mer du sud. 
D'après l’observation rappelée plus haut, la rive orien- 
tale du nouveau continent, comme plus rapprochée de 
l’horison , doit dunc s'élever , et la mer atlantique s'éloigner. 
Or, le systéme que j'examine suppose précisément Île 
contraire. Le système et l'observation, la supposition et 
_le fait ne sont donc pas d’accord.. | 
4° Quand on admettrait les: suppositions de l'auteur, 
elles n’expliqueraient pas:les inégalités dont on, cherche 
Vorigine. Qué sur un. globe primitivement régulier , 
Fattraction de la lune ait d’abord creusé le hassin de 
Vocéan , et séparé ainsi les continens et les mers ; que 
les vents et les marées aient, sur une partie des côtes, 
élevé des collines pareïlles aux dunes que nous connais- 
sons, cela pourrait se supposer. Mais quel rapport entre 
ces dunes et les Cordilières, ou le Caucase et les Alpes ? 
La formation de semblables montagnes exigerait des marées 
cent fois, mille fois plus hautes. Aussi, un, naturaliste 
très-recommandable , Dolomieu , suppose des marées da 
huit cents toises, et il attribue ces marées au passage 
d’une comète dans le. voisinage de la terre. Ainsi, pour 
expliquer le balancement comme l’abaissement total des 
mers, nous revenons aux hypothèses; mais d’autres ont, 
avant et depuis Dolomieu, imaginé des hypothèses plus 
hardies encore, c’est-à-dire moins faciles à prouver. 

1.” Quelques géologues modernes, d’après. les anciens 
Caldéens, ont pensé que l’angle formé par l'équateur, 
de la terre avec son orbite, diminué de vingt minutes 
ou environ depuis Hypparque , a été. autrefois beaucoup. 
plus grand ; qu’à une certaine, époque, les deux plans 
étaient perpendiculaires Jun à lautre; qu’un jour ils 
se confondront pour se séparer et s'éloigner encore. 


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MÉMOIRES. 443 
Dans cette supposition, on conçoit que Îles régions po 
laires d'aujourd'hui se trouveront un jour sous l'équateur; 
que les mers aujourd’hui glacées se fondront et s’éleveront, 
et qu'après la révolution achevée, tous les points du 
globe, à toules les latitudes, auront été tour-à-tour 
submergés et découverts. 
2.° D'autres, au lieu de supposer une révolution de 
l'axe dans le sens des méridiens, ont pensé que la terre 
tourne successivement autour de différens diamètres; 
Dans cette hypothèse, chacun des grands cercles per- 
pendiculaires à ces diamètres différens, devenant équateur 
à son tour, les eaux s’éleveront sous chacun d'eux ; 
c'est, selon ces géologues , ce qui est arrivé plusieurs 
fois, et ce: qui doit arriver encore. 
3.° D’autres admettent un changement, tantôt en plus ; 
tantôt en moins, dans la vitesse du mouvement diurne ; 
et il est clair que par une rotation plus rapide , la force 
centrifuge étant augmentée sous l'équateur, les eaux 
s’y. éleveront davantage , et qu'avec des alternatives 
_ d’âccélératioh.et de ralentissement ,.les eaux se porteront 
tour-à-tour des zones glaciales à la zone torride ; et de [a 
zone. torride aux. zones glaciales. A 
Enfin, M. Lametherie suppose à la fois le changement 
de vitesse et le changement d’obliquité; par le premier, 
il explique le mouvement alternatif des mers, des pôles 
à l'équateur; par le second, la. différence des tempé- 
ratures en différens tems, sous les mêmes latitudes. 
Pour juger ces hypotheses, il est sans doute bon de les 
eomparer aux observations et aux calculs des astronomes. 


Or, dans l'exposition du systéme du monde, M. Laplace 
déclare (1). | 


(1) Exp. du $, du M. éd, 1n-4.°, p. 197. 


_ MÉMOIRES. 


* Que l’inclinaison de Paxe de la terre ne peut varier 
que cu trois dégrès,, et ee oscälle- ES 
entre ces. limites > 

‘2. Que le déplacement des pôles de rotation, s'il peut 

exister, est insensible. 

Les deux premières suppositions peuvent done être 
regardées comme détruites. 

: Quant à la troisième, la rotation tantôt plus, tantôt 
moins rapide de la terre, rien ne pouvant ni lappuyer, 
ni expliquer, àl est trés-inutile. de la combattre, 

‘ Enfin, une autre supposition, sans être mieux cons- 
tatée que les précédentes, s'éloigne peut-être un peu 
moins des faits, | | | 

D'après les observations déjà réunies ,. if y à plus d’un 
siècle, sur la déclinaison de lPaiguille aimantée, Æalky 
avait soupçonné qu'il existe dans l'intérieur da globe; 
an noyau magnétique. Il supposait ce noyau mobile, 
€t il attribuait à ses mouvemens les variations que l’aï- 
guille éprouve d'un lieu à l’autre, et dans le même lieù 
en des tems différens. L'hypothèse de ce noyau mobile 
a. été reprise, il y a quelques années, par M. Bertrand 
de Genève, et, avec elle, il explique assez clairement le 
déplacement des mers. Si Fon suppose, en effet, une. 
immense cavité autour du cetitre du globe, et cette cavité 
à demi occupée par un globule d'ane clensité quelconque, 
on cotiçoit que quand ce globule se trouvera plus près du 
pôle austral, le centre de gravité s’en rapprochant avec 
lui, une partie des eaux éloignées de cet hémisphère s’y 
portera, etque le mouvement du glohule vers le pôle 
_ opposé produira dans l’océan an mouvement contraire. 

Mais les variations de l'aiguille aimantée, étant assez 
écusibles dans des tems très-rapprochés , supposeraient 


MÉMOIRES 45x 
dans le noyau magnétique , un mouvement assez rapide; 
au lieu que le déplacement des mers est a lent, que 
sa vitesse et sa direction sont également imperceptibles. 

Comment attribuer à la même cause des mouvemens 
si inégaux ? | | 

Je terminerai cette analyse des systèmes géologiques , 
par le plus ancien de tous les systèmes. Les Caldéens 
disaient que la terre doit être tour-à-tour inondée et 
mbrâsée ; inondée quand toutes les planètes se réunissent 
dans le signe du Capricorne , embrâsée quand elles sont 
au signe du Cancer. Cette double conjonction doit incon- 
testablement se répéter mais à d'immenses intervalles. Les 
Indiens , sans parler d'incendie, attribuaient aux conjonc- 
tions générales leurs déluges périodiques. Supposé qu’une 
| telle position des planètes puisse produire quelques chan- 
gemens dans la forme du fluide qui couvre une partie de la 
terre, l'opinion des Brames , à cet ézard, serait au moins 
très-exagérée; celle des Caldéens sar l'embrâsement , qu'ils 
supposent est absolument inexplicable.’ 

En résultat, rien ne prouve donc ni lincandescence 
du globe, ni une grande diminution, ni même un 
abaïssement total dans la masse des mers ; mais tout 
semble prouver leur déplacement. 

De ce changement , assez bien constaté, , et de ceux 
qui le sont moins, les explications publiées jusqu'ici 
se composent comme on la vu de faits et d’hypothèses. . 

Les uns-et les autres sont physiques, chimiques ou 
astronomiques. 

La formation des cavernes intérieures par le refroi- 
dissement ou le dessèchement du globe, la formation 
des vallées, par l’éboulement de ces cavernes, celle des 
montagnes par des cristallisations, par des éruptions ou 


452 Mémoires. 

d’autres soulëévemens ; la décomposition et la composition 

alternative de l’eau, la concentration ou solidification. 

‘de l'hydrogène par les substances végétales ; tout cela 

tient à des ne physiques ou chimiques, et à proprement 

parler, il n’y” a là d’hypothétique que l’exagération. 
Mais les hypothèses astronomiques appartiennent ex: 


_ clusivement à l'imagination de leurs auteurs. 


er 


Les uns, comme on l’a vu, font de la terre un corps. 
lumineux ; d’autres font du soleil un corps opaque ;. 
d’autres déplacent l’axe de notre globe ou son centre. 


de gravité; lui donnent une orbite plus allongée, ou. 


une rotation plus rapide ; d’autres enfin , augmentent. 
ou diminuent son atmosphère, ou soulèvent ses eaux 
par l'action des comètées. 

De tous les faits constatés , sur lesquels on a raisonné : 
jusqu'ici, aucun isolement, ni leur réunion même, ne. 
peut résoudre toutes les questions, ne peut expliquer tous 
les changemens antérieurs. Plusieurs des hypothèses qu’on 
y. ajoute, expliqueraiïent tout assez bien; mais aucune 
n'est prouvée ni même probable. | 

Voyons si d'autres faits jusqu'ici négligés où méconnus ; 
ne nous dispeuseront pas de recourir aux hypothèses. 

VI. Le déplacement des mers peut-il être expliqué par 

le mouvement du globe? 

Ceux qui se sont occupés de géographie mathématique . 
ou pliysique , connaissent les observations réunies depuis 


_ quelques siècles, sur la courbure générale et les irré- 


gularités de notre globe ; sur l'étendue relative, la forme . 
et la température des continens et des mers. Des mesures 
exécutées, et des faits les mieux constatés jusqu’à ce. 
jour , résulte une vérité générale , à laquelle les géologues 
ont donné peut-être trop peu d'attention; c’est que les . 


MÉMOIRES. 453 


variétés qui distinguent les différens points de la surface 
e la terre, sout beaucoup plus sensibles d’un hémisphère 
à l’autre , que les différences de deux points quelconques 
pris à égale distance dans le même hémisphère. 

: Les deux tiers du globe sont sous les eaux. Une partie 
de ces eaux , cristallisée aux deux extrémités de l’axe, 
y forme : deux masses solides, croissant et diminuant 
tour -4-tour. : 

Mais, tandis que la moitié de l'hémisphère boréal 
domine sur l’océan, les neuf dixièmes de lhémisphère 
austral sont submergés. 

Les glaces boréales commencent à se fixer au 80.° degré 
de latitude ; les glaces australes au 70.° degré ; la limite 
des unes est à dix degrés, celles des autres à vingt 
degrés des pôles correspondans. La coupole australe a 
done -un rayon double, par conséquent une surface 
quadruple. Ainsi la mer la plus étendue est aussi la plus 
froide, 

Quant aux continens, les différences sont beaucoup 
plus nombreuses, et elles sont de deux ordres. 

I. Les mêmes minéraux semblent composer par-tout 
Ja croûte extérieure du globe. Mais la proportion ou 
la position des pierres ou des terres semblables varie 
beaucoup du nord au sud. | 

» On a soupçonné, dit Dolomieu, que les montagnes 


composées de couches horisontales et calcaires dimi- 
4 
L 


» nuent de hauteur, à mesure que l’on s'approche de 
l'équateur , et que dans cette partie du monde, Îles 


Ÿ 


» montagnes qui ont cette même structure par couches 
» horisontales ne s'élèvent presque point au-dessus du 
» niveau de la mer ». | 

Le savant naturaliste Z'orster qui, avec le capitaine 


454 MÉMOIRES. : 

Cook, parcourut toutes les latitudes australes, jusques 

vers le 70° degré, remarqua dans toutes les îles et sur 

toutes les côtes où ils abordèrent , beaucoup de roches 
* granitiques et très-peu de roches calcaires. 

‘Un autre naturaliste, non moins recommandable ; 
le professeur Palid&., assure que de toutes les montagnes 
calcaires qu'il a été à portée d'observer ( sur-tout du 
Bo. au 60.° degré de latitude septentrionale ) , aucune 
ne s'élève au-delà de cent toises. Celles dont la hauteur 
passe ce terme , lui paraissent avoir été élevées par des 
feux souterreins. | 

II. La forme des continens est si irrégulière et si variée 
qu'il paraît difficile d'y remarquer aucune sorte d’har- 
monie ; aucune loi. Néanmoins, depuis l’époque des lon- 
gues navigations et des grandes découvertes géographiques , 
c'est-à-dire depuis la fin du 15.° siècle, on sait que tous 
Jes continens et un grand nombre d’iles ou de presqu’iles 
se terminent en pointe vers le sud 

Dans l’un comme dans l’autre hémisphère les degrés 
de latitude vont croissant, en raison de leur distance 
.à l'équateur. | | 

Mais les travaux de Zacaille, au Cap de Bonne-Espé- 
rance , nous ont appris que les degrés de l'hémisphère 
austral sont plus allongés que les degrés correspondans 
de l’hémisphère boréal, et au point que le 37.° degré 
sud , par exemple, est aussi grand que l'est en France, 
le 50.° degré nord. De sorte que le même arc semble 
appartenir à un plus grand eercle, 

Enfin, non seulement les degrés mesurés des deux 
côtés de l'équateur, sous des latitudes correspondantes, 

sont différens entr'eux ; mais quelques degrés mesurés à 


peu-près sous la même latit le, dans le même hémis- 
phère ; 


MÉMOIRES 455 


phère, et sous des méridiens plus ou moins éloignés, par 
exemple, en France, en Italie , en Pensilvanie, diffèrent 
eneore; cependant ces différences sont moins sensibles. 

Ces variétés,’ trop peu remarquées ou mal évaluées 
jusqu'ici , m'ont paru conduire à la solution d’un grand 
problème, et cette solution, j'ai cru la voir dans le 
rapprochement des mêmes faits, avec quelques circons- 
tances ou quelques lois astronomiques très-connues, 

Ces faits sont : | 

® Les divers niveaux de l’océan aux différens points 
_ globe, Êt les variations de ces différences aux différens 
points de lorbite; 

2. Les changemens des vitesses relatives de la terre et 
des mers aux différentes époques de la révolution annuelle. 

I. L'océan soumis à la seule attraction de la terre, 
prendrait et conserverait Ja forme sphérique. 

Entre les causes qui, À chaque instant, altèrent plus 
ou moins cette forme, n'en considérons qu’une seule. 

Les molécules d’eau les plus voisines du soleil étant 
plus attirées par lui que le centre du globe, et les plus 
éloignées étant moins attirées, les unes et les autres 

s’éloignent du centre, et de chaque côté se forme une 
éminence qui sort de la surface de la sphère. 

Ces deux éminences , ou en d’autres mots, la marée 
inférieure et la marée supérieure seraient égales, si du 
premier point au centre, et du centre au point le plus. 
éloigné , les différences d’attraction du soleil étaient les 
mêmes. Mais avec un peu d'attention, l’on peut voir 4 
et par le calcul l’on peut prouver ; 

1. Que l'excédent de la plus grande attraction sur Ja 
moyenne, surpasse l’excédent de la moyenne sur la plus 
petite ; 

Tome 1, 10.%° Zi. 30 


456 MÉMOIRES. 


_ 2.°.Que.la différence de ces excédens est plus grande 
quand la terre est plus voisine du soleil. 

Ceci est indépendant de l'attraction de la terre , et 
serait également vrai pour trois points matériels placés 
aux mêmes distances.et s’attirant infiniment peu; mais 
ces résultats doivent être augmentés par l’action diffé- 
: rente ou différemment combinée de la terre et du soleil 

sur les mêmes points. | | 

Il est clair , en effet, que sur les eaux les plus éloignées 
du soleil , l’action de cet astre et celle du centre de la 
terre sont concourantes , et,que sur les eaux inférieures, 
‘les deux actions sont opposées. L'attraction de la terre 
sur les premières est augmentée, et sur les autres dimi- 
nuée par l'attraction du soleil. La tendance des premières 
vers le centre de la terre égale la somme ,.la tendance 
des eaux inférieures égale la différence des deux attractions. 
Entre deux molécules opposées , la différence des pesan- 
teurs ou celle des distances au centre égalerait donc deux 
fois l’espace que l'une ou l'autre parcourrait par l’action 
du soleil, ou deux fois la marée solaire. Mais le centre 
de notre globe, cédant lui-même à cette -action ; la 
différence des niveaux doit être moins sensible. Quelle 
que soit sa valeur précise, il est clair encore qu’elle 
doit augmenter quand l'attraction du soleil augmente, 
c’est-à-dire quand la distance de la terre diminue. 

À l’apbélie, la marée solaire égale à peu 6 décimètres, 
moins 3 centimètres : au périhélie, un dixième de plus, 
ou 6 décimètres plus 3 centimètres. Le double .de la 
première est r1 décimètres plus 4 centimètres. Le double 
de la seconde est 12 décimètres plus 6 -centimètres. La 
différence de ces deux valeurs égale 12 centimètres, et 
telle serait la quantité dont l'excédent de la marée in- 


pe on 


MÉMOIRES. 457 


férienre au périhélie, surpasserait le même excédent à 
Vaphélie, si la partie solide du globe résistait invinci- 
blement à l’action du soleil. 

Au lieu des points de la surface de la mer, les plus 
voisins et les plus éloignés du soleil, si nous considérons 
les points intermédiaires, c’est-à-dire la circonférence 
d'un grand cercle perpendiculaire à la ligne des centres 
du soleil et de la terre, nous verrons les mêmes forces 
concourir d’une autre manière aa même résultat. 

Les molécules d'eau placées aux différens points de 
cette circonférence, étant attirées à la fois par le soleil 
‘et par le centre de la.terre, tendent à prendre üne 
direction moyenne, tendent à s'approcher du rayon 
solaire, et par conséquent s’approchent de l'hémisphère 
le plus voisin du soleil. Lorsque l'attraction de cet astre 
est plus grande, c’est-à-dire en hiver, la déviation des 
“eaux doit être aussi plus sensible. Ce, qui est vrai des 
eaux placées à la circonférence du ne, intermédiaire , 
est aussi des eaux peu éloignées de cette circonférence. 
Le calcul peut fixer la zone où cette action doit s'étendre 
et la ligne où elle doit cesser. 

Ces différentes causes concourent à augmenter, vers 
le périhélie , la supériorité des marées dans l’hémisphère 
qui est alors plus voisin du soleil, c 'est-à-dire dans 
l'hémisphère austral. 

Chaque année, cet hémisphère recoit donc plus en 
hiver, qu'il ne rend en été. D’année en année, les eaux 
doivent donc s’y accumuler, 

Enfin, comme il est incontestable que les marées 
sont plus hautes dans les mers plus étendues. (1) On 


| (1) h Plus une mer est vaste, plus les phénomènes des 
ae nr être sensibles. » Exp. du syst. da monde. 
e . C 


458 MÉMOIRES. 


voit que depuis le moment où l'océan austral a passé 
l'égalité, son accroissement a dù suivre uné progression 


plus rapide. 


Si, maintenant nous suivons le mouvement de l’ellip- 
soïde des marées, nous verrons qu’à l’équinoxe, l'axe 


de cet ellipsoïde est dans Îe plan de l'équateur : avant 
et après ilest coupé par ce même plan. Au solstice d'été, 


la partie la plus longue est dans l’hémisphère boréal, 
au solstice d'hiver dans l'hémisphère austral ; mais alors, 
cette partie la plus élevée l’est plus qu’à la premiére 
époque. Cet excédent se horne-t-il au produit d’une seule 
marée ou d’un seul jour? Mais s’il était vrai que la densité 


de l’eau fut égale à la densité moyennne de la terre, il 


s’ensuivrait que la partie fluide du globe s’allongeant et 
s'avançant d'un côté,.le centre de gravité s’avancerait 


également , et dans cette supposition, chaque jour ajou- 


terait pendant six mois à l'accroissement de la veille. 


La différence des. marées pourrait donc servir de cette 


manière à déterminer la densité moyenne du globe. 
IT. Depuis longiems on a observé et calculé laccélé- 
ration et le ralentissement alternatifs du mouvement de 
la terre dans son orbite. Le résultat des inégalités de ce 
mouvement sur la position des mers, me paraît indiqué 
par l'expérience suivante : | | 
Qu'un vase contenant un fluide quelconque se meuve 
horisoutalement on obliquement , avec une vitesse accé- 
lérée, la surface de ce flaide s'incline , la partie antérieure 
s’abaisse, l'autre s'élève. 
Le contraire arrive, et l’eau se porte en avant, quand 
la vitesse du vase se rallentit. | 
Enfu, si cétle vitesse est uniforme, la surface de l’eau 
reste ou devieut horisontale. 


â / 


À MÉMOIRES, | 459 


Ne peut-on aux mouvemens de ce vase et de la 
liqueur contenue, comparer les mouvemens de la ne 
solide et de la partie. fluide du globe ? 

Comme l'attraction. du soleil agit sur l'océan et sur 
la terre, lattraction de. la terre agit en méme-tems, 
et devrait agir également sur l’eau et sur lé vase; et 
cependant, selon que ce: vase est rallenti ou accéléré, 
l'eau qu'il contient avance plus ou moins vite que lui. 
Pourquoi n’en serait-il pas. de même des mers ? 

La chüûte du vase est retardée par le plan qui le portes 
comme la chüte de la terre sur le. soleil est empéchée 
par la force tangentielle. Cette vitesse tangentielle , attri= 
buée jusqu'ici à l'impulsion, change la direction qu'aurait 
la terre, si elle cédait à l'attraction seule. De même, la 
direction du vase est modifiée par la résistance du plan\ 
incliné. Donnez à ce plan une étendue et un degré 
d'inclinaison convenables , le vase , avec la vitesse acquise 
à l'extrémité du même plan , tournera autour de la terre , 
comme la terre autour du soleil. Son orbite sera plus ou 
moins allongée, et sa vitesse plus ou moins variable , 
selon sa direction primitive. 

Enfin, en raison des accroissemens et décroissemens 
qui se succéderont, les vitesses. relatives du vase et de 
l’eau différeront plus ou moins. y 

- Entre les circonstances du fait constaté et celles du 
fait que je soupçonne , je ne vois, je l'avoue , aucune 
différence essentielle: les causes étant, sinon égales, 
au moins semblables, les effets paraissent devoir être 
analogues , et cette analogie admise , on verra s'expliquer 
une grande partie des faits géologiques regardés jusqu à 
présent comme le moins explicable. 

Si l'expérience citée , si les calculs précédens ne'me 


460 MÉMOIRES. . 
trompent , l'océan doit, en effet, pendant l’accélérati 
de notre planète, rétrograder et s'élever vers l’extrémité 
du globe qui est en arrière, c’est-à-dire vers l’hémisphère 
austral, Pendant le rallentissement, c’est-à-dite dans le: 
passage du péribélie à l’aphélie, l’eau doit se porter sur- 
l'hémisphère qui est en avant, c’est-à-dire encore vers: 
le sud. 

De l’aphélie au périhélie, la vitesse augmente; mais. 
les accroissemens qui, jusqu’à l'extrémité du petit axe- 
ou jusqu'à l’équinoxe d’automne, forment une série 
croissante, diminuent progressivement de l'équinoxe au 
solstice d'hiver. Par cette raison, la surface de l'océan: 
pourrait , quand la terre a passé l’équinoxe , se rapprocher 
de sa position initiale, Mais si, avec la portion d’eau trans-. 
posée, le centre de figure et par conséquent le centre 
de gravité du globe se déplacent, le ‘retour des eaux 
versées d’un hémisphère sur l’autre, sera empêché ou au 
moins rallenti ; delà il résulte que l’effet, produit durant: 
le premier trimestre, n’est pas du tout ou n’est que. 
partiellement détruit à fa fin du second. Dans le semestre 
qui suit, l'effet du rallentissement s'ajoute à l'effet de. 
l’accélération précédente. Ainsi de six moïs en six mois, 
d'année en année, Îles eaux s'accumulent sur le même 
hémisphère ; et voilà une nouvelle cause ajoutée à celles. 
qui avaient été supposées jusqu'ici, pour expliquer l'iné- 
galité des deux océans. 

. Les mémes causes expliquent et peuvent. seules expli= 
_quer la différence des températures. 

Alternativement, le soleil fond une partie des glaces 
qui “entoureñt chaque pôle. Du côté où s'opère cette 
fusion, la masse des eaux augmentant, leur niveau s'élève. 
L’excédent est emporté vers l'équateur, eù l'éraporation 


MéMorres.  46r 


est plus abondante, où les pluies sont plus rares, où, 
par conséquent, le: niveau tend à baisser sans cesse. 
Ainsi, l’on voit durant notre été d'immenses blocs, ou : 
des îles de glaces flottantes s’avancer du cercle polaire 
vers le tropique, et quelquefois n’achever de se dissoudre 
que dans le voisinage dé cette ligne. | 
. La fonte des glaces de l’autre pôle produit, six mois 
après, dans l’autre hémisphère, un effet analogue et qui 
devrait être égal. Pourquoi est-il inférieur ? Pourquoi les 
navigateurs , parcourant l’océân austral pendant l'été de 
ces régions, se trouvent-ils, vers le 70.° degré séxagé- 
simal , arrêtés par des glaces immobiles et permanentes, 
tandis que les glaces semblables ne se rencontrent , pen- 
dant notre été, qu’au 80.° degré-nord? Ea réponse paraît 
facile. | | 
Si en effet, pendant l'accélération du mouvement ce 
la terre, une partie de l’océan rétrograde vers le sud, 
et s’il s’avance du même côté pendant le rallèntissement, 
il est clair que ce mouvement, constamment dirigé au. 
midi, facilite, durant notre été, le transport des glaces : 
boréales vers l’équateur; et que, durant l'été de notre 
hémisphère , il repousse les glaces australes vers le pôle 
sud, Autant donc la masse s'accroît d’un côté, autant 
de l’autre elle doit diminuer. | 
Or, cette masse ne s’accroit pas seulement des eaux 
qui lui sont apportées par le mouvement général de 
l'océan, mais encore de celles qui lui sont apportées 
par les nuages. Du moment où , par la réunion des causes 
indiquées, ou bien par une seule, l'océan austral est . 
devenu plus grand et sa coupole de glaces plus grande 
que l'océan et la coupole opposés, la température y 
devient progressivement plus froïde. Chaque année, des 


neiges plus abondantes , des brouillards plus épais, 
s'attachent au noyau primitif ; la masse solide augmente 
en hauteur comme en surface ; tandis que cette surface 
s'étend, une seconde coupole s'élève, pour ainsi dire, 
sur la premitre, et d'année en année, sort un peu plus 
du sphéroïde. En raison de cet accroissement en hauteur , 
le. centre de gravité change et se rapproche du pôle sud ; 
et ée rapprochement augmente encore du même côté læ 
transfusion et l’affluence des eaux. En résultat, lac 
croissement total de cet océan, semble donc devoir être 
la somme de plusieurs séries, très-difficiles sans doute 
à calculer. | 

Mais la direction de ce mouvement n’est pas constante, 
Elle change et doit changer avec la position de l'axe de 
la terre, | 

, L’hémisphère austral qui, dirigé depuis quelques mille 
ans vers l’aphélie, est en arrière, lorsque le mouvement 
de ke terre est accéléré , avait antérieurement une position 
contraire, et, par conséquent, devait alors verser-sur 
J'hémisphère boréal , les eaux qu’il en reçoit aujourd'hui. 
Ainsi, chaque hémisphère est tour-à-tour découvert et 
submergé; et de cette oscillation périodique , paraissent 
résulter en très-grande partie la composition actuelle 
des continens, les immenses dépôts, les couches: alter- 
natives de coquilles fluviatiles et de coquilles de mer, 
de végétaux empreints ou pétrifiés , de POHONS $ de 
quadrupèdes, etc. , etc. 

Si l’orbe annuel de la terre, ou Île grand : axe de 
l'écliptique était immobile , le déplacement et le retour 
des mers s’acheveraient en même-tems que la révolution 
des nœuds ou des équinoxes, c’est-à-dire en 25,867 ans. 
Mais, tandis que les nœuds rétrogradent relativement à un 


Lé 


MÉMOIRES. . 46% 
point fixe ou. à telle étoile, les apsides où Îles extrémités 
du grand axe s'avancent relativement au même point, 
_ et font en 112 mille ans ou à peu-près , une révolution 
dans l’ordre des signes. Quand donc le solstice d'hiver 
rétrogradant , s'éloigne du périhélie, le périhélie qui 
s'avance en sens contraire, s'éloigne aussi du solstice. 
Ïls se rencontrent donc plutôt qu'ils ne se rencontre 
raient, si l’un des deux était fixe ; et comme le mouvement 
du périhélie est à l’autre mouvement un peu moins que 
un à quatre, quand ces deux points coincideront de 
nouveau, le chemin du second sera quadruple de l’espace 
parcouru par le premier. L'un aura décrit un cin- 
quième, l’autre les quatre cinquièmes de lintervalle 
qui, en ce sens, les séparait. La révolution totale 
des nœuds qui est d'environ 26 mille ans, relativement 
aux étoiles, est donc moindre d’un cinquième, ou peu 
au-delà de 20 mille ans, relativement aux apsides. Cet 
intervalle parait être celui du déplacement et du retour 
d'une partie des mers du même côté de l'équateur. 
. On sait que Fan 1350 de notre ère , le solstice d'hiver 
çoincidait avec le périhélie; (1) si donc la submersion 
et l’émersion, totale de chaque hémisphère répondaient 
exactement à cette position et à la position inverse ; et sk, 
comme il arrive relativement aux marées et à la tem- 
pérature de. chaque saison ; les grands effets n’étaiend 
pas toujours plus ou moins din de leurs causés , 
pous pourrions dire : 

. À l’an 1250 répond: l'émersion ne de l'hémisphère 
boréal. ou la moindre élévation de ses mers. Dix mille 
ans auparavant, cet hémisphère était autant ni 
que l’est aujourd’hui l'hémisphère austral. 


( 1) Astronomie hysique de Biot ( re DE 


464 MÉMOIRES." 
. Il l'était encore il y a 30, 5o, et 70 mille ans. 

En rapprochant d'autres faits, on pourrait aussi être- 
tenté de penser que: sous. la dernière immersion sesont 
_ formées nos montagnes. coguillières. 
. L'immersion précédente , celle qui date à peu-près de- 
30 mille ans, a pu.élever nos montagnes calcaires sans: 
coquilles. | | 

La. formation des montagnes: granitiques, pourrait: 
remonter à l'immersion antérieure, c'est-à-dire. à 5o-.. 
mille ans. | 
, Enfin la dissolution totale, ou presque totale: qui 
élevé l'équateur, est probablement plus ancienne. 
- Quelle qu’ait été l’époque précise de-chaque immersion ,. 
on conçoit que la masse d'eau rétrograde doit former, 
sur le globe, une espèce de ménisque mobile plus épais 
vers le milieu et décroissant de chaque côté. Or, deux- 
. des observations précédentes. semblent indiquer la position- 
actuelle de ce ménisque 

Si, en effet, il est vrai que, sous l'équateur, les: 
montagnes calcaires et autres montagnes à. couches 
borisontales , s'élèvent, suivant l'observation de Dolomieu , 
très-peu au - dessus du niveau de l'océan; si + au-delà 
de cette méme ligne, il existe, comme Forster l'a re- 
marqué, très-peu de roches calcaires, ces. faits semblent 
annoncer que d'ici à l'équateur, ou même au-delà , la 
surface des eaux s'éloigne du centre, et par conséquent 
s'approche du sommet des montagnes. Cette indication, 
. si bien confirmée par l'élévation du golphe arabique , 
au-dessus du niveau de la Méditerranée, conduit, ce 
semble, à soupçonner que le sommet du ménisque où 
de la proéminence agneuse, est placé aujourd’hui vers 
le- tropique austral, et sa partie la moins élevée, ow 
sa moindre épaisseur, en de-çà de notre tropique. ” 


MÉMOIRES 465 


Il est facile de concevoir aussi que la ménisque mobile, 

qui passe en dix mille ans d’un tropique à l’autre, ne 
stjourne en 20 mille ans qu'une fois sous chacun d’eux ; 
tandis que dans le même intervalle, il passe deux fois 
sous l’équateur , et dépose à chaque passage de nouveaux 
sédimens. De-là , il suit que, dans la zone torride, les 
couches minérales doivent être , à la fois, moins épaisses 
et plus nombreuses. La différence d'épaisseur paraît cons- 
tatée par l'observation. Le nombre est à vérifier. 

Mais si les montagnes calcaires diminuent de hauteur 
sous la zone torride, Pallas les trouve très-peu élevées 
vers le cercle polaire boréal. Ce fait opposé en apparence, 
au précédent, et qui, dans toutes les hypothèses connues, 
. serait également inexplicable, paraît encore le résultat 
non moins nécessaire des mêmes mouyemens. 

Nous ne pouvons connaître des montagnes que la 
distance de leur sommet au niveau des mers voisines : 
nous n’en mèsurons que la partie qui domine sur l’o- 
céan. Les montagnes calcaires et autres montagnes à 
couches ; passant généralement pour avoir été formées . 
sous les eaux, les sominets de cés montagnes semblent 
indiquer, sur notre hémisphere, la ligne où s'élevait 
autrefois l’océan boréal. Or, on sait que les montagnes 
les plus élevées de cet ordre, font partie des Pyrénées 
et des Alpes, et s'étendent à peu-près du 43° au 47 
parallèle. Au-delà de cette latitude, Îa hauteur des eaux 
ayant diminué à peu-près jusqu’au cercle polaire , les 
montagnes intermédiaires doivent jusques-là diminuer 
aussi de hauteur. 

Restent maintenant à expliquer, , les irrégularités ob- 
servées dans la forme des continens, et la courbure du 
globe, IL faut d’abord se rappeller un ancien fait, qui. 


466 MÉMOIRES. | 
paraît à tous Îles savans démontré par le renflement des 
régions équatoréales, je veux dire la fusion aqueuse ou 
ignée de la terre où de: sa couche. extérieure. On conçoit 
qu'a l’époque de cette dissolution , les résultats de Ja 
rotation de notre planèle autour de son axe, ont dù 
être modifiés par son mouvement inégal de translation, 
ou sa révolution autour du soleil, 

En conséquence de la rotation ou du mouvement 
diarne , les matières les plus voisines de l'équateur ayant 
une-force centrifuge plus grande , et par conséquent une 
pesanteur moindre que les matières voisines des pôles, les. 
premières, supposées fluides, ont dü s'élever ou s'éloigner 
du ceütre , les autres s’en rapprocher pour faire équilibre. 
_ Maïs, tandis que les parties fluides de la terre, tournant 

autour de l’axe , tendaient à s’en éloigner ; selon la tan- 
gente de l’équateur et des parallèles, de l’autre côté, le- 
globe s'avançaut en même tems, et beaucoup plus. 
rapidement et avec une vitesse accélérée autour du soleil , 
lés parties fluides tendaïent encore à s'éloigner du centre 
de la terre, mais selon la tangente de l'orbite. 

Si cette orbite et l'équateur avaient été dans le même 
plan , la seconde cause aurait seulement augmenté et 
n'aurait pas autrement modifié les effets de la première. 
Mais les deux plans étant inclinés, les matières fluides, 
pour obéir à la fois aux deux forces résultant de la 
rotation ‘uniforme et de la translation accélérée , devaient 
prendre une direction moyenne, mais plus rapprochée 
de celle qui appartient à la plus grande force, 

Si je ne craignais d’avoir déjà trop hazardé, j'ajou- 
terais aux effets des causes précédentes ceux du mouvement 
reconnu depuis peu d'années dans le systême solaire ( x : 


Fr 1) Exp, du syst. du monde, pages 143 ct 195. 


re 
œ 
ar 
(@®) 


Digitized 


MÉMoOIR&eSs. 467 

On peut soupçonner, en effet, que le concours ou 

. Vopposition de deux mouvemens, sont des causes nou- 
velles d'accélération ou de ralentissement de la ‘vitesse 
de la terre dans l’espace, que ces modifications peuvent, 
en variant le déplacement des mers, produire des inégalités 
dans les immersions différentes. Enfin, ce mouvement 
commun étant dirigé vers la constellation. d'Hercule , 
et par conséquent plus loin du plan de l'équateur, que 
le mouvement annuel de la terre, on conçoit aussi que 
la direction moyenne des matières fondues a pu encore 

se rapprocher du pôle. 

En résultat, il est incontestable que la figure de ét 
planète, supposée sphérique à l'époque de sa fluidité , 
serait devenue, par le seul effet de la rotation, un ellip- 
soïde élevé sous l'équateur, applati sous les pôles. Il 
est certain que la surface de la terre s'éloigne sensible- 
-ment de cette forme. Eu supposant applicable à la terre 
et à l’océan , l'expérience que j'ai citée plus haut, on 
n'est plus étonné de l’irrégularité apparente qui a conduit 
les savans à penser que la terre n’est pas un solide 
régulier de révolution. On voit pourquoi les degrés cor- 
respondarrs de deux hémisphères sont inégaux, pourquoi 
à certaines latitades, les degrés de l'hémisphère austral 
sout plus allongés, pourquoï tels degrès pris dans le 
“même hémisphère et sous la même latitude, ne sont pas 
les mêmes; et ajoutez à cela d’autres causes accessoires 
ou secondaires, par exemple : la fluidité, la sensibilité 
différentés dés matières, plus ou moins compactes , plus 
où moirs rapidement desséchées, cristallisées ou refroëies, 
et vous expliquerez d’autres irrégularités. | 

Enfin Faction des mêmes causes, aux mêmes épo- 
ques } paraît plus clairement indiquée par un fait beoucoup 

) 


ed 


468 = MÉMOIRES. 


plus facile à observer, par l’allongement presqu’uniforme 
de toutes les terres .de même étendue, par celui des 
extrémités méridionales de la Grèce, de lItalie, de 
: l'Espagne , de l’Afrique, de l'Arabie, des deux presqu’iles 
. de l'Inde , par les pointes de là nouvelles Hollande, ou 
. de Van-Diémen, de la Corée, du Kamschatka, de la 
. Californie, de la Floride et de l'Amérique méridionale, 


qui toutes sont dirigées dans le même sens, c’est-à-dire 


vers le sud. 
Cette direction si constante semble prouver qu’à une 


époque quelconque , les couches extérieures de la terre, 


alors fluides, mais l’étant inégalement , ont été portées 


, vers l'hémisphère austral par la même force ou la combi- : 
- maison des mêmes mouvemens qui pousse, aujourd'hui 


du même côté une partie des mers boréales, 
En résumé, les différences qui distinguent les deux 


‘ hémisphères paraissent expliquer le mieux, le plus 


grand nombre des phénomènes. 
L’étendue et la température différentes des deux océans, 


: Ja forme des continens, l'excédent des degrés méridionaux, 
“sur les degrés correspondans de notre hémisphére, les 
inégalités des divers méridiens aux mêmes distances du 


. même pôle , l’abaissement des montagnes calcaires vers le 


_nord et vers l'équateur, la rareté des mêmes matières dans 
: l'hémisphère austral , etc. Toutes ces irrégularités semblent 


dériver des mêmes causes, c’est-à-dire, 1.° de la différence 


des marées inférieures et supérieures ; 2.° de l’accélération 
. et du rallentissement alternatif de notre planète, et de 


4 


« 


la longue révolution des pôles de l’é équateur autour des 
pôles de l’écliptique, 

Cette éxplication générale, appliquée aux phénomènes 
qui paraissent les elfets d’une force ou d’une action lente 


| MÉMOIRES. 69 
æt régulière , laisse à expliquer les boubeversentèns plus 
brusques et plus rapides. 

Elle ne repousse, par conséquent , aucune des expli- 
cations partielles développées ou indiquées jusqu'ici par 
plusieurs naturalistes. Seulement, elle peut restreindre 
les conséquences trop étendues qui ont été tirées de 
plusieurs faits incontestables. 

Des causes locales, l’action des eaux ou celle du feu 
ont dù produire , en différens tems, quelques révolutions 
particulières ; out dà , par exemple, enfoncer et combler 
des cavernes, soulever des montagnes ou des îles, incliner, 
bouleverser, entraîner des couches , creuser, ouvrir ou 
fermer des lacs ; élever ou détruire des digues , favoriser 
ou arrêter l'écoulement des eaux, changer en plus ou 
en moins le niveau des Méditerranées. D'autres causes 
plus générales, par exemple, l’évaporation ou la décom- 
position , la combinaison ou la congélation progressive 
des eaux, ont pu même, jusqu’à un certain point, 
en diminuer ou en déplacer la masse. | 

Mais l’oscillation d’une partie de l'océan, de lun à 
Tautre hémisphère, paraît seule expliquer les neuf dixièmes 
des faits connus. 

Sans doute, il reste encore au-delà beaucoup d'espace 
à parcourir , et déjà l'imagination impatiente s’est élancée 
au-devant des vérités que le tems seul peut dévoiler. 
Plusieurs savans ont voulu deviner quel était l’état de 
Ja terre avant les divers changemens dont nous retrouvons 
les vestiges , avant les submersions alternatives qui ont 
formé les divers ordres de montagnes , avant la dissolu- 
tion qui a élevé l'équateur. C’est à ce point que Îles 
faits nous conduisent , et c’est la que j'ai voulu et dû 
m'arrêter. 


470 Mémoirks. 

| Si, de tous lés faits analysés , il résulte véritablement 
que chaque hémisphère doive , à certains intervalles , par 
exemple, de vingt en vingt mille ans, être à peu-près 
complètement submergé, à mesure que ñous approche- 
rons du terme marqué pour la submersion du nôtre; 
on verra nos continens diminuer el disparaître, on verra 
s'étendre et s'élever les terres australes. Je ne sais, & 
quelques découvertes importantes doivent, long - tems 
avant la dernière époque, rendre les apperçus précédens : 
plus ou moins probables , ou si le fait seul pourra dans 
quelques mille ans , donner à ces soupçons quelque crédit. 
Mais la seule possibilité peut conduire aux moyens d’assu- 
rer désormais les communications entre les générations 
les plus éloignées , ou séparées par les plus grandes catas- 
trosphes. Qui sait si, averti par ces indications , le genre 
bumain ne parviendra pas à soustraire le dépôt des 
sciences et des arts, les productions de la nature, les 
créations du génie, et la mémoire des grands hommes, à 
l'une de ces révolutions qui, plusieurs fois peut-être , ont 
anéanti plusieurs espèces vivantes, et qui, sans anéantir 
l'espèce humaine , ou presqu’effacé les premières connais- 
sances et les premiers souvenirs ! | 


MÉMOIRES. 471 


VAARAARARRARRANI AN A NARRAN AAA 


RAPPORT 
SUR L'ÉTABLISSEMENT 
DE FILATURE 
pE Mxssixuns CATTÉ, déc 


FAIT 


À LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LA VILLE. D'ARRAS, 


Î 


POUR L’ENCOURAGEMENT 
DES SCIENCES , DES LETTRES ET DES ARTS. ‘ 


Par la Commission nommée à cet effet dans la Séance . 
du 3 Mars 1819. : PP À 


AAA AAA AA MARAN 


MEMBRES MESSIEURS; 
de. la Commission. 


CS 


MM. TenninNcx, Membre Cr depuis environ trente 
du Conseil municipal. F ans, que l'Industrie française 
SaAuvAGE, Professeur 2 commencé à rivaliser avec 

de Rhétorique au Col- | celle de l'Angleterre, en impor- 

Rge d'Arras. ) tant en France les machines 
Vin, Capitaine au | jt les Anglais se servaient 


Corps royal dugénie. | ... | : | : 
Ch, DE Donop, Pro- déjà depuis plusieurs années, 


fesseur de mathéma- | pour cardér, laminer, beu- 
tiques à l’école régi- | diner et filer les cotons bruts ; 
__ mentaire du génie, depuis cette époque et pen- 
Rapporteur de la Commission. dant la durée de la guerre et 
du blocus continental , on a vu s’augmenter considéra-: 
blement le nombre des filatures françaises, et le plus. 
grand nombre d’entr’elles perfectionner de plus en plus 
Tome I. 11% Lig, nes 


472 Mémoires. 


le filage des colons , et par suite, la finesse et la 
beauté des tissus qu’on en fabriquait, malgré la difficulté 
de se procurer les cotons d'Amérique et le désavantage 
d'employer, avec Îles anciennes machines, les cotons 
d'Italie et ceux du. levant, dont la laine est moins 
longue : aussi, dans ‘ces dernières années, est-on enfin 
parvenu à fabriquer des tissus de cotons, dont la 
beauté rivalise avantageusement avec celle des plus beaux 
tissus anglais. Cependant , quelle que soit la perfection 
actuelle des machines à filer, employées dans les grands 
établissemens qui existent mainteuant en France, * et: 
qui ont nécessité une avance considérahle de capitaux, 
pour la construction des bâtimens, des machines à filer 
et des usines qui leur servent de moteur, on ne peut 
cependant se dissimuler, qu'il ne soit, plus que jamais, 
nécessaire d'encourager, par des récompenses nationales, 
les Négociants qui méritent. si bien de la France, en co- 
opérant à l'agrandissement de snn commerce et à l’aug- 
mentation de sa richesse , afin que ne rallentissant point 
leur marche investigatrice, les Fabricans Francais ne 
se laissent plus surpasser ** par les étrangers, et conti- 
nuent à mériter la préférence dans les foires les. plus 
célèbres du continent Européen. | | 


EE 


_* Tels sont. ceux de MM Oberkampf, (à Jouy près Ver- 
salles 3: Ferret, (à Essonnes ) ; 3 Scipien Mourgue ( à Rouval, 
près Doulens. ) 

#* L'exposition des produits de l'Industrie Française ordonnée. 
par le Gouvéeitnement, et les prix accordés annuellement par la 
Société d’Encouragement de Paris, font espérer qu’une hono- 
rable émulation s'établira entre tous les manufacturiers. et les: 
fabricans Français , pour contribuer à maintenir la supérigrité : 
des produits en tout genre de l'Industrie nationale, , 


RS 


MÉNOIRES. 475 


Quelques justes éloges que méritent d’ailleurs les 
propriétaires des grands établissemens de filature , on n'en 
doit pas de moindres sans doute à ceux qui ayant de 
plus faibles capitaux , mais beaucoup d'intelligence et de 
talent en mécanique-pratique, sont parvenus à former de 
petits établissemens où en employant, proportion gardée, 
un plus grand nombre d'ouvriers, ils fabriquent, non 
toute la série de grosseurs de fils de coton, mais sea- 
lement certains numéros, dont le débit est assuré, 
parce qu'ils sont préférés dans certaines fabriques de tissus, 
soit à cause de leur qualité, soit à cause du moindre 
‘prix auquel ils sont livrés au commerce. 

. C'est d’un petit établissement de ce genre, commencé 

il y a trois ans, à Arras, par MM." Catté, frères, et 

situé dans la rue des Capucins, que nous allons avoir 

J'honneur de vous entretenir. 
| | Observations. 

Cet Établissement de filature se compose actuellement: 

1. D'une double carde en gros, mûe par engrenage ; 

: 2.9 De quatre cardes en fin, Idem; 

3.° De quatre laminoirs ; 

4 De quatre boudinoirs ; 

5° D'un belly à 96 broches ; 

6° De huit mull-jenny ensemble 1416, Idem. 


Savoir : 
Trois métiers à 192 broches ci. ..... 576 Zdem. 
Cinq: idem à168 idem ci...... 840 id. 
Total pareil. . . 1416 


nan nest 

MM." Catté ayant commencé leur filature avec les 
anciens métiers employés en France dès 1805 et 1806, et. 
n’en ayant pas obtenu des résultats aussi avantageux qu'ils 


474 MÉMOIRES. 

les désiraient, tant à cause du déchet considérable sur 
les cotons en laine, que de la médiocre qualité des fils 
de coton qu’ils en obtenaient , se décidèrent, pour parer 
‘à ces deux inconvéniens majeurs, à reconstruire leurs 
différerens méliers, en y. faisant les changemens qu'ils 
‘erûrent les plus propres à diminuer le déchet et à 
‘augmenter ainsi ‘les produits en fils, sans nuire à leur 
qualité, qu'ils parvinrent à bonifier après beaucoup d'essais. 
‘’ Les changemens qu'ils ont faits aux cardes, aux 
laminoirs et aux boudinoirs , leur ont procuré un avan- 
tage réel, tant par l’augmentation sur le produit net 
des cotons préparés pour le filage, que par la perfection 
du travail de ce même produit: peut-être que pour leur 
propre intérêt, on pourrait desirer que MM. Catté, 
fissent de nouveaux chAEmens aux LonBnars et aux 
laminoirs. 

_ Les changemens faits par eux, au belly et aux huit 
métiers, dif mull-jenny, consistent principalement dans 
‘la marche uniforme, régulière et douce, qu'ils sont 
parvenus à donner aux chariots, ce qui empêche les 
fils de se casser aussi fréquemment que dans les anciens 
métiers, diminue par conséquent beaucoup le renouage 
des fils, et contribue aïnsi à leur bonne qualité, à la 
beauté et À la régularité des tissus. 

Enfin par la juste combinaison des changemens opérés 

par MM. Catté, dans les métiers # dont ils se servent, 
_et par les soins qu’ils apportent dans la préparation de 


#* Ces MM. ur monté eux-mêmes une plate - forme, 
faillent et arrondissent par ce moÿen , d’une façon très-régulière, 
les dents de leurs engrenages » etils y ont joint un tour pour le 
fer, un tour pour le bois, un tour en Pair ; ils ont auesi établi 


MÉMOIRRSS. 475 


leurs cotons filés, dont ils ont réduit enfin le déchet de 
4 pour cent, (il était de 12 pour ©, au commencement 
de leur établissement, il n'est plus maintenant que de 8 
pour cent ), ils se sont procuré l'avantage certain découler 


. avec facilité les produits de leur filature ; ils les expédient 


à Amiens sur-tout, leu” fil y étant trés-recherché et 
employé de préférence par les fabricans, à celui de 
quelques autres filatures. : 

La différence de prix des n.” 40 à 45, pour la con- 
fection desquels MM." Catté n’employent que des cotons 
Caroline, est sensible , puisque les autres fabricans 
n’employant que des cotons Louisianne, ne peuvent 
soutenir la concurrence avec MM. Catté, qui les donnent 
avec diminution de 80 centimes par kilogramme de fil. 

Autrefois le produit d’une semaine de travail ne s'élevait 
avec les anciens métiers que de 125 à 150 kilogranmes 
de cotons filés , le produit actuel de chaque semaine est 
de 250 kilogrammes. 

Enfin cet établissement de filature a de plus l'avantage 
réel de faire vivre 55 personnes qui dépensent leur salaire 
dans la ville d'Arras. 


Conclusions. 


Considérant que par leut propre industrie, leurs 
connaissances et leurs talens en mécanique, MM. Catté 
sont parvenus à créer dans le chef-lieu du Département 
une nouvelle filiture qui peut fournir chaque année à 
la fabrication des tissus de coton, environ treize mille 
on 


Rue " 


chez sux, un atelier de serrurerie et un ‘atelier de menuiserie ; 
au moyen de quoi, ils construisent et fabriquent een 
toutes les parties do leurs mécaniques. 


476 MÉMOIRES. 
kilogrammes de coton filé ( environ la 2000.°"° partie # 
de ce qui s’en fabrique en France dans une année ), 


dont la vente procure la rent:ée d’une somme considé- 
rable, et tend à accroître ainsi la ri-hesse nationale, 
par l'augmentation des produitsge l’industrie ; les Membres 
de la Commission soussignés, pensent que l'établissement 
de MM. Catté, mérite d’être encouragé par la Société 
Royale de la ville d'Arras, et mentionné honorablement 


dans le Recueil de ses Mémoires. 
A Arras, le y7 mai 1819. | 
Signés TERNINCK, VÈNE, Donor. 
La Soviété approuve la conclusion du Rapport. 
Signé P. MARTIN, Secrétaire perpétuel, 


* M, le Comte Chaptal évalue, dans son ouvrage, à 25 millions 
de kilogrammes , fa totalité des eotons filés en France chaque 


ännée. 


MÉMOIRES 477 


VW 


RAPPORT 
SUR LE SEMOIR 
. DE 
M". Scirion MO URGUE, 
EzT 


SON MAGNIFIQUE DOMAINE DE ROUVAL $ 
PRÈS DOULENS, 


MESSIEURS, 


L Commission que vous avez chargée de vous rendre 
compte de l’état des Semis opérés dans. le domaine de 
Rouval-les-Doulens , département de la Somme, au moyen 
du Semoir écossais amélioré par M. Scipion Mourgue, 
notre collègue, s’empresse de s'acquitter envers vous 
du devoir que lui impose la confiance dont vous l'avez 
bonorée. | 

Le premier apperçu des établissemens industriels qui 
classe celui de notre collègue au premier rang des 
manufactures de France , est d’une telle séduction pour 
tout ce qui professe les arts, ou honore l'industrie, 
que le sentiment que nous avons d’abord éprouvé au 
milieu de ces vastes mines a été de nous mettre en 
garde contre le prestige de tout ce qui. se coordonnait 
pour nous entraîner à la surprise, et par elle à l’appro- 
bation. Se | 

Mais nous devons à la vérité, qui sera toujours un 
devoir pour vos délégués, de dire qu'il est diificile 


478 MÉMOIRES. 
d'être mieux prémuni contre cette déception involontaire, 
que par les procédés du créâteur des belles usines que 
nous avons vues. HN 

Il a jugé notre position: et, si elle nous imposait 
l'obligation d’être justes, il n’a cherché, dans aucun 
instant, à nous ôter la faculté d’être sévères. 

Le domaine de Rouval se compose de terreins qui 
sont une véritable conquête de la persévérance nouvelle, 
sur la plus ancienne incurie.. +. à 

Ce sol, où nous avons vu la végétation la plus abon- 
dante , les jardins les plus délicieux, était, il y a 11 ans, 
recouvert de marais si dégodtants, si fétides , que leur 
dénomination de temps immémorial était les marais 
morveux ; ils servaient à cette époque de voiries publi 
‘ques... ls semblent aujourd'hui le rendez-vous des 
arts imis en pratique sous l'égide de l’industrie. 

! Mais nous nous écarterions de notre but, Messieurs, si 

nous vous entretenions d'autre chose que des semis que 
vous nous avez chargé d'examiner , et du semoir par 
lequel ils se sont opérés. | 

M. Mourgue, doit la première idée de son semoir à 
Texcellent ouvrage du chevalier John Sinclair , président 
du bureau d'agriculture des Royaumes-unis de la Grande 
Bretagne, intitulé : General Rapporis of the scoteh 
‘agriculture. a 

Ce semoir , ou brouette à -semer,. présente deux bras ; 
‘servant à pousser, | comme dans une brouette, une roue 
destinée à mettre en action le plus simple de tous les 
mécanismes. De droite et de gauche, sur le moyeu de 
cette roue, sont disposées deux poulies fixes, mues si- 
multanément par l'impression que donne un homme aux 
deux bras de la brouette ;: ces deux poulies servent à 


| MÉMOIRES 479 
faire agir, au moyen de cordes croisées, et dès -lors 
en sens inverse de leur rotation, deux petits barils de 
trente à quarante centimètres de long, tournés par des 
poulies correspondantes aux premières, et placés chacun 
sur des supports ingénieusement disposés pour les rendre 
d'une extrême mobilité. | 

Le premier de ces petits barils contenait, quand nous 
avons vu le semoir en action, de la graine de navets de 
Suède. (Rutabaga), 

Le second était de poudrelte, tous deux étaient mus 
par les cordes croisées, mentionnées ci-dessus, et avec 
une vitesse proportionnée au 1 diamètre des unes et des 
‘autres poulies. 

Le pourtour du premier baril est percé de trous assez 
nombreux pour permettre, dans sa rotation, la libre 
sortie de la graine qu'il renferme. 

Cétté graine tombe dans un entonnoir, en fer blanc; 
disposé au centre d’un tübe de bois armé dans sa partie 
inférieure d’un coutre acéré, qui, dans l’action cursive 
du semoir, ouvre un sillon, dont la profondeur se règle 
à volonté par un procédé ingénieux , et dans lequel la 
graine qui traverse le tube est reçue. 

Par des moyens semblablés , la matière fécandante dite 
Poudrette » si facile à remplacer dans nos contrées par 
‘des tourleaux de graines oléagineuses pulvérisés » se 
mêle la graine sortie du premier tonneau , et à l'instant 
même, ün rouleau disposé en arrière du second tube, 
recouvre et la semence et l’engrais, tandis qu’ un dé- 
 crottoir fixe facilite sa rotation, en le nettoyant sans 
cesse. de la terre que l'humidité pourrait y “agtbmérer, 

Au reste, Messieurs, l'intention de M. Mourgue 
‘étant d'envoyer à la Société un modèle de ce semoir, 


480 MÉMOIRES. 
vous serez bientôt à même d'en juger et d'apprécier 


les avantages qu'il prépare à l’industrie de notre culture 
des plantes oléagineuses, potagères ou herbacées. 


Nous avons vu chez M. Mourgue, un hectare cinquante 


ares de terre » Semés.en œillettes. 


Une même surface semée en fèves et pois, pour Îa 
nourriture des. chevaux. 

Et un hectare semé en navets de Suède (rutabage ) 
Nous confessons, Messieurs , que notre premier senti 
ment, à l'inspection du semis d’œilleites, a été celui 


d'une extrême Pnpee 


Jamais nous n’avons vu des œillettes aussi parfaitement 


disposées, et recouvrant aussi bien le sol qu’elles enri- 
chissent ; on eut dit que la main de l’homme les avait 


transplantées comme elle transplante ou nos tabacs, 
ou nos colzats. _— 
Cependant , Messieurs, d’après. l’expérience faite devant 


nous et par l'un de nous, M. Leroux-Duchatelet, rien 


n'est aussi facile que l’action du semoir , qui produit 
ce résultat. 
Notre collègue nous assure que dans un jour un homme 


peut aisément semer cinquante ares de terre bien disposée, 
et quand on compare la rare exactitude avec laquelle 


TA 


on peut ainsi profiter de toute la. surface productive du 
sol, à ce même sol si souvent chauve de produits, 

dis nos champs, l’on conçoit et l’on partage les espé- 

rances que M. Mourgue ést autorisé à entretenir de 
l'usage de son semoir. 

Le sol sur lequel ces œillettes ont été send: avait 
été éggwmv, l'année dernière, par une abondante récolte 
de navets de Suède ( rutabaga). M. Mourgue l’a econdé 
de nouveau; en faisant recouvrir sa graine d'œilette par 


MÉMOIRES. 481 


de la poudrette, et les plantes de son semis ne laissent 
rien desirer en vigueur et en espérance. | 

Nous insistons sur ce résultat, Messieurs , parce que, 
pour notre pays, les conséquences peuvent en étre 
incalculables, 

En effet, quelle économie dans la main — d'œuvre et 
quelle facilité dans le travail de binage, ne résulte-t-il 
pas de ces semis en sillons, dans lesquels la main de 
Pouvrier le moins expérimenté, ne peut jamais s’égarer ?. 
Quelle profondeur dans le labour qui porte la fécondité 
à la plante, et quelle aisance pour la récolte en maturité. 

Nous ne craignons pas de le dire, Messieurs, si vous 
entourez ce nouveau procédé de votre suffrage, et sur- 
tout de votre exemple dans nos campagnes, il est permis 
d'en espérer une révolution réelle dans le systéme de 
Pimportante culture dé nos plantes oléagineuses par ce 
procédé, dont l’idée appartient toute entière à M. Mourgue. 

Les fèves que nous avons vues sont remarquables par 
une circonstance particulière ; le sol sur lequel elles ont 
été semées, était, il y a deux mois, une prairie maré- 
cageuse que M. Mourgue a habilement desséché. À peine 
en avait-il fait défricher la surface au louchet , qu'il 
conçut l’idée d’essayer d'en rompre les mottes par une 
herse à dents de fer, et de les diviser assez pour y 
introduire son .semoir. Le 

Ce sok était si compacte, l'agrégation des racines des 
plantes aquatiques qui avaient été retournées , présen- 
tait de telles difficultés à vaincre, que la herse à dents 
de fer ramenait les gazons à la superficie; et tout 
autre que M. Mourgue se fut rebuté, 

Mais. da constance semble être le type du caractère 
de notre collègue ; il voulut fortement, et réussit à 


PT 


482 MÉMOIRES. 

|_ensemencer son Champ avec son semoir, et an moyen 
de ses deux barils , il sema des fèves par l’un et des 
pois par l’autre, de maniere à lui faire espérer la récolte 
la plus abondante, 

Malheureusement, ses semis n’ont pà être enterrés 
assez profondément par suite des difficultés qu'il avait 
éprouvées dans la préparation de la terre , et’ les pigeons, 
ces nobles parasites de nos campagnes, ont dévoré une 
grande partie de ses semences, Cependant ce champ offre 
encore une belle apparence, et les obstacles vaincus font 
mieux apprécier les avantages du procédé, qui a rendu 
si facile de binage à la houe + dans les sillons formés 
par le semoir. 

Mais ce qui est le plus digne de votre attention, 
Messieurs , et ce qui nous eût paru invraisemblable , si 
le fait ne nous avait été attesté par notre collègue , et 
que nous n'en eussions vu la preuve , c’est la prodigieuse 
économie qui résulte de cette méthode. 

Vingt boisseaux de fèves, sont ordinairement employés 
dans les semis à la volée, par cinquante ares de terre ; 
M. Mourgue en avait donc fait acheter soixante pour en- 
_ semencer 1 hectare 5o ares, et sa surprise fut égale à 
la notre. quand’  Pensemencement & finr, il trouva 
éncore dans $es sacs quarante boisseaux ‘de fèves: ainsi 
Messieurs , il s'est opéré, par ce procédé, uneéconomie 
des deux tiers de la semence; et ceux d’entré vous qui 
aiment ou professent l'agriculture, apprécieront l'aven ntage 
immense que nous venons de signaler. 

_ En deux champs , contenant ensemble 75 ares, nous 
avons vu des semis récents de navets de Suède (rutabaga), 
Pan avait subi un labour à ‘la houe l'autre Per 
sur son semis primitif. - 


MÉMOIRES 483 


Nous ne pouvons pas vous rendre compte des pro- 
duits de cette culture, nouvelle dans nos contrées, 

mais que depuis cinq ans M. Mourgue nous a dit pratiquer | 
avec de grands avantages. 
. Éa partie de ces semis qui n’a point été binée , pré 
sente des lignes très-régulières de jeunes plantes ; ces 
dignes sont espacées entr’elles d'environ 40 centimètres 
{15 pouces ). 

. La partie qui a été binée a reçu deux façons successivem 

D'abord, l’ouvrier, armé de sa houe, s’est placé à angle 
.droit sur laligne semée , et, de 30 en 30 cehtimètres,, en 
fort peu d’instants, il a détruit l'excédent du jeune plant, 
ne laissant ainsi et à égale distance, que de très-petites 
touffes de navets, contenant chacune 4 à 5 plantes. 

Le lendemain', le travail a été repris en sens inverse 
et dans la direetion des lignes de plantes ,.afin de nétoyer 
parfaitement tous ces intervalles de mauvaises herbes, 
<t nous pouvons attester qu de cine ce semis présente 
la plus belle espérance. 

M. Mourgue n’attendait qu’une pluie pour faire passer 
des femmes dans les lignes ou routes de ces navets, et elles 
n'auront à faire que le travail rapide, d'enlever l'excédent 
des. plantes à chaque touffe, pour n’en laisser qu’une 
au besoin, ou en repiquer là où les pucerons ont pu 
les détruire ; car dans les tems secs le puceron est un 
. ennemi redoutable pour la plante succulente du rutabaga. 

Si nous ne pouvons vous entretenir en ce moment, 
Messieurs, que: des lointaines. espérances que donne 
cette calture, nous ne pensons pas que ce soit une 
digression étrangère à l’objet de notre mission, que de 
yous. parler des: résultats remarquahles que M. Mourgue 
est à la veille d'obtenir. des essais, qu'il. multiplie sur 
cette plante, 


484 MÉMOIRES. 

Le rutahaga paraît être la nourriture Ja plus recherchée 
des bestiaux ; celle qui donne le plus de lait aux vaches , 
et enfin celle qui a le prodigieux avantage de résister 
aux plus rigoureuses épreuves des frimats. 

La graine se sème dans des terreins bien fumés, dans 
les derniers jours de mai, et bien que M. Mourgue 
espace les plantes d'environ 40 centimètres (15 pouces 
passés ), il nous affirme qu’à peine il reste entre ces 
bulbes un espace suffisant à la végétation de leur large 
feuillage et à leur binage, et que leurs feuilles couvrent 
entièrement la distance des sillons; la feuille du rutabaga 
a la même forme , mais beaucoup plus d’étendue que 
celle de nos navets. nu 

Comme le colzat, le rutabaga appartient à la famille 
des choux ( brassica), et sa faculté de résister aux plus 
fortes gelées, a fait concevoir à M. Mourgue la pensée 
de le cultiver comme plante oléagineuse , en rempla- 
cement des colzats qui, si souvent , souffrent des hivers 
rigoureux de nos contrées septentrionales. 

C'est dans cette vue que l’année passée il sema, en 
septembre , quelques centaines de ces graines , et nous 
_osons vous affirmer que nous ne vimes jamais des tiges 
de colzats comparables pour la rnasse de graines qu'elles 
portent à celle de ces navets de Suède. 

Cependant les gousses qui contiennent la graine sont 
moins longues dans le rutahaga que dans le colzat, 
mais elles nous ont paru plus grosses. 

M. Movrgue se propose, non-seulement de comparer 
Ja quantité de graine que donnera ee semis avec celle 
provenant d’une égale surface en colzat dans ses environs, 
mais aussi d'apprécier comparativement la quantité” 
d'huile provenant de ces deux récoltes, 


MÉMOIRES. 485 


Certes, Messieurs, lors même qu’il n’y aurait que 
parité, le rutabaga offrirait toujours un grand avantage, 
puisque cette plante n’est accessible à aucun mal par 
des plus fortes gelées, qu’elle n’a plus besoin d’être dé- 
plantée après avoir été semée au semoir , el que les labours 
qu’elle exige sont bien moindres que les travaux pénibles 
auxquels sont soumis les cultivateurs pour la culture 
des colzats. 

M. Mourgue se dispose à des essais plus en grand cette 
année ; plusieurs cullivateurs de ses environs , excités par 
son zèle et par son exemple, feront aussi des expériences 
contradictoires aux siennes, et nous avouons, Messieurs, 
que l'espoir du bien à faire est tellement une sorte 
de contagion, quand on en observe les actions, que 
nous avons nous-mêmes emporté de Rouval des graines, 
pour nous livrer à des essais semblables. 

Ce que nous avons vu, la manière simple et claire 
dont M. Mourgue le démontre, nous. fait vivement 
desirer que plus tard cet honorable collègue. vous fasse, 
connaître les résultats qu’il aura obtenus. 

_ Nous ne terminerons pas ce rapport, Messieurs, sans rendre 
hommage à l'accueil cordial qu’ont reçu vos commissairess 
sans doute, c’est à votre considération qu'ils le doivent, 
mais ils n’en garderont pas moins un touchant souvenir. 

Les usages et les arts de tous les pays semblent s'être’ 
réunis à Rouval; fout ce qui est bon chez les autres 
m’appartient , nous dit M. Mourgue, et en vérité, nous 
pourrions ajouter tout .ce qui est beau. 

Les membres de la Commission : À. HALLETTE, 

Ch. LEROUX-DUCHASTELET, CRESPAL-DELLISSE, - 
Auguste COT. 


SE EL 


486 MÉMOIRES. 


ANA AAA 
OBSERVATION SUR UNE OPÉRATION 
| D'E LA 
LARYNGO-TRACHEOTOMIE; 

PRATIQUÉE AVEC SUCCÈS, 

Par D. R. P. DUCHATEAU,CHIRVRGIEx, 

Æide-major des Salles militaires de l’H6pital civil ” 
d'Arras, ete. 


MEMBRE RÉSIDENT. 


î 


L, : novembre 1815, Iphigénie Ansart, d’Arras, 
âgée de: six ans et demi, d’une constitution éminem- 
ment lymphatique, avala, vers le soir, un noyau de 
prune en jouant avec ses compagnes; elle en fut très- 
effrayée et avertit sa mère, qui m’envoya chercher sur- 
lé-champ. Je trouvai cet enfant dans un état d’anxiété 
inexprimable; sa voix était altérée et sibilante, la toux 
qui n'avait eu lieu que très-lésèrement au moment da 
passage du noyau dans le larynx avait disparu ; à chaque 
forte expiration, on entendait un certain bruit causé 
par ‘e choc du corps étranger contre la glotte. L'enfant, 
- dont la face était faiblement rouge, indiquait de tems à 
autre le siège de sa douleur qui paraissait répondre à la 
partie supérieure et latérale de la poitrine: cette douleur 
assurément était produite par la présence du noyau 
dans une des bronches. De concert avec notre collègue 
M: le docteur Leviez, nous lui fimes prendre dix grains 
d'Ipecacuhana qui produisirent 5 ou 6° vomissemens ; 

Se Hs mais 


MÉMOIRES. ‘487 

#vaîs nous n’en obtînmes pas le résultat desiré ; la malade 
était extrêmement fatiguée, on la coucha , et nous ne 
la revimes qu’une ‘heure après 3 nous ‘la trouvâmes 
“endormie ‘et couchée sur'le dos; sa face était un peu 
‘plus rouge qu'à notre première visite, et elle était 
tournée du ‘côte gauche; sa respiration était libre, et 
‘elle dormait d’un profond sommeil ; nous ne dissimulä- 
-ames ‘point aux parens le danger‘ qui menaçait leur 
enfant , si on ‘ne’ donnait issie à ce ‘noyau par une 
opération; car nous étions bien certains qu'aucun autre 
moyen ne pouvait la débarrässer de ce fàcheux accident; 
nous ‘fürhes remis au lendemain : le sommeil cessa vers 
les 4 heures da matin; les agitations recommencèrent 
-à son réveil, de fortes convulsions la jettèrent dans 
- 4n ‘tel abattement que, lorsque nous la vimes à sept 
‘heures da matin, rious ne pümies obtenir d’dle une 
seule: parole : ‘elle était sans connaissance; sa face était 
incolore, ses yeux fermiés son pouls" petit et sa res- 
piration difhcile et lente ; à notre arfivée, lés parens 
nous laissèrent maîtres de la maison et du sort de leur 
enfant. Nous la couchâmes sur-une table garnie d'un 
pétit matelas, -et-nous posâmes sa tête: sur un oreiller ; 
‘alors jincisai la peau à la partie antérieure’ da cou, 
après yÿ ‘avoir fait un pli que je tins d'un côté, et 
que M. Leviez voulut. bien tenir de l’autre: cette 
incision avait environ un pouce: et démi de Jongueur, 
‘et avait mis à découvert la partie inférieure du larynx 
et la partie supérieure de la trachée artère : je plongeai 
ensuite mon bistouri, dont le tranchant était dirigé en 
bas sur le ligament Cricoithyroïdien , je divisai le car- 
tilage “cricoide et trois cerceaux de la trachée artère; 
aussitôt qué j'eus pénétré dans le larynx, 2 une colonne 
Tome I; 11° Liv. | ‘8a: ‘: 


488 MÉMOIRES. 

d'air en sortit, et le noyau , amené par elle, vint frapper 
Ja pointe du bistouri de manière à en ressentir le choc; 
aucune artère ne fut divisée; nous attendimes pendant 
quelques minutes et le noyau se présenta près l’ouver- 
ture, mais il ne put sortir à cause de la faiblesse de 
J'expiration ; alors je cherchai à le saisir avec une pince 
et je ne pus yparvenir: nous attendimes encpre quelques 
jnstants, mais le noyau ne se présenta plus ; alors 
J'explorai le larynx avec une sonde et je ne pus le 
rencontrer ; il était: probablement retombé dans la trachée 
artère : cette eirconstance augmentait le danger; la 
suffocation et Ja faiblesse étaient si grandes que je cras 
que celte enfant allait expirer; mais, au moment .où 
l'on délibérait sur le parti qu'on prendrait, une isri= 
tation que nous dirigeämes dans le nez miît en jeu le 
restant des forces de da nature ; la malade fit use 
grande inspiration, qui fut immédiatement  ssivie 
d'une expiration tellement forte et bruyante, que 
les lèvres de la plaie s'écartèrent et donnèrent issue à 
une écume sanguinolente #t au noyau qui s’échappa 
avec une telle précipitation qu’on ne put le voir franchir 
l'ouverture ; il alla frapper le plafond, retomba sur la 
main d'un élève qui était aux pieds. de l'enfant, ( Ce 
noyan appartient à une espèce de prune nommé Cauetshe; 
il avait 9 lignes de longueur, 4 et demi de largeur, et 
2 lignes et demie d'épaisseur ). À peine ce corps faut-il 
sorti, que l'enfant ouvrit les yeux, et voulut artiouler 
quelques paroles; mais elle ne le put: je renus la plaie 
avec des emplâtres aglutinatifs et un bandage conve- 
nable. 11 y eut une toux qui dura quelques jours, et 
la plaie fut cicatrisée dans une. quinzaine de jonrss 88 
voix , au rapport des parens, n'a éprouvé aucune aktés 
ration , ;et elle jouit encore maintenant d’ane parfaite santé, 


MÉMOIRES | 489 


QUELQUES VUES GÉNÉRALES 
$S U_R 


LE CANCER: 


O. a beaucoup écrit sur le Cancer, et nos connaissances 
‘en cette matière sont encore très-bornées; cela tient à 
ce que les auteurs se sont en général écartés de la mé- 
thode sévère de l’ebservation, hors de laquelle il ne peut 
y avoir de vraie médecine, et celte science, quand on 
abandonne les faits, comme on la trop fait jusqu'à 
présent, pour errer dans le vaste champ des conjectures, 
n'offre qu'un assemblage confus de vaines théories et de 
préceptes précaires, qui s’évanouissent toujours au lit 
du malade. C’est, fondé sur ces principes généraux , que 
j'ai l’honueur de présenter à la Société savante de la 
ville d'Arras, quelques vues générales sur le Cancer ex- 
terne. J'ai pour objet de fixer l'attention sur une différence 
à établir entre les diverses espèces de Cancer qui peuvent 
affecter les parlies externes, accessibles au bistouri $ 
différence qui est échappée aux auleurs qui ont traité de 
cette affreuse maladie. - 

Las bumeurs cancéreuses, fäsant saillie à l'extérieur da 
corps ; et ne pénétrant pas dans les cavités, ( car ce 
n'est que de celles-ci qu'il s’agit ici), présentent des 
différences nombreuses dans leur forme, leur volume, 
leur mobilité, l’état de parties environnantes , éfc., eic, 
Cependant ; quelques .varide# que soient ces différences , 
on ‘peu les rappprter à deux chefs principaux : 1° ou 


i90 MÉMOIRES. 

là tumétif” variable pour son volume, est grumelèe, 
mamelonnée, - irrégulière à sa surface, de consistance 
variable , mais le plus souvent dure, sans offrir d'élas- 
ticité notable ; 2.° ou bien; sa forme présente une portion 
sphérique plus régulière , sa surface en est très-rarement 
interrompue par des brides celluleuses ou fibreuses, 
toujours petite et dure , la tumeur est notablement élas- 
tique, ce qu’on peut reconnaître par une exploration 
attentive. On voit que je ne parle ici que de cette variété 
du cancer, que dans ces derniers tems on a appelé du 
nom de corps fibreux, dénomination impropre , en ce 
qu'elle écarte l'idée d’une dégénérescence terrible, et 
qu’elle pourrait imprimer chez un praticien peu instruit 
uñe sécurité funeste, dont le malade deviendrait infail- 
libleent la victime. C’est sur-tout après l’extirpation 
qu’on’ établit d’une manière précise la distinction qui 
existe éntre ces tumeurs ; leur structure en effet pré- 
sente üne différence notahle que nous allons faire connaître. 
Quand'on en a fait la section au moyen d'un bistouri, 
on voit qu’elles sont formées d’un assemblage de lames 
d'apparence fibreuse , concentriques dans les secondes , 
parallèlement disposées ‘dans les autres; cès lames se 
rapprochent , pour leurs propriétés physiques , des couches 
superficielles’ des fibro-cartilâges vertébraux ; parmi celles- 
ei on en apperçoit de plus minces, d’un‘blanc nacré; 
la ténacité du tissu” fôrmé par cette réunion est telle, 
que les ‘efforts les plus considérables ne peüvent k° sur- 
monter 'que très-difficilement et assez rarement, encore 
u’opèrent-ils que des: ruptures partielles et'peu étendues. 
Les deux espèces entre lesquelles je veux’ établir une 
différence importante, "sou8 le rapport: de? la: certitude 
qu’elle peut apporter dans le prognoëtic , "présentent bien, 


MÉMOIRES _ 4gk 


it est vrai, à peu de choses près, le: même: mode de 


structure ; mais la particularité qui les distingue essen-. 


tiellement , est que les unes. sont chatonnées, pour ainsi 
dire, dans un kiste distinct des parties, au:milfeu des= 
quelles il s’est développé: tandis que l'autre étend:auw 
loin ses ramifications nombreuses, et envahit ainsi ane 
grande quantité de parties saines d’ailleurs. L'art peut , 
au moyen du bistouri, eulever complettement la première 
espèce de ces tumeurs cancéreuses, et l’on peut affirmer: 
avec certitude , que la récidive ne saurait avoir lieu: 
si l’on en excepte le cas possible, et qui ne s’est jamais: 
offert à l’observalion, où un nouveau kiste pourrait 
croître et se développer dans le point même que le premier 
occupait. De-là , l'attention la plus scrupuleuse que doit 
mettre le chirurgien à enlever la totalité du kiste, puis- 
que la moindre portion laissée dans les parties serait le 
germe d’une dégénérescence funeste. Dans le second cas, 
au contraire, les racines profondément disséminées que 
la tumeur a jettées, la presqu'impossibilité dans laquelle se 


trouve l'opérateur de les atteindre, sans des délabremens 


considérables , et qui pourraient être suivis des accidens 
les plus. graves, ne Ini permettent de rien aflirmer sur 
la guérison , et encore moins de fialter le malade qu'il 
sera certain désormais d’être exempt d'une récidive fà- 
cheuse, sinon funeste. 

Ces. considérations générales peuvent s'appliquer aux 
tumeurs externes récentes, quelque soil leur siège à 
l'extérieur du corps, dans le. tissu cellulaire sous cutané 
et même pénétrant dans la profondeur des muscles sous 
jacens : je dis des tumeurs récentes, parce qu’'arrivées à 
certaine époque de_keur développement , ces tumeurs bien 
diférentes dans leur origine, finissent par offrir un aspect 


DS 


492 MÉMOIRES. 
eatitrement semblable. En: effet , la première espèce d'aber® 
évidemment distincte des parties circonvoisinies, s'étend 
à une époque plus ou moins. éloignée de son développe- 
ment, par continuité de substance aux parties circon-= 
voisines ; le kiste d’abord fibro-celluleux et quelquefois. 
eartilagineux , garantissait les organes du contact de la 
dégéntrescence ; mais il finit lui-même par passer à 
Vétat cancéreux et éteud de nouveau ses ramifications. 
dans son voisinage, la maladie acquiera à cette époque. 
use marche plus ou moins rapide: alors, les considérations. 
que nous avous préseniées sur la seconde espèce, devien- 
nent entièremeut applicables. On voit par-là combien il 
importe d'enlever , dès leur origine, ces tumeurs anomales, 
sur lesquelles le praticien le plus exercé ne Esus que. 
difficilement porter un. jugement fondé. | 

Telles sont les vues que nous avions à présenter sur 
le cancer des parties externes: Nous. eussions pu grossir 
ee travail de la réfutation des nombreuses hypotèses émises 
sur la nature encore inconnue de cette terrible maladie 
et mieux encore des. considérations aur un moyen de 
guérison radicale par l'emploi de remèdes internes, mais 
nous attendons que l'observation ait justifié les grandes 
espérances que nous avons sonçues de ce moyen , avant 
de saumettre notre opinion à la Société savante dont 
nous ambitionnons le suffrage. : 

Nous espérons que la Commission chargée de l'examen 
- de ce Mémoire, en jugera moins sar son étendue que 
sur l'utilité des vues qu'il ‘présente et qui sont bien 
propres à fixer l'attention .des praticiens. 

En notre qualité de correspondant de la Société 
d'Arras, nous espérons lui offrir dans quelque tems, 
un travail assez étendu sur les tissus morbides, acci- 


+ 


MÉHotnxs _ 493: 
éentetement développés dans Re corps de Phiorume , et les 
dégénéréscences. des orgaries ; travail auqüel nous as obe 
paint encore eu le. loisir de. mettre la dernièré main, 

Fait à Paris, le28 Avrila8ige : 


E, CARAULYT, DM. S 
Membre correspondant. 


Lo 


4 Monsieur MARTIN, Secrétaire perpétuel de la. Société. 
royale d'Arras, pour l'eneouragement des Sciences,. 
des Lettres et des Arts. 


Monsieur , 


J E crois avoir-troûvé là véritable étymologie. du nom. 
de Landrethun, et je m’emypresse de vous adresser cette. 
étymologie , en vous briant de voalorr bien la PARLE 
à la sanction de Fa Société royale. d'Arras. 

J'ai l'honneur d’êtré avec une parfaite considération ; 


"Monsieur, 


Votre très-humble ét iriéobéiesant serviteur, 
| B. H. | 


ÉTYMOLOGIE DU NOM DE DDR 


Le viHage dé Landretun, Te de Rnbece 
département da Pas-de-Calais, tire son rrom du flamand 
Landryckingetuyn ; et signifie. la haie, le jardin de 
Laridrÿck où Landri, ZLanderici sepes. En ds ») °n 
écrivait Landringhetan , Landribgetun. LE 


494 _ MÉMOIRES. 

_H ne faut pas s'étonner que le nomide ce villagesoit tiré 
de la langue flamande , puisque cette langue, au 10. siècle, . 
était encore en usage dans le Boulonnais et la Picardie, ; 

Landrick, nom personnel, se compose de Land, 
pays, terre, et de ryck, riche: riche en terre, grand 
terrein. Plusieurs communes de France portent le nom. 
de Landri et en tire probablement leur origine : Landri- 
champ, ( Landerici eampus ), Landricourt, Landrecourt,, 
( Landerici curtis ), Landre ville, ( Landerici villa), .. 
Landremont , Ç Landerici mons ), etc. 

Tuyn , prononcé tun, signifie haïe, jardin ; les Alle- 
mands disent zaun, haie, fes Anglais disent town, 
ville, et dans le vieux langage français on disait 
thum , maïson. Ce mot qu’on a écrit tu, thun, tum,, 
thum ,.ton thon, etc., entre aussi dans la composition 
de plusieurs noms de lieux ; l'arrondissement de Boulogne : 
seul en renferme plus de vingt: Æ#änctun , (haïe de Ale - 
ou Alexis ), Hardingtun , ( haïe de Harde ou Hardouin.), - 
Werlingtun, ( haie de Verle ou Pharaïlde ), ete. 

Dans ces sortes de composés géographiques, tirés de 
la langue flamande, la désinence inghe ou ing qui suit 
le nom personnel , marque le génitif. On la retranche 
souvent, c'est ainsi qu'on dit Landretun, au lieu de : 
Londryckinghetuyn ; Landringtun , (haie de Landri }; 
Guiptun, au lieu de : Maé dé Si de Eubbe ou 
Jacob }), etc. 

Habitans de Landretun, que la mémoire de Landri 
vous soit chère; conservez religieusement le souvenir. 
de ce.Patriarche: qui a bâti vos premières habitations, : 
de cet'ancien chef de famille dont vous êtes les descen-- 
dans. Les: villes Grecques déféraient, les honneurs divins. 
à leurs fondateurs, et leur consacraient | des: FAP 
des statues et des fêtes. 


| MÉMOIRES. 495 
MÉMOIRE 
SUR 
LES MOYENS D’EMPÊCHER L'EAU | 
DE SX CORROMPRE | 
A BORD DES VAISSEAUX, 
| | DANS | 
ÎLES NAVIGATIONS DE LONGS COURS; 
ET PRINCIPALEMENT 
sous LA CHALEUR DES TROPIQUES; 


‘Pan JL I PÉRINET, 


Æx-Professeur de lH6pital militaire d'instruction de Paris ; 
| Pharmacien, | 
MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ D’ARRAS, 


O. sait que rien n'est plus rebutant et même plus 
pernicieux à la santé des Marins que l'usage des Eaux 
corrompues dans les futailles, et qu’on est obligé de 
boire, dans le cours des longs voyages, surtout en haute- 
mer. L’eau en apparence la plus pure, embarquée dans 
les barriques les mieux nettoyées, acquiert en fort peu 
de tems, à fond de cale, une odeur fétide d’eau croupie, 
et ne tarde pas à se remplir d’animalcules dégoutans, 
outre l’affreux déboire que lui communiquent les gaz 
hydrogène carbonné et sulfuré (le gaz des Marins), 
qui se développent dans le sein de ce liquide. I n’est 
pas douteux que cette boisson insalübre devienne la source 
d'une foule de maladiés, comme l'ont reconnu Eind, 


496. MÉMOIRES. 
Poissormiiér , Desperrières et plusieurs autres. Médecins. 
des Armées navales, en France et en. Angleterre. 

L'on a cherché depuis long-fems à rendre. potables les 
eaux embarquées, parce qü’on h’a pas la facilité de faire 
l'aigrade , ou de prendré de mouvelles eaux à volonté .. 
surtout sous la ligne, où l’eau embarquée se corrompt. 
en très-peu de jours à cause de-la chaleur. | 

Les moyens proposé pour attendre. ce But sont, 
d’abord , l’agitation, à l’aïr libre ; de l’eau dans de grands 
baquets pour faire dissiper ; à l’aide de cette manipu- 
Jation, les gaz fétides et l’odeur d’eau croupie que l’eau 
a contractés. Mais , outre que ce moyen n'est pas tou- 
jours praticable , par exemple dans les gros tems et le 
roulis du vaisseau, à cause des. versemens fréquens, il 
est peu utile, en ce qu’il trouble l’eau, y mélange ses. 
Œpôts terreux, la rend ainsi fort désagréable à boire, et 
de plus, les animalcules contenus dans cette eau ne 
sont point détraits ow emipêchés par cette agifalion. 

Le second moyen, proposé dès 1745, par M. Lamy, 
et pratiqué depuis avec une sorte d'atilité, est la Rtration 
à travers la poudre de charbon : méthode usitée ensuite 
avec succés par Îles sieurs Smitlr,, Cuchet, Ducommus, 
etc., pour l’épuration des eaux de la Seine. Mais ee: 
procédé a de grands inconvénients en mer ; d'abord la lon- 
gneur du tems de la filtration ne permet pas d’abreuver 
tout l'équipage d’un vaisseau de haut-bord, composé 
de 4 à 5oo hommes et même plus. Dans de moindres. 
bâtimens , il y a pareillement de l'inconvénient; Les filtres: 
se renversent ou sont dérangés, brisés à chaque instant ;: 
par l’asgilation du vaisseau. Enfin les eaux filtrées, quoi- 
que pures, ne contiennent pas l'air qui les rend vivess 
légères, potables:; elles. sont pesantes , fades, à moin 


MÉMOIRES. 497 
qu'on ne les agile à l'air, ce = redouble fes manipu- 
lations et Pembarras. 

La distillation dés eaux de la mer, à bord des bâtimens , 
conseillée par M. Poissonnier , a offert beaucoup de dif= 
ficultés ; ce procédé, joint à ce qu’il ne fournit que de 
mauvaise eau, nécessite an approvisionnement trop 
- considérable de combustibles pour que lon puisse l'adopter. 

Quant à ceux qui prôposaient de verser une certaine 
quantité d’acide sulfurique dans Îles eaux corrompues , 
- afin de tuer les animalcules et de dissiper, en agitant 
ensuite, les gaz fétides, ce moyen serait tout au plus 
convenable pour faire une limonade, en ajoutant du 
sucre ; mais quand il s’agit de faire cuire des chairs où 
des légumes avec cette eau acidulée, on obtient des 
résultats foxt incompatibles avec une bonne nourriture ’ 
telle que doit l'avoir le Marin. 

L’ébullition de Peau serait assez avantageuse pour tnér 
les animalcules ét dissiper les gaz fétides ; aussi l'usage 
du thé pour boisson ; sur les bâtimens Anglais, se répand, 
et l’on a cru en remarquer lutilité. Cependant , it paraît 
fort désagréable dans les climats chauds, comme sous 
la Égne, d’être obligé de boïre ane eau chauffée ét qui 
toujours fade par elle-même, débilite encore l’estomae. 

La carbonisation intérreure des futaïlles ; destinées à 
conserver l’eau embarquée pour les trajets de longs cours, 
a été très-recommandée par un savant Chimiste, M. le 
Comte Bertholet ; et le Capitaine russe Krusenstern , 
annonça en avoir fait une lieureuse épreuve dans sa na- 
vigation autour du Monde. Il faut pourtant que ce moyen 
n'ait pas présenté tous les avantages que l’on desire, 
puisqu'on n’en a point généralement adopté l’usage ; en 
effet, la portion de l’eau qui touche ou avoisine les parois 


498 MÉMOIRES. 


des futailles earbonisées pourra bien se conserver assez 
pure ; mais le milieu de ce liquide, dans les. barriques 
pleines, ne sera pas à Pabri de se corrompre, comme: 
semblent l'indiquer les. expériences tentées à ce sujet. 

Ayant donc réfléchi sur ces difficultés , j'ai pensé qu’une 
substance qui serait admise dans l’eau , et qui . sans altérer 
celle-ci, aurait la propriété d’empécher la naissance des 
animalcules et le développement des gaz fétides, remplirait 
parfaitement le but de conserver les eaux saines , potables, 
dans les vaisseaux et les longues navigations, même sous 
les tropiques. 

Diverses proportions de charbon en “pondre, de quel- 
ques oxides métalliques, ayant été tentées. à plusieurs 
reprises, ne m'ont offert d’abord aucun résultat avanta- 
geux, sur onze essais; ces eaux, après quelque tems, 
développaient, même dans les futailles les plus conve- 
nablement préparées , divers gaz fétides, tels que l'hy- 
drogène carbonné et sulfuré; en outre, elles étaient 
troubles, et, ni le tems, ni la variété des mélanges, 
ne les a pu rendre potables. 

Mais enfin, le procédé qui m’a complètement réussi 
est le suivant, que j'ai l'honneur de présenter, comme 
intéressant essentiellement les gens de mer, et pouvant 
s'appliquer à beaucoup d’autres circonstances aussi , pour 
la salubrité des eaux qui servent à la boisson des troupes 
de terre en divérs cantonnemens. 

Le 1.‘ août 1807, j'ai fait placer des pièces vides, 
de Bourgogne, de la capacité d'environ 250 litres, sur 
des chantiers, Îles unes à la cave , les autres dans un 
local plus exposé à la température chaude de l'été. Ayant 
fait remplir de l’eau d’an puits’ les diverses barriques, 
bien nettes en dedans, j'ai introduit par la bonde, dans 


MÉMOIRES. : 499 
‘chacune, un kilogramme et demi d’oxide noir de Mau- 
ganèse en poudre. J'ai bien agité le tout, à l’aide d’un 
bâton, afin de ‘diviser ke plus qu'il était possible dans 
l'eau, cet oxide qui est fort pesant: j'ai recouvert la 
bonde d’un fort bouchon de papier. 

Tous les quinze jours, j'avais la précaution de bien 
faire agiter et troubler de nouveau cette eau , pendant 
quelques minutes, et j'examinais chaque fois, par le 
goût, l’odorat, la vue, quel était son état. 

Ayant conservé, jusqu’en janvier 1814, cette même 
eau , dans les diverses futailles , sans avoir jamais re- 
marqué de changement; mais l'ayant, au contraire, 
constamment trouvée claire , inodore , incolore, limpide et 
de bonne qualité, comme celle du puits d’où elle pro- 
venait, je me suis assuré que ce moyen était frès-propre 
à prévenir toute corruption de l'eau à bord des vaisseaux. 

Ce procédé est très-facile et très-peu dispendieux ; il 
ne présente aucun inconvénient, et il est très-aisé d'en 
vérifier les résultats. | 


500 MÉMOIRES, 


RUN Rue 
| ÉPITRE | 
A M. LORGNIER , AD5OINT À LA MAIRIE DE BOULOGNE, 
sUuR 
LE BREV£T L'INVENTION 
. | RV’I1L A OBTENY 
POUR FAIRE DES TUILES A COULISSE. 


Enote de Rumford, toi qui pour la patrie 
Prodigaes les trésors d’une heureuse industrie: 
Savant, doux et modeste, ami eher à mon cœur, 
Combien me réjouit un succès si flatteur! | 
À tes nobles travaux la carrière est ouverte ç 

La loi sows son égide a mis ta découverte : 
Tenant gun Moniteur, la Déesse aux cent voix 
Prend déjà son essor et plane sur les toits ; 

Elle apprend la façon dont tu pétis l'argile. 

Oh! si j'avais ce don que possédait Delille 
Quand sa Muse, propice aux travaux des moissons , 
Dictait en vers pompeux de modestes lecons, 

Je dirais par quel art sur la simple charpente, 
Se rattache et se joint la tuile obéissante, 

Et par quelle échancrure unie étroitement, 

Elle offre un mur d’airain sans cloux et sans ciment: 

Je préfère la tuile À l’ardoise azurée : 

Elle résiste mieux au souffle de Borée ; 

Et quand gronde l'orage, aux vœux du voyageur 
Elle promet la paix, l’aisance et le bonheur. 

Si l’orgueilleux Palais veut l’ardoise fragile , 

Si du pauvre le chaume abrite l’humble azile ; 


MÉMOIRES. 501 
Vous qu’un sort fortané place également loin 
Au-dessous de Tenvie., au-dessus du besoin, . 
- Dont les toits sont en but aux coups de la tepapête ; 
La tuile est destinée à couvrir votre tête, 
À protéger vos bœufs, vas chevaux, vos brebis 
Et vos riches greniers pleins de l'or des épis. 

Cher Lorgnier, sur les monts, séjour des noirs orages, 
Au bord de l'océan et dans les lieux sauvages ;. 

Où l’aguilon fougueux ébrante les maisens, 
On bénira les fraits de tes combinaisons. 

Ton brevet à la gloire est un titre durable ; . 
Quelque jour on dira : ce fut un sage aimable, 
Né sur les bords de Liane, aimé de son pays, 

Qui, d'abord pour lui même et pour quelques amis, 
Inventa cette tuile aujourd’hui si commune, 
Et lui donna son npm, ses soins et sa fortune. 


Le B. D'ORDRE, 
Inspecteur des Forêts ; Membre ide tte 
de la Société d’ Arras. 


AAA AAA AAA VAR IP AARRAARAARAIN AR RAARAAANS 


VIEILLE CHRONIQUE. 


er damoisel du plas noble lignage, 
Aimait Jseult, et laimait sans espoir; 
Le vieax Raymond, au cœur sombre et ripiaEe, 
La retenait dans son triste manoir. 
Raymond perdit une épouse fidèle, 
Bien jeune encor, par un trépas affreux, 
Et depuis lors chaque instant lui rappelle, 
Le souvenir de ce jour malheureux. | 


5o2 MÉMorReés. 

Dans son domaine il vivait solitaire: 

_ Comme autrefois plus n’y tenait de cour. | 
Et se livrant à 6a douleur amère, | 
Point ‘ne voyait les Seigneurs d’alentour. 

Advint qu'un soir errant à l'aventure, 
Raymond peñsif promenait son ennui ; 
Lorsqu’au détour de la forêt obscure, 
Soldats felons se jettèrent: sur’ lui. à 

En vain Raymond rappelle sa vaillance : 
Il cède au nombre et tombe en combattant ; 
Quand tout-à-coup un Chevalier s’élance, 

Et pres de lui se place au même instant. 
Des ennemis qu'étonne son audace, 
Le cœur soudain est saisi de terreur. 
Et lâchement abandonnant la place, 

Ïls ont laissé le Chevalier vainqueur. 

Noble guerriér qui, par tant de courage, 
M'avez sauvé de ce pressant danger, 

Je suis Raymond, Seigneur de haut parage, 
Dans mon Château daignez venir loger. 

J'accepte l'offre avec reconnaissance, 

Dit l'inconnu , marchons sans différer ; 
Vous le voyez, déjà la nuit s’avance, 

. De par ces bois je pourrais m’égarer. 

Or, ce guerrier si courtois et si brave, 
C'était Ulric, le gentil damoisel, 

Qui de l'amour étant toujours esclave, 
Errait le soir à l’entour du Castel. 

En arrivant au séjour de sa mie, 

Son cœur battit : le conçois aisément ! 
Et par ne sais quelle aimable magie, 
Le cœur d’Iseult tressaillit mêémement. 


MÉMOIRES. 503 


Elle accourut au-devant de son père, . 
Dans la grand'salle où l’on se. rassemblait, 
Jà lPon dressait la table hospitalière, 

Et le foyer en brûlant pétillait. . 

Là, se voyaient suspendus aux murailles ; 
Portraits d’ayeux par le tems effacés ; | 
Et granls tableaux de tournois et batailles, 
Qui rappellaient hauts faits des, jours passés. 

De ces débris, vieux titres de noblesse, 
Le damoisel cependant ne voit rien; 

Un autre objet l’occupe et dl'intéresse ; 

IL voit Iseult , et cela les vaut bien. | 
Alors Raymond au chevalier s'adresse : 

Déjà je sais quelle est votre valeur; 
Pourrai-je encore, sans que cela vous blesse, 
Savoir le nom de mon libérateur? 

— Je suis Ulric, Seigneur du voisinage, 

Et des combats récemment revenu. 

— C'en est assez, je sais votre lignage, 

Et votre nom dès long-tems m'est connu: 

C'est votre bras qui m'a sauvé la vie; 
D'un tel service : il convient s'acquitter. 

N'ai qu’un seul bien qui puisse faire envie, 

Me sera doux de le voir accepter. 

Iseult est jeune, elle est belle, elle est sage; 
C'est le seul prix qui soit digne de vous. 
Si votre cœur n’est pas en doux servage, 
Seigneur Ulric, devenez son époux. 

‘Du preux alors figurez - vous l'ivresse! 

En se livrant à ses transports joyeux, 

Il tombe aux pieds de sa belle maîtresse ; 
Et son amour brille tout dans ses yeux. 
Tome I, 11, Liv. 33 


M£morïrnrezs. ; 

Iseutt rougit, et répand quelques Tarmes 
Que font couler la pudeur et l'amour. 

Son embarras relève encor ses charmes, 
Jamais ne fut tant belle qu’en ce jour. 

Le vieux Raymond en voyant leur tendresse ; 
De ses chagrins perdit le souvenir ; 

Contre son sein, doucement il les presse..., 
Ul'entrevoit un riant avenir, 

Le lendemain, quand vient l’aube no . 
Les deux amans au comble de leurs vœux, 
Par l’Aumônier , dans l'antique chapelle, 
Furent unis; que ce jour fut heureux! 


Auguste COT, Membre résident. 


| MÉMOIRES. 503 


NOTICE (à) 
SUR LES MALADIES 


QUI PEUVENT SE DÉVELOPPER 
PARMI LES BESTIAUX, 


Soit durant les chaleurs et la sécheresse, soit dans le cours 


des automnes pluvieux et froids. 


Par M. HURTREL D'ARBOVAL, Membre correspondant. 


a 


Nov touchons à l’époque où, l’année dernière , les 
chaleurs et la sécheresse, qui ont trop longtems duré, 
ont fait naître dans plusieurs départemens, parmi les 
bestiaux , des maladies dont les intérêts des propriétaires 
ont plus ou moins souffert selon les localités, et dont 
il n'importe pas moins cette année que la précédente, 
de prévenir le développement ou les suites. 

Ce sont sur-tout les chevaux que ces maladies ont 
frappés. Les plus maltraités ont été, tant ceux nourris 
eu grain et assujettis avec trop de continuité à des 
courses fréquentes et fort rapides, comme aux relais 
des postes et des messageries, que ceux des exploitations 
rurales qui ont manqué d’eau et de nourriture verte, 
et qui, durant leur continuel travail dans les champs, 
ont constamment été exposésaux rayons d’un soleil brûlant. 


(r) Cette notice se trouve en brochure , chez Mad. HuzARD, 
Imprimeur-Libraire , rue de V’Éperon 5 0° 75 à Paris, et chez 
M. Lznoï-BrRGER , à Boulogne-sur-mer ; prix 75 centimes, 


506 MÉMOIRES, 
. Les excès ou les vicissitudes de la température atmos 
phérique sont de tous les tems. Depuis un certain nombre 
d'années , le comméncement du prinptems est encore 
l'hiver, l'été se projefte inidéfiniment dans l’automne, et 
l'automne pénètre encore plus avant dans l'hiver: un 
même jour offre quelquefois de la glace, une chaleur 
intense et de la pluie. L'année 1818 sera toujouvs remar- 
quable par la longue sécheresse .et la haute température 
de son été, par l'abondance de ses récoltes, et par son 
automne, qui fut d’une douceur peu commune. Dès le 
26 mai, le thermomètre de Réaumur marquait 17 degrés 
et quelques digièmes au-dessus de zéro, par un vent 
. d'est. Cette température s’est accrue en juin et juillet: 
le thermomètre est monté au-dessus de 25 degrés le 12 
_ juin, et au-dessus de 27.le 24 juillet. Cette chaleur 
s’est soutenue, sans eau pour ainsi dire, de 16 à ‘26 
degrés et plus en août; elle ne s’est que peu calmée 
en septembre, et le mois d'octobre a été si doux qu’on 
y à encore remarqué une température de 17 degrés 
( le 13 octobre. ) Du 18 mai au 24 septembre, ïül 
n'a pas fait de pluie à tremper; il n’y a eu que trois 
orages, qui n’ont donné que peu d'eau: les vents Îes 
plus secs, ceux qui tournent du. nord - ouest à l’est, 
ont presque constamment soufflé, et souvent avec force. 
. Aussi la sécheresse devint - elle bientôt excessive et 
générale. Les sources se tarirent de toutes parts : le lit 
même des grands fleuves s’abaissa, des étangs salés se 
cristallisèrent spontanément; les feuilles d'arbres se fé 
trirent, les plantes perdirent leur éclat, les prairies et 
les vergers se desséchèrent, les jardins demeurèrent sans 
verdure. | nn | 
Les animaux vivent d'une manière trop intime avec 


MÉMorREs. So 


Pair qu'il respirent pour ne pas se ressentir du mode 
atmosphérique qu’on: vient de signaler. C’est à la suite 
des étés très-chauds de 1793, de 1800 et de 1807, que 
se sont maniféstées des épizooties fort désastreuses dans 
presque toute l’Europe méridionale, mais- plus particü- 
lièrement en France. L’épizootie contagieuse que j'ai été 
chargé de combattre en 28:16 est devenue plus meurtrière- 
à mesure que la saison. est devenue plus chaude. Les 
maladies, qui sont l’objet dé cet.écrit, ne sont pas- 
heureusement de nature épizootique, ni même conta- 
gieuse ; elles n’en ont pas moins, l’année dernière, exercé 
assez de ravages là où elles se. sont déclarées, pour 
appeller l'attention de S.-Exc. le Ministre de l’intérieur. 

Son Excellence avait d'abord pensé à faire rédiger et 
publier une instruction sur ce qui les concerne, ainsi 
que cela a eu lieu à la suite de l'humidité qui a régné 
en 18:16 et 1817 ; mais elle a craint que cette instruction 
ne contint pas l'indication de tous les moyens préservatifs 
appropriés aux différentes localités, et elle s’est bornée: 
à inviter MM. les Préfets À faire rédiger eb répandre, 
dans leurs départemens respectifs, une. notice sur Îles 
moyens à employer par les cultivateurs et propriétaires 
pour préserver leurs animaux domestiques des accidens 
que pourraient leur occasionner la constitution .sèche. 
et brülante de lPatmosphère, la disette d’eau salubre. 
la qualité ou le défaut de fourrages, etc. 

Jci je réitère mes remercimens à M. le Préfet du 
département du Pas-de-Calais, de n’avoir pas trop présumé 
de mon zèle pour le bien public, en me chargeant de la 
rédaction de cette notice. Jaloux plus que personne de 
remplir cette tâche aussi convenablement que mes forces 
me le permettent, j'ai lespérance d’avoir à cet égard 


508 MÉMOIRES. 

rempli les intentions du premier magistrat de ce dépar:= 
lement, et répondu autant qu’il est en moi aux vues: 
d'utilité générale de son Exc. le Ministre de l’intérieur. 
Trois éditions de cet éerit en moins de trois mois, l’em- 
pressement que les journaux les plus justement estimés. 
en agriculture (1) ont mis à l’insérer dans leurs recueils, 
me donnent la couñance d’avoir élé assez heureux en 
celte occasion pour rendre quelque service à l'économie 
rurale ; c’est la plus douce récompense 1e je puisse 
ambitionner. 

Je croyais bien ne plus devoir m'occuper de cette- 
production du moment, qui devait, selon ce que j'en. 
pensais, paraître et s’oublier avec la circonstance qui. 
l'avait fait naître ; mais la constitution atmosphérique de 
l'année 1819 (2) se présentant avec les probabilités d’une. 
certaine analogie avec celle de l’année précédente, si j'ai 
EE 
« (1) Bibliothèque phisyco-économique , instructive et amusante, 
16° année de souscr'ption,. 2° de la nouvelle rédaction, n« 
de novembre 18.8. 

_#nnales de P Agriculture. française, 2 SE toms 3. 

Mémoires de la Société Royale d’Arras, pour Pencouragement 
des sciences, des lettres et des. arts., tome 1.%, 2.° livraison. 

Le cours d’Agriculiure pratique, ou Pagronome français , 
dirigé par M. le baron Rougier da la Bergerie, n’avoit pas 
encore paru. alors, 

La Société Royale et centrale d'Agriculture a fait une 
mention particulière de cette notice dans le rapport sur ses. 
travaux pendant l’année 1818, lu à ka séance publique du 18. 
avril 18r9, imprimé ensuite, et inséré dans le 21e volume 
de Ja collection de ses mémoires, 

: (23) Le printems ‘s'est annoricé dès le mois de février, qui 
stest passé avec des elterpaiives de pluie et de beau tems; 
lé vent d’ouest a dominé; Le mois de mars a offert de beaux 


— 


MÉMOIRES. 6og 


pu faire quelque-bien la première fois , pourquoi n’essaie- 
rais-je pas d’en produire un plus ne aujourd’hui ? Je 
dis un plus grand, car ce n’est qu’au mois de septembre 
que M. le Préfet de ce. département m'a demandé une 
instruction, et, quoiqu’elle eût été écrite et imprimée 
de suite, elle n’en a pas moins paru que lorsqu’une 
grande partie du mal qu’elle était destinée à prévenir ou 
à arrêter était déjà faite. Il n’en sera pas de même cette 
fois ; j'espère pouvoir offrir le remède avant le mal. 

Mais ce travail serait incomplet s’il se. réduisait à des. 
conseils uniquement salutaires, lorsque la chaleur est 
grande et la sécheresse très-longue. À la fin de l'été, aux 
approches de l’automne, la températuré octine 
est exposée à changer et à devenir opposée peut-être à 
celle qui a précédé : c’est ce que dès le premier moment 
. il ma paru important de prévoir. En conséquence, j'ai 
pensé que, sans me renfermer strictement dans les 


jours alternés avec de petites pluies; le commencement d’avril 
a présagé un printems sec et chaud; dès le 8, le thermomètre 
de Réäumur marquait 16 degrés au-dessus de #2éro, par un 
Yent de nord-nord-est; du "7 au 10, on a remarqué une 
chaleur du mois de juin; le 3 mai la chaleur était de r9 
degrés 6 dixièmes , vent d’est-sud-est : elle s’est sautenue de 
13 à 18 degrés, le vent variant du nord-ouest au sud-est, 
en possant par le nord. Depuis le 25 avril jusqu’au petit 
orage du 19 mai, il n’a pas plu; et depuis les petites pluies 
de mars jusqu’au 25 avril, l’eau a été fort rare. L’hygromètre 
‘est descendu, en avril et en maï, à l'extrême degré de 
‘sécheresse. Les quelques jours froids quil ont} succédé aux 
orages et qui ont terminé les mois d’avril et de mai, ne se 
sont-pas soutenus; dès le deux ÿuin, présent mois, la chaleur 
est déjà de 18 degrés 5 dixièmes , et parait disposée à angmenter« 


510 ‘MÉMOIRES. 
documéns qui m'étaïent alors demandés, je devais voi 
plus loin ,'et m'occuper 'en outre des nouvelles indications. 
qu’il pourrait y avoir à remplir à l’époque du changement 
prévu de la témpé:ature. Je dois aujourd’hui étendre encore. 
- ma prévoyance. Lors de la première impression , il était 
sans doute trop tard, comme je l'ai dit, de vouloir pré- 
venir des maladies qui existaient déjà. Il n’en est pas de 
même cette fois : à l’époque actuelle de la saison, aucune 
de ces maladies ne s'étant mauifestée, il devient utile eb 
nécessaire d'indiquer les moyens préservatifs propres à. 
en empêcher le développement. Ayant eu plus de tems, 
écrivant avec moins de précipitation , fort d'ailleurs de 
l'expérience de l'année dernière, j’ai pu soigner davantage 
l’ensemble et laisser moins à désirer, Je m'estimerais 
très-heureux que mon travail püt faire quelque bien de 
plus; il n’en produira jamais autant que je le désire, 
J'aurais pu augmenter cette notice de l’histoire de 
plusieurs faits el de d'vcloppemens qui eussent pu ne pas 
être sans intérêt pour la science vétérinaire; mais, pour 
ne pas trop sortir du cadre. qui m’a d'abord été tracé et 
ne pas effrayer les cultivateurs par une trop longue lec- 
ture, j'ai (âché de me resserrer dans les plus étroites 
Jimites possibles : d’ailleurs, on ne. perd. pas toujours à 
présenter les choses d’une manière succinte; elles n’en 
sont souvent que davantage à la portée du plus grand 
nombre. L’on peut compter que tes moyens. dont j'offre 
l'exposition sont simples, et tels que fes habitans des 
campagnes puissent facilement les employer s’ils le veulent 
bien, excepté dans quelques cas particuliers où les [u- 
mières et les connaissances d’un vétérinaire deviennent 
indispensables. À la tête de ces moyens, je place les 
acides, et j'en recommande spécialement l’emploi: il 


MÉMOIRES 5rx 
serait à désirer que le vinaigre fût moins cher; il est dans 
les mains et à la portée de tout le monde ; mais on peut 
y suppléer par les acides minéraux, dont le prix est bien 
moins élevé. Cependant , ces derniers acides ne doivent 
pas être mis indistinctement dans les mains de tous: 
c'est une excellente ressource dans les circonstances qui 
occupent en ce moment notre attention ; mais la pré- 
paration et l'emploi doivent en être dirigés par les hommes 
de l’art, ou par les propriétaires instruits. Au surplus, je 
reviendrai sur cet article dans le cours de cette notice, 

Les probabilités déduites des : observations météorolo= 
giques étant que, cette année, la sécheresse sera constante 
et la température très-élevée,. ne perdons .pas le fruit 
dont l’année dernière. nous a donné l'expérience : puis- 
que les mêmes causes amènent naturellement les mêmes 
effets, tenons-nous prudemment en garde.contre les 
maladies que nous avons eu à combattre l’été dernier. 

La sécheresse opiniâtre, les longues et fortes chaleurs 
de 1818, ont déterminé, chez les animaux comme chez 
l'homme, d’abord un état d’excitation , puis une dimi- 
-nution de forces et des sueurs abondantes. La période 
d’affaiblissement a été si prononcée sur plusieurs, de nos 
animaux ruminäns, dont la fibre est en général plus 
: molle et les tissus moins serrés, qu’ils sont tombés dans 
“un état de langueur et de prostration tel, qu’insensibles 
à la voix, à la main, et même au fouet, ils refusaient 
de se relever ou de se mettre en mouvement, faute de 
forces pour. se remuer. Quelques-uns d’entr'eux ont été 
dégoûtés de manger ; tous ont eu le pouls plus ou moins 
-mou , proportionnellement à leur état d’épuisement. L'on 
n'a remarqué cet accident que sur les hauteurs sèches 
et arides, et par-tout où les herbages et les eaux ont 


S12 _. MÉmorrexs 

été dévorés par la chaleur et la sécheresse, L’on a encore 
eu lieu de remarquer d’autres accidents sous la consti- 
tution atmosphérique qui nous occupe, comme des 
ophthalmies et des accès de fluxion périodiques évidemment 
dus à l'éclat d’nne ardente lumière et. à l’action dessé- 
chante de l'air trop constamment sec sur la cenjonctive , 
et en outre quelques coups de sang, une sorte de fièvre 
bilieuse accompagnée de catarrhe et de vertiges sympto- 
matiques, et quelques maladies aiguës dont la marche. 
a été fort rapide, et qui ont offert, au moment de leur 
invasion, un appareil menaçant de symptômes graves, 
:: L'on ne peut attribuer ces affections maladives à la 
disette ni à la mauvaise qualité des. alimens secs; à 
quelques faibles exceptions près, les fourrages et les 
grains ont été en 18:18. fort abondants, sains et bien 
récoltés : seulement on les a employés trop nouveaux; 
on les a fait consommer avant qu'ils aient ce qu’on 
appelle vulgairement jeté leur feu. Lorsque l'on à fait 
usage des substances soit herbacées , soit céréales, immé- 
diatement après teur récolte, ce n’est pas la première 
fois qu’elles .ont produit des effets dangereux sur l’éco- 
nomie animale : ïl en est très-souvent résulté des maladies 
fort fâcheuses. Au moment de mettre au vert, les nour- 
ritures composées de grains ont manqué; bientôt les 
herbages se sont trouvés desséchés par l’ardeur du soleil ; 
les besliaux n’y ont plus trouvé de quoi s’alimenter 
convenablement. En outre, les sources ont été fort basses . 
et les eaux très-rares: celles des mares et toutes celles 
stagnantes se sont trouvées ou épuisées ou corrompues, 
et dans tous les cas n’ont pu offrir aux animaux qu’une 
boisson malsaine, répugnante et insuffisante pour les 
désaltérer ; leurs déperditions ont été grandes et n’ont 
pu être réparées. | 


MÉMOIRES. 919 

‘Une autre cause au-dessus du pouvoir de l’homme, 
et qui seule peut sufhire pour développer des maladies ‘ 
dans les tems chauds, c’est l’avidité que l'air sec et chaud 
a pour l’eau, circonstance qui tend à dépouiller les sur- 
faces vivantes de leur humidité, et à causer sur elles 
une sorte d'irritation qui se propage par sympathie à tous 
les appareils organiques du. corps. De là la marche rapide 
des maladies, et le caractère inflammatoire qu'elles 
affectent dans leur commencement. 

La débilité observée sur les bestiaux , et particulière 
ment sur les bêtes à cornes et à laine, tenait à l'état 
des propriétés vitales , lesquelles , exaltées en premier lieu 
par l'effet d’une température très-haute et très-sèche, se 
sont ensuite trouvées diminuées, sans que la santé en 
soit compromise autrement que par les suites nécessaires 
d'un affaiblissement général. L’indication à remplir en 
pareil'cas est de ramener l’économie au degré de ton 
nécessaire au libre accomplissement des fonctions -de la 
vie, et c'est par un régime convenable qu'il faut cher- 
cher à réparer les forces. Si, pendant le sommeil de 
celles-ci , l’on se trouve dans la position de recourir à 
quelques moyens thérapeutiques , l’on préférera les amera 
et les préparations ferrugineuses, avec le soin d'éviter 
toute excitation vive, et de ne produire qu’une action 
lente, graduée et soutenue. Plus la débilité sera portée 
loin , -plus il faudra agir d’abord avec lenteur , sauf à 
s'élever à mesure que les forces elles-mêmes se relèveront. 

L'ophthalmie , ou l’inflammation de la conjonctive, se 
. termine ordinairement dans un certain délai par résolution, 
à moins qu’on ne néglige, et sur-tout dans le principe, 
le traitement indiqué. La saignée , lorsque la maladie 
débute avec violence ou que le sujet est pléthorique ;, 


514 MÉMOTRES. 

les fomentations émollientes et calmantes sur la partie 
malade , au besoin les. cataplasmes de même nature , et, 
au moment où l’inflammation commence à s’appaiser , 
les collyres avec l’eau de rose et l’acétate de plomb liquide 
ou cristallisé ( extrait ou sel de saturne }-ou autre.analo- 
gue, voilà en somme en quoi consiste le traitement. Il 
convient aussi de tenir l'animal à la diète, et.de garantir 
l'œil malade du contact de la lumière et de l'air. 

I doit en être de même à l'égard du traitement des 
accès de la fluxion périodique. 

Les coups de sang frappent les animaux comme d’un 
coup de foudre, soit à l'écurie, soit aux herbages, aux 
champs, ou au travail ; ils tombent tout à coup.sans 
sentiment, sans autre mouvement que le battement des 
flancs, et meurent promptement , souvent même sans 
qu’on ait le tems de leur porter secours. .Il est néanmoins 
quelques signes précurseurs de. cette. maladie . funeste , 
mais presque toujours ils sont négligés ou méconnus. Au 
surplus, Îles limites. qui me sont ici tracées ne .me per- 
mettent aucun autre détail à ce sujet. | 
= Lorsque l’on peut arriver à tems, la première chose 
à faire dans le cas de coup de sang, c’est de pratiquer 
la saignée, et, si l’on ne peut la faire soi-même, de se 
hâter de tirer du sang de la langue. ou du lampas , en 
attendant qu’on puisse avoir Je maréchal : si l'animal 
en revient , l’on aura recours à la diète , aux boissons 
abondantes et délayantes d’eau blanche légèrement aci- 
dulée, et ensuite, selon l'exigence des cas, aux sétons , 
aux vésicatoires et aux purgatifs. 

Quant à l'affection bilieuse compliquée, dontil a été 
parlé plus haut , elle se caractérise par divers symptômes, 
dont voici les principaux. 


MÉMOIRES. 515 


Dà premier au quatrième jour: pouls d’abord vif, puis 
petit, accéléré ; assoupissement , tête pesante, tombante, 
ou appuyée dans la mangeoire; yeux éteints, vue altérée, 
obscurcie , quelqnefo. nulle; bouche pâteuse, pleine de 
bave visqueuse, membrane buccale jaune, langue chargée 
et d'un rouge vif sur le bout; pituitaire et eonjonctive: 
jaunètres ; dégoût , tristesse, abattement, roideur, mou- 
vemens lents, marche difficile et chancelante ; urines 
rares, jaunes, huileuses, fétides; constipation, . peau: 
sèche , insensibilite. : 

Quatrième jour: pouls moins vif, toujours. accéléré 
et petit;- enduit jaunâtre sur la langue, engorgement 
des amygdales, respiration laborieuse et bruyante, flux 
jaunâtre, épais et fétides par les naseaux. | 
- Cinquième jour: continuation de l’écoulement nasal, 
augmentation des symptômes, grincement de dents, 
remuement de la mâchoire, mouvemens : convulsifs des 
muscles de la face, yeux Hixes, troubles : l’animal saisit 
avidement les.alimens ou la litiére, les retient plus ou 
moins de tems-entre les dents et ne les mange point ; 
H saisit quelquefois la mangeoire comme s’il Le LÀ 
il a de fortes palpitations. 

Du sixième ‘au neuvième jour: état stationnaire de 
la maladie ; pouls -lent , faible, profond, quelquefois rare; 
diminution de la constipation, continuation du flux nasal, 

toux, engorgement des extrémités. | | 

Du neuvième au douzième jour : crasse .écailleuse sur 
la peau, urines abondantes, transpiration fétide , liberté 
du ventre, retour de l'appétit, guérison. 

Si la maladie prend une marche fâcheuse, la progres- 
sion des symptômes va toujours croissant ; et, à dater 
du cinquième jour, elle présage un terminaison fatale, 


516 MÉMOTRES. 


Le flux nasal se supprime, l’action de se mouvoir et 
de marcher devient presque impossible ; l'animal tombe 
au lieu de sé coucher et ne se relève: plus, 

Voici le traitement applicable à cet affection compliquée, 

La première chose à faire, c’est de se bâter d'abaisser 
la témpérature du local , si c'est sa trop forte élévation 
qui a causé la maladie. Pour cela, l’on placera le malade 
dans une écurie convenablement aérée, fraîche sans être 
froïde, évitant celles dans lesquelles ïl faut descendre 
pour y entrer, dont l'atmosphère ressemble à l’atmos- 
phère d’une cave. Si l’on n’a qu’une écurie chaude, et 
que l’on ne puisse pas absolument s’en procurer d'autre, 
il faut prendre le soin d'en arroser fréquemment le 
sol et les murs avec de l’eau froide. 

Lorsqu'au début de la maladie il y a diathèse 
inflammatoire, une légère saignée , des bains de vapeurs 
émollientes sous le nez et sous le ventre , conviennent 
dans le principe. Cependant, la saignée n'étant réellement 
indiquée que dans un petit nombre de cas difficiles à 
reconnaître par Îles personnes qui ne sont pas versées 
dans l’art vétérinaire, j'engage les ‘cultivateurs à ne 
point la pratiquer sans lavis d’un honime de l'art. 
Da reste, les lavemens émolliens doivent être prodigués, 
de même que les tisanes apéritives et diurétiques, 
telles que celles de chardon-roland ( panicant des 
champs, LINN. ), par exemple, auxquelles on ajoute 
un peu de sel de nitre, et, si l’irritation est prononcée, 
des feuilles de laitue ou autre adoucissant ; quelquefois 
même, selon l’occurrence, des feuilles ou des têtes de 
pavots; toutefois, il faut être fort circonspect sur l'emploi 
des narcotiques. L'on fera marcher de front les sétons 
au poitrail et aux fesses, et on les animera avec un 


MÉMOIRES. Sir 
peu d’ellébore en poudre s'ils tardent à donner, ou si 
Rur action est languïssante. H est fort à regretter que 
dans cette circonstance les malades se refusent à boire 
d'eux - mêmes; beaucoup d’eau blanche acidulée leur 
ferait grand bien ; néanmoins, il faut autant que possible 
éviter de Les tourmenter en leur administrant des breu= 
vages ; et même pour les individus qui se débattent 
trop en les prenant, et sur-tout pour les bêtes à laine 
qu'il est si facile de suffoquer, il vaut mieux se cou 
tenter des préparations en open 

Mais le médicament qui m'a paru produire le meilleur 
effet dans le cas dont il s’agit, e’est l’émétique, et 
l'on sera étonné des doses où lon peut le porter sans 
danger. Dans les cas ordinaires, lPémétique passe pour 
irriter après la dose de 15 à 18 grains; ici, l’on peut 
en administrer jusqu'à une demi-once; néanmoins, ik 
est toujours prudent de commencer pat une dose ; plus 
faible, sauf à la réitérer. Ainsi, l’on peut en. donner 
d'abord 20 à 54 grains dans une bonteille d'infusion de 
camomille ou de mélilot, et répéter ce breuvage selon 
les circonstances, la force et Ja stature des animaux. 

‘ Ce médicament produit à la fois plusieurs indications 
importantes ; il secoue l’estomac, le débarrasse des matières 
alimentaires qui le surchagent, provoque l’expulsion de 
la bile, et ressuscite le ton des organes. Maïs cette 
dernière médication , la plus essentielle peut-être , procurée 
par l’émétique, n'étant que momentanée, il convient, 
pour k rendre durable, d'amener à sa suite les toniques 
et les amers, comme des infusions de menthe, d’absinthe, 
de sariette, de petite centaurée, ou plus simplement 
des infusions de fleurs de camomille ou de mélilot, ou 
encore le poudre de gentiane, Dès que les mklades pour- 


518 MÉMOIRES. 


ront manger, on jeur donnera des alimens riches en 


principes nutritifs, mais en petite quantité, sur-tout. . 


dans les commencemens , afin de ne Dos fatiguer les 
organes digestifs. 

C'est avec ces moyens et des boissons acidulées , dès 
que les malades ont commencé à boire d'eux-mêmes, 
que plus de la moitié des animaux traités méthodique. 
ment ont été guéris : il est même à présumer qu'on. 
en eût sauvé un bien plus grand nombre, si l'ont eût 
toujours été appelé à tems; car, quand la médécine 
peut, ce n’est jamais que dans le commencement. des 
maladies. La plupart des individus traités autrement, 
soit empyriquement, soit par des saignées copieuses , 
des purgatifs drastiques de la classe des résineux, des 
breuvages incendiaires , etc., ont pee tous succombé 
en peu de jours. 

Il nous reste à nous occuper des moyens de sente 
Jes maladies que nous venons de signaler et celles qui 
pourront naître pendant l'automne , sur-tout si l'automne. 
est froid et pluvieux. FE 
__ Les alimens sont destinés à réparer les Des que 
 Jexercice de la vie occasionne dans le sang et dans Îles 
humeurs: s'ils sont en quantité insuffisante pendant une 
durée assez longue, toutes les parties vivantes éprouvent 
une détérioration d'autant plus prompte et profonde que 
Ja diète est plus sévère et plus continuée, s’ils sont d’une 
mauvaise qualité , trop anciens , altérés, ou dans un état 
de fermentation susceptible de développer des principes 
malfaisans , de dénaturer les élémens nourriciers qu'ils 
renferment ;. comme les grains et les fourrages. récoltés 
et engrangés avant leur maturité et leur dessication 
complète, le dépérissement de tout le système peut de- 

yenir 


MÉMOIRES. 519, 
venir la suite de l'usage de tels. alimens ; les humeurs 
et les organes peuvent prendre, sous un tel régime, 
wne complexion vicieuse qui expose les animaux à 
différentes maladies. 

est donc très-important de surveiller _— le 
régime habituel des bestiaux; de donner toujours à pew 
près aux mêmes heures les mêmes rations d’alimens : de 
s'attacher à la qualité de ceux-ci plutôt qu’à la quantité ; 
d'éviter sur toule chose de donner ceux trop nouveaux, 
ceux altérés ou mal récoltés. Il est au surplus très-dificile. 
daus un aussi coart exposé, de déterminer d’une manière 
rigoureuse la mesure des alimens de plusieurs espèces , 
mesure qui doit être proportionnée à l'espèce, à la stature, 
à l’âge, à la force et à l’état de santé ou dé maladie des 
animaux. En principe général, la quantité doit encore 
en être modifiée par les circonstances, et être d'autant 
moins considérable qu'ils seront plus substantiéls, Une 
bonne maxime en outre sur ce point, c'est de donner 
peu à la fois et souvent. 

Comme nous avons à prévenir les influences qu’un 
âir sec et chaud peut avoir sur l’économie vivante ; qu'il 
s’agit en premier lieu de modérer l’activité des mouvemens 
organiques; le régime vert, à cause de sa propriété 
tempérante , est indiqué dès le courant ou la fin de mai; 
non pas en le donnant tout à coup exclusivement, en 
le faisant succéder brusquement au régime sec, malgré 
la coutume et les idées opposées, maïs en y arrivant avec 
les précautions convenables, Cette transition brusque et 
souvent intempestive du sec au vert, occasionne des 
diarrhées quelquefois colliquatives dont on s’applaudit 
mal à propos: on s’imagine qu'elles purgent l'animal 
qui, lestrois-quarts du tems, n’a nullement besoin d’être 


520 _MÉMorRes. 

purgé ; mais c'est égal. Ces diarrhées ne sont au fait 
que le résultat du trouble des digestions ; elles ne sont 
propres qu’à amener le relâchement général et le dépé- 
rissement: de sorte que d'un moyen très-innocent et 
très-salutaire en lui-mêmé, on -en fait ainsi un mauvais 
moyen. Pour éviler ce fâächeux abus, il est bien plus 
simple d’habituer, peu à peu et comme insensiblement, 
l'estomac à bien digérer la nourriture nouvelle, L'on ne 
peut se flatter d'obtenir ce résultat avantageux qu’en ne 
mettant les bestiaux au vert que petit à petit, en entre- 
mélant pendant un certain tems le vert avec du sec, 
dont, de jour en jour, on diminue graduellement la 
proportion ,.en ne retranchant pas tout à coup tout grain 
sec. et en en continuant au contraire l’usage tant qu'on 
puisse. en avoir de vert en fourrage à y substituer, 
comme les hivernages , les pois, les houaras , les gesses, 
Les dravières, etc. Il serait même bien à désirer que 
Pavoine ne manquât jamais. aux chevaux, principale - 
ment à ceux qui travaillent. L'on ne croira pas non 
plus que le cheval mis au’ vert n’exige aucun soin de 
propreté, aucun pansement de la main ; que ces soins 
et ces pansemcns, quand on les pratique, contrarient 
ou relardent les effets du vert : il n’est pas d'idée plus 
errounée, La propreté et le soin de la peau, dont les 
fonctions sont loin d’être indifférentes, sont de tous les 
teims et de tous les régimes. L’on rentrera tous les 
animaux dès qu’il fera mauvais, et sur-tout quand il 
tombera des averses. L'été, notamment dans les grandes 
chaleurs, il est bon de laisser passer la nuit dehors; 
mais il n’en est pas de même dans l'automne. Engénérat, 
l’humidité froide de cette dernière saison, à plus forte 
raison quand elle succède à une température atmosphé- 


MÉMOTRES. S PE : 


rique diamétralement opposée, tend à troubler l'harmonie 
dans les diverses fonctions de la vie, et à prédisposer 
aux affections muqueuses, catarrhales, vermineuses, 
adynatiques, etc. Les bestiaux de toute espèce s’y trou 
veront d'autant plus exposés. que les chaleurs précédentes 
auront été plus grandes, et, qu'énervés en quelque sorte 
par l'effet de celles-ci, is offriront peu de résistance aux 
affections maladives et manqueront de force pour les 
supporter. Ainsi, pendant l’automne et.daus les localités 
basses et aquatiques principalement , il imporile de se 
méfier des nuits froides ,; des tems pluvieux ou brumeux 
des herbes mouillées ou rouillées, et par conséquent de 
ne laisser coucher les bestiaux dehors que lorsqu'il fait - 
doux et beau : dès la fin d'octobre, quelquetois plus 
tôt selon le tems qu'il fait, rarement plus tard , il devieut 
sage et prudent de nourrir la nuit aux éeuries ou aux 
étables. 

Je ne puis quitter ces courtes observations. sur la 
manière de faire prendre le vert aux grands animaux, 
sans m'élever contre une méthode si générale, que je 
ne sais si elle a quelques exceptions. Je veux parler de 
Ja saignée, que lon se fcroit mal à propos dans l’obli- 
gation de faire aux chevaux peu de jours après leur 
entrée daus Îles herbages. Ces saignées annuelles et de 
précaution, pratiquées dans le printems, et quelque- 
fois en automne, sont inutiles et même pernicieuses, si 
rien d'ailleurs n’en indique la nécessité; ellessont inutiles 
parce qu'elles ne font plus rien aux chevaux qui y 
sont accoutumés ; elles deviennent pernicieuses en ce 
que, si on les néglige chez ces mêmes chevaux, cette 
omission leur est préjudiciable, par la raison que la 
nature accoutumée à une telle déperdition et au-travail 


022 MEMOIRES. 

siécessairé pour la réparer, la déperdition n'ayant pas 
dieu à l’époque ordinaire, le travail de réparation continue 
comme si elle avait lieu : or, il en résulte un accrois- 
sement d'action vitale qui peut à:son tour devenir La 
soprce de plusieurs maladies. I] est donc infiniment 
préférable, sous tous les rapports, de ne pas accontumer 
ses chevaux à être saignés tous les ans au renouvelle 
sent du printems, et encore moins au renouvellement 
de chaque saison. Quant aux chevaux qui en-oat actuel 
dement l'habitude , il faut la leur continuer s'ils sont 
Agés: s’ilssont jeunes, il faut les en déshabituer en quelques 
années et non tout d’un coup, en tirant à chaque saignée 
moins de sang qu'à la précédente. J'ai essayé ce moyen 
avec suceès : j'ai ainsi déshabitué peu à peu de toute 
| &aignée de précaution les chevaux de plusieurs fermes 
que je fréqueute pour y exercer la médécine vétérinaire. 
- Ces chevaux ne s'en portent pas plus mal; ils sont plus 
robustes, plus durs au travail et s’usent moins vite. 
C'est ce que je puis bien assurer sur la foi et k 
_ témoignage des propriélaires. intéressés. : 

Il est: sûrement inatile d’ajouter qu'il faut FAURE 
: es précautions analogues et les mêmes degrés en faisant 
‘passer les chevaux et bestiaux du vert au se. 

Mais ces précautions ne sent pas les seules propres à 
prévenir ke développement des maladies que nous avons 
à craindre: les propriétaires «et cultivatesrs attentifs ne 
parviendront à se prémunir contre elles qu’en observant 
œwn outre fidètement ce qui suit : 

Se méfier des effets du son qui relâche Etant, 
qui nourrit peu, et même pas du tout, qumd, retiré 
u blntoir, il se trouve entièrement dépourvu de farine: 
dans cet état, il ne blanchit pas même J'ean où on Le 
mêle ; il ressemble à de la sciure de bois. 


MÉMOIRES. 5235 


Lorsqu'il fait bien chaud; commencer le travail des 
champs le matin de très-bonne heure, le terminer vexs 
les neuf heures, et ne. le reprendre és ie 
trois et quatre heures. 

Ne point assuiettir les animaux à on travail qui excède 
leurs forces; ne les y soumettre qu'un certain tems après 
qu'iis ont mangé, afin que les digestions s'effectuent 
mieux et plus librement, 

Malgré la mauvaise coutume contraire, pe point faire 
boire ai exposer les bestiaux dans les pâturages immt- 
_diatement après le travail, la course ou l'exercice, 
notamment aux approches de la nuit: ne point les 
entasser en trop grand nombre dans des espaces renfermés 
trop étroits; éviter pour leurs logemens une température 
trop élevée, une atmosphère d’une humidité froide et 
malsaine , comme celle des souterrains où l'air et la 
.Jumière pénètrent à peine; y procurer au contraire de 
‘bon air fréquemment renouvelé, une grande propreté, 
æt ne pas épargner la litière, même pendant le tems du 
vert, quoiqu'on en dise. 

Pratiquer avec beaucoup d'exactitude le D neeRt d& 
Ja main , pendant le vert comme pendant le sec, quoi- 
que ce ne soit pas selon le préjugé du vulgaire, bouchonner 
souvent, essuyer la sueur au retour du travail 

Ne pas oublier que la constitution atmosphérique de 
tout été chaud excite sans fortifier, sans augmenter l'é- 
.nergie vitale, qu’elle peut et doit au contraire :affaiblir ; 
et qu'ainsi quelque agent tanique sera toujours avanta- 
.geux dans la plupart des indications préservatives ou 
-curatives, sur-tout dans celles qui pourraient se Pr 
au commencement de l’autemne. 

Les ‘babitans des. campagnes ne sont Lu sans ayoir 


524 MÉMOIRES. 


toujours chez eux du sel (muriate de soude ) et quelques: 
vieux morceaux de fer: le sel plaît en général aux animaux; 
Pexcès seul en est à craindre. Ses bons effets ne sont 
plus un problème; il provoque l'appétit et la soif, aide 
la digestion, fait uriner, facilite la transpiration , soutient 
Ya santé et la vigueur , prévient et diminue l'intensité de 
bien des maladies, de celles sur-tout déterminées par une 
privation de forces. Si l’on s’abstient d’en donner au bétail, 
ce n’est pas qu’on néglige d'en recommander l’usage ; 
‘tous les hommes de l’art, toutes les instructions qu’its 
publient sur le régime ne cessent d’en signaler les avan- 
tages : il n’y a donc que le doute de son utilité, l'in- 
souciance , ou le prix de cette substance qui puisse 
arrêter. À l'égard du prix, il n’est pas excessif, il ne 
peut jamais s'élever bien haut, puisque le sel ne doit 
être donné qu’à petite dose : il est d’ailleurs reconnu et 
‘prouvé que six kilogrammes (12 livres ) de foin salé 
nourrissent autant que huit kilogrammes (16 livres) 
-non salé : il y a done économie sous le rapport de la 
quantité de fourrage. Trouve-t-on cette denrée encore 
‘trop chère? il n’est pas rigoureusement nécessaire d’em- 
ployer le sel de cuisine; le se/ marin à base terreuse des 
salpêtriers et le se/ de verre, peuvent le remplacer et 
produire le même effet. L’on peut en faire usage, soit 
dans l’avoine et les provendes, soit en fixant aux bar- 
reaux des râteliers des sachets -qui en contiendraient et 
que l’on aurait un peu mouillés pour que les animaux 
puissent les lécher, soit en le faisant fondre dans la 
boisson, ou dans l’eau destinée à en asperger les four- 
‘rages. Quelle que soit, au reste, la manière que l’on 
jugé À propos de choisir pour donner le sel, voici les 
‘doses de cette substance déterminées pour un jour: elles 


MÉMOIRES. 525 


sort pour le bœuf ou la vache de 36 grammes ( 1 once }; 
pour un cheval 20 grammes (5 gros); et pour chaque 
centaine de bêtes à laine un demi-kilogramme ( 1 livre.) 
. Quant au fer, il suffit d'en mettre quelques vieux 
morceaux dans les auges ou les baquets destinés à abreuver, 
Lorsque l'on changera cette eau, l’on devra laisser les 
morceaux de fer dans les auges ou les baquets. A défaut 
de fer, l’on peut employer le mâchefer de forge, ou le 
sulfate de fer (vitriol vert ): un ou deux hectogrammes 
( 3 à 6 onces) de ce sulfate par seau d’eau sont la 
dose convenable. Quoique cette boisson tonique et anti 
putride soit réellement indiquée, particulièrement au 
commencement de l'été et pendant l’automne, l'usage 
n'en doit pas être continuel, à cause de la constipation 
qu'elle pourrait occasionner ; d’ailleurs , elle est contraire 
dans Îles affections catarrbales, et, au moindre signe; 
à la moindre apparence d’augine ou d’étranguillon (ce 
que mal à propos l’on appelle souvent gourme), elle 
deit être abandonnée sur le champ. Hors ce cas, et pour 
n'en faire qu’un emploi raisonnable en rapport avec les 
besoins, il convient de donper cette eau ferrugineuse pour 
boisson seulement deux jours de suite par chaque semaine. 
Le reste du tems, la boisson la plus salutaire comme 
la plus convenable , est de l’eau blanchie , plutôt avec 
de la mouture qu'avec du son. Si l’on emploie la mou- 
ture, l’on en met peu; si l’on est obligé de se contenter 
du son, on ne le laisse pas dans l’eau qu’i doit D NCRE 
on le fait rester dans le fond du plat-seau qu’on vide 
dans un autre. 
. On rendra cette boisson ordinaire tempérante, rafra!- 
chissante , légèrement tonique et antiputride, en lui 
donnant une acidité agréable, au moyen de l'addition 


_ MÉMOIRES, 


un peu d'acide sulfurique : le vinaigre remplirait le 
sr objet ; mais le prix en est trop élevé. Je recommande 
de n'employer que de l'acide sulfurique préalablement 
effxibli avec deux parties d’eau sur une partie d'acide ; 
mais je préviens que ce mélange re peut et ne doit être 
fait que par un pharmacien, attendu le dégagement 
éonsidérable de calorique que cette nxtion détermine ; 
H est même récessaire d'interdire à tout autre d'en pré- 
parer ainsi soi-même. Admettons que l’on sæ soit procuré, 
dans chaque exploitation rurale, une file de cet acide 
arrangé comme il convient d’être dit, l’on peut en mettre 
dix-huit à vingt gouttes par chaque seau d’eau. Au 
surplus , le goût est le meilleur guide à l'égard de la dose ÿ 
cette eau né doit imprimer sur la langue qu’une acidité 
père e? agréable, et non une saveur piquante, 

. L'on ne sauraït trop recommander cetle boisson aci- 
dulée, qui devient de plus en plus en usage dans la 
médecine ét l'hygiène vétérinaire, et qui justifie tous 
Res jours la confiance qu'on ÿ place. Au mérite de pro- 
dire des effets constamment avantageux, elle réunit 
éelai d’ane grande économie pour les propriétaires des 
bestiaax, et sous ce rapport encore ” elle doit fixer 
Pattention, 

Il me reste À recommander aux cultivateurs les moyens 
simples que je viens de leur proposer dans la vue de 
kes éclairer sur la conservation de leurs bestiaux; je les 
invite à user de ces moyens, et sartout à persévérer 
dans eur emploi, sans perdre courage, sans se laisser 
arrêter par la considération de quelques faibles sacrifices, 
plutôt en soins qu'en dépense , et dont ils seront d'ailleurs 
amplement payés par la suite. 


CEE as CR 


MÉMOIRR=S. 927 


FRAGMENT 
D'UNE TRAGÉDIE INÉDITE, 
INTITULÉE PIZARRE; 
Par M AucusTre COT, 


MEMBRE RÉSIDENT. 


€ 


ACTE I'—ScÈiNE 2°" 
ÉRRRRAPRARRPSI RAS | 


PIZARRE, ATALIBA. 


ATALIB A. 


P IZARRE, dans ces lieux tu m'as dit de me rendre ; 
Pourquoi cet entretien ? parle, qu'en dois-je attendre ? 
Ce jour mettra-t-il fin à ma captivité ? 
Recevrai-je la mort , ou bien la liberté? { 
Quel est donc mon destin , 6 soleil ! à mon père. 
Ai-je assez enduré l’opprobre et la misère 
Sans pouvoir, sans secours, après de longs revers, 
Dans mon propre palais je me vois dans les fers. 
PIZARRE. 

Ces fers peuvent tomber; du destin qui t’opprime, 
Tu peux , Ataliba, cesser d’être victime, 
Ton bonheur désormais ne dépend que de toi; 
Ton sort est dans tes mains : écoute et réponds moi; 
Ton trône est renversé; ton superbe héritage , 
Conquis.par ma valeur, est enfin mon partage, , 
Rien n'a pu résister à l’effort de mon bras; 
Mon Dieu le soutenait au milieu des combats. 

Tome I. 12,% Liv, | 34 


528 MÉMOIRES. 


Je pourrais, abusant d’un si grand avantage, 
Laisser finir tes jours dans un triste esclavage, : 
Et vainqueur sans rival, profitant de mes droits, 
Me placer sur un trône acquis ‘par tant d’exploits. 
Mais l’abus du pouvoir n'est que le fait d’un lâche 
Et le Dieu que je sers m'impose une autre tâche; 
Inca, c’est dé toi-même , et par ta volonté, 
Que je veux en-ee jour tenir l'autorité; 
Abdique en ma faveur ta puissance suprême, 
Sur mon front glorieux place le diadème, 
Et que tous tes sujets daciles à ta voix, 
Imitent ton exemple et reçoivent mes lois. 
Mes desirs accomplis ) ta captivité cesse ; 
Fidèle à mes sermens, j'en croirai ta promesse ; 
Avec toi partageant le pouvoir souverain, . 
Le stèptre d'Huascar passera dans ta main, 
De ce fier ennemi la puissance est détruite; 
Témoin de mes succès, tu le fus de sa fuite; 
À mes vastes desseins rien ne peut s'opposer ; 
Son trône est ma conquête, ef j'en puis disposer. 
Alliés désormais, qu’une amitié durable, 
Nous assure une paix à tous deux desirable ; 
Et que ton peuple au sein de la tranquillité, 
Retrouve le bonheur et la prospérité. 
| ÂATALIBA. 

Grands Dieux, qu’ai-je entendu ! quel horrible langage! 
J'étais donc réservé pour ce dernier outrage ! 
Farouche Européen , ta folie ambition, 
A fasciné tes yeux et troublé ta raison, : 
Quoi, tu prétends régner et crois dans ton délire : 
_ Recevoir de ma main la couronne et l'empire? 
. Obscur aventurier, pour occuper mon rang, 


… 


MÉMOIRES, 529 


Fh! que n’as-tu d’abord fait couler tout mon sang! 
Crois-tu qu’Ataliba tienne encore à la vie | 
Quand tu l'as abreuvé£ d’opprobre et d'infamieP 
Si ma faiblesse ici pouvait te seconder, 

Aux enfans du soleil tu pourrais succéder ? 

Un soldat à Quito régnerait À ma place! 
Réunit-on jamais tant d’orgueil et d’audace? 
Au trône d'Huascar tu veux me faire asseoir: 
Cruel, d’en disposer tu n’as pas le pouvoir; 

Je n’entrevois que trop quelle est ton espérance ; 
Va, ce honteux traité me révolte et m’offense. 
Mais quand ma lächeté servant tes vains projets, 
Pourrait à t'obéir engager mes sujets, ; 
Crois-tu que, déliés de mon obéissance, 

Ils puissent sans horreur supporter ta puissance ? 
N’existerait-il plus du pur sang de leurs Rois ? 
Mes fils à leur amour n’auraient-ils plus de droits? 
Iraient-ils te choisir, toi, qui sur ce rivage, 
Leur apportas la mort, la honte et l'esclavage ; 
Qui semant en ces lieux l’épouvante et l'horreur 
T'es montré leur bourreau bien plus que leur vainqueur; 
Pourraient-ils oublier d'irréparables pertes ? 

Leurs temples abattus, leurs campagnes désertes ? 
Ton nom seul les remplit ct d’horreur et d’effroi, 
Et tu veux, vil tyran, qu’ils respectent ta loi? 

Va perds ce vain espoir, redoute la vengeance ; 
D'un peuple malheureux armé pour sa déiense. - 
Tu verras s'élever des milliers d’ennemis ; 

Le terrible Huascar n’est pas encore soumis ; 

Dans le fond des forêts sa vengeance s'apprête ; 
Frémis du coup affreûx qui menace ta tête! 

Instruit par ton exemple à ne rien ménager, : 


530 MÉMOIRES, 


De toutes tes fureurs il pourra se venger; 

Tremble enfin que du ciel, à mes vœux plus propice, 

En ce jour contre toi n'éclate la justice ! 
PIZARRE. | 

C’est à tai de trembler! Eh quoi! quand ma bonté , 

Monarque sans pouvoir, L'offre la liberté, 

Quand je parle de paix, tu m’annonces la guerre! 

D'an vainqueur irrité crains enfin la colère. 

Eh! quel périls encore aurais-je à redouter ? 

Quels sont ces ennemis qui restent à dompter ? 

Crois-tu que renonçant à lardeur qui m’enflamme, 

A de lâches terreurs j'abandonne mon ame, 

Æt lorëque d'un seul mot je pourrais t’accabler , 

Sera-ce devant toi que je viendrai trembler ? 

Mais puisque tes refus trompent mon espérance, 

Ce jour est le dernier qu’accorde ma clémence ! 

Eh! quel motif encor m'engage à t’épargner ? 

Seul ici je suis maître; et seul j’y veux régner ! 


ACTE V."°, — ScÈNE I". 


PIZARRE, ALCILOË  » 


ALCILOÉ. 
Je m'attache à tes pas, je ne te quitte plus; 
Grâce pour mon époux! 
| PIZARRE, : 
Vos pleurs sont "nperinse 
ALCILOË. 
Grâce pour mon époux! 
PIZARRE. | 
Je n’en suis plus le maitre, 
ALCILOÉ. | 
On a pu l’abuser; 
\ 


[. 


{ 


—- TU 
MÉMOIRES 53L 
PIZARRPF. Ce 
Je n’äi trouvé qu’ün traîfre. 
Qui contre son vainqueur avait armé son bras. 
ALCILOÉ. ou 
Oserais-tu, grands Dieux, ordonner-son trépas ? 
| PIZARRE. 
Mes guerriers ont appris sa lâche perfidie, 
Tous en sont indignés, tous demandent sa vie, 
En vain en sa faveur j'éleverais la voix, 
| ‘ALCILO-É. 
Des soldats peuvent-ils verser le sang des Roïs? 
Quelke funeste erreur tient leur ame égarée, 
Ea Majesté d'un Roi n'est-elle plus sacrée ? 
Le D'eu qui l'a placé dans cet auguste rang, 
Aurait seul le pouvoir de répandre son sang ; 
De ce Dieu bienfaiteur n’ést-il donc pas l’image ? 
En offensant le Roi, c’est le Dieu qu’on outrage, . 
De quel ‘droit des Soldats osent-ils aujourd'hui : L 
S'arroger un pouvoir qui n’appartient qu'à lui? 
Dieu les a-t-il choisis pour servir sa vengeance ? 
Leur a-t-il confié sa suprême Puissance ? 
Leur a-t-il en ce jour révélé ses. desseins , 
Et contre mon époux a-t-il armé leurs mains ? 
Non: cé Dieu que j'invoque Atatiba l'adore, 
Et sa voix chaque jour avec respect Pimplôre ; 
Il n’a point encouru le céleste courroux, 
Et ce n’est que sur toi que tomberont ses coups. 
Oui, redoute, cruel, les foudres vengeresses , 
Tu recevras le prix de tes scélératesses; 
Ce juste châtiment tu l'as bien mérité; 
Tes. crimes sont accrus par tant d’impunité. 
Mais si le Ciel, trompant ma plus chère espérance; 


532 . MÉMOIRES. 


Laissait encore ici nos malheurs sans vengeanee . 
Crains que ce faible bras, guidé par la fureur, 
Ne porte le poignard dans ton perfide cœur. 
Frémis du désespoir où tu livres mon âme; 
Le soin de te punir est le seul qui m'enfflamme, 
De ton sang répandu je voudrais me couvrir, 
Affranchir mon époux, le venger.et mourir. 
| PIZARRE. 
Vous m'’osez menacer ? 
ALCILOÉ. 

Ah! Pizarre, pardonne ; 
Dans le trouble où je suis la raisan m’abandoune, 
La doulenr à cassé ce criminel transport; 
Maitre d’Ataliba, tu peux fixer mon sort. 
Tu me vois à tes pieds; rxauce ma prière, 
Écoute mes accents; je suis épouse et mère. 
Si ces titres sacrés ont encor du pouvoir, 
Tu dois par ma douleur te laisser émouvoir; 
Dissipe de mon cœur les mortelles alarmes > 
Grâce pour mon époux! 

PIZABRE ( à part ). 
Ses prières, ses larmes, 
Portent encor le trouble en mon cœur agité; 
J'éprouve..…. Ah! rappellons toute ma fermeté. 
( aut ). 
Vainement je voudrais, sensible à votre peine, 
De votre époux encor faire tomber la chaîne ; 
Je vous lai dit, Madame ; et lui-même en ce jour; 
Par son lâche complot s’est perdu sans retour, 
Vous m'implorez en vain. | 
ALÇILOÉ. 

Adoucis ma misère , 

À mes tristes enfans n’arrache pas leur père! 


MÉMorrezs 533 
PIZAKAE. 
C’est la loi désormais qui fixera son sort: 
ALELLOÉ. 
Eb ! quelle loi pourrait légitimer sa mort ? 
Est-ce un crime, cruel, d’oser avec courage, 
Ehercher à s'affranchir d’un indigne esclavage ? 
Mais. ce dessein encor, l’a-t-il bien entrepris? … - - : 
Un indice trompeur ne t'a-t-il pas surpris ? 
Il me l’eut confié, maïs toujours son silence. :,.: 
| PIZARRH. 
Ja tout avoué, Madame, en ma présence, 
ABGILO É. 
Ainsi donc plus d'espoir! à Dieux! à Ciet vengeur ? 
PIZARRE. | 
Lui seul pourrait encor détourner son malheur; 
cc ALCILO É. D | 
Eui, Pizarre? ah! réponds, parle, que doit-il fire? 
PIZARRE. 
À mes desseins enfin cesser d'être contraire ;: 
Il faut le décider à combler mon ‘espoir , 
Madame ; ou vous attendre à ne plus le revoir. 
ALCILOÉ, 
Ne plus le voir, grands Dieux! jus ’as-tu dit ? ah barbare Là 
M'arracher mon époux ? 
PIZARRHEX. 
Qu'il accorde à Pizarre- 
Ee qu’en ce jour enfin il prétend obtenir; 
Qu'il cède ou qu’il périsse. 
ALCILOË. - 
O Ciel! 
TIZARRE. 
1] va venir, 


Gardes ! - 


534 MÉMOIRES. ; 


ALGILOÉ. 
O trouble affreux, je me soutiens à peine. 
PIZARRE ( aux Gardes ). 
‘Allez trouver l’Inca, qu’en ces lieux on l'amène; 
( à la Reine }). 
Vous pourrez seule ici déeider votre époux; 
Qu'il cède à mes. desirs, ou craignez mon courroux. 
ALCILOÉ. 
Je t’implore pour lui; sensible à mes alarmes... … 
PIZARRE. 
Pour vaincre ses refus il faut garder ces larmes. 
ALCILO É. 

Eb bien ! puisque mes pleurs ne peuvent t'attendrir4 
Puisqu’il te faut du sang , cruel, pour te fléchir, 
Frappe, voici mon sein; que ta main criminelle. 
Eteigne dans mon sang cette. rage cruelle, 

Mais jure d’épargner les jours de mon époux, 
A ce prix je pourrais bénir encor tes coups! 
Frappe , n”hésite pas. ….! Ciel, le voici lui-même! 
O Pizarre, adoucis cette rigueur extrême, 
Vois mes maux, sois touché de nos malheurs affreux. 
Epargne Ataliba. 
| . PIZARRE, | 
Qu'il souscrive à mes vœux 


MÉMOIRES. 533 


AAA ANR AAA AA AA AAA NAN AAA RAIN ARS AAA AAA 
| NOTICE 

SUR LES CLARTÉS ET LES SCINTILLATIONS 
| PRODUITES PAR LA CIRCULATION 


DU FLUIDE ÉLECTRIQUE, 


Par M. BUISSART, père, Membre honoraire. 


Ü: événement singulier, et du domaine de la physique; 
arrivé il ya quelques années à l’un des postillons de la 
poste aux chevaux d’un village près d'Arras, engagea 
quelques personnes à me faire interroger sur ce point: 

Ce postillon retournait d'Arras chez son maître ,. * 
il était nuit et des nuages épais couvraient le Ciel ; le 
cheval sur lequel äl était monté, laissait voir au bout de 
chaque oreille, un point lumineux, que le postillon 
prenait pour. deux chandelles allumées ; effrayé de cette. 
apparition. subite ‘et extraordinaire , il n’osait y porter 
la main dans la crainte de toùcher un feu qu’il regar- 
dait comme louvrage de quelque sorcier; sa crédulité 
s'affermit ‘par la durée de cette flimme; et elle venait 
de s’éteindre, lorsqu'il arriva dans le cabaret le moins 
éloigné , ayant sur la figure les marques les plus visibles 
de la terreur et de l’épouvante. . É 

Il cohta son histoire ; mais aucun des auditeurs ne 
voulut y ajouter foi. Son maître, à qui il en fit part 
à son retour, fut plus incrédule que tout autre; mais 


* M. Tirtaine A cutratète à Tivques, village sur Jar route 
d'Arras à St Pol. Fe 


536 . MÉMOIRES. 


celui-ci s’étant servi peu de tems après d’un autre cheval, 
eut l’occasion de. remarquer, now sans étonnement, le 
même phénomène, et cela pendant une nuit très-obseure : 
et au moment de. la chûte d’une. pluie mélée. de grêle. 
Un fermier * de son voisinage, qi te devançait d'environ 
un quart de lieue, et qui allait aussi vite que lui, observa 
auési deux’ points lumineux aux oreilles de son cheval. 
Alors on chercha à savoir. qu’elle pouvait en être la 
cause; on me fit faire plusieurs questions, et j’annonçai 
que cet évènement ne pouvait avoir d’autre cause que. 
l'électricité, dont les émanations. étaient devenues sen- 
sibles par quelques <cireonstances. dépendantes de Pétat 
momentané de l'atmosphère. Plusieurs exemples s’offrirent 
pour appuyer mon opinion; je vais en rappelker la liste ; 
cette série de faits curieux sera d’une instruction utile 
aux: personnes qui se trouveront dans le même cas. 
« Un voyageur: venant de Braskey:, le 18 ô.bre 2783. 
Lt-on-dans use lettre datée de Leeds | ** fut à sx heures. 
du soir, surpris tont-à-coup par.ume obseurité extrême. 
entre : Sandai et .FVake field ; il tomba peu à peu une 
très-grosse pluie , mêlée de gréle, au mikea de laquelle. 
# lui apparut, au nord-ouest , an météore éclatant , 
dont le diamètre était de la moitié de celar de la lune, 
et qui lui sembla tomber à environ un mille de distance; 
dans le même instant, la tête de son eheval s’illamina 
de jets de matière électrique, et ses proüpres cheveux épars 
sur ses épaules, devinrent si lumineux qu'ils l’eussent 
éclairé assez pour voir l'heure. à sa montre; il les toucka 


© #*M.de Noyelle , fs, cultivateur au village du Tirelait, L 
** Voyez lé merdure de France ( partie es da 27 x.bre 
1793, page 266. 


MÉMOIRES , 53% 
et de ses doigts sortit une étincelle électrique ; une canne 
qu'il tenait dans son bras gauche, en rendit de semblables 
à ses deux extrémités. Au bout de cinq minutes ce phé- 
nomène cessa. Il a été observé par plusieurs personnes 
de la ville de Leeds et des environs ; le tems était très- 
chaud et le baromètre à 29 pouces et demi. M. Zestu, 
dans son voyage aérostatique en 1786, s’est trouvé long 
tems *et pendant la nuit, dans des nuages orageux , où 
le tonnerre grondait avec force. « C’est donc dans un 
« mouvement continuel d’ascension et d’abaissement que 
« j'ai passé, nous dit-il, les trois heures qu’a duré l'orage. » 
j'ai attribué ce mouvement à une attraction et à une 
répulsion électrique provenant des divers états de deux 
espèces de nuages, l’un neigeux et l’autre pluvieux ; 
une pointe que j'avais placée sur les bords de ma gon- 
dolle me faisait voir una aigrette lumineuse, lorsque je 
descendais dans le nuage de pluie; je voyais au contraire 
un point Jamineux, lorsque j'étais enlevé dans le nuage . 
de neige ; l'extrémité de mes doigts me montrait en partie 
le même phénomène ,; mon drapeau qui portait les armes 
de France en or, était habituellement scintillant de lumière. 

M. De Ferris rapporte dans le journal de physique ** 
deux faits électriques non moins singuliers que les pré- 
cédens : le premier lui a été raconté par un témoin 
oculaire qui voyageait. Ce témoin. après ayoir dépassé 
un bois qu'il venait de cottoyer, s'arrêta pour. voir le 
ciel qui, serein partout ailleurs, commençait à se couvrir 
au-dessus de sa tête, et ayant regardé derrière lui, il 

* Voyez le journal d'histoire naturelle de 1787 , tome 3» 


page 351 et 405. 
** Voyez le journal de mars 1783, page 197. 


538 .. MÉMOIRES. 

vit le long du bois une bordure de fraisiers, chargés dé 
fruits murs, tels qu'on en voit dans les jardins autour 
des plates-bandes; ce qui l’étonna beaucoup, parce qu’it 
ne s’en était pas apperçu en passant par le même endroit... 
#% quelques pas plus loin il regarda encore derrière lui, 
pour considérer ces belles fraises qu’il se reprochait de 
m'avoir pas goûtées; mais au lieu de fraises il vit de 
petites flammes qui s’élevaient en pointes inégales, à læ 
hauteur commune d'environ un demi-pièd; cependant 
le tems se couvrait, surtout au-déssus du bois, et notre’ 
voyageur s’éloignait... A la: distance de plus d'un quart 
_ de lieue ; il se retourna. encore, découvrit une flamme 
quis'élevait à la moitié environ de la hauteur des arbres, 
et vit un nuage qui descendait fort près de leur sommet + 
à quelques pas: plus loin, il entendit derrière lni des 
coups multipliés de tonnerre, il redoubla sa marche et 
s’applaudit de ne s’ètre pas arrêté pour cueillir des fraises. 
: Je puis citer le second fait, ajoute. M. de Ferris, comme- 
en ayant été moi - même témoin... Je voyageais, le 
tonnerre grondait à mon côté, et un nuage. effrayant 
qui. suivait la direction du chemin que je prenais, s’éten— 
. dait insensiblement vers moi; j'allais à toute bride, afin 
d'arriver avant qu'il ne crevât; je retonrnais cependant 
souvent mes regards da côté. de l’orage, moins pour 
en considérer l'aspect frappant, que pour estimer ses 
progrès, lorsque la vue dune flamme qui s'élevait de 
la terre à la distance d’environm une lieue, fixa mon’ 
attention. Comme elle me paraissait occuper un espace 
en longueur d'environ cent cinquante toises, et. que je 
ne pouvais pas discerner sur quai la base portait, je 
crus d'abord que c'était un de ces incendies si fréquens 
en Picardie, et comme le fort de l'orage était immt- 


MÉMOIRES 653$: 
distement au-dessus , je pensais que ce pouvait être l’effet. 
d’un coup de tonnerre qui aurait embrâsé des maisons 
toutes couvertes de chaume; mais je fus détrompé en 
observant que le feu était bleuâtre et moins clair que 
celui d’un incendie, qu'il ne se pliait pas au vent,. 
‘ et surtout parce que je ne voyais pas de fumée; j'en 
conclus que ce ne pouvait être qu’une électricité terrestre, 
répandant la clarté d’une flamme par elle-même, ou 
allumant la vapeur qui s’élève des tas de fumier répan- 
dus sur un champ à labourer. 

Le treize du mois de mars 1785, * on observa le 
matin un phénomène très - singulier sur la rivière de. 
Majuri, dans la province de Salerne; on vit monter de 
la surface de cette rivière une colonne de feu‘environnée 
d’un brouillard épais , et on entendit un brait semblable 
à un coup de tonnerre : après quoi le phénomène dis- 
parut; alors les eaux de la rivière, au lieu de suivre 
Jeur ancien cours, se précipitèrent dans un gouffre profond. 
qui s'était ouvert tout-à-coup. 

_ Le village de Pommier, près du boue de Pas en 
Artois ; ## était, le 9 avril 1790, menacé d’an orage | 
très-violent ; le tonnerre grondait avec force et le ciel 
était couvert de gros nuages; au-dessous de ces nuages. 
très-épais, il s’en trouvait un autre tout. enflammé et 
qui rayonnait de toute part; la clarté lumineuse qu'il 
répandait se communiqua vivement à toutes les maisons 
et aux arbres du village de Pommier, au point qu'il 
paraissait entièrement électrisé ; les habitans épouvantés 
imaginérent que tout allait devenir la proie des flammes; 


; Voyez 1 cérene de France du 29 avril 1783, art, de 
Naples. al Voyez’ le Jourual physique d’avril 1782. > Pag: 299. 


54o MÉMOTRES. 
mais ce spectacle diminua avec forages | et on en fut 
quitte pour la feur. e 

Le 22 février 1762, vers les sept ‘heures da soir, à 
la suite d’un coup de tonnerre, accompagthié d’un éclair 
considérable , la flêche du clocher de l'abbaye de Cy- 
Joing , près de Lille, * fut enveloppée d'une atmosphère 
Jumineuse ; cette lumière, semblable à celle de l’aarore 
boréale , disparut peu à peu; mais elle se soutint plus 
longtems vers l'extrémité de la flèche , surmontée d’ane 
boule de cuivre, d’une croix de fer, et d’un coq du 
même métal que la boule ; on vit successivement autour 
de cette boule , des couronnes rayonnantes , des aigrettes 
Jumineuses et des étincelles; le coq parut chargé de 
plusieurs étoiles, quoique le ciel fut très- convert et 
très-obscur. Ces phénomènes jettèrent l'alarme chez les 
voisins , qui s’empressèrent. de frapper à la porte de 
l'abbaye, dans la persuasion où ils étaient que le ton- 
nerre avait mis le feu au clocher; on ne tarda pas à 
sonner le tocsin, et à visiter la fléche:; mais on fat 
agréablement surpris de ne la trouver endommagée en 
aucune façon. 
- Un des ouvriers, qui veilla pendant la nuit, assura 
qu'il apperçut encore, autour du globe de cuivre , plus 
de cinq heures après le coup de tonnerre, des aïgrettes 
Jumineuses, quoique très- faibles et très-pâles ; cette 
longue illumination est une preuve que la tour et k 
flèche avaient été vivement: électrisées par la foudre, 

M. Battelier, dans une lettre datée de Paris le 8 juin 
1786, s'exprime ainsi: (voyez le journal de Paris, du ri 


“* Voyez Jes afiches et annonces des Pays-bas Français de 
1762, pag. 66e 


Mé£éMorREs. DA 
juin de la' mêraë année}. La nuit dernière, entre minuit 
+t uue heure, je crus appercevoir de mon lit cette sorte 
de scintillation électrique ; qu’on appelle assez impro- 
prement éfoile tombante. Je courus à la fenêtre avec 
d'autant plus d'empressement que je savais que le ciel 
était nébuleux, et que je ne pensais pas que ce phé- 

| nomène dut avoir lieu au-dessous de la région des nuagess 
mon étonnement fut d'une autre nature, en reconnais- 
sant que c'était un jet électrique très-délié, partant :de 
la boule qui soutient la croix du clocher des Cordéliers. 
Cette. scintillation vraiment isochrone, paraissant et 
disparaissant à chaque seconde, traçait une courbe bori- 
sontale, et venait s’épuiser sur une fleur de lys en 
plomb qui surmonte la couronne du donjon ou pelit 
dôme de l’école royale de dessin; ces éclairs alternatifs 
durèrent environ deux minutes, au bout desquelles il 
se manifesta sur le couronnement du donjon une houpe 
Jumineuse qui disparut précipitamment, en faisant un 
bruit semblable à celui que ferait un morceau de taffetas 
que l’on déployerait subitement. 
Au même inslant, je sentis une pression vers le 
creux de l'estomac, un gonflement de poitrine et ‘un 
battement tumultueux et précipilé des carotides qui me 


firent juger que j'avais été touché par la colonne élec- 


trique, et je n’en doutais plus quand, en venant à 
traverser ma chambre dans l'obscurité, je distinguai 
daus une glace deux points étincelans qui jaïllissaient 
de mes yeux devenus phosphoriques ; j'avais belle matière 
et bonne intention de réfléchir sur ces phénomènes de 
plus en plus étonnans ; mais il fallut que l'esprit d'ob- 
servation fit place à des idées opposées : l’état violent 
de trouble et d'incertitude où je me trouvais dans un” 


\ 


545 MÉMOIRES 

appartément que j'occupe seal}; -Îe silenéé de: la nuit et 
Péloignement des secours dont je pouvais avoir besoin, 
commencèrent à se faire sentir vivement, quand un 
saignement de nez vint heuïeusement calmer et Sid 
tous ces symptômes orageux. 

Lés chats, dont les yeux offrent souvent pérdait la 
huit deux points lumineux, le ver luisant, le porte 
Hanterne et les autres animaux noctiluques, ne doivent 
eur merveilleuse propriété qu’au fluide électrique ; il. 
en est de même des ondes étincelantes de la mer. 

Le 30 août 1781, dit un navigateur; * étant à l'ancre 
devant Copenhague, à cause des vents contraires qui 
_agitaient violemment la mer depuis deux jours, j’observai 
de tems en tems, la nuit étant assez claire, surtout 
forsque les lames, formées par le sillage du vaisseau, 
venaient se briser l’une contre l’autre, un éclat phos- 
phorique superbe et partant pour la plus grande partie 
de toute leur longueur, comme des ruisseaux de feu, 
et je crus même plus d’une fois l'avoir vu produit par 
Vécume de la mer qui se formait en abondance dans 
cette occasion. ... Ce spectacle m’enchanta, et cette 
continuité de matière lumineuse me fit réfléchir sur 
là variété des phénomènes électriques. 

Ces clartés lumineuses et rayonnantes ornent quel- 
quefois, pendant l'orage, la pointe des mâts, et les 
marins les voyent souvent voltiger d’un mât à l’autre. 
Les pointes qui terminent les clochers de Chartres, 
d'Aix et de Marseille, présentent aussi ce phénomène ; 
il a été observé depuis longtems par les Légions romaines 
qui l'ont apperçu au bout de leurs piques , sans en 


connaître la cause. 
nine st man annt sure enr dn ee ce pee ere : 
* Voyez le journal de physique, janvier 1784, page 57. 
Le 


EE 


MÉMOIRES. 543 


Le 21 juin 1793, vers dix heures du soir, M. Sauvan . 
vit autour de la boule des Grands-Augustins d'Avignon, 
une couronne de lumière qui dura trois quarts d'heure, 
‘Ce fait, rapporté dans le journal de physique , eut aussi 
lieu pendant un tems orageux. * 

La superbe tour de la Cathédrale de Srsboures qui 
a été si souvent visitée par le tonnerre, à cause de sa 
structure et de sa grande élévation , parut en 1624 et 
et en 1654, enveloppée d’une colonne de feu; les sen- 
tinelles sur les remparts, et Îles pêcheurs sur les eaut 
qui s’apperçurent du coup de foudre, ( nous dit l’historien 
de cette église, M. De Grandidier), crurent voir une 
grande botte de paille brüler le long de la tour; mais 
cette inflammation électrique ne causa aucun dommage, 

Un orage venant au couchant de Glogau dans la 
Silésie , ** s’approcha le 8 mai 1782, du magasin à 
poudre n° 5, armé d’un paratonnerre ; il parut ensuite 
un grand éclair, suivi d’un coup de tonnerre si violent, 
que la sentinelle de ce magasin en fut étourdie ; le fac- 
tionnaire du magasin n.” 4, courut à son camarade, 
pour l’exhorter à se retirer au plus vite, parce que tout 
V'échafaudage paraissait être en feu; mais lorsqu'il fut 
près du magasin il vit qu’à s'était trompé, et que l’é- 
chafaudage était intact ; ce qui fait présumer que la foudre 
est descendue le long de la barre du conducteur élec- 
trique , et s’est ensuite plongée dans le puits qui est 
au-dessous. D’exactes recherches , que des officiers d’artil- 
Jerie ont été chargés de faire, ont appris que ni la barre 
ni l’échafaudage n’ont effectivement rien souffert. 


pr 2 


# Vogez le journal de physique de janvier 1784. 
## Voyez le journal de physique de juin 1753, pag. 477. 
Tome Ï. 12.°*° Liy. 36 


944 _ MÉMOIRES. 

Ces lweurs physiques ne se montrent le plus souvent 
qu’à la pointe seule des paratonnerres, et l’on y est 
familiarisé dans les pays :où ces machines sont communes. 

Tous ces faits réunis malgré leur diversité apparente, 
sont néanmoins parfaitement analogues à celui qui à 
tant épouvanté le postillon dont j'ai parlé; ils tiennent 
tous à une cause naturelle que les phyäiciens savent, à 
l'aide de leurs expériences, reproduire dans le fond de 
leurs cabinets... .. Une très-grande machine électrique 
imaginée par M. Van-Marum, et placée dans le muséum 
de Teyler à Harlem, * donne la facilité d'imiter ces 
différens phénomènes. Une pointe présentée au conduc- 
teur de cette machine paraît très - lumineuse, et l’est 
encore très-sensiblement à 28 pieds de distance.... La 
décharge d’une bouteille de Leyde, en passant sur de 
la craie, laïsse sur la surface de cette pierre, une trace 
posphorique , dont la lumière, qui est un peu rougeâtre, 
s’appercoit souvent pendant plus d’une minute. 

Ces expériences et une infinité d’autres que l’on répète 
avec cette nouvelle machine , démontrent sans réplique, 
que les couronnes rayonnantes, les aïgrettes et les in- 
flammations phosphoriques dépendent de Pélectricité ; 
que ce fluide différemment modifié, est l’auteur de ces 
phénomènes, et que les points lumineux qui ont été 
remarqués au bout des oreilles des chevaux de poste 
précités, sont l'effet de l'électricité ; mise dans un état 
de condensation , par un refroidissement subit, ou par 
quelque nuage ou couche d'air, électrisés négativement. 

Telle est du moins l'opinion de la plûpart des phy- 
siciens sur celte lumière accidentelle et momentanée ; 


Nm PP Po Em) 


- 


# Voyez le journal de physique d’août 1782, 


4 


MÉMOIRES. 543 
j'aurais rendu ma compilation plus courte, et moins 
accumulé les faits, si la cause qui doune lieu à de 
pareils événemens, n’était pas pour bien des personnes 
“un objet de craintes et de frayeurs, souvent aussi dan- 
gereuses qu'inutiles. 

Le remède à la durée de cette apparition lumineuse * 
est quelquefois bien simple ; il sufñt de rallentir la 
marche de son cheval; des gens obligés de s’en servir 
tous les jours, m'ont remercié de cette indication. Mais 
curieux de savoir pourquoi ce phénomène se montrait 
de préférence aux oreilles du cheval, il m'a fallu les 
contenter sur cet article, et leur apprendre qu'il y à 
dans la nature une prérogative attachée aux corps ter- 
minés en pointes. Celle d'offrir à l'électricité un accès et 
une issue plus libre que tous les autres corps terminés 
d’ane manière différente. É 

En effet, c'est d’après cette remarque constamment 
faite par les physiciens , qu’on a réglé la forme des para- 
tonnerres ; et l’âne, cette douce monture que les dames 
ont adoptée, étant distingué des autres animaux par la 
structure de ses oreilles, les aurait souvent lumineuses 
en tems d'orage, si sa marche était active et propor- 
tionnée à la longueur de cette partie de sa tête, d’ailleurs 
il sert rarement pendant la nuit. 

Cependant le phénomène qui nous occupe a été observé 
aux oreilles d'un animal de cette espèce, appartenant 
à M. Muchembled, avocat à St. Omer, dont le nom 
ne se peut prononcer sans rappeller un doux souveuir 
| 

# Voyez la graude notice de l’almanach sous verre année 1778. 

Le C.en Fraoçais de l'an 10, n.° 767, 762, ‘7702 aälle 
d'Angleterre. | 


546 MÉMOIRES. 


par l'intérêt particulier que son savoir et ses talens ont 
attaché à la cause célèbre du malheureux Montbailly. 
Cet âne, que son maître appellait le docteur, ( parce 
du'il avait été mis accidentellement en lumière ) , retour- 
nait de St. Omer dans un village où M. Muchembled a 
une maison de campagne, lorsqu'on a apperçu au bout 
de ses oreilles cette clarté lumineuse qui fait le sujet 
de cet écrit On remarque sans peine, je le répète, 
‘ que tous les phénomènes qui sont rassemblés, présen- 
tent la même physionomie, ou à peu près, et qu'ils ont 
pour cause le mouvement du fluide électrique dont 
l'existence n’est apparente que momentanément, 


MÉMoIRzs. 547 


POMPE A DOUBLE EFFET, 


DE L’INVENTION 


vw 


Dx M, ARNOLLET , INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES. 


DANS LE DÉPARTEMENT DE LA CÔTE D’On. 
Ce 7 
ÆExrTrair d'un Rapport fait à la Société Royale 
d'Agriculture à Paris. 


ARAAAAAAAR NY 


AS d'entrer dans le détail de la construction: 

et du produit de cette machine, nous devons rappeller : 
ici les avahtages et les inconvéniens reconnus des ponpes , 

telles qu'on les construit jusqu’à présent, 
__ Leurs avantages se réduisent à élever les eaux. À de 
grandes hauteurs, et à pouvoir les transmettre à de 
grandes distances, sans occuper, dans le trajet, un 
grand emplacement, 

Leurs inconvéniens consistent 1° dans le haut prix 
de leur construction ; 

2.° Dans les frais souvent considérables de leur entre- 
tien annuel, qui exige présque toujours la main d’un: 
fontainier, que l’on trouve rarement à sa proximité 
dans les campagnes;. 

3° Dans le peu d'effet qu’elles produisent relative- 
ment à la force qu'il faut leur appliquer. On sait que- 
la meilleure pompe utilise à peine le dixième de cette- 
force, et que la machine de Marly ne donnait pas le 
quarantième du produit résultant de son calcul théorique. 


Une perte de force aussi considérable est due 1.” à 
l'interruption qu'éprouve le mouvement de la colonne 


548 MÉMOIRES. 

d’eau à chaque oscillation du piston, soit dans la pompe 
simplement aspirante ou foulante, soit qu'elle réunisse 
les deux effets. Cette interruption oblige à rendre, à 
chaque coup de piston , à la colonne d’eau , une nouvelle 
force vive, et conséquemment à vaincre un nouveat 
. frottement ; d'où il résulte une résistance qui est peut- 
être vingt fois plus grande dans les momens de repos 
que dans le mouvement continu; 2.°, au volume d'air 
qui s’introduit ordinairement sous le piston, de manière 
_ qu’une très-grande partie de sa course est alors employée 
à comprimer cette portion d'air avant d'exercer son 
action sur l’eau; 3.° à la contraction de l'eau dans le 
passage des soupapes et à la décomposition de force 
résultant de la disposition des moteurs. 

M. Arnollet, dans un Mémoire très-clair et très-concis, 
prouve qu'il connaît très-bien tous les défauts des pompes 
ordinaires, et s’il n’a pu parvenir à les surmonter tous 
dans Îa pompe qu'il présente au concours, nous aimons 
à convenir qu’il a eu le talent d'en faire disparaître 
un, très-grand nombre, autant que les ressources de 
J'art et celles de son imagination ont pu le lui permettre. 
= Nous allons essayer de justifier cette opinion. 

Le corps de cette pompe se compose 1.° d’une piece 
inférieure , ou réservoir de fond divisée en deux parties 
par une cloison pleine, qui empêche ces deux parties 
d’avoir entr'elles aucune communication directe. 

2° D'un diaphragme inférieur qui recouvre la pièce 
de fond et qui est garni de quatre soupapes, dont deux, 
renversées du côté de la case droite de ce fond , la font 
‘communiquer avec le cylindre dans lequel joue le piston, 
et les deux placées en dedans de ce cylindre établissent 
sa communication avec la ease gauche, : 


“MÉMOIRES. 540 

Ce diaphragme inférieur contient aussi dans le pour- 
tour intérieur du cylindre extérieur dont il sera question 
ci-après, des ouvertures par lesquelles les deux eases- 
du fond communiquent avec les espaces vides de ce. 
dernier cylindre ; 

3° De deux cylindres coneentiquess dont celui du 
centre contient le piston, et dont la zône cylindrique: 
de. l'extérieur, doit avoir pour largeur le diamètre du 
piston. 

Cette zone est divisée en deux parties PES dont 
chacune correspond à l’une des cases de la pièce de 
fond ; | 

4. D'un diaphragme iéin He lement pareil au. 
‘premier et garni d’un même nombre de soupapes, avec 
cette différence que. les deux soupapes renversées se: 
trouvent sur la gauche du piston; 

5° D’un chapeau établi sur le diaphragme supérieur ; 
_ auquel est adapté. d’un côté le tuyau d’aspiration et de 
V'autre le tuyau de chasse où d’ascension., 

Ce chapeau est divisé comme la pièce de-fond, em 
deux cases, par une cloison qui a dans le milieu une 
sur-épaisseur percée pour laisser passer la tige du piston. 
Dans. le même chapeau et dans la partie supérieure de 
sa cloison est une petite boëte de cuivre, surmontée 
d’un petit bassin qui reste plein d'eau pour empêcher Pair 
de s'introduire le long du piston, lors même que cette 
tige ne serait pas serrée par les cuirs. | 

Enfin les cases de ce chapeau sont plus. élevées que 
les ouvertures des tuyaux d'aspiration et d’ascension ; 
pour former dans cette partie supérieure deux réservoirs: 
d'air; l’un d'air dilaté pour l'aspiration, et l’autre d’aic 
comprimé pour le refoulement, 


554 MÉMOIRES. 


Dans cette’ disposition des pièces qui composent ja 
pompe de M. Arnollet, on voit que son intérieur est 
divisé en deux parties continues, qui , sans avoir entr'elles: 
aucune communication, communiquent cependant avec: 
le cylindre du piston par leurs soupapes respectives , 
et forment autour de lui deux chambres ; l'une d'aspiration 
et l’autre de refoulement. 

. Le jeu de cette pompe est facile à concevoir. Lorsque 
Je piston descend , les soupapes renversées du diaphragme 
supérieur s'ouvrent et laissent tomber sur le piston l'eau 
du tuyau d'aspiration. 

Pendant ce mouvement, les soupapes renversées du. 
diaphragme inférieur s'ouvrent également pour laisser 
passer l’eau qui était sous le piston et qui est alors forcée 
de remonter par. la chambre de refoulement dans la case 
correspondante du chapeau, et de s’élever dans le tuyau 
d’ascension. | | 

Le piston venant ensuite à remonter, les quatre sou- 
papes renversées se ferment, les soupapes simples du 
diaphragme supérieur s’ouvrent pour laisser sortir l’eau 
qui était sur le piston et qui entre aussitôt dans le os 
d’ascension. 

* Pendant ce tems, les soupapes simples du dachiseus 
inférieur s'ouvrent également, et l’eau contenue dans la 
chambre d'aspiration est forcée de suivre le piston sous 
lequel le vide est parfait, ce qui maintient le mouvement 
dans le tuvau d'aspiration. L 
Enfin, les deux réservoirs. d'air, ménagé dans les 
parties supérieures du chapean et qui correspondent au 
tuvau d'aspiration et d'ascension, paraissent devoir y 
assurer la continuité du movement, °° 

Celui du piston lui est imprimé par ut falancier de 


. : 


MÉMOIRES, PL 


forme plus ou moins compliquée , suivant le diamètre 
du piston , ou plutôt suivant leffet plup ou moins grand 
qu'il doit produire et le nombre d'hommes qu’on est 
obligé d'y employer , dans tous les cas, pour procures 
au piston une vitesse de 5o à 6o centimètres par seconde 
qui parait être ici la plus favorable. 

Dans fes pompes de petite dimension , l’auteur emploie 
des balanciers à levier courbe , ou des manivelles à cœur, 
qu’il a su disposer de manière à ce qu’il n’y ait aucune 
décomposition de force. : , 

Si nous avons réussi à bien expliquer la éspogtion 
des différentes pièces qni constituent cette ingénieuse 
machine, on pensera avec nous que son auteur a ef- 
fectivement réussi à éviter les pertes de force résultant 
de l’interruption du mouvement de la colonne d’eau à 
chaque oscillation du piston , et de la décomposition 
occasionnée par Ja mauvaise disposition des moteurs; qu'il 
est également parvenu à diminuer, autant que possible, 
lle due au volume d’air qui s’introduit ordinairemené 
sous le piston; car, lorsque l'eau est arrivée dans le 
chapeau, la plus grande portion de l’air qu’elle a amené 
dans ce mouvement ascensionnel se dégage bientôt et va 
remplir le réservoir d'air de cette case; la plus petite, 
seule, peut arriver jusqnes sous le piston, et le peu de 
vitesse qu’on lui donne ici en attenue le dégagement. 
On jugera enfin, qu’il ne lui resterait plus, pour faire 
de sa pompe une machine parfaite, sous ce rapport, 
qu’à prévenit Îles pertes de force que l'on est encore 
eblisgé d’éprouver à cause de la contraction inévitable de 
J'eau à son passage dans Îles soupapes. 

Il paraît encore que M. Arnollet n’a point négligé 
des perfectionnemens dont les tuyaux de conduite peuvent 


552 : MÉMOIRES. 


être susceptibles. On sait que, lorsque l’on est obligé 
de leur faire faire des coudes, il faut les fondre avec 
les angles qu'ils doivent avoir, et que la réunion de ces 
coudes avec les tuyaux droits joint toujours assez mal 
pour y occasionner des pertes d’eau. Notre auteur pro- 
pose de rémédier à cet inconvénient en terminant les 
tuyaux de conduite en forme de cuiKer à pot qui se prête 
Beaucoup mieux à tous les angles et à toutes Îles in- 
flexions du terrein. Cette terminaison doit avoir un 
diamètre double de celui de la section ordinaire du tuyau, 
afin d’y éviter la contraction de l’eau. 

Le diamètre du piston de. la pompe de M. Arnollet 
présentée à la Société royale et centrale d'agriculture, 
est de 9 pouces : , et la longueur de sa course dans son 
cylindre, est de 6 pouces. 

La largeur de la zone cylindrique extérieure n'avait 
que 14 pouces au lieu de 19 qu’elle eut dû avoir. 

- Elle a été expérimentée deux fois devant les Commis- 
saires de la Société, sur les réservoirs supérieurs de la 
pompe à feu de Chaillot. 

. Dans la premiére expérience, Îe mouvement de va et 
vient a été imprimé au piston par un balancier à deux 
leviers droits, apposés et attachés à la tige du piston 
par leur petit bout ; balancier disposé de manière à 
éviter toute décomposition de foree des moteurs, et que 
son autenr emploie pour produire les grands effets. 

. Le bassin à remplir contenait 222 pieds 9 pouces cubes, 
et le dégorgeoir du tuyau d’ascension était élevé à ro 
pieds au-dessus du niveau de l’eau du réservoir dans 
lequel le tuyau d'aspiration était plongé. 

En ayant égard à quelques dérangemens dans la 
pompe, et particulièrement à la rupture de la charnière 


MÉMOIRES. 553 


de l’une des soupapes, nous avons jugé que quatre 
hommes appliqués aux leviers du balancier avaient pu 
remplir le bassin en quinze minutes, ou élever à cette 
hauteur de 10 pieds, 222 pieds 9 pouces cubes d’eau 
pendant le même tems; en une minute, ils en ont 
donc élevé 14 pieds 10 pouces cubes ou 519 kilog., ïg 
décag."”** pesant , à la même hauteur, et par conséquent 
1730 kil. 56 décag. en une minute à la hauteur d’un 
mètre ; quantité dans laquelle chaque homme ne figure 
que pour 432 kilog. 64 déc. | 

Dans la deuxième expérience, le mouvement du piston 
lui a été imprimé au moyen d'une manivelle à cœur 
aidée d’un volant, 

Le dégorgeoir du tuyau d’ascension était élevé à 10 
pieds 11 pouces au-dessus du niveau de l’eau du réservoir 
où était plongé le tuyau d'aspiration. 

Quatre hommes appliqués à la manivelle ont mis 18 
minutes à remplir le bassin, ou à élever à cette hau- 
teur, 222 pieds a pouces .cubes d’eau ; d’où il résulte 
définitivement que les quatre hommes auraient élevé en 
une minute 1575 kil. d’eau à la hauteur d’un mètre et 
que chacun d'eux y aurait contribué pour 393 Xilog- 
79 déc. d’eau. 

Ce produit est plus faible que dans la première expé- 
rience, el cette différence paraît devoir être attribuée 
à celle du moteur et à une vitesse moindre imprimée 
au piston. 

En admettant donc pour l'expression du produit ef- 
fectif de cette pompe, 432 kil, 64 déc.; on voit qu'il 
est inférieur à celui-de la Noria de Vitry qui est de 
725 kilogram., mais aussi le produit de la pompe de 
4. Arnollet est encore plus de quatre fois plus grand 


554 M£Moires. 


que le produit effectif ce la force d’un homme dans le 
mouvement des machines ordinaires, et que nous avons 
déjà dit être de 111 kilogrammes. 

La dépense de sa construction est fixée par son auteur 
aux prix ci-après. 

Prix des machines à double effet, y compris le mou- 
vement soit de rotation, soit de balancier courbé, en 
raison de leur produit et en supposant la vitesse du 
Piston de 20 centimètres par seconde. 

Pour un hectolitre par minute et au-dessus. 300 ‘+ 


Pour deux, Boo 
Pour trois, 650 
Pour cinq, 850 
Pour sept, : 7000 
Pour dix, où un mètre cube} 1200 


La dépense des tuyaux d’aspiration et d’ascension n'est 
point comprise dans ees prix. 
: Quant aux frais de l'entretien annuel de cette pompe; 
3} paraît, d’après le certificat qui en a été donné par 
MM. les admiuistrateurs de l'hôpital d’Auxonne, que 
depuis deux ans que la pompe de M. Arnollet y est en 
activité, elle n'a éprouvé aucuns dérangemens et même 
qu’on n’a pas été obligé d’y toucher du tout, 
Ces frais seraient donc infiniment moindres que pour 
les pompes ordinaires, mais l'entretien des soupapes et 
celui des joints des tuyaux en exigerant nécessairement 
par la suite, et alors on éprouverait encore dans ls 
campagne l'inconvénient d'y être éloigné d’un fontainier 
pour les réparations. 

Nous avons donc conclu de ees. rapprochemens: 2° 
que la pompe de M. Arnollet, sous Les rapports réunis 
de la dépense d'établissement, de frais d'entretien et du 


MÉMOIRES 555 


produit effectif, est incontestablement à préférer à teutes 
les pompes connues jusqu’à présent; 2.° que sous celui 
du produit elle est inférieure à la Noria de Vitry; 3.° 
qu’elle est , ilest vrai, d’une construction un peu moins 
dispendieuse , mais que cet avantage qui n'est que pour 
le premier établissement, paraît plus que compensé par 
obligation d'employer plusieurs hommes à sa manœuvre 
dans les pompes d’un grand diamètre , tandis que la Noria 
n’exige jamais que la force ordinaire d’un homme. 

Nous avons d’ailleurs, été d'avis, que dans son état 
actuel, la pompe de M. Arnollet ne pouvait pas être 
employée avec autant d'avantage que la Noria de M, 
Milon, pour l'élévation des puits d’une grande profon- 
deur, tant à cause de la différence de leurs produits 
effectifs, que par la nécessité de placer cette pompe au 
fond du puits, tandis que sa manœuvre serait établie 
au-dessus; cé qui peut avoir de grands inconvéniens 
auxquels M. Arnollet parviendra sans doute à rémédier. 

Mais si, dans ce cas, sa pompe ne peut entrer en . 
concurrence avec la Noria de Vitry, elle nous a paru 
mériter jasqu’à présent la préférence sur elle et sur toutes 
les autres machines connues pour élever l’eau des puits 
de peu de profondeur, pour les irrigations temporaires 
et dans les dessèchemens, et devoir remplacer avec de 
grands avantages le système actuel des pompes à incendie: 

En eflet , le produit de cette machine , dans 6es petites 
dimensions, est plus que suffisant pour satisfaire à tous 
les besoins d’un grand établissement, 

- Le certificat déjà cité de MM. les administrateurs de 
Yhôpital d’Auxonne porte: qu'avec cette pompe un hom- 
me fait en un quart d'heure le même travail que l’on 
n'obtenait avant qu'avec cinq hommes. 


556 MÉMOIRES. 


Le prix de son établissement ne dépasse pas les 
facultés d’un ménage un peu aisé, 

Un autre avantage qui lui est particulier et qui sera 
apprécié par tous les chefs de maison, est celui de 
pouvoir placer cette pompe à une certaine distance du 
puits dont elle doit élever l’eau, et même, avec un peu 
de dépense, de pouvoir en procurer à tous les étages 
d’une maison sans avoir besoin de fes réservoirs supérieurs, 
dont la construction et l'entretien sont si dispendieux. 

A l'hôpital d'Auxonne , le puits est dans une cour 
isolé et éloigné de 20 mètres du bâtiment dans lequel 
on a placé la pompe ; le tuyau d'aspiration sort de celle-ci 
à travers le mur et se prolonge par la cour jusques dans 
le puits où il est plongé. 

D'un autre côté, elle peut être aisément transportée 
. partout où son usage serait utile sans exiger autre chose 
pour sa manœuvre que l'établissement d’un plancher 
volant ; ce qui la rend très-propre aux irrigations tem- 
poraires et aux épuisemens dans les dessèchemens. 

Déjà employée à cette dernière destination, elle a 
complètement rempli son but, ainsi qu'il résulte des 
certificats qui en ont été délivrés à son auteur par 
M. Didier, ingénieur en chef des ponts et chaussées 
du département de la Côte-d'Or, et par M. Ch. Forey, 
ingénieur en chef du canal de Bourgogne, dans le même 
département. 

Enfin, avec un seul corps de pompe, cette machine 
a un jet continu comme les pompes à incendie actuelles ; 
elle peut donc les remplacer avec d'autant plus d’avan- 
tages que la modicité de son prix en mettrait l’acqui- 
sition à la portée des facultés des communes les plus 
pauvres, où elle pourrait rémédier au fléau si désastreux 
des incendies. Puisse ce vœu être promptement rempli! 


MÉMOIRES 55? 


VICISSITUDES DES EMPIRES. 


ODE.. 


Our foudre a renversé ce colosse de gloire ? 
Que sont-ils devenus ces enfans de l’orgueil ? 
_ Regarde, ils ne sont plus..., du fils de la victoire 
L'étendard a flotté sur leur vaste cercueil. 
De cris de mort retentissait leur route. 
Comme un torrent fougueux ils marchaïent à grand bruit. 
L'heure a sonné , le colosse est détruit. 
Ils vont conter leur sanglante déroute 
. Aux pâles habitans de l'infernale nuit. 


AAAARMANIAANINVS 


O des grandeurs du monde’, inconstance éternelle! 
Les voilà donc tombés ces Germains si fameux ! 
Combien, leur fin terrible, et prompte et solennelle * 
À dù frapper les Rois.... Jouets du sort comme eux! 

Ils égalaient les flots de la Baltique. 
Leur nom portait l’effroi de l'Atlas au Couban. 
Chéris de Mars, et vainqueurs du Turban, 
Ils s’élevaient, pareils au Cèdre antique, 
Que l'œil mesure à peine, au sommet du Liban. 
CARARARRARRANNANS 

Le Soleil qui, du haut de sa marche éthérée, 
Contemplait leur Empire incessamment accru; 

De mon cours, disait-il, il aura la durée: 
Mais un jour qu'il revint, ils avaient disparu. 


Ainsi, veillant, du séjour de la foudre, 


558 MÉMorREst. 


Sur ce vaste Univers que son souffle acheva, 

Le Dieu des Dieux, l'éternel Jéhova 

Brise à son gré, fait rentrer dans la poudre 
Les Peuples passagers que lui même éleva, 


ARAARAAAAARARS 


Vers l’un d'eux, quelquefois, inclinant sa balance, 
Il dit, et tout-à-coup, sort un peuple géant ; 
Et tantôt, sa colère allumée en silence, 
Vient le précipiter de la gloire au néant. 
» Venez me voir, accourez à mes fêtes, 
» S'écriait Babylone aux ‘jours de sa splendeur. 
=» Foulons aux pieds les lois de la pudeur. 
» N’écoutez point ces insensés Prophêtes, 
» Dont les cris importuns menaçaiént ma grandeur. 


ANR AARAS 


:» Eh! que me fait le Dieu qu'enfanta leur démence ? 
» S'il peut m'anéantir que ne vient-il enfin? 

» Mais, non : de ma grandeur, de mon empire immense, 
» Le tems, quoiïqu’immortel, ne verra point la fin. » 
Au noir séjour qui donc t'a fait descendre ? 
Pourquoi n’entends-je plus tes profanes concerts ? 
Je t'ai cherchée au fond de tes déserts. 

Pas un débris, pas seulement la cendre 
De ces Palais pompeux qui fatiguyaient les airs. 


Attivé vers l'Euphrate où jadis tu fus Reine, 
Je t'appelle, et tu dors au-dessous des illons, 
Et tes inurs sont mêlés à la mouvante arêne, 
Que l’ardent Africus roule en noirs tourbillons. 

Ton Dieu lui-même à partagé ta tombe; 
La 


MÉMOIRES. 559 


La terre a dévoré ces temples de Bélus; 
Tes successeurs comme toi ne sont plus. 
Semblable au flot qui grandit et rétombe, 
Chaque État, tour-à-tour, a son flux et reflux: 


AAA VAAAN PAS 


Là regnait ta rivale; ici, l’herbe remplace 

Les remparts que Palmyre élevait jusqu'aux cieux, 

Plus loin mourut Balbec; là, j'ai foulé la place 

Où Memphis, autrefois, attirait tous les yeux. 
» Fendez les mers, affrontez la fortune, 

» Partez, disait Sidon, à ses mille vaisseaux. 

| » Que tous les Rois deviennent mes vassaux, 
» Qu'à votre aspect le superbe Neptune 

# Abdique le pouvoir qu'il avait sur les eaux. » 


AAA MAMA WAY 


Et cependant l’Oubli la couvre de son aîle! 

Et cependant ; ses ports sont muets d'abandon! 

Et cependant, la mort, livide sentinelle, 

Est debout pour jamais sur les murs de Sidon. 
Voilà, voilà, magnifiques atômes, 

Conquérant trop fameux , foudroyans Potentats, 
Comme lè Ciel se rit de vos États, 
Et fait passer, tels que de vains fantômes, 

Vos peuples souvent grands par de grands attentats. 


AARAAMAAMAAAN 


De pleurs, de flots de sang vous inondez la terre. 
Votre char roule au bruit des malédictions. 
Jusques à quand, cruels, le droit du cimeterre 
Sera-t-il en vos mains le droit des Nations. 
Fuyez , Pasteurs désertez vos campagnes, 


ne = ae ee _ < L 


5Go MÉMOIRES. 

Laissez - là vos troupeaux, votre toit fortuné ; 
Bellonne accourt, la trompette a sonné... 
Fuyez.... bientôt, vos enfans, vos compagnes, 

Vont subir la fureur du vainqueur effréné, 

Non, vous ne verrez plus vos cabanes. rustiques ; 

Au foyer paternel adressez vos adieux; 

11 va périr l’azile où, tels qu'aux jours antiques, 

Vous cultiviez en paix l'innocence et les Dieux. 
Que tardez-vous? La guerre et l'incendie 

‘Ont ligué leurs fureurs , réuni leurs tisons. 

 Entendez-vous ces lamentables sons ? 
Tout est perdu..,., de la flamme agrandie ÿ 

Le courroux se déploie : à travers vos moissons 


Que d'horreurs ! et pourquoi dévaster ce riveges ? 
Insensé Conquérant, quel peut être ton but? 
Crois-tu que ton grand Peuple, après tant de ravages, 
Au néant, à son tour, ne paiera point tribut? 

Sors du tombeau, sors, géant politique, 
Rome, viens l’effrayer du bruit detes revers; à 

. Toi qui jadis insultant l'Univers, -7 | 

Vôyais fléchir, sous ton joug despotiquie, 
Tant de fronts couronné, tant de peuples divers. 
| 

Jusqu'où n'ont pes, volé tes Aigles intrépides ? 
Quel moyen d’envahir n’as-tu pas inventé? 

Quand, la flamme à la main, tes Légions rapides 

Couraient annoncer Rome au monde épouvanté? 
Des bords du Tigre aux colonnes d’Alcide, 

Lançant tous les fléaux que l'Enfer déchaîna ; 


MÉMOIRES. 5Gs 
Tu ressemblais au turbulent Etna , | 
Lorsqu’ entr'ouvrant son sommet homicide, 

IL vomit la terreur danses vallons d’Enna. 

En vain, dans ses déserts, en vain la Nigritie 
T'opposait tous les feux de son ciel dévorant ; 
En vain le fils glacé de l’âpre Sarmatie 
Croyait dans ses marais échapper au torrent. 

Comme à la voix du maître des tonnerres ; 

Un océan vengeur dans Jes airs enfanté, 
Couvrit soudain le globe dévasté; 

De même on vit tes bandes sanguinaires 

Inonder de leurs flots tout l'Univers dompté. 

Levez-vous, accourez insulter À son ombre , 
Peuples qu'elle a plongé dans la nuit du cercueil ; 
Des règnes effacés, Rome a grossi le nombre: 
Elle a perdu sa gloire et courbé son orgueil. 

La ronce avide a percé ses murailles ; 

Ses Thermes , ses Palais dans la poussière épars, 
Sont-là semés, jetés de tontes parts; 
Tandis que l’If, amant des funérailles, 

S’est emparé du sol où brillaient ses dus 


RARARAAAARRRN 


Tel, ce fleuve échappé des flancs du mont Adulle | 
Le Rhin, gros de tributs, terrible , impétièux 
S’avance ; imaginant , dans sa fierté crédule, 

Qu'il va rouler sans fin ses flots tumultueux. 
Hélas! ses flots sont des flots périscables , 
Vainement de son cours la terre a retenti ; 


562 - MÉMOIRES. 


_ Déjà, moins fier son cours s’est rallenti, 
Décroit encore, et dans des mers de sables, 
Comme un humble ruisseau disparaît englouti. 


Ainsi tout passe, ainsi ma patrie elle-même, 
Après avoir dompté cent peuples belliqueux, 
Précipitée un jour de sa grandeur suprême 
S'en ira dans l'oubli se confondre avec eux: 

Et quand le tems, ce Dieu de la vitesse ; 
Aura mis au tombeau notre règne expiré, 

Peut-être alors, quelque Barde inspiré, 

Touchant sa harpe aux lieux où fût Lutèce, 
* N'entendra que le chant qu'il aura soupiré. 


PELLET , D'ÉPINAL, 
Membre correspondant. 


Fin pu I." Vorumz. 


MÉMornezss 563 


AAA AAA AAA NAN AAA RARANE 


TABLE 
DES MATIÈRES 
CONTENUES 


DANSLE |“ VOLUME: 


SES ne Aires ee] 


L 1STz des Membres ‘composant la Société au 1.” 


septembre 1818. 
mn Ppagess 
Discours d'ouverture de la séance publique du 24 
août 1818. Par M. le B.°" D’herlincourt, Président. 1: 


Rapport sur les Travaux de la Société, Iàù à la 
même séance. Par M. Martin, Secrétaire perpétuel. 10. 

Rapport sur l’ancienne Académie d'Arras. Par M. 

Bergé de Vassenau. 39° 


SCIENCES 


PHYSIQUE. 
Notice eur l'Électricité. Par M. Vène: 1894 
Électricité atmosphérique, et variations du baromètre. 
Par M. Vène. | 388, 


Notice sur les Clartés et les Scintillations produites 
= par la circulation du fluide électrique. Par M. 
Buissart, père, 535 


CHIMIE. 


Mémoire sur un nouvel Alkali, appellé la Strych= 
. nine, Par MM. Pelletier et Caventou, 3464 


/ 


364 MÉMOIRES. 
Mémoire sur les moyens d'empêcher l’eau de se 
corrompre à bord des vaisseaux. Par M. Périnet, 495. 
: MÉDECINE &T CHIRURGIE. 
Essai sur les Maladies particulières au département 


du Pas-de-Calais, Par M, Leviez. | 87. 
Apperçu topographique et médical de la ville d'Arras. 

Par M. Duchateau, 106. 
Lettre au Secrétaire perpétuel, sur une guérison | 
, du Croup. Par M. Mercier. 120. 
Notice sur l'Eau de Bouleau. 383. 
Observation sur une opération de la Laryngo- 

Trachéotomie. Par M. Duchateau. 486. 
Quelques vues générales sur le Cancer. Par M. Carault. 16e 

GÉOGRAPHIE. 


De la hauteur du niveau des Eaux sur le bassin 
oriental de ta Méditerranée. Par M. Corancez. 1524 

Description hydrographique des Provinces de Beniss- ‘ 
souef et du Fayoum en Égypte. Bar M. Martin, 2313 


Description de l'Ile de Tino. Par M. Burdet. 400. 
Mémoire sur le déplacement et le mouvement 
alternatif des Mers. Par M. Lenglet. 4ae 
nu HisToine NATURELLE 
Notice sur les principaux Quadrupèdes qui se trouvent 
au pord de la Syrie. Par M. Corancez. 298. 
BELLES - LETTRES. 


ANTIQUITÉS. 
Recherches sur les Sépultures souterraines de quel- 
:_ ques Peuples anciens et description d'un Cimetière 
de Madrid. Par M. Willaume, ù 1913 


MÉMOIRES 663 

| | | Pass 
Notice sur l’origine et l'antiquité de la ville d'Arras, 

"Par M. Behin. 209: 
Notice sur un Mallus ou Sanctuaire Druidique , au 
territoire de Ferques, près Landerthun, Par 

M. Henri. 33ra 


Etymologie du nom de Landrethan. Par M. B. H, 493. 


| POÉS1£. 
Élégie sur la mort d’un ami. Par M. Cot, 35 
Les Roses, l’Immortelle et le Scarabée, Fable, Par 

le même, 36ÿ 


Elle n'est plus. — Romance. Par M. Pellet , d'Épinal. 37: 


Épitre à l’auteur d'un Ouvrage inédit sur la 
‘Statistique du département du Pas-de-Calais. Par 
M. le Baron d'Ordre. : y LE 
Le Fleuriste et V'Epi de bled, Fable. Par M. Cot. 84: 
Traduction de la 4.”° Églogue de Virgile. Par le même. 228, 
Le Pouvoir de la musique. Ode, Par M. Fromentine. 40q. 


Fragment d'une Tragédie inédite, intitulée Cons- 


tantin. Par M. Pellet, d'Épinal 416. 
Épitre à M. Lorgnier. Par M. le B.°* d'Ordre. 500. 
Vieille Chronique. Par M. Cot. PL 501. 


Fragment d’une Tragédie inédite , intitulée Pizarre. 
Par M. Cot. S27. 


Les Vicissitudes des Empires, Ode. Par M. Pellet 
d'Épinal. | 557 


566 | = MÉMorres. 
ARTS. 


“AGRICULTURE 
._. pages. 
Nouvelle méthode d'Ensemencement. Par M. Devred. 386. 


Rapport sur le ‘Semoir de M. Scipion Mourgue. 


- ‘Par M. Cot. - 477: 
ft. « MANUFACTURES. 
Notice sur la distillation des. grains dans le dép a ar- e 
tement du Pas-de-Calais. Par M. Burdet. 115. 
Rapport sur di fabrique de sucre de ‘betteraves , de 
M. .Crespel : Dellisse. Parle même. 125. 
| Procès-verbal des opérations faites. pour ie les 
. sucres de la même fabrique. nc 379. 
Rapport sur l'établissement de filature de MM. Catté, 
frères, , Arras: Par M. Donop. | 47e 
RE [ MÉCANIQUE. | 
Robert sur les machines de M. Hallette. Par 
M. Burdet. ‘7  : | _ G&. 
Pompe à à double effet Per M. Arnollet, 44e 


ART - VÉTÉRINAIRE, 0 
+ 


Notice sur les malädies que les chaleurs et la sé- 
” ‘cheresse ont pu développer parmi :les ‘bestiaux. ‘ 


Par M: Hurtrel-Darboval.  . OR 0e 
"Questions à traiter sur.la Cécité des chevaux. Par 
le même.,  . . 325. 


2," Notice sur les maladies des bastide. Parle même, 505. 


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8004170185 


Lit 


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